COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
1ère Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 28 FEVRIER 2017
A.V
N° 2017/
Rôle N° 15/13804
SCI CARLTON
C/
[V] [E]
[Q] [Y] épouse [E]
Grosse délivrée
le :
à :Me Simon Thibaud
Me Cherfils
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 09 Juillet 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 13/07756.
APPELANTE
SCI CARLTON prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, [Adresse 1]
représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
assistée par Me Jean-Michel OLLIER, avocat au barreau de MARSEILLE,
INTIMES
Monsieur [V] [E], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté par Me Roméo LAPRESA, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Madame [Q] [Y] épouse [E], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée par Me Roméo LAPRESA, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 24 Janvier 2017 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Mme VIDAL, Présidente a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Anne VIDAL, Présidente
Monsieur Olivier BRUE, Conseiller
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Patricia POGGI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Février 2017
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Février 2017,
Signé par Madame Anne VIDAL, Présidente et Madame Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Suivant acte d'huissier en date du 21 août 2013, la SCI CARLTON a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Draguignan M. [V] [E] et Mme [Q] [Y] épouse [E] pour obtenir leur condamnation, au visa des articles L 145-14 du code de commerce et 1351, 1376 et 2224 du code civil, à lui payer la somme de 62.807,63 euros en remboursement des indemnités accessoires à l'indemnité d'éviction versées en application de l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 17 juin 2010, à défaut de réinstallation de ses anciens locataires commerciaux.
Par jugement du 9 juillet 2015, le tribunal de grande instance de Draguignan a déclaré la demande recevable mais a débouté la SCI CARLTON de toutes ses réclamations et l'a condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 1.500 euros aux défendeurs en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a retenu que l'action n'était pas prescrite, le délai de cinq ans de l'action en répétition de l'indu n'ayant couru qu'à compter de la date où le paiement est devenu indu, soit de la condamnation au paiement. Il a considéré par ailleurs que l'autorité de la chose jugée ne s'appliquait pas dès lors que l'action engagée devant lui était fondée sur une autre cause que celle ayant abouti à l'arrêt du17 juin 2010.
Il a cependant jugé que le demandeur en répétition d'indu doit établir que le versement a été indument reçu par le défendeur et qu'en l'espèce la SCI CARLTON ne justifie pas suffisamment de la volonté des défendeurs de ne pas se réinstaller au moment où ils ont réclamé le paiement des indemnités accessoires.
La SCI CARLTON a interjeté appel de cette décision.
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La SCI CARLTON, suivant conclusions signifiées le 27 octobre 2015, demande à la cour, au visa des articles L 145-14 du code de commerce, des articles 1351 et 1376 du code civil et l'article 2224 du même code, de :
Infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Draguignan, sauf en ce qu'il a jugé que sa demande était recevable,
En conséquence,
Condamner M. [V] [E] et Mme [Q] [Y] épouse [E] à lui payer les sommes suivantes :
Indemnité pour trouble commercial : 24.479,13 euros,
Frais de déménagement : 5.000 euros,
Indemnité de réemploi : 33.328,50 euros,
Soit un total de 62.807,63 euros,
Subsidiairement,
Condamner M. [V] [E] et Mme [Q] [Y] épouse [E] à lui payer la somme de 62.807,63 euros à titre de dommages et intérêts,
Les condamner à lui verser la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Elle présente l'argumentation suivante :
C'est le délai de droit commun de l'action en répétition de l'indu qui s'applique et qui court qu'à compter du jour où le paiement est devenu indu ; dès lors, le paiement étant intervenu en novembre 2010, l'action n'était pas prescrite à la date de l'assignation, le 21 août 2013 ;
L'autorité de la chose jugée est écartée par la survenance d'un évènement postérieur au jugement ou révélé postérieurement à celui-ci ;
Sur le fond, il est avéré que M. et Mme [E] ne se sont pas réinstallés mais ont sollicité, dès novembre 2009, le bénéfice de la retraite (ce qu'ils ont reconnu dans leurs conclusions), sans pour autant renoncer aux indemnités accessoires qui ne leur étaient pas dues, ainsi qu'il ressort de l'article L 145-14 du code de commerce ; les époux [E] ne se sont jamais réinstallés et ne produisent aucune pièce permettant de justifier de leur situation et de leur intention de se réinstaller ;
la Cour de cassation a admis la recevabilité du recours du bailleur en remboursement de ces indemnités après avoir rapporté la preuve de la non réinstallation du locataire.
M. [V] [E] et Mme [Q] [Y] épouse [E], en l'état de leurs écritures en réponse signifiées le 22 décembre 2015, demandent à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé la demande de la SCI CARLTON recevable, et statuant à nouveau,
- dire irrecevables les demandes de la SCI CARLTON et en conséquence la débouter de ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement litigieux en ce qu'il a débouté la SCI CARLTON de l'ensemble de ses demandes et en conséquence les déclarer infondées,
- condamner la SCI CARLTON à leur payer la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Ils font valoir les moyens et arguments suivants :
toutes les actions exercées en vertu du chapitre L 145-1 à L 145-60 du code de commerce se prescrivent pas deux ans, en ce compris l'action en répétition de l'indu des sommes payées en application de ces articles ;
c'est à l'époque de la fixation de l'indemnité d'éviction qu'il appartenait à la SCI CARLTON de rapporter la preuve de l'absence de réinstallation du locataire, de sorte que l'action engagée par elle se heurte à l'autorité de chose jugée ;
sur le fond : Mme [E] a fait passer une annonce pour rechercher un fonds de commerce et M. [E] n'a pas fait valoir ses droits à la retraite, de sorte que leur volonté de non réinstallation n'est pas démontrée ; au demeurant, l'action en répétition de l'indu n'est pas ouverte car le paiement n'a pas été fait par erreur mais en vertu d'une décision de justice qui a autorité de chose jugée ; l'action ne pourrait en tout état de cause être ouverte qu'à compter de la date à laquelle le paiement est devenu indu ; or, Mme [E], seule propriétaire du fonds, a demandé le bénéfice du cumul emploi-retraite et est toujours à la recherche d'un fonds de commerce pour se réinstaller ; enfin, le versement n'a pas été reçu sciemment de manière indue, ce qui nécessite pour le demandeur de démontrer qu'à la date du paiement la décision de non réinstallation était avérée.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 10 janvier 2017.
MOTIFS DE LA DECISION :
Attendu que la SCI CARLTON, bailleresse d'un local commercial sis à [Adresse 3], a été condamnée, par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 17 juin 2010, à payer à ses locataires commerciaux, M. [V] [E] et Mme [Q] [Y] épouse [E], diverses indemnités à la suite du non renouvellement du bail :
une somme de 333.285 euros au titre de la valeur marchande du fonds de commerce,
celle de 33.328,50 euros à d'indemnité de remploi,
celle de 24.479,13 euros d'indemnité pour trouble commercial,
celle de 5.000 euros pour frais de déménagement ;
Que la SCI CARLTON réclame la condamnation de M. et Mme [E] à lui restituer la somme de 62.807,63 euros correspondant au total des indemnités de remploi, pour trouble commercial et pour frais de déménagement, sur le fondement de l'article 1376 du code civil, en invoquant leur caractère indu à raison de la non réinstallation des locataires ;
Attendu que le tribunal a fait une juste application des dispositions de l'article 2224 du code civil en retenant que le délai de prescription de l'action en répétition de l'indu engagée par la SCI CARLTON est de cinq ans, cette action étant soumise au délai de prescription de droit commun, quelle que soit la source du paiement indu, et donc même si, comme en l'espèce, les sommes réclamées ont été versées en application des dispositions de l'article L 145-14 du code de commerce ;
Que le point de départ du délai de cinq ans prévu par l'article 2224 du code civil étant le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, la prescription n'était pas acquise à la date de l'assignation, le 21 août 2013, dès lors que les fonds ont été versés en exécution d'une décision du 17 juin 2010, alors que M. et Mme [E] étaient encore dans les lieux ;
Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription ;
Attendu que M. et Mme [E] opposent à la demande de la SCI CARLTON l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 17 juin 2010, en soutenant que c'est à l'époque de la fixation de l'indemnité d'éviction que la SCI CARLTON devait rapporter la preuve de la non-réinstallation de son locataire pour s'opposer aux indemnités dont elle prétend qu'elles ne sont pas dues, alors qu'elles ont été fixées de manière définitive ;
Qu'il apparaît toutefois, en lecture de l'arrêt du 17 juin 2010, que M. et Mme [E] étaient toujours dans les lieux loués à la date de la décision puisqu'ils ont été condamnés au paiement d'une indemnité d'occupation jusqu'à complète libération des lieux, de sorte que la SCI CARLTON ne pouvait avoir connaissance du fait qu'ils n'avaient pas l'intention de se réinstaller et ne pouvait s'opposer aux indemnités que ceux-ci sollicitaient à raison de leur réinstallation ; que la cause de la présente instance, constituée par une action en répétition d'indu fondée sur la constatation de l'absence de réinstallation effective du locataire, est distincte de celle soumise à la cour en 2010 visant à la fixation des indemnités dues à ce locataire qui prétendait vouloir se réinstaller ;
Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a écarté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée ;
Attendu, sur le fond, que l'article L 145-14 du code de commerce prévoit que le bailleur qui refuse le renouvellement du bail commercial doit payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction qui comprend la valeur marchande du fonds de commerce, augmentée éventuellement des frais de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre ;
Que l'indemnité pour trouble commercial est destinée à compenser la perte commerciale pendant la période de réinstallation et que l'indemnité de remploi est destinée à couvrir les frais d'acquisition d'un nouveau fonds, de sorte qu'elles ne sont dues, comme les frais de déménagement qu'à raison de la réinstallation du locataire ; qu'il appartient au bailleur qui conteste en être redevable de rapporter la preuve de la non-réinstallation de son locataire ; qu'en l'espèce, la SCI CARLTON qui réclame la restitution au titre de l'indu des sommes versées à M. et Mme [E] au titre de ces indemnités, a la charge de démontrer que M. et Mme [E] ne se sont pas réinstallés et n'avaient pas la réelle intention de se résintaller lorsqu'ils ont sollicité et encaissé les indemnités ;
Que force est de constater que, plus de six ans après la fixation de l'indemnité d'éviction à leur profit, M. et Mme [E] ne se sont pas effectivement réinstallés dans un nouveau fonds de commerce ;
Qu'il est avéré que M. [E], alors âgé de 73 ans, a sollicité un dossier de retraite auprès de la Carsat du Sud Est le 30 septembre 2011, même s'il n'est pas justifié de la suite donnée à cette demande et de la liquidation de sa retraite ;
Que Mme [E], alors âgée de 67 ans, a fait valoir ses droits à la retraite auprès du RSI Côte d'Azur à compter du 1er janvier 2010, certes, en demandant à bénéficier du régime cumul emploi retraite lui permettant de cumuler sa retraite avec tout autre revenu professionnel ; mais qu'elle ne s'est pas réinstallée et que les quelques justificatifs produits ne permettent pas de considérer qu'elle a recherché sérieusement à se réinstaller ; que les attestations délivrées par l'agence Mont-Blanc Côte d'Azur et par la Sarl FAC faisant état de la recherche par Mme [E] « courant 2012 » et « début 2013 » d'un fonds de commerce à la vente ne sont pas suffisamment précises pour être probantes et pour établir la recherche sérieuse par Mme [E] d'une réinstallation ; que les autre recherches sont toutes postérieures à l'assignation, notamment l'annonce passée le 11 décembre 2015, soit plus de cinq ans après le paiement de l'indemnité d'éviction, ou les démarches effectuées en décembre 2015 auprès de divers commerçants de Sainte Maxime ; que Mme [E] s'est d'ailleurs inscrite à Pole Emploi sur la liste des demandeurs d'emploi en novembre 2014 ;
Qu'il convient en conséquence de constater que la SCI CARLTON démontre l'absence de réinstallation de ses locataires, six ans après le paiement de l'indemnité d'éviction, et l'absence de véritable et sérieuse intention de ceux-ci de se réinstaller, de sorte que sa demande en répétition des sommes versées au titre du trouble commercial, de l'indemnité de remploi et des frais de déménagement doit être accueillie ;
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile,
PAR CES MOTIFS,
la cour statuant publiquement, contradictoirement,
et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la demande de la SCI CARLTON en répétition de l'indu recevable ;
L'infirme pour le surplus de ses dispositions et statuant à nouveau,
Condamne M. et Mme [E] à verser à la SCI CARLTON la somme de 62.807,63 euros correspondant aux indemnités de remploi, de trouble commercial et de déménagement versées indument ;
Les condamne au paiement de la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Les condamne aux dépens d'appel lesquels seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT