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21/01/2014 | FRANCE | N°11/06354

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 21 janvier 2014, 11/06354


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 21 JANVIER 2014



(Rédacteur : Monsieur Claude Berthommé, Conseiller)

(PH)



PRUD'HOMMES



N° de rôle : 11/06354











Monsieur [X] [U]



c/



SA SATB Casino Barrière de Bordeaux













Nature de la décision : AU FOND













NotifiÃ

© par LRAR le :



LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :



La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).



Certifié par le Greffier en Chef,





Grosse délivrée le :



à :



Décision déférée à la Cour : j...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 21 JANVIER 2014

(Rédacteur : Monsieur Claude Berthommé, Conseiller)

(PH)

PRUD'HOMMES

N° de rôle : 11/06354

Monsieur [X] [U]

c/

SA SATB Casino Barrière de Bordeaux

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 septembre 2011 (RG n° F 10/000668) par le Conseil de Prud'hommes - formation paritaire - de Bordeaux, section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 14 octobre 2011,

APPELANT :

Monsieur [X] [U], né le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 1], de

nationalité française, sans profession, demeurant [Adresse 1],

Représenté par Maître Hugo Tahar Jalain, avocat au barreau de Bordeaux,

INTIMÉE :

SA SATB Casino Barrière de Bordeaux, siret n° 418 083 754 00022, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, [Adresse 2],

Représentée par Maître Christophe Biais, avocat au barreau de Bordeaux,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 octobre 2013 en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Maud Vignau, Président,

Monsieur Claude Berthommé, Conseiller,

Madame Isabelle Lauqué, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Anne-Marie Lacour-Rivière.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

La relation contractuelle

La SA SATB Casino Barrière de Bordeaux a engagé le 04 août 2006 Monsieur [X] [U] en qualité de Membre du Comité de Direction au sein du service Machines à Sous (MCD MAS) par contrat de travail écrit à durée indéterminée, soumis à la convention collective nationale des Casinos ; ce contrat définit son statut comme celui de cadre de niveau 5, indice 175 et stipule un salaire annuel brut fixe de 28.800 € sur douze mois (soit 2.400 € mensuels) augmenté d'une prime d'objectifs.

Compte tenu de sa position affirmée de cadre autonome et en application de l'accord collectif sur l'organisation du temps de travail conclu le 22 avril 2003, le contrat soumet le salarié à une durée de travail forfaitaire annuelle en jours fixée à 218 jours travaillés par année entière.

En février 2007, Monsieur [U] a tenté d'obtenir de son employeur un emploi du temps (planning) prévisionnel annuel afin d'organiser ses temps personnels, mais il n'a pas obtenu satisfaction.

Mécontent de l'incertitude sur les temps de travail à venir au-delà d'un mois, Monsieur [X] [U] a recherché une éventuelle rupture conventionnelle de son contrat et a rencontré son employeur à deux reprises le 21 décembre 2009 et le 13 janvier 2010. Une lettre de la SA Casino Barrière de Bordeaux en date du 14 janvier 2010 relate ces démarches, refuse son accord pour une rupture conventionnelle, mais dit possible la réduction du délai de préavis en cas de démission du salarié.

La moyenne des salaires mensuels perçus pendant les douze derniers mois d'activité, du 1er février 2009 au 31 janvier 2010, est de 2.778,08 €, prime sur objectifs 2009 incluse.

La rupture

Le 20 janvier 2010, Monsieur [X] [U], faisant état de son temps de travail soumis à un planning et contestant être un 'cadre autonome' soumis à l'accord collectif de travail du 22 avril 2003 instaurant un forfait annuel de durée du travail fixé en jours à 218 jours, a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur à effet du 31 janvier 2010.

Par lettre recommandée du 22 janvier 2010, la SA Casino Barrière de Bordeaux a répliqué et contesté le grief invoqué par le salarié et lui a affirmé qu'elle ferait porter à cette prise d'acte de la rupture du contrat de travail les effets d'une démission.

