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07/04/2009 | FRANCE | N°08/04292

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale-section a, 07 avril 2009, 08/04292


COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE-SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 07 AVRIL 2009

(Rédacteur : Madame Marie-Paule Descard-Mazabraud, Président)

PRUD'HOMMES

No de rôle : 08 / 04292

Société Ahlstrom Label Pack

c /

Monsieur Jean-Paul X...

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par
voie de signification (acte d'huissier).
r>Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 juin 2008 (R. G. no F 07 / 0008...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE-SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 07 AVRIL 2009

(Rédacteur : Madame Marie-Paule Descard-Mazabraud, Président)

PRUD'HOMMES

No de rôle : 08 / 04292

Société Ahlstrom Label Pack

c /

Monsieur Jean-Paul X...

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par
voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 juin 2008 (R. G. no F 07 / 00084) par le Conseil de Prud'hommes de Bergerac, section Industrie, suivant déclaration d'appel du 04 juillet 2008,

APPELANTE :

Société Ahlstrom Label Pack, prise en la personne de son représentant
légal, domicilié en cette qualité au siège social, usine de Rottersac-24150 Lalinde,

Représentée par Maître Anne Murgier et Maître Philippe Plichon, avocats au barreau de Paris,

INTIMÉ :

Monsieur Jean-Paul X..., demeurant ...

Représenté par Maître Jean-Paul Tessonnière de la S. C. P. Jean-Paul Tessonnière et associés, avocats au barreau de Paris,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 février 2009 en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Paule Descard-Mazabraud, Président,

Monsieur Francis Tcherkez, Conseiller,

Monsieur Eric Veyssière, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Françoise Atchoarena.

ARRÊT :

- contradictoire

-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

M. Jean-Paul X... salarié depuis le 26 janvier 1970 de l'entreprise aujourd'hui dénommée Ahlstrom Label Pack a cessé son activité professionnelle dans le cadre de l'allocation pour cessation anticipée des travailleurs de l'amiante, le 31 juillet 2003.

Il a saisi le Conseil de Prud'hommes de Bergerac le 23 mai 2007 ainsi que seize autres salariés situés dans les mêmes conditions aux fins de faire :

- constater que la rupture du contrat de travail qui le liait à Ahlstrom Label Pack, le 31 mars 2003 était la conséquence de l'exposition fautive par ce dernier à l'amiante

-constater que la perte de revenus consécutive à l'attribution de l'allocation de la cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante constitue un préjudice économique certain, direct et déterminé

-condamner la société Ahlstrom Label Pack à lui payer des sommes correspondant à la différence de revenus entre son salaire et le montant de l'ACAATA en réparation de son préjudice économique, soit 94. 791, 84 euros

-condamner cette dernière à lui payer une indemnité de 10. 000 euros au titre du préjudice d'anxiété

-condamner la société à une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. X... exposait qu'il a été engagé par la société Ahlstrom depuis le 26 janvier 1970 en qualité d'aide laborantin ; de laborantin, de contrôleur labo-finition, agent de finition, chef d'équipe, agent métrologique et responsable finition dans cette entreprise qui fait du papier d'emballage et qui a utilisé, dans une des phases de la production pour ce faire des rouleaux recouverts de feuilles d'amiante compressées. La société a eu recours à ce système dit de calandrage jusqu'en 1996.

Depuis un arrêté en date du 19 mars 2001, l'usine de Rottersac a été classée comme susceptible d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.

Il a décidé bénéficier de l'ACAATA et il a fondé sa réclamation devant le Conseil de Prud'hommes de Bergerac sur le fait que sa décision de départ anticipée était induite par une faute de l'employeur dans l'exécution de ses obligations contractuelles.

Il rappelait que l'amiante avait été utilisée jusqu'en 1996 sur les rouleaux de calandrage et qu'en 1990, l'usine avait fait une commande de 24 tonnes au moment où son fournisseur allemand lui faisait part de ce que ce produit allait être interdit.

