ARRET N° 16/826
CP/GB
COUR D'APPEL DE BESANCON
- 172 501 116 00013 -
ARRET DU 20 DECEMBRE 2016
CHAMBRE SOCIALE
Contradictoire
Audience publique
du 04 Novembre 2016
N° de rôle : 15/01782
S/appel d'une décision
du CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE LONS-LE-SAUNIER
en date du 27 juillet 2015
code affaire : 80A
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
[Y] [Y]
C/
SOCIETE FROMAGERE DE LONS-LE-SAUNIER
PARTIES EN CAUSE :
Monsieur [Y] [Y], demeurant [Adresse 1]
APPELANT
représenté par Me Marie-Lucile ANGEL, avocat au barreau de JURA
ET :
SOCIETE FROMAGERE DE LONS-LE-SAUNIER, [Adresse 2]
INTIMEE
représentée par Me Hugues PELISSIER, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
lors des débats 04 Novembre 2016 :
CONSEILLER RAPPORTEUR : Madame Chantal PALPACUER, Présidente de chambre, conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, en l'absence d'opposition des parties
GREFFIER : Mme Gaëlle BIOT
lors du délibéré :
Madame Chantal PALPACUER, Présidente de chambre, a rendu compte conformément à l'article 945-1 du code de procédure civile à M. Jérôme COTTERET, Conseiller et Monsieur Patrice BOURQUIN, Conseiller.
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 09 Décembre 2016 par mise à disposition au greffe et à cette date l'arrêt a été prorogé le 20 décembre 2016.
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FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES:
M.[Y] [Y] a été embauché le 27 août 1979 comme opérateur de maintenance.
En 2011, il dénonce une situation de discrimination qu'il estimait subir auprès de l'Inspection du travail qui va déclencher une enquête.
Le 13 décembre 2013, il a saisi le Conseil de Prud'hommes de Lons Le Saunier en réparation du préjudice subi du fait d'une discrimination en raison de ses opinions politiques et de son appartenance syndicale.
Par jugement en date du 27 juillet 2015, le Conseil de Prud'hommes en formation de départage a déclaré la demande prescrite se fondant sur les dispositions de l'article L1134-5 du code du travail au motif que M. [Y] estimait être victime de discrimination depuis 1982 et que non seulement il en avait connaissance puisqu'il avait adressé de nombreux courriers depuis novembre 1996 à l'Inspection du Travail et à son employeur et avait disposé des éléments de comparaison la mettant en évidence.
M. [Y] a interjeté appel de la décision.
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Dans ses conclusions déposées le 2 septembre 2016 reprises oralement lors de l'audience des débats, M. [Y] demande à la cour d'infirmer le jugement, de condamner la société Fromagerie de Lons Le Saunier à lui verser la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts et 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur la prescription, il fait valoir que la simple connaissance de la discrimination par le salarié est insuffisante et que le délai démarre à la date de sa révélation. Il considère qu'il n'a disposé des éléments concrets et précis qu'avec le rapport de la Dirrecte du 14 juin 2012 alors qu'avant il ne s'agissait que de simples suspicions qui ne permettaient pas de saisir une juridiction.
Au fond, il soutient qu'il a fait l'objet d'une discrimination tant pour ses opinions politiques que pour son appartenance syndicale.
Il considère comme faits discriminants le gel de sa carrière et les incidences sur sa rémunération soulignant l'absence d'évolution de carrière avec de nombreuses affectations destinées à l'éloigner du personnel et limiter les contacts, l'absence de formation notamment aux nouvelles technologies et le montant de son salaire inférieur de près de 200 euros par rapport au salaire moyen du service mais aussi les rappels à l'ordre, sanctions et mises à l'écart subis.