L'instance

Par requête parvenue le 08 mars 2010 au greffe, Monsieur [X] [U] a saisi le Conseil de Prud'hommes de demandes tendant à obtenir :

- la reconnaissance du caractère abusif de la convention de forfait en jours,

- la requalification de son statut de cadre autonome au forfait en celui de cadre intégré,

- avant dire droit, la production sous astreinte par la S.A. employeur d'un état exhaustif des temps de travail réalisés depuis son embauche comportant les heures précises d'entrée et de sortie,

- la requalification de sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- le rappel des salaires pour les heures supplémentaires effectuées au-delà de 35 heures estimés à 31.279,72 €,

- l'indemnité de congés payés y afférents : 3.127 €,

- un rappel pour les repos compensateurs : 3.388,67 €,

- l'indemnité légale de licenciement : 2.044 €,

- l'indemnité compensatrice de préavis : 10.770 €,

- l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 107,70 €,

- l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 21.540 €,

- l'indemnité de procédure de l'article 700 du code de procédure civile : 2.500 €,

- l'exécution provisoire de la décision.

Pour sa part, la SA Casino Barrière de Bordeaux a sollicité le rejet des demandes principales du salarié et a présenté à l'encontre de celui-ci une demande reconventionnelle en paiement d'une indemnité de procédure de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement

Par jugement contradictoire du 15 septembre 2011, le Conseil de Prud'hommes, statuant en sa formation paritaire, a :

- dit que le statut de cadre autonome n'est pas incompatible avec la notion de planning compte tenu de l'activité et des plages horaires d'ouverture (du casino),

- dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur n'est pas justifiée et donc que la décision de Monsieur [X] [U] est assimilable à une démission de sa part,

en conséquence,

- débouté Monsieur [X] [U] de l'intégralité de ses demandes,

- condamné Monsieur [X] [U] à payer à la SA SATB Casino Barrière de Bordeaux la somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Monsieur [X] [U] aux dépens.

L'appel

Par déclaration du 14 octobre 2011 au greffe de la Cour, l'avocat de Monsieur [X] [U], au nom de ce dernier, a régulièrement relevé appel du jugement.

L'affaire a été initialement fixée à l'audience de plaidoiries du 11 mars 2013 à 15 heures 30, puis renvoyée à celle du 14 octobre 2013 à 15 heures 30.

Pour cette dernière audience, les parties ont régulièrement échangé leurs pièces et leurs conclusions écrites.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

L'appelant

Par ses dernières conclusions écrites récapitulatives déposées le 08 février 2013, développées oralement à l'audience par son avocat et auxquelles il est expressément fait référence, Monsieur [X] [U] reprend ses demandes initiales et demande à la Cour de :

avant dire droit sur la demande de rappel de salaire

vu les articles L.3121-26 à L.3121-48 du code du travail,

vu la sommation de communiquer de Monsieur [U],

- faisant application des dispositions de l'article L.3171-4 du code du travail, enjoindre à l'employeur de produire :

* le compte-rendu des entretiens sur la charge de travail de Monsieur [U], sur l'organisation du travail dans l'entreprise et l'articulation entre son activité profes-sionnelle et la vie personnelle et familiale du salarié visées à l'article L. 3121-46 du code du travail pour les années 2006, 2007, 2008, 2009 et 2010,

* un état exhaustif du temps de travail depuis l'embauche du salarié, comportant les heures précises d'entrées et de sorties (sa prise de service et sa fin de service quotidiennes aux jours travaillés),

à défaut, (au fond),

vu les articles L.3121-26 à L.3121-48 du code du travail,

vu la convention collective nationale des casinos en son article 33-7,

vu l'arrêt de la cour de cassation du 23 janvier 2013,

infirmant le jugement attaqué et statuant à nouveau,

- dire et juger que la convention collective nationale des casinos du 29 mars 2001 comme l'accord d'entreprise opposés au salarié ne répondent pas aux exigences de protection de la santé et de la sécurité des salariés,

- dire et juger que l'application d'une convention de forfait en jours à Monsieur [U] par la SA SATB Casino Barrière de Bordeaux est abusive au vu de l'absence de réelle autonomie dans l'organisation du travail,

- dire et juger nulle la convention de forfait en jours appliquée à Monsieur [U],

- constater le statut de cadre 'intégré' de Monsieur [U],

- dire et juger suffisamment graves les manquements de l'employeur dans le cadre de l'application abusive d'une convention de forfait en jours,

en conséquence,

- re-qualifier la prise d'acte de rupture par le salarié du 20 janvier 2010 en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,.

- condamner la SA SATB Casino Barrière de Bordeaux à verser à Monsieur [U] les sommes suivantes :

* rappel de salaire sur heures supplémentaires : 31.279,72 €,

* congés payés sur heures supplémentaires : 3.127 €,

* rappel de salaire sur repos compensateurs : 3.388,67 €,

* dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 21.540 €,

* indemnité légale de licenciement : 2.044 €,

* indemnité de préavis : 10.770 €,

* congés payés sur préavis : 1.077 €,

- ordonner le règlement des intérêts dus sur les rappels de salaire à compter de la prise d'acte en date du 20 janvier 2010,

- condamner la SA SATB Casino Barrière de Bordeaux à verser à Monsieur [U] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le salarié rappelle que son contrat de travail écrit affirme qu'il appartient à la catégorie des 'cadres autonomes' en raison de son niveau de responsabilités et de son niveau d'autonomie dans l'organisation de son emploi du temps, et qu'à ce titre, il a été soumis à une clause de durée du travail forfaitaire exprimée en jours sans référence horaire prévoyant une durée annuelle maximale du travail de 218 jours ainsi qu'une rémunération forfaitaire correspondant au nombre de jours annuellement travaillés par référence à l'accord collectif de travail du 22 avril 2003, ce qui dispensait l'employeur de comptabiliser les nombreuses heures supplémentaires effectuées.

Salarié comme Membre du Comité de Direction du Service Machines à Sous (MCD MAS), il fait valoir qu'en réalité il était intégré dans les emplois du temps (plannings) impératifs de l'employeur lui imposant sa présence au sein des salles de jeux à heures fixes et qu'il se trouvait ainsi privé de toute autonomie dans l'organisation de son emploi du temps, situation antinomique avec la notion de cadre autonome.

Or, un accord collectif autorisant la conclusion d'une durée forfaitaire annuelle de travail exprimée en jours doit garantir le respect des durées maximales de travail, des repos journaliers et hebdomadaires ; en cas d'inobservation de ces garanties, la convention individuelle de forfait en jours est privée d'effet et les heures supplémen-taires effectuées doivent être rémunérées. C'est le sens de la décision rendue le 23 janvier 2013 par la chambre sociale de la Cour de Cassation ayant cassé les six arrêts de la Cour d'Appel de Versailles du 14 décembre 2010 invoqués par la SA Casino Barrière de Bordeaux.

Monsieur [X] [U] affirme avoir en vain auprès de son

employeur :

- sollicité un planning prévisionnel de travail annuel en 2007 (sa pièce n° 03),

- souligné sa situation réelle de 'cadre intégré' n'ayant aucune indépendance et aucune fonction dirigeante, ce qui rend abusive et inopérante sa soumission à l'accord collectif de travail du 22 avril 2003 contenant convention de forfait annuel de 218 jours ouvrés le privant de tout droit à rémunération des heures supplémentaires effectuées.

Aussi a-t-il décidé le 20 janvier 2010 de prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur pour non-respect de ses obligations légales sur la durée du travail, pour non-paiement des heures supplémentaires effectuées et pour non-respect des repos compensateurs.

Il ajoute que l'employeur n'a pas non plus :

- tiré les conséquences logiques de sa classification de Cadre niveau 5 au coefficient 175 de la convention collective nationale des casinos correspondant à une catégorie de Cadre 'débutant' nécessairement dépourvu de toute autonomie,

- satisfait à ses obligations de mettre en oeuvre des garanties visant à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié dans le cadre d'une convention de forfait annuel en jours.

L'intimée

Par ses conclusions écrites déposées le 07 octobre 2013, oralement exposées à la barre par son avocat et auxquelles il est expressément fait référence, la SA Casino Barrière de Bordeaux demande à la Cour de :

- constater la validité de la convention de forfait annuel en jours à laquelle Monsieur [X] [U] était soumis et sa conformité à l'ensemble des règles applicables,

- constater que la lettre de prise d'acte de la rupture en date du 20 janvier 2010 n'est justifiée par aucun manquement imputable à l'employeur et doit donc être requalifiée en démission,

en conséquence,

- confirmer en tout point le jugement rendu le 15 septembre 2011 par le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux,

- débouter Monsieur [X] [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

reconventionnellement,

- condamner Monsieur [X] [U] à verser à la SA Casino Barrière de Bordeaux la somme de 3.000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Monsieur [X] [U] au paiement des entiers dépens de la présente procédure.

La SA Casino Barrière de Bordeaux pour sa part, conteste l'analyse de la relation de travail telle que proposée par le salarié. Elle soutient que ce salarié a été cadre autonome, que l'accord collectif permettant de lui appliquer une durée de travail annuelle forfaitaire exprimée en jours a été mis en oeuvre en totale conformité avec les règles contractuelles, conventionnelles et légales.

Elle invoque six arrêts de la Cour d'Appel de Versailles rendus le 14 décembre 2010 qui ont retenu et appliqué à six salariés MCD MAS du casino d'Enghien les Bains l'analyse qu'elle propose.

Elle fait état de ce que, dès janvier 2010, Monsieur [X] [U] avait décidé de quitter la SA Casino Barrière de Bordeaux, de changer d'employeur et de devenir salarié à la mi-février 2010 d'un autre casino.

N'obtenant pas ce qu'il souhaitait par la voie d'une rupture conven-tionnelle de son contrat de travail, il a subitement choisi la voie de la prise d'acte de la rupture pour lui imposer les règles du licenciement.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de production de pièces avant toute décision au fond

Selon l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre des heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Sur le fondement de ce texte, Monsieur [X] [U] demande que, par décision avant dire droit, la SA Casino Barrière de Bordeaux reçoive injonction de produire les relevés précis de ses prises de service quotidiennes d'août 2006 au 31 janvier 2010.

Toutefois, il résulte des explications, tant écrites qu'orales, fournies par la SA Casino Barrière de Bordeaux employeur qu'elle s'est estimée dispensée de recueillir et de conserver ces informations précises sur les heures de prise de service et de fin de service quotidiennes de chacun des Membres du Comité de Direction du service Machines à Sous (MCD MAS).

Il convient donc de rejeter cette demande du salarié dont la cour sait par avance qu'elle est vouée à l'échec.

Sur les conditions légales d'application d'une durée annuelle de travail forfaitaire exprimée en jours ouvrés

Selon l'article L.3121-43 du code du travail, peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l'année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L.3121-39 :

1° Les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ;

2° Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées.

En l'espèce, il résulte des explications et des documents fournis à la cour par les parties en litige que, malgré les indications portées à l'article 5 du contrat de travail écrit du salarié Membre du Comité de Direction du service Machines à Sous (MCD MAS) pour affirmer :

- le niveau (élevé) de ses responsabilités,

- son degré d'autonomie dans l'organisation de son emploi du temps,

- son appartenance à la catégorie des 'cadres autonomes',

ce salarié a été soumis à des emplois du temps imposés par l'employeur exigeant la présence permanente d'un MCD MAS dans la salle de jeux des machines à sous pendant toute la plage des horaires collectifs de l'entreprise et de son ouverture au public.

Si huit horaires décalés différents étaient mis en oeuvre par la SA Casino Barrière de Bordeaux, les huit MCD MAS étaient tenus de se conformer aux horaires de travail prévisionnels, attribués par roulement, sans pouvoir espérer pouvoir disposer d'un emploi du temps prévisionnel anticipé sur une période supérieure à un mois et, notamment annuelle (pièce n° 03 du salarié).

Cette obligation faite aux MCD MAS de respecter l'emploi du temps prévisionnel mensuel afin d'assurer la bonne organisation du service et afin que l'établissement de l'employeur soit en conformité avec les obligations et contraintes réglementaires imposées aux casinos pour leur activité d'exploitation de machines à sous, a même été expressément rappelée en réunion du Comité d'Entreprise de la SA Casino Barrière de Bordeaux du 16 juin 2009 (pièce n° 23 du salarié).

Dès lors que le salarié est intégré par la SA Casino Barrière de Bordeaux employeur dans un emploi du temps (ou planning) mensuel imposant sa présence au sein de la salle des machines à sous à des horaires prédéterminés, la situation de salarié MCD MAS est antinomique avec celle d'un cadre autonome.

Le salarié MCD MAS reste en réalité un cadre intégré à un horaire de travail imposé par l'employeur et la convention individuelle de durée forfaitaire du travail exprimée en jours ne peut, au regard des termes précis de l'article L.3121-43 du code du travail, recevoir ici application.