M. X... indiquait que le dépoussiérage n'avait été effectué qu'en 2003 et qu'en 2004 un rapport d'inspection du travail révélait la présence de tresses et de joints en amiante dans les locaux de l'entreprise.

La société Ahlstrom Label Pack faisait valoir que l'amiante était indispensable pour son activité. Elle estimait que les mesures de sécurité avaient été respectées et que les dispositions de l'ACAATA reposaient sur la décision libre et volontaire du salarié, seule la durée du préavis permettant de rapprocher son dispositif du licenciement. Elle considérait dès lors qu'il n'y avait aucun préjudice qui lui soit imputable, la perte de revenus que dénonçait le demandeur étant une conséquence de la décision qu'il avait prise de manière unilatérale.

Par jugement en date du 26 juin 2008, le Conseil de Prud'hommes de Bergerac, section Industrie, statuant sous la présidence du juge départiteur a rappelé l'obligation de sécurité à laquelle était tenu l'employeur en application des articles L 4121-1 et suivants du code du travail.

Il a ensuite exposé le mécanisme de l'ACAATA créé par la loi du 23 décembre 1998 qui permet à un travailleur de partir avant l'âge normal de la retraite en percevant 65 % de la moyenne de son salaire de la dernière année à la condition qu'il ait été exposé à l'amiante de manière significative, qu'il ne reprenne pas une activité professionnelle et qu'il ait plus de 50 ans.

Le premier juge a relevé que l'usine était sur la liste des établissements pouvant donner lieu à versement de l'ACAATA en application d'un arrêté en date du 19 mars 2001.

Le juge a considéré que le législateur en mettant en oeuvre l'ACAATA créait un lien de causalité entre l'utilisation de matériaux nocifs par l'employeur et la possibilité de départ anticipé.

Le premier juge a ensuite caractérisé ce qu'il a considéré comme des manquements de l'employeur dans l'exécution de son obligation de sécurité, à savoir le manque de mesures de protections individuelles et collectives et le manque de prévention.

Surtout, il a considéré qu'en important le 8 août 1990, 24 tonnes de papier amianté il avait contourné la législation du 30 septembre 1990 qui interdisait la production de papiers de calandres contenant de l'amiante et cette livraison avait permis d'utiliser des rouleaux garnis de papier amianté jusqu'en 1996.

Il a ainsi caractérisé une violation de ses obligations par l'employeur en matière de sécurité qui aurait ainsi créé les conditions d'un choix " par défaut plutôt qu'un choix librement consenti " pour le salarié.

Il en a déduit que le salarié subissait une perte de chance de suivre une évolution de carrière normale et de prendre une retraite dans les conditions habituelles.
Il n'a pas accepté le calcul mathématique sur la perte de revenus que lui proposait M. X... mais il lui a alloué une somme la somme de 72. 000 euros sur la perte de chance.

Il a également condamné la société Ahlstrom Label Pack à verser 10. 000 euros à M. X... sur le préjudice d'anxiété lié à la peur d'avoir contracté une maladie causée par l'amiante et à la nécessité de suivre régulièrement des contrôles.

Il a enfin fixé une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Ahlstrom Label Pack a régulièrement relevé appel de ces jugements.

Elle a saisi le Premier Président d'une demande de suspension de l'exécution provisoire qui avait été ordonnée par le premier juge.

Par ordonnance en date du 6 août 2008, le premier président a rejeté les demandes formées par la société Ahlstrom Label Pack mais a fixé les débats à l'audience du 16 février 2009.

Par conclusions développées oralement et auxquelles il est expressément fait référence, la société demande tout d'abord que le jugement déféré soit annulé, le juge départiteur ayant délibéré avec trois conseillers prud'hommes seulement et n'ayant pas respecté la parité de la formation prud'homale.

Sur le fond, l'employeur s'explique longuement sur les méthodes de fabrication dans l'entreprise et soutient que peu de salariés se sont trouvés de fait exposés aux poussières d'amiante.

Il soutient que notamment M. X... de par ses attributions n'était pas exposé à l'amiante.

Il fait valoir qu'il a respecté les préconisations en matière d'utilisation d'amiante et s'explique sur la livraison de 1990 dont il affirme qu'elle n'était contraire à aucune disposition réglementaire française.

Il s'explique également sur le contenu de l'obligation de sécurité.

Il soutient que lorsque M. X... a pris la décision de bénéficier de l'ACAATA, il n'était plus exposé au risque de contamination.

Il tire argument de ce que l'arrêté du 19 mars 2001, classant l'usine de Rottersac parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA en raison d'une exposition au risque de 1956 à 1997, avait fait l'objet d'une demande d'extension pour la partie postérieure par le CHSCT et le comité d'entreprise et de ce que cette demande a été rejetée par les pouvoirs public par lettre du 8 octobre 2007.

Par conclusions développées oralement et auxquelles il est expressément fait référence, M. X... demande confirmation du jugement déféré dans toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a évalué ses dommages-intérêts à la somme de 72. 000 euros au titre de la perte de chance et en ce qu'il lui a alloué 10. 000 euros au titre du préjudice d'anxiété.

Subsidiairement, il demande que la somme de 72. 000 euros lui soit versée au titre de la perte de revenus.

Il développe ses observations sur le contenu de l'obligation de sécurité, s'attache à démontrer que l'employeur n'a pas mis en oeuvre les mesures individuelles et collectives de protection et a donc violé les obligations mises à sa charge.

Il insiste sur les circonstances de la livraison des rouleaux faite en août 1990 et produit des correspondances qui établiraient que la société Sibille à l'époque a délibérément fait livrer une quantité importante de papier amianté avant une décision administrative du 30 septembre 1990 interdisant ce recours.

Il conteste les éléments de fait sur l'état de l'usine lors de son départ dans l'entreprise puisque figureraient aux débats des procès-verbaux du CHSCT de 2003 disant que les travaux de dépoussiérage devaient se poursuivre et de janvier 2004 et que des tresses et des joints contenant de l'amiante seraient entreposés dans le magasin et la chaufferie.

Il rappelle également qu'il a fait l'objet d'une attestation d'exposition au risque par la société Ahlstrom Label Pack et il donne des éléments pour justifier de ce qu'il était effectivement directement en contact avec des éléments contenant de l'amiante.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la procédure

Aux termes des articles L 515-3 et R 516-40 alinéa 4 du code du travail, si, lors de l'audience de départage du Conseil de Prud'hommes, le bureau de jugement ou la formation de référé ne peut se réunir au complet, le juge du tribunal d'instance statue seul, après avoir pris l'avis des conseillers prud'hommes présents.

Il résulte des mentions du jugement déféré, rendu après renvoi devant le juge départiteur, que le bureau de jugement était composé, lors des débats et du délibéré du juge départiteur et de trois conseillers prud'hommes.

Il ne résulte pas de ces mentions qu'après avoir recueilli l'avis des conseillers prud'hommes, le juge départiteur a statué seul. Il s'en déduit que les dispositions des textes susvisées n'ont pas été respectées.

Et dès lors, le jugement doit être annulé.

La Cour, en vertu de son pouvoir d'évocation, les parties ne s'y étant pas opposées, examinera le fond du litige.

Sur le bien fondé de la demande de M. X...

Aux termes des dispositions de l'article L 4221-1 du code du travail interprété à la lumière de la directive CE No89 / 391 du 12 juin 1989 concernant la mise en oeuvre des mesures visant à promouvoir l'amélioration de la santé et de la sécurité des travailleurs au travail, l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise et doit en assurer l'effectivité.

Dès lors, toute violation de ses obligations par l'employeur en la matière doit entraîner l'ouverture d'un droit à dommages-intérêts.

La loi du 23 décembre 1998 en son article 41 a institué en faveur des salariés de l'amiante un régime de pré-retraite leur permettant de quitter l'entreprise dès l'âge de 50 ans.

Le salarié qui opte pour ce régime reçoit une allocation égale à 65 % du salaire dans la limite du plafond de la sécurité sociale et de 50 % de celui-ci pour la limite comprise entre une et deux fois ce plafond. L'ACAATA ne peut être inférieure au montant journalier de l'allocation d'assurance chômage ni excéder 85 % du salaire de référence.

Les entreprises dans lesquelles les salariés exposés aux poussières d'amiante peuvent exercer l'option sont désignés par un arrêté qui fixe l'ouverture de la période du droit à garantie et la cessation anticipée d'activité n'est possible que pour les salariés ayant travaillé durant cette période.

L'option ne prive pas le salarié du droit d'être indemnisé au titre de la maladie professionnelle si une affection se révèle.

Le salarié qui opte pour l'ACAATA démissionne de son emploi en application de l'article 41 de la loi. La cessation anticipée d'activité est un instrument de la prévention du risque qui prend en considération sa cause, l'amiante et le comportement de l'employeur, réserve faite du dol.

Elle tient compte autant que faire ce peut de l'aléa résultant de la possible réduction de l'espérance de vie.

En raison des dispositions de financement de cette allocation, elle n'est pas compatible avec une autre rémunération ou une autre allocation.

En l'espèce, il a été rappelé que l'usine de Rottersac au sein de laquelle travaillait M. X... a été classée comme pouvant ouvrir doit à l'ACAATA le 19 mars 2001 pour les salariés ayant été exposés au risque de l'amiante de 1956 à 1997.

Il est indéniable que M. X... a travaillé dans cette usine sur la période concernée.

Il sera également rappelé que devant la Cour, le salarié n'entend pas faire requalifier la manière dont son contrat de travail a été rompu ni demander un revenu de substitution mais seulement faire réparer un dommage dont il s'estime victime.

Sur les conditions de travail à l'intérieur de l'usine de Rottersac, il ressort des éléments produits aux débats que les papiers d'emballage fabriqués dans cette entreprise, pour obtenir l'aspect lisse et brillant recherché doivent passer entre des rouleaux superposés alternativement, rouleaux durs en acier et rouleaux mous recouverts de coton et d'amiante. L'ensemble de ces rouleaux était organisé dans des machines dites de calandrage.

De 1957 à 1996, l'entreprise a utilisé le revêtement en amiante pour les rouleaux mous situés dans les parties basses des machines à calandrage, en raison des conditions de pression, de chaleur et de vitesses plus importantes que dans la partie haute.

Des dégagements de fibres d'amiante étaient donc susceptibles de se produire lors de la fabrication et de la mise en place des rouleaux, lors de la marche normale des opérations de calandrage destinées à affiner le papier, du fait de l'éclatement des rouleaux qui pouvaient intervenir et enfin dans les opérations de réparation et de réajustage des rouleaux.

La production de papier s'effectuant de manière continue dans l'entreprise, sur un effectif de 250 à 300 salariés, le chiffrage proposé par l'employeur de 10 personnes exposées ne peut être sérieusement retenu. Environ 5 équipes de 25 salariés tournent sur ces différents sites soit plus de la moitié des effectifs.

De même, il ne ressort pas des plans de l'usine produits par les parties que les locaux dans lesquels étaient utilisés les rouleaux recouverts d'amiante pour la production du papier, ceux où étaient stockés les papiers amiantés et ceux où il était procédé aux opérations de mise en place sur les rouleaux ou de réajustage et de réparation des rouleaux étaient isolés du reste des locaux dans des conditions telles qu'aucune intercirculation des travailleurs n'était possible.