Dans ses conclusions déposées le 2 septembre 2016, la Sarl Fromagerie de Lons Le Saunier demande à titre principal, la confirmation du jugement estimant l'action prescrite et à titre subsidiaire, elle demande de constater l'absence de toute discrimination et sollicite l'octroi d'une somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au fond, elle conteste l'existence de tout fait discriminant, faisant valoir que M. [Y] a toujours occupé un emploi de tourneur évoluant vers un emploi de mécanicien-tourneur, son coefficient a toujours été le même comme pour d'autres salariés, qu'il n'y a jamais eu de gel salarial, le salaire étant supérieur au minimum conventionnel. Elle précise qu'en 30 ans d'activité, il n'y a eu qu'une sanction, à savoir une mise à pied en 1990. Il a eu des lettres d'observations en 1995 et 2014 pour un différend avec un collègue et un non respect des règles de sécurité. Enfin, elle conteste qu'il ait été isolé rappelant qu'il était au service de la maintenance et qu'il se déplaçait dans toute l'entreprise.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience du 4 novembre 2016.
MOTIFS DE LA DECISION:
Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription:
Il résulte des dispositions de l'article L1134-5 du code du travail que:« L'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination. Ce délai n'est pas susceptible d'aménagement conventionnel '. »
Comme l'indique le Conseil de Prud'hommes, la révélation de la discrimination n'est pas la simple connaissance de la discrimination par le salarié mais correspond au moment où il dispose de tous les éléments de comparaison lui permettant de mettre en évidence la discrimination. A défaut, la discrimination n'est pas considérée comme révélée et la prescription ne joue pas.
M. [Y] soutient que le point de départ de l'action en discrimination est la lettre de la Direccte du 14 juin 2012 qui lui a permis d'obtenir des éléments probants et précis et de qualifier les faits de discriminatoires et que s'il se prévaut de faits antérieurs, il ne s'agissait pour ces derniers que de simples suppositions .
Dans ce courrier du 14 juin 2012 adressé au directeur de l'entreprise qui fait suite à l'enquête réalisée à la suite de la plainte de M. [Y] l'inspecteur du travail conclut que les éléments réunis montrent que le salarié subit un certain isolement et invite l'entreprise à trouver des solutions pour y mettre fin et à justifier du traitement particulier dont l'intéressé fait l'objet dans l'organisation de son temps de travail, l'inspecteur soulignant «le caractère potentiellement discriminatoire de cet isolement».
La société Fromagerie de Lons Le Saunier soutient que M. [Y] se plaint d'être victime de discrimination depuis 1982 et a attendu le 13 décembre 2013 pour saisir le Conseil de Prud'hommes soit des décennies après les premières révélations de la discrimination alléguée et que dès lors son action est prescrite.
Il ressort des pièces produites par M. [Y] lui-même qu'il avait saisi l'inspection du travail par deux courriers des 21 novembre 1996 et 3 novembre 1998 démontrant qu'il avait manifestement conscience de subir une discrimination.
En effet, dans la lettre du 21 novembre 1996 qu'il adresse à l'Inspection du travail, il indique «et cela permettrait à M. [S] de justifier l'énorme écart de salaire que j'ai avec mes collègues. Autres éléments sur mon déroulement de carrière:j'ai été écarté de toute formation concernant toutes technologies nouvelles; je suis interdit de séjour (pas officiellement mais presque) à l'atelier préparation depuis qu' il a posé une question au CE du 8/11/96....».Il termine en s'inquiétant de l'attitude de son employeur qu'il soupçonne de créer les conditions nécessaires pour pouvoir se séparer de lui.
Dans la lettre du 3 novembre 1998 adressée par M. [Y], es qualité de délégué syndical à l'Inspection du travail intitulée «objet: discrimination syndicale», M. [Y] fait état de son isolement par rapport aux autres salariés dans lequel la société le maintient selon lui, de l'absence d'évolution de sa rémunération, l'absence de formation professionnelle proposée voire le refus de stages demandés et ajoute «je ne connais pas exactement les différences de salaire entre mes collègues et moi. Ce que je sais c'est que ma direction n'a jamais démenti les 1500 francs d'écart en ma défaveur... .. Nous pourrons vous apporter d'autres précisions , notamment sur les discriminations que subissent les autres élus de mon syndicat.»
Ainsi ces documents comme l'a retenu le Conseil de Prud'hommes démontrent que M. [Y] n'avait pas seulement connaissance de la discrimination alléguée mais disposait à cette date des éléments de comparaison qui faisaient apparaître celle-ci.
