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19/09/2013 | FRANCE | N°12/01909

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 19 septembre 2013, 12/01909


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



--------------------------









ARRÊT DU : 19 SEPTEMBRE 2013

fc

(Rédacteur : Madame Myriam LALOUBERE, Conseiller)



PRUD'HOMMES



N° de rôle : 12/01909

















Madame [K] [I]



c/



SAS CHIMIE RECHERCHE ENVIRONNEMENT EVOLUTION C.R.E.E.





















Nature de la décision : AU

FOND







Notifié par LRAR le :



LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :



La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).



Certifié par le Greffier en Chef,



Grosse délivrée le :



à :

Décision défér...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 19 SEPTEMBRE 2013

fc

(Rédacteur : Madame Myriam LALOUBERE, Conseiller)

PRUD'HOMMES

N° de rôle : 12/01909

Madame [K] [I]

c/

SAS CHIMIE RECHERCHE ENVIRONNEMENT EVOLUTION C.R.E.E.

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 mars 2012 (R.G. n°F 10/00109) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGOULEME, Section encadrement suivant déclaration d'appel du 29 mars 2012,

APPELANTE :

Madame [K] [I]

née le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 1]

de nationalité Française

Profession : Directrice Adjointe,

demeurant [Adresse 1]

représentée par Maître Olivier BRUNET, avocat au barreau de CHARENTE

INTIMÉE :

SAS CHIMIE RECHERCHE ENVIRONNEMENT EVOLUTION C.R.E.E.

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 2]

représentée par Maître Anne-Claude HOGREL, avocat au barreau de PARIS

Madame Myriam LALOUBERE, Conseiller, faisant fonction de Présidente en l'absence de Monsieur le Président ROUX empêché,

Monsieur Claude BERTHOMME, Conseiller,

Madame Isabelle LAUQUE, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Florence CHANVRIT adjoint administratif faisant fonction de greffier

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE

La SAS C.R.E.E a pour activité le conseil, l'étude, la recherche, l'engineering, la mise au point et la réalisation de formules et de procédés, ainsi que le conditionnement de tout système à base de résine synthétique, de matière plastique et de produits chimiques ; c'est une société familiale créée le 22 mai 1985 par M. [F] [J], ingénieur chimiste, qui en est le Président depuis sa création.

Mme [K] [I], par l'intermédiaire de sa société 'AX'HOM CONSULTING' a dispensé, à compter de fin 2005, une formation de management au personnel à 11 salariés de la société C.R.E.E, et principalement à M. [F] [J], son Président Directeur (200 heures sur les 639 heures effectuées) moyennant un coût global de 19.207,76€.

Par contrat à durée déterminée du 3 avril 2006 au 3 octobre 2006, Mme [K] [I] a ensuite été engagée par la société C.R.E.E afin d'exercer des fonctions de ' développement en ressources humaines' pour un temps de travail de 15 heures par semaine moyennant une rémunération mensuelle brute de 2538,16€, ce contrat étant reconduit dans les mêmes conditions contractuelles du 4 octobre 2006 au 4 avril 2007.

Par contrat à durée indéterminée à temps partiel du 4 avril 2007, Mme [K] [I] a été engagée par la société C.R.E.E pour exercer les fonctions de Directeur Général, moyennant un salaire mensuel brut de 5165,56€.

Les parties ont ensuite signé un contrat de travail à temps partiel de 98 heures (80%), daté du 1er janvier 2008, pour un poste de Directeur, statut cadre, sous l'autorité et dans le cadre des instructions données par le supérieur hiérarchique M. [F] [J], Président de la société, moyennant un salaire mensuel brut de 5.165€.

Par courrier en date du 23 octobre 2009, Mme [K] [I] a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement, avec mise à pied conservatoire avant d'être licenciée pour faute grave par courrier du 14 novembre 2009.

Par demande du 5 mars 2012, Mme [K] [I] a saisi le Conseil des Prud'hommes d'ANGOULEME pour contester son licenciement et obtenir des indemnités de rupture et des dommages et intérêts, outre le paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par décision en date du 5 mars 2012, le Conseil des Prud'hommes d'ANGOULEME

- a dit que le licenciement de Mme [K] [I] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- a condamné la société C.R.E.E à payer à Mme [K] [I] les sommes suivantes

. 15.495€ d'indemnité de préavis outre les congés payés afférents (1549€)

. 8.264€ d'indemnité de licenciement

- débouté les parties du surplus de leurs demandes respectives.

Le 29 mars 2012 , Mme [K] [I] a régulièrement relevé appel de cette décision.

Par conclusions déposées le 17 mai 2013, développées oralement et auxquelles il est expressément fait référence, Mme [K] [I] conclut à la réformation de la décision dont appel.

Elle demande tout d'abord à la Cour de juger la demande de M. [J] irrecevable

Elle demande ensuite à la Cour de dire que son licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse et sollicite la condamnation de la société C.R.E.E à lui régler à ce titre les sommes suivantes

- 11.574€ nets d'indemnité de licenciement

- 15.495€ bruts d'indemnité de préavis outre les congés payés afférents

avec intérêts légaux à compter de la saisine du Conseil

- 61.980€ nets de CSG/CRDS de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle sollicite de plus la condamnation de la société C.R.E.E à un rappel de salaires sur une requalification temps plein de 72.130€ bruts avec les congés payés afférents, outre la somme de 2000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation aux dépens en ce compris les frais d'exécution.

Par conclusions déposées le 3 juin 2013 développées oralement et auxquelles il est expressément fait référence, la SAS C.R.E.E et M. [F] [J], qui demande de le recevoir en son intervention volontaire, sollicitent la réformation du jugement entrepris, estimant que le licenciement de Mme [K] [I] repose sur une faute grave.

Ils concluent au débouté des demandes de Mme [K] [I] et M. [J] réclame sa condamnation à lui payer la somme de 15.000€ en réparation de son préjudice moral, du au harcèlement moral que son ancienne salariée lui a fait subir pendant 4 ans.

Ils réclament enfin la somme de 3000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

* Sur l'exécution du contrat de travail

Pour la première fois en cause d'appel, Mme [K] [I] demande la requalification de son contrat de travail à temps partiel du 1er janvier 2008 en contrat de travail à temps plein, avec en conséquence un rappel de salaires de 72.130€ bruts avec les congés payés afférents.

La Cour note tout d'abord, à la lecture des pièces versées aux débats, que le contrat de travail a été établi, selon les souhaits de la salariée, qui l'a même rédigé elle-même (échanges de mails avec le nouveau comptable de la société), alors qu'elle exerçait également par ailleurs des fonctions de Médecin Urgentiste au [1] (60%) ainsi que la direction de sa société AX'HOM, société de développement en ressources humaines et qu'elle avait donc besoin d'une grande souplesse d'organisation pour mener à bien parallèlement ces trois activités.

Le statut de cadre de Mme [K] [I], mentionné dans ce contrat de travail, excluait, de plus, à priori, l'application de la réglementation légale et réglementaire de la durée du travail et d'ailleurs il est clairement mentionné, dans l'article 2 dudit contrat concernant la durée du travail, que la salariée pouvait s'organiser comme elle le souhaitait:

Du fait de son statut, de ses fonctions et de ses responsabilités, Mme [K] [I] dispose d'une grande autonomie dans l'accomplissement de son travail et dans l'organisation de son temps pour la mise en oeuvre et le suivi qui lui sont confiés.

De plus, Mme [K] [I] pourra exercer son travail par télétransmission et déplacements divers sans être présente physiquement au siège de la société.

Cependant, Mme [K] [I] n'avait pas la qualité de télé-travailleuse qu'elle revendique aujourd'hui, mais exerçait seulement ses fonctions comme elle l'entendait, au regard des obligations liées à son emploi de médecin urgentiste et aux missions de sa propre société, 'AX'HOM CONSULTING', en communiquant avec son employeur par téléphone ou par mail hors les périodes (une fois par quinzaine environ) pendant lesquelles elle se rendait au siège de la société pour un ou deux jours.

Mme [K] [I] revendique avoir été à la disposition permanente de son employeur en répondant aux mails de celui-ci, de jour comme de nuit.

A la lecture de l'importante production de pièces faite par les parties ( notamment les mails échangés entre M. [J] et Mme [I]) , la Cour constate que:

- c'est la propre organisation de travail de la salariée, entre ses diverses activités, qui induisait des mails ou échanges téléphoniques à des moments inhabituels dans une relation de travail plus classique,

- les relations contractuelles entre les parties commencées par 'un coaching de M. [J]' étaient très vite devenues 'fusionnelles', le contenu des mails ou courriers échangés entre les parties dépassant le simple échange professionnel pour devenir parfois très intime, Mme [I], maintenant au fil des mois et de l'évolution de la relation professionnelle, une relation de dépendance affective peu conforme à son statut dans l'entreprise.

Sur la base de cette analyse, il convient donc de débouter Mme [K] [I] de sa demande de requalification de contrat de travail et de rappel de salaires en découlant.

* Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement dont les motifs énoncés fixent les limites du litige est motivée comme suit:

' A la suite de l'entretien préalable précité du 05 novembre 2009,les explications recueillies auprès de vous ne m'ont pas permis de modifier mon appréciation des faits qui vous sont reprochés et je vous informe en conséquence que j'ai pris la décision de vous licencier pour faute grave et pour les motifs ci-après:

- Vous avez été engagée par la SAS C.R.E.E le 03 avril 2006 afin d'assurer le Développement en Ressources Humaines

Par contrat en date du 04 avril 2007, puis en date du 1er janvier 2008, vous avez été nommée Directrice Générale de la Société.

Conformément à l'article 1 du contrat du 1er janvier 2008, vous exerciez vos fonctions sous l'autorité et dans le cadre des instructions données par votre supérieur hiérarchique, à savoir moi-même, en qualité de Président de la Société.

Aux termes de l'article 11 du même contrat, vous étiez tenue d'une clause de conscience libellée en ces termes

'La nature spécifique de la délégation de responsabilité attachée à la fonction de Madame [K] [I] implique une collaboration confiante, loyale et harmonieuse avec le Président, Monsieur [F] [J].

Dans la mesure où le climat relationnel ne reposerait plus sur ces principes fondamentaux et rendrait impossible la poursuite d'une collaboration professionnelle sereine exempte de divergences d'appréciation, le contrat pourrait être rompu sous réserve du respect des dispositions légales et conventionnelles relatives au licenciement.'

- Nonobstant les dispositions des articles 1 et 11 du contrat de travail du 1er janvier 2008, vous avez gravement manqué à vos obligations professionnelles, tant vis à vis de moi-même en ma qualité de Président de la Société, que vis à vis du personnel, ou encore de tiers, s'agissant de certains de nos clients ou partenaires.

Vous avez ainsi proféré, à mon égard et à l'égard de la Société, des injures et menaces; vous tenez des propos accusatoires, dénigrants et irrespectueux tant à mon égard qu'à l'égard de certains salariés de la Société ou encore de tiers partenaires ou clients, faisant montre d'une attitude critique systématique qui porte dorénavant gravement préjudice à la Société; vous refusez délibérément de déférer à mes instructions auxquelles vous vous opposez systématiquement; vous vous permettez constamment de me donner des injonctions au travers d'innombrables mails comminatoires, oubliant que je suis votre supérieur hiérarchique; vous avez adopté une attitude s'apparentant à du harcèlement moral essentiellement à mon égard, ainsi qu'à l'égard de certains salariés de la société, démontrant par là votre volonté de vous comporter purement et simplement comme si vous étiez le dirigeant de C.R.E.E au moyen d'une emprise insidieuse, d'une opposition systématique délibérée et réitérée mettant en cause mes compétences et mon statut, allant même jusqu'à mettre en cause mon équilibre mental.

- Ainsi par mails des 11 octobre 2009, 18 octobre 2009, 19 octobre 2009, vous avez porté à mon encontre et à l'encontre de la SAS C.R.E.E de graves menaces

. Votre mail du 11 octobre 2009: Vous vous permettez d'évoquer 'mes dérives comportementales', vous m'écrivez ' je considère que ta conduite constitue une prise de risque grave par notre Société', ou encore ' tu utilises différents moyens pour contourner les procédures qualité de C.R.E.E et dans le même temps jouer à mon insu par une désinformation qui alerte heureusement les responsables C.R.E.E qui me transmettent tes exactions'

Vous êtes permis de surcroît d'adresser copie de ce mail injurieux et menaçant à mon expert comptable Monsieur [O] [T].

. Votre mail du 18 octobre 2009: Vous m'écrivez ' Je te demande de relire ce mail de toi et de le faire avant mercredi prochain, avant que ceux qui nous conseillent ne me somment de mettre en place une démarche administrative, ou toi, mais aussi moi, comme tout le personnel de C.R.E.E ne sortiraient pas grandi'

. Votre mail du 19 octobre 2009: Après que je vous ai demandé par écrit si les termes précités de votre mail du 18 octobre 2009 constituaient une menace, vous me répondez ' Sinon chacun va sortir son arme de guerre et tout C.R.E.E en crèvera'

J'ai expressément répondu à ces mails par deux mails du 26 octobre 2009.

Vous comprendrez que ces propos et agissements, de la part d'un cadre de votre niveau, sont parfaitement inacceptables et ce d'autant plus qu'ils s'inscrivent dans un comportement général et récurrent de votre part consistant à vous opposer systématiquement à mes instructions ou préconisations, à me dénigrer, à me critiquer, et à m'humilier devant le personnel de la Société ou devant mes clients et partenaires.

- Ces graves manquements résultent des innombrables échanges de mail que nous avons pu avoir ces derniers mois qui confirment votre ton et vos propos, de même que par de multiples attestations et témoignages écrits émanant tant du personnel de la Société que de clients ou partenaires extérieurs.

Tous font état des faits suivants

- lutte de pouvoir engagée à mon égard

- harcèlement moral

- manque de respect

- humiliation devant le personnel de ma société

- critiques désobligeantes devant le personnel de ma société

- paroles humiliantes et injurieuses 'vous êtes nul, vous ne savez pas travailler, vous êtes incompétent'

- propos désobligeant, désinvoltes et méprisants

- management par la terreur

- volonté d'amoindrir et de bafouer mon autorité et ma position vis à vis du personnel de la Société et des tiers partenaires.

J'ajoute d'ailleurs vis à vis des tiers partenaires que cela a engendré des pertes de marchés, voire des pertes de clients au détriment de la société C.R.E.E.

- Vous avez en outre oeuvré de manière pernicieuse et insidieuse pour entrer au capital de la société et obtenir des avantages financiers sans mesure avec vos fonctions: j'en veux pour preuve nos échanges de mail de septembre 2009, notamment votre mail du 09 septembre 2009.

Ainsi, outre votre politique de dénigrement, vos menaces, votre harcèlement moral incessant, vous avez révélé votre volonté de m'évincer afin de vous positionner en véritable 'patron' de la Société.

- L'ensemble de vos comportements fautifs ont définitivement altéré la confiance que j'avais pu avoir en vous, outre qu'ils ont porté atteinte à ma santé physique et morale (vous avez même osé mettre en doute ma santé psychologique) de même qu'ils ont altéré la santé physique et psychologique de certains de vos collègues auxquels vous avez imposé un stress et des contraintes de travail insupportables provenant d'un cadre supérieur investi de fonctions d'autorité.

Pour l'ensemble de ces motifs et compte tenu de leur gravité, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible'

Aux termes de l'article L 1235-1 du code du travail, il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des griefs invoqués et de former sa conviction au vu des éléments fournis pas les parties, le doute profitant au salarié.

Toutefois, la charge de la preuve de la gravité de la faute privative des indemnités de préavis et de licenciement incombe à l'employeur et tel est le cas d'espèce.

La Cour rappelle que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

La longue lettre de licenciement précitée rappelle à juste titre l'article 1 du contrat de travail quant aux relations de subordination entre Madame [K] [I] et M. [F] [J], Président de la société C.R.E.E, ainsi que la clause de conscience inscrite dans l'article 11 dudit contrat qui instaure la nécessité d'une collaboration confiante, loyale et harmonieuse avec le Président, Monsieur [F] [J], avec pour corollaire la rupture du contrat de travail, sous réserve du respect des dispositions légales et conventionnelles relatives au licenciement, dans l'hypothèse où le climat relationnel ne reposerait plus sur ces principes fondamentaux et rendrait impossible la poursuite d'une collaboration professionnelle sereine exempte de divergences d'appréciation.

Tout d'abord, force est de constater que dés l'origine de ses relations contractuelles avec la société C.R.E.E, Mme [K] [I] n'a pas appliqué les règles de déontologie élémentaires, les relations instaurées entre celle-ci et M. [J] ne s'inscrivant pas dans un cadre professionnel clair et rigoureux.

En effet, Mme [K] [I] a commencé une relation professionnelle avec la société C.R.E.E et son Président dans le cadre d'un 'coaching', qui était censé rendre M. [J] plus autonome et indépendant et non le soumettre à une dépendance personnelle avec des sentiments revendiqués d'affection.

Pendant cette première période de collaboration initiale au cours de laquelle Mme [I] avait été recrutée afin d'exercer seulement des fonctions de ' développement en ressources humaines', soit par des prestations de sa société, soit directement par un contrat salarié, les mails ou courriers échangés entre les parties s'inscrivent dans une relation mêlant intime et professionnel, les mails se concluant par des baisers (je t'embrasse très fort... mille baisers) Mme [I] n'hésitant pas le dimanche 2 avril 2006 à 20 H 11 à envoyer à son client une bise douce à la température de ta voix ce soir! comme à lui adresser le lundi 26 juin 2006 un 'poème' faisant état de ce qu'elle avait entrevu au fond de son coeur....

au loin de mon âme,

la main tendue de ce qui nous relie maintenant....

Un sentiment sans oser poser nom

Un ressenti mélangé de confiance et de respect

simplement un beau chemin

pour une belle histoire

tous ces courriers ayant trouvé un large écho sur la personnalité fragilisée de M. [J] (qui venait de perdre ses deux parents, dont la société connaissait des difficultés dans un contexte économique difficile qu'ingénieur chimiste de formation, il n'était peut-être pas armé pour affronter) qui écrit à sa coach en janvier 2007 une carte d'anniversaire élogieuse très affectueuse dans laquelle il lui promet de lui permettre de se réaliser chez C.R.E.E en lui promettant de lui donner tous les moyens pour faire

Suite à cette période de coaching, pendant laquelle Mme [I], qui avait installé une relation affective forte avec M. [J] et avait eu à connaître de toutes les forces et faiblesses de celui-ci et de son équipe, n'a pas hésité à se faire engager comme Directeur de l'entreprise, continuant à prodiguer conseils et critiques, à son supérieur hiérarchique sous lequel l'autorité duquel elle devait exercer ses fonctions, dans le cadre des instructions données par lui.

Au dernier état de cette collaboration professionnelle particulière, il ressort des multiples témoignages versées aux débats et même des écrits de Mme [I]

( Mail du 26 septembre 2009 à M. [E], ingénieur commercial de ROCOCH FRANCE SAS pour une intervention sur la grippe H1N1

Je vous précise que je serai présente au sein de votre groupe sous ma casquette de dirigeante de la société C.R.E.E. .....Pour cette raison, je serai accompagnée de [F] [J] et de [L] [Q] qui mettront à la disposition de chacun une plaquette des développements CREE de produits de désinfection H1N1)

que celle-ci agissait comme la véritable dirigeante de la société C.R.E.E et que forte de l'emprise psychologique qu'elle avait sur M. [J], Mme [I] allait tenter d'entrer au capital de la société C.R.E.E, tentative qui n'échouait finalement que grâce à l'intervention de l'expert comptable M. [T], d'abord partie prenante dans la mise en place de nouveaux statuts, qui atteste aujourd'hui de la manipulation morale de Mme [I] envers M. [J] et des pressions pour procéder à ces changements de statuts de la société C.R.E.E.

Ce contexte est important pour appréhender les fautes graves sur lesquelles se fonde la lettre de licenciement.

La société C.R.E.E reproche essentiellement à Mme [I] deux séries de fautes, en s'appuyant sur la production des mails échangés par les parties en septembre et octobre 2009 :

- les critiques virulentes sur la qualité du travail ou sur les compétences de M. [J] faites par Mme [I] à son employeur lui-même, avec parfois copie des mails destinés à celui-ci à des tiers de l'entreprise (expert comptable)

. nombreux mails de Mme [I] à M. [J] en septembre 2009 critiquant sans ménagement le comportement de celui-ci, M. [J] finissant immanquablement par se dévaloriser et s'excuser, n'osant plus parler de son travail à sa directrice, écrivant même Compte tenu de cet état de fait, je ne vis plus, je n'avance plus . JE COMPRENDS QUE TU M'EN VEILLES A MORT- que tu te sentes trahie par moi et que tu veuilles ma peau pour t'avoir trahie...

. mail du 11 octobre 2009 envoyé à M. [J] à 01h 07 avec l'objet attention conduite à risque, avec copie au comptable

Je considère que ta conduite constitue une prise de risque grave pour notre société.....

les responsables CREE qui me transmettent tes exactions.....

Je veux bien entendre tes propositions pour revenir dans un fonctionnement intelligent et professionnel, entre nous, mais surtout avec le personnel, car je réitère mon message d'alarme en face de ton comportement au sein de la société.

- les comportements menaçants à l'encontre de M. [J] par Mme [I] pour qu'il accepte ses critiques et suggestions

. mail du 18 octobre 2009

' Je te demande de relire ce mail de toi et de le faire avant mercredi prochain, avant que ceux qui nous conseillent ne me somment de mettre en place une démarche administrative, ou toi, mais aussi moi, comme tout le personnel de C.R.E.E ne sortiraient pas grandi'

. mail du 19 octobre 2009

' Sinon chacun va sortir son arme de guerre et tout C.R.E.E en crèvera'

De manière générale, la Cour a pris également connaissance des très nombreuses attestations des salariés et des clients de la société C.R.E.E qui se sont mobilisés pour stigmatiser le manque de correction et de respect de Mme [I] vis à vis de M. [J], les liens de subordination étant mêmes inversés selon certains, l'ego démesuré de la salariée, la détérioration de l'ambiance au sein de l'entreprise, certains clients attestant même avoir remis en cause leur collaboration avec la société C.R.E.E en raison de l'attitude de sa directrice.

En conclusion, la Cour estime que les critiques, menaces ou comportements de Mme [I] vis à vis de M. [J], son supérieur hiérarchique, Président de la société C.R.E.E, vont bien au delà la liberté d'expression dans l'entreprise d'une salariée, duquel il était attendu, comme le stipule le contrat de travail, une collaboration confiante, loyale et harmonieuse et sont bien constitutifs de fautes graves.

Il convient donc d'infirmer la décision des premiers juges et de dire que le licenciement de Mme [Z] [I] repose bien sur des fautes graves, celle-ci étant déboutée de l'ensemble de ses demandes.

* Sur l'intervention volontaire de M. [F] [J].

M. [F] [J] intervient volontairement à l'instance et réclame la condamnation de Mme [Z] [I] à lui payer la somme de 15.000€ en réparation de son préjudice moral, du au harcèlement moral que son ancienne salariée lui a fait subir pendant 4 an.

La Cour rappelle que la juridiction prud'homale n'est compétente que pour résoudre les différends et litiges nés à l'occasion d'un contrat de travail.

Or, en l'espèce, M. [F] [J] agit à titre personnel à l'encontre de son ancienne salariée en expliquant avoir été victime d'une manipulation mentale et cette action en responsabilité est de la compétence des juridictions de droit commun et non de la juridiction du travail.

L'intervention de M. [J] est ainsi déclarée irrecevable.

* Sur les autres demandes

L'équité et les circonstances de la cause commandent de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la SARL C.R.E.E qui se verra allouer la somme de 2000€ à ce titre.

Mme [Z] [I] supportera les dépens de la procédure.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

REFORME le jugement déféré en toutes ses dispositions

Et statuant à nouveau

DIT QUE le licenciement de Mme [Z] [I] repose sur une faute grave.

DEBOUTE Mme [Z] [I] de l'ensemble de ses demandes à ce titre.

Y ajoutant

DEBOUTE Mme [Z] [I] de sa demande de requalification de contrat de travail et de rappel de salaires en découlant.

DECLARE irrecevable l'intervention volontaire de M. [F] [J]

CONDAMNE Mme [Z] [I] à verser à la SARL C.R.E.E la somme de 2000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE Mme [Z] [I] aux dépens de la procédure de première instance et d'appel.

Signé par Madame Myriam LALOUBERE, Conseillère, faisant fonction de

Présidente, en l'absence de Monsieur le Président Jean-Paul ROUX, empêché, et par Gwenaël TRIDON DE REY , greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

G. TRIDON DE REY Myriam LALOUBERE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 12/01909
Date de la décision : 19/09/2013

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4B, arrêt n°12/01909 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-09-19;12.01909 ?
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