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02/12/2019 | FRANCE | N°18/00383

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 02 décembre 2019, 18/00383


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 02 DECEMBRE 2019



(Rédacteur : Jean-Pierre FRANCO, conseiller,)





N° RG 18/00383 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KHSX







[I] [J]



c/



Compagnie d'assurance MATMUT

CPAM DE LA DORDOGNE



























Nature de la décision : AU FOND






r>















Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 19 décembre 2017 par le Tribunal de Grande Instance de PERIGUEUX (RG : 16/00187) suivant déclaration d'appel du 23 janvier 2018





APPELANT :



[I] [J]

né le [Date naissance 1] 1991 à [Lo...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 02 DECEMBRE 2019

(Rédacteur : Jean-Pierre FRANCO, conseiller,)

N° RG 18/00383 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KHSX

[I] [J]

c/

Compagnie d'assurance MATMUT

CPAM DE LA DORDOGNE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 19 décembre 2017 par le Tribunal de Grande Instance de PERIGUEUX (RG : 16/00187) suivant déclaration d'appel du 23 janvier 2018

APPELANT :

[I] [J]

né le [Date naissance 1] 1991 à [Localité 1] (24)

De nationalité française

demeurant [Adresse 1]

représenté par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assisté de Maître Antoine CHAMBOLLE de la SELARL CHAMBOLLE & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX

INTIMÉES :

Compagnie d'assurance MATMUT agissant en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]

représentée par Maître Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître ALONSO substituant Maître LABROUE de l'AARPI LABROUE GAULTIER ALONSO, avocats plaidants au barreau de PERIGUEUX

CPAM DE LA DORDOGNE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]

non représentée, assignée à personne habilitée

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 912 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 octobre 2019 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Jean-Pierre FRANCO, conseiller, chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Marie-Hélène HEYTE, président,

Jean-Pierre FRANCO, conseiller,

Catherine BRISSET, conseiller,

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

Le 26 septembre 2010, M. [I] [J], âgé de 19 ans, a été gravement blessé dans un accident de circulation, alors qu'il était passager transporté d'un véhicule assuré auprès de la société d'assurance Matmut.

Celle-ci n'a pas contesté son obligation d'indemnisation.

Désigné en qualité d'expert par ordonnance de référé en date du 13 décembre 2012, le docteur [D] a déposé son rapport le 29 aout 2013, en concluant notamment que [I] [J] présentait à titre de séquelles définitives de l'accident un déficit fonctionnel permanent de 75 % du fait de la persistance d'une tétraplégie de niveau C8 moteur et T4 sensitif.

Un procès-verbal de transaction est intervenu entre les parties le 1er avril 2014, fixant l'indemnisation des préjudices subis, à l'exception du préjudice matériel, des frais d'aménagement du domicile et des frais futurs.

Par acte en date du 4 janvier 2016, M. [J] a fait assigner la société Matmut devant le tribunal de grande instance de Périgueux en indemnisation de ces chefs de préjudice, en appelant en cause la CPAM de la Dordogne.

Par jugement assorti pour partie de l'exécution provisoire en date du 19 décembre 2017, le tribunal de grande instance de Périgueux a, pour l'essentiel :

-fixé la créance de la Caisse primaire d'assurance-maladie de la Dordogne à la somme de 545071,76 euros au titre des dépenses de santé futures,

-condamné la société Matmut à payer à M. [J] les sommes suivantes :

-90495,57 euros au titre du coût d'aménagement de son logement,

-367227 euros au titre des frais de véhicule adapté,

-65471,52 euros au titre du fauteuil roulant manuel,

-14007 euros au titre du fauteuil de loisirs pour le rugby,

-3201,74 euros au titre du siège de douche,

-5633,10 euros au titre des coussins anti escarres.

Le tribunal a rejeté le surplus des demandes principales et a condamné l'assureur à payer à M. [J] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il a considéré que M. [J] ne justifiait pas de la nécessité d'acquérir un logement adapté à son handicap, et que seuls les frais d'adaptation de son logement actuel devaient être pris en compte, et qu'au vu du rapport rédigé par Mme [X], ergothérapeute, il y avait lieu de retenir le devis de la société Coren Access, pour un montant de 90 495,57 euros.

Il a évalué à 9000 euros le montant des frais d'adaptation d'un véhicule, en estimant que M. [J] ne justifiait pas de la nécessité d'acquérir un véhicule de type 4x4, et il a fixé la période de renouvellement à cinq ans.

Il a ensuite examiné les différentes demandes au titre des matériels, en rejetant celles concernant l'achat d'un fauteuil roulant électrique verticalisateur, d'un fauteuil roulant électrique tout-terrain, d'un appareil pour exercices sportifs et d'un siège élévateur en l'absence de justificatifs suffisants.

M. [I] [J] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 23 janvier 2018.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 4 octobre 2019, il demande à la cour :

-d'infirmer le jugement,

-de condamner la société Matmut à lui régler les sommes suivantes après déduction de la créance de l'organisme social :

-210000 euros au titre des frais d'acquisition d'un logement adapté,

-150202,26 euros au titre des frais d'aménagement de ce logement,

-591369,83 euros au titre des frais de véhicule adapté,

-133106,88 euros au titre des frais de fauteuil roulant léger,

-3499 euros au titre des frais de yomper,

-525 euros au titre des frais de free wheel,

-170151,02 euros au titre du fauteuil électrique verticalisateur,

-83632,89 euros au titre du fauteuil électrique tout-terrain,

-101791,13 euros au titre du fauteuil de rugby,

-45030,37 euros au titre de la machine de musculation,

-40233,24 euros au titre du matelas et coussins anti escarres

outre une indemnité de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de civile.

Il sollicite en outre l'application du dernier barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2018, ainsi que la prise en compte de tous les besoins évalués par le médecin expert, et non indemnisés lors de la signature du protocole d'accord transactionnel.

Il fait valoir que les deux logements dont il a été successivement locataire après son accident étaient inadaptés à son handicap et qu'il a donc été contraint de se porter acquéreur d'un logement malgré son jeune âge, de sorte que le coût d'achat de ce bien immobilier adapté est en lien direct avec le dommage.

Il fonde sa demande concernant les frais d'aménagements du logement sur les préconisations de Mme [X], ergothérapeute, et sur le devis de la société Coren access, dont il sollicite toutefois l'actualisation sur certains postes initialement non prévus, portant ainsi sa demande à la somme de 150209,26 euros.

Il souhaite acquérir un véhicule de type Nissan 4x4, pour un coût de 36500 euros, et y réaliser des frais d'adaptation d'un montant de 19869,60 euros, avec renouvellement de cette acquisition tous les cinq ans, et capitalisation pour l'avenir, portant ainsi sa demande à la somme de 589659,83 euros.

Par dernières conclusions d'appel incident partiel déposées et notifiées le 11 octobre 2019, la société d'assurances Matmut demande à la cour :

-de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes suivantes de M. [J] :

-frais d'acquisition du logement,

-frais d'ergothérapeute

-frais d'acquisition de véhicule,

-achat d'un fauteuil roulant électrique verticalisateur, d'un fauteuil de loisirs pour le rugby, d'un fauteuil roulant électrique tout-terrain, d'appareils pour exercice sportif, d'un siège élévateur, de matelas,

-d'infirmer le jugement pour le surplus, et statuant à nouveau,

-de dire que la cour devra retenir le barème de capitalisation de référence pour l'indemnisation des victimes (BCRIV),

-de réduire la demande d'indemnisation au titre des frais de logement adapté à la somme de 51175,85 euros, subsidiairement à celle de 59200 euros, et plus subsidiairement encore à la somme de 90495,57 euros (par confirmation du jugement),

-de réduire la réclamation au titre des frais de véhicule adapté à la somme de 48 712,50 euros, et subsidiairement à celle de 71645,40 euros,

-de réduire à la somme de 3383,01 euros la demande au titre de l'acquisition d'un fauteuil roulant manuel, et à 23884,05 euros celle concernant le renouvellement de ce fauteuil roulant manuel,

-de réduire à la somme de 14243,05 euros la demande au titre de l'acquisition et du renouvellement d'un coussin

En tout état de cause,

-de lui donner acte qu'elle a versé la somme de 75000 euros au titre de l'exécution provisoire du jugement,

-de dire que les condamnations interviendront en deniers ou quittances, compte tenu des sommes versées à titre amiable ou sur décision de justice,

-de rejeter les autres demandes de M. [J], ainsi que sa prétention fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

-de statuer ce que de droit sur les dépens.

Elle soutient, pour l'essentiel, que l'achat d'une masion à [Localité 2] correspond à un choix personnel de M. [J], que ce dernier ne démontre pas avoir dû déménager en raison de sa situation de handicap et du caractère inadapté des précédents logements, de sorte que seuls les frais d'aménagement de l'habitat et ceux d'achat d'équipements spécifiques doivent être indemnisés, sur la base des préconisations du médecin-expert, le docteur [D].

Elle discute les autres réclamations, qu'elle estime en partie injustifiées, ou excessives.

Bien qu'elle ait reçu signification de la déclaration d'appel et des conclusions de l'appelant, par acte d'huissier en date du 16 mars 2018, la CPAM de la Dordogne n'a pas constitué avocat devant la cour.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des faits de l'espèce, des prétentions et moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 octobre 2019;

MOTIFS DE LA DECISION:

1- Il sera statué par arrêt réputé contradictoire, dès lors que la déclaration d'appel a été signifiée à la CPAM de la Dordogne, par acte remis à personne habilitée.

2- A titre préalable, il convient d'indiquer, que pour les chefs de demande devant donner lieu à capitalisation pour l'avenir, la cour fera application du barème de capitalisation 2018 publié par la Gazette du Palais, qui prend en compte l'inflation générale des prix fixée à 0,5 % ainsi que des tables de mortalité INSEE les plus récentes.

A la date du présent arrêt, M. [J] sera âgé de 28 ans, et l'euro de rente viager est de 44,403.

3- Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la société Matmut à plusieurs reprises dans ses écritures, la victime de l'accident n'avait pas à justifier par factures de l'achat préalable des matériels et équipements rendus nécessaires par sa situation de handicap pour que ses demandes d'indemnisation soient jugées recevables et bien fondées.

4- Sur la demande au titre de l'acquisition du logement:

Il résulte du rapport d'expertise judiciaire du docteur [D] en date du 29 aout 2013 que lors de son accident de circulation survenu le 26 septembre 2010, M. [J] a présenté un tramatisme crânien, des fractures des vertèbres C6-C7-T1, avec recul du mur postérieur avec fragments intra canalaires, à l'origine d'un déficit T1 moteur bilatéral, associé à un déficit sensitif noté C7, une tétraplégie traumatique avec déficit.

Une intervention chirurgicale été pratiquée en urgence aux fins de décompression et arthrodèse C6-T1, qui a cependant laissé persister une tétraparésie, de niveau C8 moteur, et T4 sensitif.

Après huit mois d'hospitalisation, et une rééducation prolongée, il subsiste après consolidation au 26 septembre 2012 une tétraplégie de niveau C8 moteur'T4 sensitif, le taux de déficit fonctionnel permanent étant fixé à 75%.

Il est constant que les frais de logement adapté les frais que doit débourser la victime directe à la suite du dommage pour adapter son logement à son handicap et bénéficier ainsi d'un habitat en adéquation avec ce handicap. Ce poste de préjudice comprend seulement l'aménagement du domicile préexistant, mais éventuellement celui découlant de l'acquisition d'un domicile mieux adapté prenant en compte le surcoût financier engendré par cette acquisition.

En l'espèce, avant l'accident, M. [J] (alors âgé de 19 ans) vivait chez les parents de sa compagne.

Après une période d'hospitalisation à l'hôpital [Établissement 1] entre le 26 septembre 2010 et le 4 novembre 2010, puis une rééducation à [Établissement 2] du 4 novembre 2010 au 3 juin 2011, M. [J] a résidé avec sa compagne Mme [T] dans un logement situé au 1er étage d'un immeuble au [Adresse 4] jusqu'au 31 aout 2012.

Il ressort du courrier adressé par Domofrance le 17 novembre 2010, et des indications figurant au rapport d'expertise judiciaire (page 4) qu'il s'agissait d'un logement adapté, au premier étage avec ascenseur. A sa sortie de l'établissement [Établissement 2], M. [J] se déplaçait en fauteuil roulant, il bénéficiait d'une prescription de lit médicalisé, son état nécessitait l'utilisation d'aides techniques et il avait besoin d'une intervention d'aide humaine.

Dans ses conclusions, M. [J] admet que cet appartement était relativement adapté à son handicap, mais il indique que l'ascenseur ne fonctionnait pas bien et qu'il bénéficiait d'un aménagement insuffisant en domotique.

Toutefois, en dépit des contestations soulevées sur ce point par la société Matmut et des motifs du jugement attaqué, il n'a produit ni le bail d'habitation conclu avec la société Domofrance, ni l'état des lieux d'entrée décrivant les aménagements intérieurs, ni de plainte ou de mise en demeure adressée au bailleur concernant les pannes d'ascenseur invoquées ou une difficulté d'accès.

Il a produit en dernier lieu devant la cour deux attestations, non conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile,puisque les pièces d'identité des rédacteurs ne sont pas jointes, que l'une d'elle n'est pas manuscrite (celle de Mme [Z] et de M. [V]) et qu'il n'est donné aucune précision sur l'existence de liens éventuels de parenté ou d'alliance avec M. [J] ou Mme [T].

Il appartient néanmoins à la cour de vérifier le contenu et le caractère probant de ces attestations.

Mme [L] [C] indique que ''les logements loués par M. [J] [I] depuis son accident le 26 septembre 2010 n'étaient pas totalement aux normes handicapé. Panne d'ascenseur, baignoire, pour ce qui était de l'appartement.''

Mme [Z] et M. [V] indiquent pour leur part: ''les logements loués par M. [J] étaient non conformes à son handicap, le logement loué par Domofrance [Adresse 5] possédait un ascenseur, mais souvent celui-ci était en panne, habitant au premier étage, il lui était impossible de rentrer chez lui sans l'aide d'une tierce personne, d'autre part l'appartement ne possédait pas de douche, qu'une baignoire donc très difficile d'accès pour se laver.''

Toutefois, ces attestations sont imprécises et ne permettent pas de s'assurer que leurs rédacteurs aient eu une connaissance personnelle des faits décrits.

Le caractère inadapté du second logement pris à bail n'est pas davantage démontré.

[I] [J] n'a produit que la première page du bail, décrivant le logement comme une maison individuelle de plain pied sur 900 m² de terrain, comportant une cuisine équipée, 3 chambres, 2 WC, une salle de bains, séjour, deux terrasses. L'état des lieux d'entrée n'a pas été versé au débat.

[I] [J] allègue qu'il a dû quitter ce logement le plus rapidement possible, car les chemins permettant d'accéder à la maison étaient impraticables, tant en fauteuil roulant qu'en véhicule, à tel point qu'il n'a pu sortir du logement pendant un mois. Les dates d'entrée et de sortie demeurent toutefois inconnues puisque le congé n'a pas été communiqué.

Il ne justifie ni d'une réclamation auprès du bailleur, en dépit de l'importance du trouble de jouissance allégué, et ne communique aucune autre pièce telle que photographie ou constat d'huissier.

Les attestations de Mme [C], de Mme [Z] et M. [V] ne donnent aucune précision suffisante et elles doivent donc être écartées.

Enfin, s'il est certain que le devis dressé le 27 aout 2014 par la société Coren access concerne des travaux d'aménagement lourds, portant sur les lots maçonnerie, terrassement et démolition, charpente-couverture, incompatibles avec le caractère précaire d'une location, il convient de rappeler qu'ils concernent la maison située [Adresse 6] et non les précédentes locations.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande au titre des frais d'acquisition de la maison d'habitation située [Adresse 7], en l'absence de preuve objective et suffisante du caractère inadapté des logements pris à bail, par rapport à la situation de handicap de M. [J].

5- Sur la demande au titre des frais d'aménagement de la maison:

En pages 12 et 13 de son rapport, l'expert judiciaire a indiqué que l'état de M.[J] nécessitait des adaptations au niveau de son logement, notamment au niveau de la salle de bains, avec possibilité d'une douche accessible.

Dans son rapport du 27 juin 2014, Mme [X], ergothérapeute, a décrit l'état existant de la maison, et a préconisé des aménagements intérieurs qui ne donnent pas lieu à critique sérieuse, puisqu'ils concernent l'aménagement d'une salle de bains adéquate, attenante à la chambre de M. [J], par transformation de la buanderie en salle de douche, l'amélioration des circulations et l'entrée dans la chambre, la suppression des portes en sas et la mise en place d'une porte coulissante.

En partie extérieure, il est nécessaire d'améliorer le cheminement décrit comme cahotique, afin de gommer le dénivelé existant, de le prolonger vers la terrasse et vers le côté de la maison et d'amoindrir des seuils.

Contrairement à ce que soutient l'assureur, il existe également un lien de causalité entre le déficit fonctionnel permanent de M. [J], qui nécessite l'utilisation permanente d'un fauteuil roulant dès la sortie de véhicule automobile type monospace, et la construction d'un abri voiture style carpark de 4x4,50 m placé parallèlement à la maison, compte tenu de la dimension insuffisante du garage existant (2,90 mètres de large).

En complément de l'indemnisation obtenue de ce chef devant le premier juge, M. [J] sollicite devant la cour la prise en compte de nouveaux aménagements, sur la base d'un nouveau bilan situationnel réalisé par Mme [X] le 11 juillet 2018.

Il est ainsi préconisé

-l'installation d'une baignoire avec un siège élévateur de bains. Cet aménagement doit être retenu car en page 6 de son rapport, Mme [X] décrit de manière détaillée, photographies à l'appui, les efforts requis de la part de [J] pour se transférer au sol dans la douche à siphon de sol, pour se positionner, et surtout pour remonter du sol vers le fauteuil roulant. Elle précise à cet égard que ces efforts ne sont pas recommandés, car non ergonomiques pour un bon fonctionnement des épaules.

Il convient donc de déduire du devis la somme de 277 euros initialement prévue pour le siphon de douche à l'italienne et de prendre en compte une somme de 2000 euros pour la baignoire avec siège élévateur de bains, à renouveler tous les 5 ans.

-l'achat d'un robot tondeuse pour le jardin, piloté depuis smartphone. En application du principe de réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit, il convient de rejeter ce chef de demande dès lors que M. [J] bénéficie déjà d'une aide par tierce personne pour les actes de la vie quotienne.

-l'achat d'un abattant de WC japonais avec buse d'eau chaude et séchage (page 15 du rapport). Bien que la maison soit déjà équipée d'un WC réhaussé, cet appareillage est rendu nécessaire par les difficultés d'élimination rencontrées par l'appelant, décrits par le médecin expert (page 13 du rapport) et rappelées par l'ergothérapeute. Il convient de porter en compte à ce titre un coût d'achat de 665 euros avec une périodicité de renouvellement de trois ans.