Pour apprécier les conditions qui encadrent l'exécution de l'obligation de sécurité par l'employeur, il sera rappelé qu'à compter de l'entrée en vigueur du décret du 17 août 1977 applicable à toutes les entreprises où les salariés étaient exposées à l'inhalation des poussières d'amiante, l'employeur était astreint à un certain nombre d'obligations et notamment à faire effectuer un contrôle une fois par mois du nombre de fibres dans l'air, la fréquence pouvant n'être qu'une fois tous les trois mois, s'il n'y avait pas plus d'une fibre par centimètre cube d'air, de conditionner les déchets pouvant contenir de l'amiante, de prévoir des mesures de protection collective, mise en oeuvre de systèmes d'aération et de protection individuelle, masques.

Dans les années 1980, les niveaux de tolérance du nombre de fibres dans l'atmosphère ont été peu à peu diminués.

Enfin, en France, le décret du 24 décembre 1996 interdisait définitivement l'utilisation de l'amiante à l'intérieur des entreprises.

Sur cette période de 1977 à la fin de l'année 1996, si l'employeur affirme que les règles de sécurité ont toujours été respectées, il ressort cependant des documents produits que les mesures qui auraient dû être opérées tous les mois, l'ont été de manière beaucoup plus sporadique.

Et par exemple, le premier rapport technique en date du 1er décembre 1977 se concluait de la manière suivante :

" La valeur limite, de 2 fibres par cm3 est dépassée lors de la deuxième passe sur un rouleau de 4 mètres lors du toilage de finition d'un rouleau de 2, 50 mètres, est presque atteinte lors de l'empilage des plaques à la presse lors de la préparation des charges avant l'empilage.

Dans ces conditions il serait souhaitable de modifier les aspirations dont sont munis les tours afin d'éviter de soumettre le salarié affecté au tournage des rouleaux à un empoussièrement trop important à son poste de travail. "

Un rapport du 6 février 1980 indique que si pour le poste de rectification des rouleaux de calandre, les améliorations apportées en termes de ventilation sont sensibles, elles demeurent insuffisantes pour deux autres postes, le dégarnissage des rouleaux et la préparation de charge de papier pour la grande presse.

Par la suite jusqu'aux années 1990, les pourcentages étaient dans la limite de la normale.

Au mois de juillet 1990 le fournisseur allemand avec qui l'usine de Rottersac était habituellement en relation leur a dit que la livraison d'amiante allait être interdite à partir du 1er septembre et qu'il peut lui proposer un autre produit équivalent, le Normex.

Le 8 août les responsables de l'usine adressaient une lettre et un bon de commande spécifiant que malgré la mise en place de la nouvelle réglementation, ils souhaitaient leur commander du papier amiante. La livraison intervenait à la fin du mois de septembre sur 24 tonnes de papier amiante.

Des rouleaux contenant du papier amianté étaient utilisés jusqu'à la fin de l'année 1996.

En outre, courant 1994, 14 presses neuves étaient installées dont 5 en coton amiante et courant 1995, 12 presses neuves installées dont 4 en coton amiante. Le nombre des opérations de rectifications des rouleaux s'était maintenu à environ 160 jusqu'en 1993 puis avait baissé de manière significative en 1994 passant à 90, 29 puis 59.

En 1995 et 1996, l'employeur produit plusieurs factures pour enlèvement des rouleaux d'amiante et transports de déchets d'amiante.

Le CHSCT lors d'une réunion en date du 5 juin 1996 souligne qu'il n'y avait pas de système de captation des poussières au sein des ateliers de garnissage des rouleaux et de récupération.

Le rapport se conclut de la façon suivante :

" Compte tenu des avertissements nécessaires pour le respect des normes de la présence de fibres d'amiante dans l'air ambiant et des récentes décisions gouvernementales concernant l'interdiction d'utilisation d'amiante, à partir d'août 1996, nous essaierons deux presses revêtues de Fiberun. Deux rouleaux sur la calandre 5 vont être réalisés avec ce type de matériau et seront testés à partir de la fin du mois d'août 1996.

