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08/09/2016 | FRANCE | N°15/04364

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 08 septembre 2016, 15/04364


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



--------------------------







ARRÊT DU : 08 SEPTEMBRE 2016



(Rédacteur : Madame Véronique LEBRETON, Conseillère)



PRUD'HOMMES



N° de rôle : 15/04364









Monsieur [V] [V]





c/



SAS MARCHATS DISTRIBUTION

















Nature de la décision : AU FOND - SUR RENVOI DE CASSATION













Notifié par LRAR le :



LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :



La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).



Certifié par le Greffier en Chef,











Grosse délivrée le :



à

Décision d...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 08 SEPTEMBRE 2016

(Rédacteur : Madame Véronique LEBRETON, Conseillère)

PRUD'HOMMES

N° de rôle : 15/04364

Monsieur [V] [V]

c/

SAS MARCHATS DISTRIBUTION

Nature de la décision : AU FOND - SUR RENVOI DE CASSATION

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à

Décision déférée à la Cour : Saisine de la Cour d'Appel de céans en date du 13 juillet 2015, suite à un arrêt rendu le 03 juin 2015 (E14-12-595) par la Cour de Cassation - PARIS-, faisant suite à un arrêt rendu par la Cour d'Appel d'Agen en date du 17 décembre 2016, suite à un jugement rendu le 31 janvier 2013 par le Conseil de Prud'hommes de CAHOR ( F12/26)

DEMANDEUR SUR RENVOI DE CASSATION :

Monsieur [V] [V]

de nationalité Française

Profession : Employé commercial

demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Philippe GIFFARD, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE

DÉFENDERESSE SUR RENVOI DE CASSATION :

SAS MARCHATS DISTRIBUTION

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 2]

non comparant, non représentée bien que régulièrement convoquée

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 01 juin 2016 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Marc SAUVAGE, Président,

Madame Catherine MAILHES, Conseiller,

Madame Véronique LEBRETON, Conseiller,

qui ont délibéré

Greffier lors des débats : Florence Chanvrit Adjoint Administrative faisant fonction de Greffière

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE

M [V] a été engagé dans le cadre d'un contrat à durée déterminée à temps plein en date du 31 juillet 2006 en qualité d'employé commercial, puis dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée comme manager de rayon charcuterie/traiteur, à compter du 4 décembre 2006.

Du 1er au 10 juillet 2011 puis du 11 au 31 juillet 2011, M [V] a été placé en arrêt maladie.

Le 13 juillet 2011, M [V] a reçu un avertissement.

Le 22 juillet 2011, par l'intermédiaire de son conseil, il a pris acte de la rupture du contrat de travail.

'Il m'indique avoir été victime en tout début de matinée le 1er juillet 2011 d'une agression morale violente de la part de Mme [A] [R], au point qu'il a dû faire venir son médecin à domicile; le praticien a constaté la nécessité d'un arrêt de travail compte tenu du profond désarroi dans lequel se trouvait mon client. M [V] ajoute que cet incident n'en est qu'un survenant après plusieurs autres.

Il m'assure qu'il vous a immédiatement informé de sa situation d'arrêt de maladie, puis qu'il vous a adressé un certificat médical justificatif; sur mes conseils, il vous a fait parvenir la photocopie du volet numéro un, qui comporte le diagnostic posé par le médecin, qui ne figure normalement pas sur le volet numéro trois destiné à l'employeur.

Ayant reçu ce document, vous ne pouviez ignorer l'état de santé et les causes de l'arrêt de travail de M [V]. Il me communique toutefois votre courrier recommandé du 13 juillet 2011 par lequel vous lui infligez un avertissement pour son prétendu comportement du 1er juillet 2011, qu'il reçoit comme un ultime acte délibéré de harcèlement. Il vous est en effet juridiquement interdit d'infliger un avertissement à un salarié pour abandon de poste alors que vous avez été immédiatement informé de son départ dont il vous a été justifié dans les meilleurs délais de ce qu'il était causé par une maladie dont la réalité a été constatée par un médecin.

Accessoirement, M [V] conteste formellement avoir heurté le pied ou toute autre partie du corps de Mme [R] avec un transpalette; je suis évidemment tout-à-fait porté à le croire, alors qu'il vous aurait fallu douze jours pour vous apercevoir du choc.

Cette situation rend impossible la reprise de son poste de travail par mon client. Il me demande en conséquence de vous indiquer par le présent courrier qu'il prend acte de la rupture de son contrat de travail du fait de la faute grave commise par son employeur; il me charge de saisir la juridiction compétente pour faire attribuer à cette rupture tous les effets d'un licenciement dépourvu de motif réel et sérieux, et pour lui faire allouer les dédommagements qui lui sont dus.

Vous voudrez donc bien considérer que le contrat de travail vous liant à M [V] [V] est définitivement rompu par la présente prise d'acte à la date de première présentation du présent courrier, et me faire parvenir à l'intention de mon client son certificat de travail, son attestation pour le régime d'assurance-chômage, ainsi que le bulletin de salaire correspondant aux sommes que vous reconnaissez devoir, et le chèque afférent.'

Estimant que la rupture est imputable à l'employeur et s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Cahors le 9 février 2012 de diverses demandes de dommages et intérêts et rappels de salaire.

Par jugement en date du 31 janvier 2013, le conseil de prud'hommes de Cahors a :

débouté M [V] de sa demande de re-qualification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée,

annulé l'avertissement en date du 13 juillet 2011,

débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts sur avertissement,

débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts sur re-qualification,

débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

condamné l'employeur à verser à M [V] les sommes suivantes :

6 187,82 € au titre de rappel de salaires sur heures supplémentaires,

618,78 € au titre des congés payés y afférents,

266,86 € au titre de rappel de salaire pour majoration conventionnelle du travail le dimanche,

10 780,62 € au titre du travail dissimulé sur la base moyenne du salaire de M [V],

débouté M [V] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés y afférents, de sa demande d'indemnité de licenciement, de complément d'indemnisation maladie,

ordonné à l'employeur de régulariser le complément d'indemnisation maladie dès réception des attestations de M [V],

condamné l'employeur à verser la somme de 750,00 € à titre de dommages et intérêts pour violation des règles de durée d'organisation,

débouté M [V] de sa demande de dommages et intérêts pour rédaction tendancieuse,

ordonné la remise des documents légaux rectifiés conformes,

dit que le salaire moyen constaté au cours des trois derniers mois est 1 881,99 €,

condamné l'employeur au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M [V] a relevé appel de cette décision et par arrêt du 17 décembre 2013, la chambre sociale de la Cour d'appel d'Agen a :

infirmé la décision déférée en ce qu'elle a annulé l'avertissement du 13 juillet 2011 et alloué un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, congés payés y afférents, majoration conventionnelle pour travail le dimanche, et une indemnité pour travail dissimulé,

statuant à nouveau sur ces points, a débouté M [V] de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, congés payés y afférents, majoration conventionnelle pour travail le dimanche, et d'indemnité pour travail dissimulé,

débouté M [V] de sa demande d'annulation de l'avertissement du 13 juillet 2011,

confirmé la décision déférée pour le surplus,

y ajoutant, dit que la prise d'acte de la rupture s'analyse en une démission,

dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné M [V] aux dépens de l'appel.

M [V] a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt et le 3 juin 2015, la chambre sociale de la Cour de cassation a :

cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a débouté M [V] de ses demandes tendant à voir requalifier en contrat de travail à durée indéterminée le contrat de travail à durée déterminée initialement conclu entre les parties, à voir annuler l'avertissement du 13 juillet 2011 et à lui allouer à ce titre des dommages et intérêts, à voir juger que la prise d'acte de rupture produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, obtenir le paiement d'une indemnité de préavis, des congés payés sur préavis, d'une indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et en ce qu'il a déboute M [V] de sa demande tendant à obtenir le paiement de dommages et intérêts pour rédaction tendancieuse et tardive des documents de rupture, l'arrêt rendu le 17 décembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Bordeaux,

condamné la société Marchats distribution Super U aux dépens,

vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M [V] la somme de 3 000 €,

dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.

C'est sur ces éléments que l'affaire revient devant la chambre sociale de la Cour d'appel de Bordeaux.

Par conclusions déposées au greffe le 13 janvier 2016, développées oralement à l'audience, M [V] sollicite de la Cour qu'elle :

reçoive M [V] en son appel et, y faisant droit,

requalifie en contrat de travail à durée indéterminée le contrat de travail à durée déterminée initialement conclu entre les parties, alloue à M [V] 2 100,00 € de dommages et intérêts,

annule l'avertissement du 13 juillet 2011, alloue à ce titre 1 500,00 € de dommages et intérêts,

attribue à la prise d'acte de rupture les effets d'un licenciement dépourvu de motif réel et sérieux, alloue à l'appelant 30 000,00 € de dommages et intérêts,

condamne la société Marchats Distribution à payer 3 795,62 € d'indemnité compensatrice de préavis, outre 437,96 € de complément d'indemnité compensatrice de congés payés, sommes brutes,

la condamne également à payer à M [V] 2 080,98 € d'indemnité de licenciement,

la condamne à payer à M [V] 2 500,00 € de dommages et intérêts pour rédaction tendancieuse et remise tardive des documents de rupture,

ordonne la remise des documents légaux (certificat de travail, attestation pour l'assurance-chômage, bulletins de salaire) rectifiés conformes à l'arrêt à intervenir,

assortisse ses condamnations des intérêts au taux légal du jour de la saisine du conseil,

déboute la SAS Marchats Distribution de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles éventuelles, la condamne à 3 500,00 € de dommages et intérêts au titre de l'article 700, 1°, du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

* Sur la requalification du contrat de travail :

M [V] soutient le fait que le motif de recours au contrat de travail à durée déterminée n'est pas démontré et qu'en retenant deux modes différents et non compatibles de classification, la société a démontré que la qualification de la personne remplacée n'est pas indiquée au contrat et que la classification reconnue au salarié n'équivaut pas à celle de la personne remplacée, que l'absence de cette mention a pour effet de réputer à durée indéterminée le contrat de travail en cause.

* Sur l'avertissement du 13 juillet 2011 :

M [V] conteste avoir heurté le pied de Mme [R] avec un transpalette, et surtout, le reproche d'abandon de poste, seul motif de sanction évoqué par l'employeur, alors qu'il est établi qu'il était malade, qu'il a immédiatement informé son employeur et en a très rapidement justifié, constitue une discrimination liée à son état de santé, ce qui rend nulle la sanction qui s'appuie sur un tel motif.

* Sur la rupture :

M [V] soutient avoir été victime d'une agression dans le cadre de son travail, la société Marchats distribution manquant ainsi à son obligation de sécurité de résultat, et que l'employeur n'a par ailleurs pas respecté la législation relative au temps de travail, ce qui justifie une prise d'acte de rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur. Il précise être recevable à démontrer qu'il a dû accomplir des heures de travail qui ne lui ont pas été rémunérées afin de démontrer la faute grave commise par son employeur, même s'il ne peut plus en demander aujourd'hui le paiement l'autorité de la chose jugée ne s'attachant pas aux faits, qu'ainsi la société a gravement violé ses droits en matière de gestion du temps de travail et d'heures supplémentaires et ne peut invoquer une formule de forfait annuel, qui nécessite obligatoirement une mention dans le contrat de travail ou un avenant individuel en plus d'un accord collectif en autorisant le principe, que tel n'était pas le cas, que de plus il n'a pas toujours bénéficié de son temps de repos hebdomadaire sans être payé avec la majoration de 20 % pour son travail du dimanche, qu'enfin l'employeur n'a pas respecté la limite maximale du travail journalier de 10 heures et le repos journalier de 12 heures.

La société Marchats distribution, bien que régulièrement convoquée, n'a pas comparu.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, et des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées, oralement reprises.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la requalification de son contrat de travail

Aux termes de l'article L.1242-2 du code du travail un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire et seulement dans un des cas prévus par la loi et doit comporter précisément un de ces motifs et l'article L1242-12 du même code dispose que le contrat de travail à durée déterminée doit comporter la définition précise de son motif, à défaut il est réputé conclu pour une durée indéterminée, et notamment le nom et la qualification précise de la personne remplacée lorsqu'il est conclu en application de l'article L.1242-2 1°, 2° et 5°. En cas de litige sur le motif du recours, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat.

En l'espèce, le contrat de travail à durée déterminée conclu entre M [V] et la société Marchats distribution le 19 juillet 2006 mentionne en son article 2 ''M. [V] [V] est engagé pour assurer le remplacement temporaire par glissement de poste de Madame [D] [P] habituellement employée dans la société comme employée commerciale pendant son absence pour congés parental''. Force est donc de constater que le contrat de travail ne mentionne pas de façon précise la qualification de la salariée remplacée puisque l'intitulé ''employée commerciale'' ne figure pas dans la classification conventionnelle, ce qui équivaut à une absence de mention imposant le requalification du contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée qu'il conviendra donc de prononcer. Ceci ouvre droit à l'application de l'article L1245-1 du code du travail au bénéfice de M [V], la société Marchats distribution sera donc condamnée à lui payer la somme de 2100 euros à titre d'indemnité de requalification.

Le jugement déféré sera donc infirmé et la cour statuera à nouveau en ce sens.

Sur l'avertissement

Il résulte de l'analyse de la lettre d'avertissement du 13 juillet 2011 que la société Marchats distribution reproche à M [V], en concluant ''nous ne pouvons admettre que, sur une remarque parfaitement justifiée de la direction, vous abandonniez sur le champ votre poste de travail'', exclusivement un abandon de poste le 1er juillet 2011, le reste du courrier constituant la narration des circonstances ayant précédé le départ de l'entreprise non contesté du salarié. Toutefois il est constant que M [V] bénéficie d'un arrêt de travail pour la période du 1er au 10 juillet 2011, ce dont l'employeur avait connaissance puisqu'il conteste la validité de la photocopie de l'arrêt de travail que le salarié lui avait adressé dès le 2 juillet 2011.

La société Marchats distribution ne pouvait reprocher à son salarié un abandon de poste alors que ce dernier justifie médicalement qu'il ne pouvait y être maintenu à compter du 1er juillet 2011.

Dans ces conditions la sanction disciplinaire n'étant pas justifiée, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il en a prononcé l'annulation mais sera infirmé en ce qu'il a débouté M [V] de sa demande de dommages-intérêts de chef alors que cette sanction abusive a nécessairement causé un préjudice à M [V]. Statuant à nouveau sur ce point la cour condamnera la société Marchats distribution à payer à M [V] la somme de 1500 euros.

Sur la prise d'acte de la rupture

Il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail. La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures récentes ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire, d'une démission. Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur, sachant que l'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige, le juge étant alors tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

En l'espèce, le courrier que M.[V] a adressé à la société Marchats distribution le 22 juillet 2011, par l'intermédiaire de son conseil, est ainsi libellé :

'Il m'indique avoir été victime en tout début de matinée le 1er juillet 2011 d'une agression morale violente de la part de Mme [A] [R], au point qu'il a dû faire venir son médecin à domicile; le praticien a constaté la nécessité d'un arrêt de travail compte tenu du profond désarroi dans lequel se trouvait mon client. M [V] ajoute que cet incident n'en est qu'un survenant après plusieurs autres.

Il m'assure qu'il vous a immédiatement informé de sa situation d'arrêt de maladie, puis qu'il vous a adressé un certificat médical justificatif; sur mes conseils, il vous a fait parvenir la photocopie du volet numéro un, qui comporte le diagnostic posé par le médecin, qui ne figure normalement pas sur le volet numéro trois destiné à l'employeur.

Ayant reçu ce document, vous ne pouviez ignorer l'état de santé et les causes de l'arrêt de travail de M [V]. Il me communique toutefois votre courrier recommandé du 13 juillet 2011 par lequel vous lui infligez un avertissement pour son prétendu comportement du 1er juillet 2011, qu'il reçoit comme un ultime acte délibéré de harcèlement. Il vous est en effet juridiquement interdit d'infliger un avertissement à un salarié pour abandon de poste alors que vous avez été immédiatement informé de son départ dont il vous a été justifié dans les meilleurs délais de ce qu'il était causé par une maladie dont la réalité a été constatée par un médecin.

Accessoirement, M [V] conteste formellement avoir heurté le pied ou toute autre partie du corps de Mme [R] avec un transpalette; je suis évidemment tout-à-fait porté à le croire, alors qu'il vous aurait fallu douze jours pour vous apercevoir du choc.

Cette situation rend impossible la reprise de son poste de travail par mon client. Il me demande en conséquence de vous indiquer par le présent courrier qu'il prend acte de la rupture de son contrat de travail du fait de la faute grave commise par son employeur; il me charge de saisir la juridiction compétente pour faire attribuer à cette rupture tous les effets d'un licenciement dépourvu de motif réel et sérieux, et pour lui faire allouer les dédommagements qui lui sont dus.

Vous voudrez donc bien considérer que le contrat de travail vous liant à M [V] [V] est définitivement rompu par la présente prise d'acte à la date de première présentation du présent courrier, et me faire parvenir à l'intention de mon client son certificat de travail, son attestation pour le régime d'assurance-chômage, ainsi que le bulletin de salaire correspondant aux sommes que vous reconnaissez devoir, et le chèque afférent.'

Aux termes de l'article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Toutefois, il appartient au salarié qui demande le paiement d'heures supplémentaires de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande, suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

Si M [V], dont le contrat prévoyait un temps de travail prévoyait un temps de travail mensuel de 169h, ne peut plus désormais solliciter le paiement des heures supplémentaires qu'il prétend avoir exécutées en ayant été définitivement débouté de ses demandes de ce chef, il est revanche recevable à invoquer ces faits pour caractériser les manquements de son employeur à ses obligations relatives au temps de travail et à la juste rémunération de son temps de travail effectif.

Or il produit ses bulletins de salaire, des décomptes hebdomadaires de son temps de travail ainsi que les coupons de relevés horaires journaliers établis et fournis par son employeur lui même, lesquels, même si les coupons ne sont pas produis pour toute la période invoquée, constituent des éléments de preuve suffisamment étayés de l'existence : d'heures supplémentaires non rémunérées, du non respect régulier de la règle d'un jour et demi consécutifs de repos en cas de travail le dimanche donnant lieu à défaut à une rémunération majorée de 20% par heure travaillée et du non respect régulier de la durée maximale du travail journalier (atteignant régulièrement 11h et pouvant atteindre 12,30 h) et du temps de repos journalier (pouvant être limité à 9, 5h).

La société Marchats distribution n'oppose à ces preuves aucun élément de contradiction probant et ne peut valablement arguer d'une modulation du temps de travail alors qu'il n'est pas démontré que le régime de modulation prévu par la convention collective était applicable en l'espèce à défaut d'avoir consulté les délégués du personnel ou d'avoir délivré une information individuelle au salarié, ce que ne constituait pas à l'évidence la remise des coupons de relevé horaire hebdomadaire, de sorte que M [V] est fondé à calculer son temps de travail sur une base hebdomadaire et à invoquer les manquements ci dessus répertoriés.

Il s'en déduit que la société Marchats distribution a gravement manqué à ses obligations relatives au temps de travail et au temps de repos de son salarié, ceci étant suffisamment grave, outre l'avertissement injustifié du 13 juillet 2011, pour justifier que ce dernier ait pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur, cette prise d'acte produisant dès lors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef et la cour statuera à nouveau de ce chef.

Dans ces conditions M [V] peut prétendre à l'octroi des sommes suivantes au paiement desquelles la société Marchats distribution sera condamnée :

3 795,62 euros titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 437,96 € de complément d'indemnité compensatrice de congés payés,

2 080,98 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

15000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive compte tenu de l'ancienneté du salarié (5ans), de son âge au moment de la rupture (54 ans) et de ses difficultés à retrouver un emploi stable et des périodes de chômage qu'il a connue, ce dont il justifie,

2 500,00 € de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de rupture qui n'est pas discutée.

Il sera également ordonné à la société Marchats distribution de lui remettre les documents légaux (certificat de travail, attestation pour l'assurance-chômage, bulletins de salaire) rectifiés, le jugement sera confirmé sur ce point, et de dire que les condamnations qui précédent porteront intérêts au taux légal à compter du jour de saisine du conseil des prud'hommes.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Marchats distribution qui succombe au principal sera condamné aux dépens et à payer à M [V] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Vu l'arrêt de la cour de cassation du 3 juin 2015 et statuant dans les limites du renvoi,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé l'annulation de l'avertissement du 13 juin 2011 et ordonné la remise des documents de rupture rectifiés,

Infirme le jugement déféré pour le surplus des dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail du 22 juillet 2011 est intervenue aux torts de l'employeur et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Marchats distribution à payer à M [V] les sommes suivantes, qui produiront intérêts au taux légal à compter du 9 février 2012 :

3 795,62 euros titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 437,96 € de complément d'indemnité compensatrice de congés payés,

2 080,98 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

15000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive,

2 500,00 € de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de rupture,

Condamne la société Marchats distribution aux dépens et à payer à M [V] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Marc SAUVAGE, Président, et par Florence CHANVRIT Adjointe Administrative Principale faisant fonction de greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Florence CHANVRIT Marc SAUVAGE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 15/04364
Date de la décision : 08/09/2016

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4B, arrêt n°15/04364 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-09-08;15.04364 ?
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