La SA Casino Barrière de Bordeaux avait donc, pendant toute la durée du contrat de travail de Monsieur [X] [U], l'obligation de lui rémunérer les heures supplémentaires effectuées et de lui servir les repos compensateurs auxquels il a eu droit.

Sur les effets de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail

Le salarié qui reproche à l'employeur des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du travail peut prendre acte de la rupture de son contrat.

La prise d'acte entraîne la cessation immédiate du contrat de sorte que le salarié n'est pas tenu d'exécuter un préavis.

Le salarié peut saisir le juge pour qu'il statue sur les effets de cette rupture. Il doit apporter le preuve des manquements de l'employeur qu'il invoque.

Si les manquements de l'employeur sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans le cas contraire, la prise d'acte produit les effets d'une démission.

En l'espèce, Monsieur [X] [U] a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 20 janvier 2010 (pièce n° 04 du salarié et n° 03 de la SA Casino Barrière de Bordeaux) remise en main propre à l'employeur ainsi libellée :

'Je vous prie de prendre acte de la rupture de contrat à compter du 31 janvier 2010 pour le poste que j'occupe depuis le 04 août 2006 au sein de votre société.

Cette rupture est motivée entre autre par la non correspondance de mon statut de Cadre Autonome tel que fixé dans mon contrat, avec la réalité de mon temps de travail soumis à un planning.

Je me présenterai à votre établissement le 03 février 2010 à 15 h 00 afin de recevoir mes documents de fin de contrat, à savoir :

- mon certificat de travail,

- mon solde de tout compte,

- une attestation Pôle Emploi.'

Les éléments produits par le salarié démontrent les manquements graves de la SA Casino Barrière de Bordeaux qui lui a :

- abusivement appliqué une convention de durée annuelle forfaitaire du travail exprimée en jours dont les conditions d'applications définies à l'article L.3121-43 du code du travail n'étaient nullement réunies dès lors qu'elles étaient antinomiques avec la situation réelle du salarié, Cadre 'intégré' et non pas Cadre 'autonome',

- abusivement refusé le paiement du salaire dû pour les heures supplémentaires effectuées en exécution des emplois du temps (plannings) de travail imposés par l'employeur,

- abusivement refusé les repos compensateurs auxquels donnaient droit les nombreuses heures de travail effectuées.

En conséquence, réformant de ce chef le jugement, il convient de dire et juger que la prise d'acte de Monsieur [X] [U] produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur la demande de paiement du rappel de salaire pour les heures supplémentaires et des congés payés y afférents

Selon l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre des heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, la SA Casino Barrière de Bordeaux ne fournit aucun élément de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié car elle n'a ni établi, ni conservé de tels éléments.

Sur l'ensemble des bulletins de paie établis sur toute la durée de la relation de travail, du 04 août 2006 au 31 janvier 2010 (pièces n° 08, n° 12, n° 13 et n° 14 du salarié), ne figure que le salaire mensuel du 'forfait 218 jours' avec pour seule durée mensuelle du travail '151,57 heures', sans aucune mention d'heures supplémen-taires effectuées, sans aucune rémunération pour de telles heures supplémentaires, sans aucune mention de repos compensateurs.

Il convient donc d'examiner les éléments présentés par le salarié à partir des emplois du temps (plannings) de travail imposés par la SA Casino Barrière de Bordeaux du 04 août 2006 au 31 janvier 2010 qui mentionnent les temps de travail effectif du salarié passés dans la salle des machines à sous, à la disposition de son employeur et sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles.

La SA Casino Barrière de Bordeaux ne signale qu'une seule erreur commise pour la semaine n° 26 du 25 juin 2007 où le salarié a travaillé deux jours lundi et mardi de 20 heures à 05 heures, deux autres jours vendredi et samedi de 10 heures à 20 heures et un jour, le dimanche, de 12 heures à 20 heures, soit pendant (09 h x 2) + (10 h x 2) + 08 h = 46 heures et non pas les 56 heures mentionnées dans son tableau.

Il convient donc de ramener à 46 le nombre total d'heures travaillées et à 11 le nombre des heures supplémentaires pour cette semaine n° 26 de 2007 ; pour cela, il convient de réduire de 96,12 € (= 373,80 € - 277,68 €) la somme totale des salaires dus pour les heures supplémentaires qui deviennent :

31.279,72 € - 96,12 € = 31.183,60 €.

Une somme d'1/10ème, soit 3.118,36 €, est due au titre des congés payés sur le rappel de salaire pour heures supplémentaires.

En conséquence, réformant le jugement de ce chef, la Cour condamne la SA Casino Barrière de Bordeaux à payer à Monsieur [X] [U] la somme de 31.183,60 € au titre du rappel de salaire pour les heures supplémentaires effectuées et la somme de 3.118,36 € au titre des congés payés y afférents.

Sur la demande de dommages-intérêts pour repos compensateurs non pris

La SA Casino Barrière de Bordeaux n'a signalé qu'une seule erreur

commise par le salarié pour la semaine n° 26 du 25 juin 2007 où il a, selon le planning (pièce n° 09 du salarié), travaillé deux jours lundi et mardi de 20 heures à 05 heures, deux autres jours vendredi et samedi de 10 heures à 20 heures et un jour, le dimanche, de 12 heures à 20 heures, soit pendant (09 h x 2) + (10 h x 2) + 08 h = 46 heures et non pas pendant les 56 heures mentionnées dans son tableau (pièce n° 10 du salarié).

Le nombre de jours de repos compensateurs acquis pour cette semaine

n° 26 de 2007, est donc de 05 jours et non pas de 08 jours ; la somme correspondante est seulement de 40,05 € et non de 64,08 €, soit une réduction de la somme totale due de 24,03 € (= 64,08 € - 40,05 €) qui devient :

3.388,67 € - 24,03 € = 3.364,64 €.

En conséquence, réformant de ce chef le jugement, la cour condamne la SA Casino Barrière de Bordeaux à payer à Monsieur [X] [U] la somme de 3.364,64 € à titre de dommages-intérêts pour les repos compensateurs acquis et non pris.

Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

La prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Selon l'article L.1235-3 du code du travail, si le licenciement du salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté, employé dans une entreprise comptant plus de onze salariés, survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge, octroie au salarié, à défaut de sa réintégration dans l'entreprise, une indemnité à la charge de l'employeur dont le montant ne peut être inférieur au salaire des six derniers mois.

Il convient donc, en l'espèce, de faire application de l'article L.1235-3 du code du travail et d'allouer au salarié les dommages-intérêts prévus pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Compte tenu de sa rémunération brute mensuelle de 2.778,08 €, de son ancienneté de service dans l'entreprise de trois ans, cinq mois et vingt-six jours et de son âge de 35 ans lors de la rupture de son contrat de travail, le salarié subit un préjudice pour lequel la Cour dispose d'éléments suffisants pour l'évaluer à 17.000 €.

En conséquence, réformant le jugement de ce chef également, la Cour condamne l'employeur à payer au salarié cette somme au titre des dommages-intérêts pour la rupture du contrat produisant les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur la demande d'indemnité compensatrice de préavis et d'indemnité compen-satrice de congés payés sur préavis

Selon l'article L.1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n'est

pas motivé par une faute grave, le salarié a droit, s'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de service continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois, sauf disposition plus favorable de convention collective ou d'accord collectif de travail.

La convention collective nationale de travail des casinos, applicable à la relation de travail prévoit un préavis de trois mois.

En l'espèce, Monsieur [X] [U] a droit à une indemnité compensatrice de préavis de trois mois, soit 8.834,24 € ( = 2.778,08 x 3).

En conséquence, réformant le jugement de ce chef, la Cour condamne l'employeur à payer au salarié une indemnité compensatrice de préavis de ce montant et une indemnité compensatrice de congés payés sur préavis du 1/10ème, soit 883,42 €.

Sur la demande d'indemnité légale de licenciement

Selon l'article L.1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée licencié alors qu'il compte une année d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Cette indemnité, calculée conformément aux dispositions de l'article R.1234-2 du même code, ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté.

En l'espèce, Monsieur [X] [U] a droit à une indemnité légale de licenciement ainsi calculée :

(2.778,08 € x 1/5ème x 3 ans) + (2.778,08 € x 1/5 x 5/12) = 1.898,35 €.

En conséquence, réformant le jugement, la cour condamne l'employeur à payer cette somme au salarié.

Sur la demande d'intérêts à compter de la prise d'acte en date du 20 janvier 2010

Le salarié demande que les rappels de salaire soient productifs d'intérêts à compter de la prise d'acte de la rupture du contrat, soit le 20 janvier 2010.

Toutefois, faisant application de l'article 1153-1 du code civil, la Cour décide que :

- les dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

(17.000 €) porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

- les sommes représentatives de salaires pour heures supplémentaires (31.183,60 €), de congés payés y afférents (3.118,36 €), d'indemnité pour repos compensateurs non pris (3.364,64 €), d'indemnité compensatrice de préavis (8.834,24 €), d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis (883,42 €), d'indemnité de licenciement (1.898,35 €) porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil de Prud'hommes, soit à compter du 08 mars 2010.

Sur les autres chefs de demande

Le salarié obtient satisfaction sur son appel. La SA Casino Barrière de Bordeaux succombe.

Il convient en conséquence de rejeter la demande reconventionnelle de cette dernière fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, mais de faire droit à celle présentée par le salarié et de condamner la SA Casino Barrière de Bordeaux à lui payer sur le fondement des dispositions de ce texte une somme de 1.500 €.

La Cour condamne en outre la SA Casino Barrière de Bordeaux aux entiers dépens d'instance et d'appel qui comprendront les éventuels frais d'exécution.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt

contradictoire.

' Déclare recevable l'appel.

Y faisant droit :

' Réforme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 septembre 2011 par le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux.

Statuant à nouveau :

' Vu l'article L.3121-43 du code du travail.

' Constate que la situation de salarié de casino Membre du Comité Directeur chargé du Service des Machines à sous (MCD MAS) intégré à un emploi du temps (planning) imposant sa présence au sein des salles de jeux aux heures d'ouverture au public est antinomique avec la notion de cadre autonome, condition légale indispensable pour que lui soit appliquée une convention de durée annuelle forfaitaire du travail exprimée en jours.

' Dit et juge qu'est donc justifiée la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par Monsieur [X] [U] aux torts exclusifs de son employeur la SA SATB Casino Barrière de Bordeaux qui lui a abusivement appliqué une convention de durée annuelle forfaitaire du travail exprimée en jours et l'a privé de toute rémunération d'heures supplémentaires et de tout repos compensateurs.

' Dit et juge que cette prise d'acte produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En conséquence :

' Condamne la SA SATB Casino Barrière de Bordeaux à payer à Monsieur [X] [U] les sommes suivantes :

* 31.183,60 € (trente et un mille cent quatre vingt trois euros et soixante centimes) au

titre des heures supplémentaires,

* 3.118,36 € (trois mille cent dix huit euros et trente six centimes) au titre des congés

payés afférents aux heures supplémentaires,

* 3.364,64 € (trois mille trois cent soixante quatre euros et soixante quatre centimes)

au titre des repos compensateurs non pris,

* 8.834,24 € (huit mille huit cent trente quatre euros et vingt quatre centimes) au titre

de l'indemnité conventionnelle compensatrice de préavis,

* 883,42 € (huit cent quatre vingt trois euros et quarante deux centimes) au titre de

l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

* 1.898,35 € (mille huit cent quatre vingt dix huit euros et trente cinq centimes) au

titre de l'indemnité de licenciement.

' Dit que les sommes ci-dessus seront productives d'intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil de Prud'hommes, soit le 08 mars 2010.

' Condamne la SA SATB Casino Barrière de Bordeaux à payer à Monsieur [X] [U] la somme de 17.000 € (dix sept mille euros) à titre de dommages-intérêts pour rupture du contrat aux torts exclusifs de l'employeur.

' Dit que cette dernière somme à caractère indemnitaire sera productive d'intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt.

'Condamne la SA SATB Casino Barrière de Bordeaux à payer à Monsieur [X] [U] la somme de 1.500 € (mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

' Rejette tout autre chef de demande des parties, plus ample ou contraire au présent arrêt.

' Condamne la SA SATB Casino Barrière de Bordeaux aux entiers dépens d'instance et d'appel comprenant les éventuels frais d'exécution.

Signé par Madame Maud Vignau, Président, et par Madame Anne-Marie Lacour-Rivière, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A-M Lacour-Rivière M. Vignau


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 11/06354
Date de la décision : 21/01/2014

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4A, arrêt n°11/06354 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-01-21;11.06354 ?
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