-l'achat d'une matelas de transfert depuis le fauteuil roulant, pour mise à l'eau dans la piscine enterrée dans le jardin, pour un prix de 8409,44 euros. Cet aménagement est bien rendu nécessaire par le déficit fonctionnel de M. [J], et il convient de faire droit à ce poste de demande.

Le poste frais d'aménagements de la maison ressort doit donc être calculé comme suit :

-devis initial COREN: 90495,57 euros, dont à déduire la somme de 277 euros (douche à l'italienne), soit 90218,57 euros

-baignoire et siège élévateur de baignoire

-arrérages échus de 2014 à 2019: 2400 euros (sur la base d'un renouvellement tous les 5 ans),

-capitalisation du matériel à compter de la date du présent arrêt: 2000 x 44,303/5: 17721,20 euros

Total : 20121,20 euros

-WC japonais:

-arrérages échus de 2014 à 2019: 1330 euros (renouvellement du matériel tous les 3 ans),

-capitalisation du matériel à compter de la date du présent arrêt : 665 x 44,303/3= 9820,49 euros

Total : 11150,49 euros

-Banc et matelas de transfert piscine : 8409,44 euros

Total poste aménagement : 129899,70 euros.

6- Frais de véhicule adapté:

L'assureur ne conteste pas la nécessité dans laquelle se trouve M. [J] de disposer d'un véhicule adapté à son handicap.

Devant la cour, M. [J] sollicite à ce titre la condamnation de l'assureur à payer la somme de 56369,60 euros, représentant le coût d'achat d'un véhicule Nissan type 4x4, et celui de son aménagement soit 19869,60 euros (avec renouvellement tous les cinq ans).

Il ressort des pièces produites que seul un véhicule monospace suffisamment long et haut de plafond avec plate forme élévatrice est susceptible d'accueillir le fauteuil roulant de M. [J], ainsi que le handbike ou le fauteuil roulant de quad-rugby (sports pratiqués par l'appelant).

Le coût d'aménagement a été évalué par l'ergothérapeute à 19869,60 euros, avec renouvellement tous les 5 ans, ce qui représente un coût annuel de 3973,92 euros.

Il s'agit d'un préjudice directement occasionné par les séquelles de l'accident et devant donner lieu à indemnisation.

Le besoin en véhicule adapté ayant existé dès le retour à domicile en 2012, les arrérages échus à la date du présent arrêt s'élèvent à 7 années entières, soit 7 x 3973,92 = 27817,44 euros.

Le préjudice pour l'avenir doit être fixé par capitalisation à hauteur de la somme de 44,303 x 3973,92 = 176056,57 euros.

Total : 203874,01 euros.

La demande formée au titre du permis de conduire adapté à hauteur de la somme de 1710 euros doit être rejetée, puisqu'il ne ressort pas du devis produit aux débats qu'il existe un surcoût par rapport à un permis de conduire ordinaire.

7- Indemnisation des matériels nécessaires au handicap de M. [J] :

Fauteuil roulant manuel :

L'assureur admet le principe de la demande, qui doit être évaluée sur la base d'un matériel Progeo Carbon d'une valeur de 7646 euros ainsi que le propose Mme [X] (pièce numéro 45).

Il convient de déduire la somme de 468,83 euros au titre de la prise en charge partielle par la CPAM, soit un solde à charge de 7177,17 euros.

Le coût annuel est de 1435,43 euros compte tenu du renouvellement tous les 5 ans, selon le rapport de Mme [X] (tableau page 18).

Les arrérages échus de 2011 à 2019 s'élèvent à 8 x 1435,43 = 11483,44 euros

La capitalisation pour l'avenir doit être fixée à 7177,17 x 44,303 /5 = 63594,03 euros.

Total de ce poste: 75077,47 euros.

Par ailleurs, dans son dernier rapport, l'ergothérapeute a indiqué, au titre des nouveaux besoins en matériels, qu'il convenait de prévoir une assistance électrique de type Yomper, pour le fauteuil roulant manuel, permettant de limiter les efforts des épaules (coût de 3499 euros) ainsi qu'un dispositif dénommé Free wheel (525 euros) permettant une sécurité lors des déplacements sur la piste cyclable et en ville.

Ces aménagements techniques sont de nature à faciliter l'autonomie de l'appelant lors de ses déplacements, et il convient de faire droit aux demandes en paiement de ce chef, afin d'assurer l'effectivité du principe de réparation intégrale du préjudice.

Fauteuil roulant électrique verticalisateur:

Dans son dernier rapport de bilan situationnel, Mme [X] a relevé que M. [J] était, en l'état, incapable de se verticaliser en l'absence de mobilité volontaire des membres inférieurs, et qu'un fauteuil roulant électrique verticalisateur lui permettait de lutter contre l'ostéoporose, et facilitait son transit, en autorisant des déplacements en position verticale.

Il en a donc fait l'acquisition et l'utilise dans la vie courante, ainsi que justifié par les photographies jointes au rapport.

Cet appareil est donc justifié sur le plan médical en raison des séquelles de l'accident, sans qu'il puisse être tiré argument de la teneur du premier rapport de Mme [X] en date du 27 juin 2014, qui avait pour objet principal une évaluation de l'accessibilité du domicile de M. [J].

Il convient donc de mettre à la charge de l'assureur le coût d'achat et de remplacement d'un matériel de type C500, tel que celui ayant donné lieu à facture pro forma du 29 novembre 2013 (pièce n°35), d'un montant total de 32531,79 euros, en ce compris les accessoires rendus nécessaires du fait de la tétraplégie (cales, supports, ceintures).

Au titre des arrérages entre 2012 et 2019, il est dû, compte tenu d'un amortissement sur 10 ans de ce type de matériel, une somme de 32531,79 x 8/10 = 26025,43 euros.

Au titre des frais futurs et par capitalisation, il est dû une somme de 32531,79 x 44,303/10 = 144125,58 euros.

Total de ce poste: 170151,01 euros. Il convient donc de faire droit à la demande.

Fauteuil électrique tout terrain:

Les pièces produites par l'appelant ne caractérisent pas l'existence d'un lien de causalité certain entre les séquelles de l'accident et l'achat de ce fauteuil type Four Power, et Mme [X] note d'ailleurs qu'il est d'un usage occasionnel, et ne l'avait pas repris en page 5 dans son résumé des besoins (rapport du 11 juillet 2018).

Les éléments produits au débat ne démontrent pas une impossibilité d'utiliser les autres fauteuils pour les besoins de la promenade.

Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté cette demande.

Fauteuil de loisir pour le rugby:

L'assureur ne conteste pas le principe de la demande, mais le prix de ce fauteuil de quad-rugby, et la durée de renouvellement.

C'est à juste titre que le tribunal a retenu comme base d'indemnisation la facture du 10 janvier 2014 d'un montant de 6069,85 dollars, soit 4669 euros. Mme [X] a noté en page 11 de son dernier rapport que ce type de fauteuil valait 6064 euros en 2014, mais aucune des pièces (devis ou facture) ne permet de retrouver ce prix, et il n'est pas établi que les frais de maintenance des pneus et chambres à air s'élèvent à 6064 ' 4669 = 1395 euros, même sur une période d'amortissement de trois ans. Elle indique que M. [J] fait partie d'une équipe de quad-rugby dont les membres sont âgés de 27 à 60 ans. L'appelant est décrit par l'ergothérapeute comme très sportif, il s'est engagé très activement dans la pratique du quad-rugby, deux fois par semaine.

Il convient donc de retenir pour la capitalisation un euro de rente jusqu'à l'age de 60 ans, soit 28,572.

Au titre des arrérages échus, entre janvier 2014 et décembre 2019, l'indemnisation sera fixée à 4669 x 6 ans / 3 ans (période de renouvellement) = 9338 euros.

Pour l'avenir, et au titre de la capitalisation, l'indemnité sera donc fixée à la somme de 4669 x 28,572/3 = 44 467,56 euros.

Total de ce poste : 53805,56 euros.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Appareils pour exercices sportifs et loisirs sportifs:

L'appelant sollicite à ce titre la prise en charge par l'assureur d'un hand trainer scifit Pro (appareil pour exercice rotatifs des membres supérieurs), dont il a déjà fait l'achat.

Toutefois, au vu du rapport d'expertise médicale, l'achat de cet équipement ne relève pas d'une nécessité médicale mais d'un choix de M. [J] en termes de loisirs et d'agrément; il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté ce chef de demande.

Matelas et coussins anti-escarres:

L'expert médical a retenu la nécessité d'un coussin anti-escarres, mais non celle d'un matelas; il convient d'indemniser M. [J] sur la base de la facture d'achat du coussin Roho du 30 novembre 2011 (465 euros), dont à déduire le remboursement de la CPAM (61,50 euros) soit une somme de 403,50 euros, avec renouvellement tous les 5 ans de ce matériel.

Les arrérages échus de février 2012 à décembre 2019 s'élèvent à la somme de 403,50 x 8 = 3228 euros, et il est dû au titre de la capitalisation pour l'avenir la somme de 403,50 x 44,303 / 5 = 3575,25 euros.

Total de ce poste : 6803,25 euros.

8- Sur les frais du tiers payeur :

Il convient de confirmer le jugement, en ce qu'il a fixé à 545071,76 euros le montant de la créance de la Caisse primaire d'assurance-maladie de la Dordogne, au titre des dépenses de santé futures, conformément à l'évaluation définitive figurant au décompte du 19 juin 2014.

9- Sur les demandes accessoires :

Il est équitable d'allouer à M. [J] une indemnité de 4000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel, en ce compris les honoraires versés à l'ergothérapeute Mme [X].

Echouant dans la plus grande partie de ses prétentions, la société Matmut devra supporter les dépens d'appel ainsi que ses propres frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS:

LA COUR,

Confirme le jugement, en ce qu'il a :

-fixé à 545071,76 euros le montant de la créance de la Caisse primaire d'assurance-maladie de la Dordogne, au titre des dépenses de santé futures,

-rejeté la demande de M. [I] [J], au titre des frais d'acquisition de son logement, du fauteuil roulant électrique tout terrain, des appareils pour exercices sportifs et des frais de matelas,

-condamné la société Matmut aux dépens de première instance,

Infirme le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Dit qu'il convient de faire application du barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2018,

Condamne la société Matmut à payer à M. [I] [J] les sommes suivantes :

-129899,70 euros au titre des frais d'aménagement de son logement,

-203874,01 euros au titre des frais de véhicule adapté,

-75077,47 euros au titre du fauteuil roulant manuel,

-170151,01 euros au titre du fauteuil roulant verticalisateur,

-53805,56 euros au titre du fauteuil roulant pour le rugby,

-6803,25 euros au titre des coussins anti-escarres,

Y ajoutant,

Condamne la société Matmut à payer à M. [I] [J] les sommes suivantes :

-3499 euros au titre de l'assistance électrique Yomper,

-525 euros au titre du dispositif Free wheel,

Dit que les condamnations précitées sont prononcées en deniers ou quittances, et que les provisions déjà versées par l'assureur, soit à titre amiable, soit sur décision judiciaire, viendront en déduction,

Condamne la société Matmut à payer à M. [I] [J] la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en ce compris les honoraires de Mme [X], ergothérapeute,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne la société Matmut aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Marie-Hélène HEYTE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 18/00383
Date de la décision : 02/12/2019

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 1A, arrêt n°18/00383 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-12-02;18.00383 ?
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