A partir de septembre 1996, les rouleaux en amiante seront progressivement éliminés. "

Manifestement, la rédaction du procès-verbal permet de penser que contrairement à ce qu'il fallait il n'y avait pas de système d'aération et pas de masques individuels.

Un rapport de l'Apave du 11 octobre 1996, démontre qu'à ce moment, la mesure tolérable était de 0, 3 fibre par cm3 car le produit concerné était du chrysotile, la norme étant fixée par décret de 7 février 1996. Les mesures effectuées, si le temps d'exposition était de huit heures étaient de 0, 31 dans un atelier et de 0, 31 à 0, 57 dans l'autre. Le rédacteur du rapport notait que le temps d'exposition de 8 huit heures était exceptionnel.

Si la durée d'exposition était de 2 heures, la mesure correspondant à 0, 09 dans l'un et 0, 12 à 0, 19 dans l'autre.

Un rapport de l'Apave sur les 13, 14 et 15 janvier 2003 qui fait référence au décret de 1996 fixant le seuil tolérable à 5 fibres par litre d'air, note que les niveaux d'empoussièrement en fibre d'amiante mesurés sont inférieurs ou égaux aux seuils de référence de 5 fibres par litre d'air dans le local calandre 2, 3 et 5.

Ils sont supérieurs au seuil de référence dans le local regarnissage presse et atelier rectification presse.

Le rapport conclut qu'il faut donc procéder à un dépoussièrement des locaux sus visés dans les 37 mois.

Un autre rapport établi par un organisme dit Norisco au mois d'avril 2003, a relevé des taux beaucoup plus élevés que l'Apave et conclut également à la nécessité d'engager des travaux de dépoussièrement.

Ces opérations ont été menées par une société spécialisée.

Un procès-verbal du CHSCT reprend ces deux séries de mesures et mentionne que d'autres mesures permettent de vérifier qu'après dépoussiérage, les mesures sont très inférieures au seuil tolérable.

Un procès-verbal du CHSCT du mois de novembre 2004 fait état du retrait par l'entreprise des derniers stocks de produits amiantés, joints divers et tresses, aux magasins et à la chaufferie a été effectuée le 23 novembre. Il indique que deux autres sites, seront démantelés d'ici la fin de l'année.

Par un arrêté du 19 mars 2001, l'usine de Rottersac était classée comme établissement pouvant ouvrir droit à l'ACAATA pour les salariés ayant travaillé dans l'entreprise de 1956 à 1997.

Le CHSCT avait demandé l'extension du bénéfice de l'ACAATA aux salariés ayant travaillé jusqu'en 2003. Cette demande a été rejetée par l'administration mais l'enquête faite sur la demande d'extension par l'inspection du travail en 2006 et 2007 se termine ainsi :

" Les mesures prises par l'établissement Ahlstrom depuis 1997 ont permis d'éliminer les risques d'exposition active à l'amiante. Cependant, la présence de poussières d'amiante résiduelle a pu créer des conditions d'une exposition passive des salariés jusqu'à la décontamination des locaux effectués en 2003. "

Le rapport fait état de deux maladies professionnelles en 2006 liées à l'amiante, en l'espèce des plaques pleurales et un autre dossier de maladie professionnelle était en cours d'instruction.

Par la suite était pris en charge au titre de la maladie professionnelle d'un salarié un cancer broncho pulmonaire primitif.

Sur la situation personnelle de M. X..., il a été salarié de l'entreprise du 26 janvier 1970 au 31 juillet 2003 et remplissait donc les conditions pour bénéficier de l'ACAATA ; il a fait l'objet d'une déclaration d'attestation d'exposition au risque le 6 octobre 2006 et les renseignements recueillis sur son itinéraire professionnel permettent d'établir que dans ses activités de laborantin, il était amené à tester et à contrôler l'humidité des échantillons de papier amianté. Dans son travail de contrôleur de labo-finition, il était chargé du nettoyage de la poussière venant de l'atelier de rectification.

L'employeur fait état d'une exposition indirecte et passive, plusieurs salariés attestant de ce qu'il avait travaillé dans l'ensemble des locaux de l'entreprise et souvent à côté du local de rectification qui était sans porte.

En instituant l'ACAATA, les pouvoirs publics ont entendu créer un dispositif dont Mme Y..., alors ministre de la santé a indiqué qu'il était destiné à essayer " de réparer le drame qui frappe les victimes de l'amiante dont chacun sait que l'espérance de vie de ces salariés notamment ceux qui ont été exposés à de forts taux d'empoussièrement est fortement réduite. Le bénéfice de la retraite s'épuisera plus vite pour eux que pour toutes les autres catégories de la population ".

Il ressort clairement des articles 41 et suivants de la loi du 23 décembre 1998 que l'ACAATA est une réponse collective et générale à un état de fait constaté objectivement dans le monde industriel, sans qu'il soit fait référence au comportement de l'employeur, la période d'exposition retenue à partir de l'année 1956 manifestant cette volonté d'appréhender une situation de fait en dehors de la recherche d'une responsabilité pour faute de l'employeur.

En l'espèce, il ressort des développements faits ci-dessus qu'en dehors de la situation d'exposition aux risques ayant ouvert le droit à l'ACAATA, les dirigeants de l'usine de Rottersac, en étant peu diligents sur la mise en oeuvre de la réglementation spécifique de 1977, en faisant le choix conscient et volontaire de l'utilisation de papier amianté par rapport à d'autres supports en 1990, en ne mettant pas en oeuvre toutes les protections individuelles et collectives préconisées, notamment sur les année de 1990 à 1996 n'ont pas exécuté correctement l'obligation de sécurité qui pesait sur eux, cette violation de leurs obligations étant d'autant plus caractérisée qu'ils ne pouvaient ignorer le danger auquel ils exposaient leurs salariés.

S'il est exact que cette obligation de sécurité de l'employeur doit s'analyser comme une obligation de résultat, en raison des exigences qu'elle lui impose, il ne peut s'en déduire qu'elle doit être considérée comme remplie dès lors que le salarié termine son contrat de travail sans avoir déclaré une maladie professionnelle. En l'espèce, tenir un tel raisonnement aboutit à méconnaître le fait que les affections liées à l'amiante peuvent ne se révéler qu'au bout de plusieurs années.

Les dirigeants de l'usine de Rottersac ne peuvent donc se prévaloir du fait que M. X... a demandé à bénéficier de l'ACAATA alors qu'il n'était pas atteint d'une maladie liée à l'amiante.

En réalité, le comportement fautif de l'employeur a nécessairement induit pour le salarié un préjudice lié au fait qu'une grande partie de son contrat de travail s'est exécutée dans une entreprise où la direction alors en place ne s'est pas acquittée de ses obligations de sécurité. Il a été rappelé que l'institution de l'ACAATA était destinée à prendre en charge une situation dans laquelle la faute de l'employeur n'avait pas à être caractérisée.

En l'occurrence, un des éléments du préjudice réalisé et subi aujourd'hui par M. X... repose dans le fait qu'il n'a pu prétendre au déroulement d'une vie professionnelle normale, en raison à la fois d'une situation objective d'exposition à un risque industriel dont un mode de réparation réside dans le bénéfice de l'ACAATA et d'une mise en danger aggravée par le comportement fautif de l'employeur.

Si l'ACAATA par les dispositions législatives qui la créent met obstacle à la perception d'un revenu de complément, en revanche, elle ne peut par elle-même exonérer l'employeur fautif des conséquences d'une exécution fautive du contrat de travail.

M. X... a fait le choix de demander la réparation du préjudice que lui causait un départ anticipé à la retraite accompagné d'une diminution de revenus significative, constituant une perte de chance de mener à son terme une carrière professionnelle normale.

Ce préjudice est effectivement caractérisé, et l'argumentation de l'employeur soutenant que M. X... a créé lui même cette situation et ne peut donc en demander réparation ne saurait prospérer, le fait de bénéficier de l'ACAATA ne pouvant avoir pour effet de priver le salarié qui a caractérisé l'existence de manquements particuliers de son employeur à son obligation de sécurité d'en obtenir une réparation spécifique, du fait des décisions qu'il a pu être amené à prendre pour se prémunir au mieux des dangers subis et de l'anxiété que ses conditions de travail ont généré chez lui.

La demande de M. X... est recevable et bien fondée.

Sur les sommes devant être allouées à M. X...

En cause d'appel, M. X... réclame au titre du préjudice subi pour
la perte de chance d'avoir pu mener une carrière professionnelle jusqu'à son terme normal, une somme de 72. 000 euros.

En réalité, cette somme correspond à la perte de revenus liée à la cessation d'activité de M. X..., calculée par la société Ahlstrom Label Pack et ne peut donc être retenue pour caractériser le préjudice subi du fait d'une perte de chance.

La Cour dispose des éléments suffisants pour évaluer à 40. 000 euros les dommages-intérêts dus à ce titre.

Le salarié demande également l'allocation d'une somme de 10. 000 euros au titre du préjudice d'anxiété. Il est indéniable que la légèreté mise par l'employeur dans la mise en oeuvre de son obligation de sécurité alors qu'il devait en assurer l'effectivité, n'a pu que majorer l'inquiétude dans laquelle vit le salarié qui redoute à tout moment de voir se révéler une maladie liée à l'amiante et qui doit se plier à des contrôles et des examens réguliers qui par eux même réactivent cette angoisse.

La Cour dispose des éléments suffisants pour évaluer à 7. 500 euros les dommages-intérêts dus de ce chef.

L'équité commande d'allouer à M. X... une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 500 euros.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Annule le jugement prononcé par le Conseil de Prud'hommes de Bergerac le 28 juin 2008.

Evoquant sur le fond,

Condamne la société Ahlstrom Label Pack à verser à M. X... :

-40 000 euros (quarante mille euros) au titre de dommages-intérêts pour réparer le préjudice lié à la perte de chance,

-7. 500 euros (sept mille cinq cents euros) de dommages-intérêts pour réparer le préjudice d'anxiété.

Condamne la société Ahlstrom Label Pack à verser à M. X... :

une indemnité de 500 euros (cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dit que la société Ahlstrom Label Pack supportera les dépens de première instance et d'appel.

Signé par Madame Marie-Paule Descard-Mazabraud, Président, et par Madame Françoise Atchoarena, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

F. Atchoarena M-P. Descard-Mazabraud


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale-section a
Numéro d'arrêt : 08/04292
Date de la décision : 07/04/2009
Type d'affaire : Sociale

Analyses

STATUT COLLECTIF DU TRAVAIL - Conventions et accords collectifs - Accords particuliers - Métallurgie - Accord national du 10 juillet 1970 sur la mensualisation - Avenant du 19 decémbre 2003 - Indemnité de départ à la retraite -

Le fait de bénéficier de l'allocation pour cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, prévue par l'article 41 de la loi nº 98-1194 du 23 décembre 1998, ne peut avoir pour effet de priver le salarié qui a caractérisé l'existence de manquements particuliers de son employeur à son obligation de sécurité d'en obtenir une réparation spécifique, du fait des décisions qu'il a pu être amené à prendre pour se prémunir au mieux des dangers subis et de l'anxiété que ses conditions de travail ont générée chez lui. En l'espèce, le préjudice du salarié résulte de son départ anticipé à la retraite accompagné d'une diminution de revenus significative, constituant une perte de chance de mener à son terme une carrière professionnelle normale


Références :

article L 4221-1 du code du travail, article 41 de la loi nº 98-1194 du 23 décembre 1998.

Décision attaquée : Conseil de Prud'hommes de Bergerac, 26 juin 2008


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.bordeaux;arret;2009-04-07;08.04292 ?
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