Il en est de même du compte rendu qu'il produit de la réunion du comité d'entreprise du 22 octobre 1998 dans lequel il est indiqué «M. [Y] fait la proposition à la direction d'une réunion extraordinaire en présence de l'Inspection du travail pour en terminer avec les atteintes aux libertés syndicales dans l'entreprise qui se traduisent pour les militants CGT par des marches-arrières dans l'évolution de carrière, des salaires nettement inférieurs et qui sont souvent considérés comme des brebis galeuses.
Mme [O] répond que la direction a pris connaissance du courrier du délégué syndical qui traite de ce problème et peut affirmer pour s'être penchée sur le dossier qu'il n'y a pas de discriminations syndicales dans l'entreprise».
M. [Y] pour prouver les faits discriminatoires produit également aux débats, le courrier du 13 décembre 1993 qu'il a adressé à l'employeur pour contester l'avertissement reçu dans lequel il écrit «1 avertissement pour un seul retard, du jamais vu , c'était une première. Cela ressemble plus à une chasse au Militant syndical que je suis qu'à une sanction qui serait justifiée» ainsi qu'un échange de courriers avec la direction les 21 et 23 juillet 1999 estimant que le travail confié n'était pas conforme à son contrat de travail , la direction soulignant qu'il se sentait persécuté ou encore le 21 décembre 2001 sur sa mise en congés la semaine 52 alors qu'il n'en avait pas demandé ou enfin, l'affiche du 09 décembre 2005 du directeur de l'entreprise qui répond au dernier tract de la CGT en ces termes: « La CGT a, une nouvelle fois atteint le ridicule» , lui reprochant d'avoir fait dans ce tract «la promotion de l'alcool et du tabac», ajoutant: « Enfin, je ne résiste pas à vous citer les propos de M. [Y] tenus sur ce sujet lors de la réunion du CE du 30/09/2005. Ce dernier nous faisait un show dans ce que l'on pourrait nommer le festival du rire»à propos d'un système de vidéosurveillance.
Enfin, il résulte de l' entretien individuel versé par M. [Y] lui-même, du 2/2/2010 que celui-ci évoquait également des faits de discrimination puisque le notateur écrit «a l'impression d'être au placard, souffre de cette situation et souhaite être reconnu au même titre que ses collègues...»
Les pièces ainsi produites qui ont toutes été établies il y a plus de 5 ans démontrent que depuis de nombreuses années, M. [Y] multipliait ses démarches tant auprès de l'Inspection du travail que de l'employeur en se prévalant de faits qu'il qualifiait lui même de discriminatoires et qui sont ceux dont il fait état aujourd'hui pour prouver la réalité de la discrimination alléguée.
Elles démontrent aussi que non seulement M. [Y] avait connaissance de la discrimination qu'il allègue mais qu'il disposait des éléments de comparaison suffisamment probants mettant en évidence la discrimination alléguée au minimum depuis 1998, ce qu'atteste le compte rendu de la réunion du CE du 22/10/1998 et donc depuis plus de cinq ans avant la présente action en justice.
Ainsi et au vu de ces éléments, il ne peut être retenu comme le soutient M. [Y] que la lettre de la Direccte du 14 juin 2012 est le point de départ du délai de prescription dès lors qu'au vu des pièces analysées ci-dessus, cette lettre n'a fait que corroborer les informations déjà en sa possession et n'a pas révélé la discrimination alléguée.
Il convient en conséquence de confirmer la décision du Conseil de Prud'hommes qui par une motivation pertinente a retenu que l'action en réparation du préjudice tiré de la discrimination invoquée était prescrite et irrecevable.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile:
M. [Y] qui succombe dans la présente procédure, sera condamné au paiement des dépens de la procédure d'appel, ce qui entraîne le rejet de sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité ne commande pas d'allouer à l'intimée, une quelconque somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
CONFIRME dans toutes ses dispositions le jugement du Conseil de Prud'hommes de Lons Le saunier du 27 juillet 2015,
Y ajoutant:
CONDAMNE M. [Y] [Y] aux dépens de la procédure d'appel;
REJETTE la demande de la société Fromagerie de Lons Le Saunier au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LEDIT ARRÊT a été prononcé par mise à disposition le 20 décembre 2016 et signé par Mme Chantal PALPACUER, Présidente de Chambre, Magistrat et par Mme Mme Gaëlle BIOT , Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE