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06/12/2019 | FRANCE | N°16/22420

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-2, 06 décembre 2019, 16/22420


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-2



ARRÊT AU FOND

DU 06 DECEMBRE 2019



N° 2019/













Rôle N° RG 16/22420 - N° Portalis DBVB-V-B7A-7W7Y







SA AIR FRANCE





C/



[C] [J]













Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Emilie MILLION-

ROUSSEAU, avocat au barreau de MARSEILLE



Me Géraldine LESTOURNELLE, avocat au barreau de MARSEILLE











Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES en date du 06 Décembre 2016 enregistré au répertoire général sous le n° F14/00470.





APPELANTE



SA AIR FRANCE prise en la personne de son représentant légal...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-2

ARRÊT AU FOND

DU 06 DECEMBRE 2019

N° 2019/

Rôle N° RG 16/22420 - N° Portalis DBVB-V-B7A-7W7Y

SA AIR FRANCE

C/

[C] [J]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Emilie MILLION-

ROUSSEAU, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Géraldine LESTOURNELLE, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES en date du 06 Décembre 2016 enregistré au répertoire général sous le n° F14/00470.

APPELANTE

SA AIR FRANCE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Emilie MILLION-ROUSSEAU de la SELARL RACINE, avocat au barreau de MARSEILLE et Me Maxime HOULES, avocat au barreau de PARIS

INTIME

Monsieur [C] [J]

né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 4], demeurant Chez Mme [N] [Adresse 6]

représenté par Me Géraldine LESTOURNELLE, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 09 Octobre 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Rose-Marie PLAKSINE, Président de chambre, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Rose-Marie PLAKSINE, Président de chambre

Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Nadège LAVIGNASSE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Décembre 2019.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Décembre 2019,

Signé par Madame Rose-Marie PLAKSINE, Président de chambre et Mme Nadège LAVIGNASSE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

I. FAITS. PROCÉDURE.PRÉTENTIONS DES PARTIES.

Par contrat à durée indéterminée du 17 juillet 1998, Monsieur [C] [J] a été embauché par la société Air France en qualité de steward, membre du personnel navigant commercial (PNC), (pièce n° 1). Par avenant à son contrat de travail, Monsieur [C] [J], a, à compter du 1er janvier 2001, exercé son activité dans le cadre de la formule du « temps de travail alterné».

A compter du 23 janvier 2012, Monsieur [C] [J] a été affecté à la base de [Localité 7].

Le 29 juillet 2013 alors qu'il était affecté sur le vol [Localité 7]-[Localité 5] AF 7600, il a été reproché à Monsieur [C] [J] d'avoir :

- refusé le service en cabine,

- débarqué à [Localité 7] et d'avoir quitté la rotation.

Le 25 septembre 2013, Monsieur [C] [J] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 23 octobre 2013.

Lors du conseil de discipline du 28 novembre 2013, 3 de ses membres ont voté pour un licenciement pour faute grave sans préavis ni indemnité et 3 de ses membres ont voté contre cette sanction.

Le 19 décembre 2013, la société Air France a notifié à Monsieur [C] [J] son licenciement pour faute grave sans préavis ni indemnité de licenciement.

Par courrier en date du 22 janvier 2014, la société Air France a confirmé à Monsieur [C] [J] le licenciement pour faute grave prononcé initialement.

Par jugement du 6 décembre 2016, le conseil de prud'hommes de Martigues - section commerce-a notamment :

- Retenu que le licenciement de Monsieur [C] [J] reposait sur une cause réelle et sérieuse ;

- Condamné en conséquence, la société Air France au paiement des sommes suivantes :

- 44.695,85 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- 6.481,56 euros à titre d'indemnité de préavis ;

- 648,15 euros à titre d'indemnité congés payés y afférent ;

- 1.500 euros à titre d'indemnité pour frais de procédure en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Rejeté le surplus des demandes de M. [J] ;

- Rejeté la demande de la société Air France pour frais de procédure.

La société Air France a interjeté appel.

~*~

Les parties ont exposé leur demande ainsi qu'il suit, étant rappelé qu'au visa de l'article 455 du code de procédure civile, l'arrêt doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens :

La société Air France sollicite que le moyen de péremption de l'instance soit écarté et que le jugement soit infirmé afin que soit retenue la faute grave, avec rejet de l'intégralité des demandes et condamnation de Monsieur [C] [J] à lui verser la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [C] [J] conclut au visa de l'article 386 et suivants du code de procédure civile, des articles 1232-10 et suivants, L.4131-1 et L.4131-3 du code du travail, 1353 du code civil (ancien article 1315 du code civil) à :

- la péremption de l'instance in limine litis,

- à défaut au rejet de l'ensemble des demandes de la compagnie Air France,

- la confirmation du jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement intervenu était dénué de

faute grave, et condamné Air France à lui payer les sommes de 44.695,85 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 6.481,56 euros à titre d'indemnité de préavis et de 648 euros à titre d'indemnité congés payés y aff érent,

'reconventionnellement,

- à un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et abusif,

- la condamnation de la Société Air France à lui régler la somme de 55 040 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- l'attribution de 5 déplacements à gratuité partielle par an,

- la condamnation de la société Air France à lui verser la somme de 4000 euros au titre de l'art. 700 du code de procédure civile.

II. MOTIVATION.

A. Sur la péremption.

Monsieur [C] [J] se prévaut de la péremption de l'instance en raison du défaut de diligence de l'appelante, laquelle a :

- interjeté appel le 15 décembre 2016,

- conclu le 14 mars 2017,

- n'a fait aucune diligence depuis le 11 mai 2017, date à laquelle l'intimé a conclu,

- l'avis de clôture ayant été rendu le 20 juin 2019.

la société Air France répond à bon droit que si l'article R 1452-8 du code du travail a été abrogé par le décret numéro 2016/660 du 20 mai 2016, l'article 45 de ce décret prévoit que la disposition est applicable aux instances introduites devant le conseil de prud'hommes avant le 1er août 2016.

Ledit article 45 dispose en effet que les «articles 8, 12 et 23 sont applicables aux instances introduites devant les conseils de prud'hommes à compter du 1er août 2016 ».

L'article 8 du décret étant relatif à l'abrogation de l'ancienne péremption d'instance, il convient de faire application de l'article R 1452-8 du code du travail pour toute instance introduite devant le conseil de prud'hommes avant le 1er août 2016, et des articles 386 et suivants du code de procédure civile pour toute instance introduite à compter de cette date.

La saisine du conseil de prud'hommes de Martigues ayant eu lieu le 27 avril 2014, l'article R 1452-8 du code du travail est applicable au présent litige.

La cour n'ayant imposé aux parties aucune diligence, le délai de péremption n'a pas couru. Le moyen tiré de la péremption sera ainsi rejeté.

B. Le licenciement.

La société Air France fait valoir que le manquement de Monsieur [C] [J] à ses obligations professionnelles constitue une faute grave, ce suite à :

1) l'insubordination très grave de Monsieur [C] [J] le 29 juillet 2013 à l'encontre de ses supérieurs hiérarchiques le chef de cabine et le commandant de bord, lesquels sont seuls aptes à apprécier les conditions de sécurité en vol, qu'en effet, il a d'une part, refusé à 2 reprises d'appliquer les directives du chef de cabine lui demandant de reprendre le service, et a d'autre part, refusé d'accéder à la demande du commandant de bord de reprendre le service, et àlui indiquant l'absence de turbulences et les conditions météo favorables jusqu'à la fin du vol ; Monsieur [C] [J] ayant persisté dans son refus, son opposition et son insolence, ce en violation des dispositions du code des transports et du Manex.

2) à son refus d'exécuter ses tâches en qualité de personnel navigant commercial, lequel doit assumer ses fonctions de service ainsi que ses fonctions de sécurité, les PNC devant reprendre le service après accord des pilotes dès la fin des turbulences ; le tout ayant désorganisé le fonctionnement de l'équipage à bord.

Ele ajoute que :

'Monsieur [C] [J] a fait l'objet de 6 rapports dont certains relatifs à des faits d'insubordination (10 août 2009, 10 février 2010, 16 février 2010, 21 avril 2012) et de 4 sanctions (un avertissement le 24 novembre 2003, une mise à pied de 2 jours sans solde le 1er juin 2011, une mise à pied de 5 jours sans solde de 15 jours),

' le comportement de Monsieur [C] [J] ne pouvait pas être justifié par l'exercice d'un droit de retrait : il a refusé de reprendre le service en vol, a débarqué à [Localité 7] et refusé de repartir vers [Localité 3], mais a accepté de repartir vers [Localité 10]-[Localité 9] dans les mêmes conditions météorologiques ; le personnel navigant commercial ne dispose pas d'un droit individuel de retrait une fois qu'il est sous l'autorité du commandant de bord (avis du conseil d'État du 12 mars 1985, retenant que selon le code de l'aviation civile, le commandant de bord est le seul à pouvoir décider si un aéronef est en mesure d'exécuter la mission qui lui est assignée sans créer un danger pour la sécurité ou la santé des membres de l'équipage des passagers, et un membre de l'équipage ne peut pas se prévaloir des dispositions des articles L231-8 et L231-8.1 du code du travail pour se retirer de sa situation de travail pendant l'exécution d'une mission de service aérien), la répartition des compétences à bord ne peut être remise en cause, un PNC ne peut invoquer sa propre sécurité, oubliant celle des passagers dont il a la charge, en allant à l'encontre des décisions prises par le commandant de bord, lors du vol du 29 juillet 2013, Monsieur [C] [J] ne pouvait à aucun moment pensé qu'il devait prendre seule une décision pour assurer sa sécurité, qu'en sa qualité de PNC, il est responsable de l'application rigoureuse des tâches qui lui sont confiées en rapport avec la sécurité de l'avion et de ses occupants.

Monsieur [C] [J] conclut à la confirmation du jugement car :

'il était fondé à invoquer une clause de fatigue (un membre de l'équipage peut s'abstenir d'exercer ses fonctions s'il ressent une déficience quelconque de nature à lui faire voir qu'il ne remplit pas les conditions d'aptitude nécessairesà à cet exercice), et le droit de retrait (s'il pense que la situation présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé),

'la société Air France avait besoin d'un motif pour se séparer de lui et a détourné les faits du 29 juillet 2013 pour établir un nouveau grief permettant de justifier son licenciement,

' les conditions météorologiques du 29 juillet 2013 ont été particulièrement mauvaises dans toute la région Sud-Est, causant un grand nombre de noyades, privant 30 000 foyers d'électricité et contraignant le maire de [Localité 8] à déclarer la ville en état de catastrophe naturelle, causant 13 morts en France : le droit de retrait est individuel et le salarié n'a pas à prouver la réalité du danger, il avait un motif raisonnable de penser qu'un danger existait,

' l'article 2-1-2 du règlement intérieur prévoit que la gravité de la faute est appréciée en fonction des circonstances, de la nature des fonctions assurées par le salarié et de la mesure dans laquelle il a compromis la sécurité, la régularité le bon fonctionnement des services ; l'article 3-2 de l'annexe II définit les sanctions, et la société Air France a appliqué l'avant-dernière plus lourde sanction, sans tenir compte de sa bonne foi et sans justifier d'une mise à l'écart sans préalable et de l'impossibilité de le maintenir à son poste, la Cour de Cassation retenant que l'exercice fondé d'un droit de retrait ne caractérise pas l'existence d'une faute grave mais constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Reconventionnellement, il conclut à la réformation du jugement car, victime de la crise d'Air France, il n'a pas commis de faute grave, ayant la plupart du temps fait preuve de sérieux, et eu à de nombreuses reprises des félicitations, qu'il a des connaissances en aéronautique et a une licence de pilote, qu'il a même reçu une promotion alors qu'il était licencié, que la société Air France qui annonce depuis plusieurs années une grande vague de licenciements et des réductions d'effectifs, a procédé à un licenciement disproportionné pour une cause dénuée de sens, moins coûteux qu'une indemnité pour départ volontaire ou mise en 'uvre d'un PSE.

~*~

La lettre de licenciement est ainsi libellée :

« ['] les explications que vous nous avez fournies lors de notre entretien n'étant pas de nature à modifier notre appréciation, nous avons informé le 8 novembre 2013 la convocation d'un conseil de discipline.

Le 28 novembre 2013, un conseil de discipline s'est tenu, conformément aux dispositions du règlement intérieur, et a émis un avis sur la sanction envisagée : le licenciement pour faute grave. Après avoir pris connaissance du procès-verbal de ce conseil, nous avons décidé de prononcer votre licenciement pour faute grave, sans indemnité de licenciement préavis.

Cette décision repose sur les faits suivants :

Le 29 juillet 2013, vous étiez en fonction sur le vol AF 76000 [Localité 7] [Localité 5]. Après une interruption du service due aux turbulences, votre hiérarchie, le Chef de Cabine, après autorisation du Commandant de bord, vous a contacté par interphone pour vous inviter à reprendre le service des prestations.

Vous avez refusé de vous détacher de votre siège alléguant la poursuite de turbulences. Le chef de cabine a dû se déplacer pour vous convaincre de réaliser le service sans succès. Malgré un contact avec le Commandant de Bord, vous faisant observer que les turbulences avaient cessé, vous avez réitéré votre refus. Ces nombreux échanges pour tenter de vous faire reprendre le service et votre indisponibilité n'ont pas permis d'offrir les prestations prévues à nos clients. De plus, en demeurant attaché durant tout le reste du vol et en ne portant plus votre insigne sécurité vous n'avez plus assuré votre mission sécurité comme stipulé dans les référentiels réglementaires.

Cette remise en cause tant de l'autorité du chef de cabine que du Commandant de bord - responsable de la sécurité des membres d'équipage et des passagers, conformément au Manex A, est inadmissible d'autant que vous avez déjà fait l'objet d'une mise à pied de 15 jours notifiée le 2 octobre 2012 pour menaces proférées à l'encontre de votre chef de cabine à l'occasion d'une mission en vol .

Cette remise en cause tant de l'autorité du chef de cabine que du commandant de bord-responsable de la sécurité des membres d'équipage et des passagers, conformément au Manex A, est inadmissible d'autant que vous avez déjà fait l'objet d'une mise à pied de 15 jours notifiée le 2 octobre 2012 pour menaces proférées à l'encontre de votre chef de cabinet à l'occasion d'une mission en vol.

Nous vous rappelons que, conformément au règlement intérieur, vous avez la possibilité de présenter un recours gracieux par la voie hiérarchique auprès du directeur général adjoint en charge des ressources humaines et de la politique sociale, Monsieur [A] [M].

Si vous souhaitez user de cette faculté de recours gracieux, veuillez m'adresser votre demande par écrit accompagner de toutes justifications utiles, dans un délai maximum de 10 jours calendaires à compter de la première présentation de cette modification, à l'adresse suivante

[']

A l'issue de l'examen du recours gracieux, nous vous adresserons àune notification faisant état de la décision du directeur général adjoint.

Si vous ne formulez pas de recours gracieux, nous vous adresserons une notification définitive de licenciement à l'expiration du délai de 10 jours précité.».

~*~

Monsieur [C] [J] s'est aux termes de l'article 5 de son contrat de travail du 17 juillet 1998, notamment engagé «à respecter les prescriptions des manuels et à appliquer les consignes et instructions particulières de travail qui vous seront donnés».

Il ne conteste pas avoir refusé de se détacher lors des turbulences du vol du 29 juillet 2013 et de procéder au service des boissons. La société Air France n'indique pas un texte légal excluant le personnel navigant commercial du droit de retrait prévu par le code du travail.

Il incombe à Monsieur [C] [J] de rapporter la preuve d'avoir exercé dans les conditions légales, d'une part son droit d'abstention, et d'autre part son droit de retrait.

Sur le droit d'abstention, celui-ci peut être invoqué par le salarié qui justifie d'un motif raisonnable de penser que son état de santé l'empêchait d'effectuer le vol (article 3.1.3 de l'annexe I du décret n° 91-660 du 11 juillet 1991 qui prévoit que tout membre de l'équipage doit s'abstenir d'exercer ses fonctions dès qu'il ressent une déficience quelconque de nature à lui faire croire qu'il ne remplit pas les conditions d'aptitude nécessaires à l'exercice de ses fonctions ). Sur ce point, Monsieur [C] [J] ne donne aucun élément, l'ensemble des documents produits aux débats ne faisant pas ressortir qu'il se trouvait dans un état de santé ou de fatigue particulier. Il convient d'écarter ce moyen.

Sur le droit de retrait, les articles L.4131-1et L.4131-3 du code du travail disposent :

' d'une part, que le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d'une telle situation.

L'employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection,

' et d'autre part, qu'aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux.

Il appartient à Monsieur [C] [J] de justifier du motif raisonnable qu'il avait de penser, de bonne foi, que le maintien à son poste de travail présentait un danger grave et imminent pour sa santé, que cette appréciation doit être faite au regard du comportement qu'aurait pu avoir un autre salarié placé dans les mêmes circonstances.

Monsieur [C] [J] est steward personnel navigant commercial depuis 1993, soit depuis 15 ans à la date du 22 juillet 2013. Il indique que les conditions météorologiques étaient telles qu'il y avait danger grave et imminent.

Cependant, ses observations relatives au grand nombre de noyades, aux coupures d'électricité pour 30 000 foyers d'électricité, à la déclaration de l'état de catastrophe naturelle par le maire de [Localité 8] et à la survenance de 13 décès en France ce jour-là, sont des informations d'ordre général, qui ne présentent aucun lien direct avec les circonstances précises du vol AF 7600 allant de [Localité 7] à [Localité 5]. En outre, il n'est évoqué aucun accident ou difficulté majeure concernant un vol aérien ce jour-là et dans cette région.

En outre, Monsieur [C] [J] ne peut sérieusement indiquer qu'installé à l'arrière de l'avion, il ressentait des sensations intensifiées de turbulences qui l'ont fait avoir un motif raisonnable de penser qu'un danger existait. En effet, si le manque d'expérience d'un débutant peut l'amener à penser en ce sens, il convient de constater que l'intimé est un stewart expérimenté en fonction depuis 15 ans, nécessairement habitué à des conditions de vol très variables, lui permettant de penser que les sensations ressenties étant majorées du fait de son installation à l'arrière de l'appareil, ne caractérisaient pas un danger réel. Le fait dont il se prévaut de détenir une licence de pilote et d'avoir des connaissances en aéronautique ne saurait être pris en compte, sa fonction à bord de l'avion étant celles non d'un commandant de bord mais d'un PNC.

Alors que tant le chef de cabine que le commandant de bord lui ont indiqué que les turbulences s'étaient calmées, que Monsieur [C] [J] ne prétend pas que le chef de cabine et le commandant de bord étaient des personnes dont l'avis n'était pas autorisé ou fiable, qu'aucun autre membre de l'équipage ne s'est comme lui opposé à la reprise du service des boissons, il convient de retenir que ne sont pas établis la bonne foi de Monsieur [C] [J] et le motif raisonnable de croire en l'existence d'un danger grave et imminent le jour des faits.

Le droit de l'intimé au retrait au sens des articles L. 4131-1et L4131-3 du code du travail ne doit pas être retenu.

Monsieur [C] [J] n'étant fondé à invoquer ni l'abstention ni un droit de retrait, il convient de déterminer si le licenciement pour faute grave est fondé.

Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail applicables au présent litige que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement. La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis. L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

La société Air France se prévaut de :

'l'article L6522-3 du code des transports aux termes duquel notamment «le commandant de bord a autorité sur toutes les personnes embarquées. »,

'l'article 1.5.1 de l'annexe 3 du règlement intérieur sur les dispositions propres au personnel navigant commercial, indiquant que dans l'exécution des tâches qui lui sont confiées, le personnel doit respecter les instructions données par la hiérarchie ainsi que les procédures de travail défini par les Manuel techniques,

- du MANEX A qui prescrit le rôle des intervenants à bord de l'avion ainsi qu'il suit :

1) le commandant de bord est seul responsable de l'exécution des vols qui lui sont affectés, a autorité sur toutes les personnes embarquées, à autorité pour donner tous les ordres qui lui semblent nécessaires pour assurer la sécurité des biens et personnes transportées, doit s'assurer que tous les membres d'équipage remplissent leurs fonctions de manière appropriée, s'assure du respect des procédures du Manex, est responsable depuis son arrivée à bord jusqu'à ce qu'il quitte l'avion à la fin du vol, de la sécurité des membres d'équipage, passagers et fret qui se trouvent à bord, assume l'ensemble des décisions concernant le départ, la poursuite ou l'interruption du vol, et dans ce cadre, ces décisions s'imposa l'équipage ainsi qu'aux personnes en charge du traitement de la touchée,

2) le chef de cabine encadre et anime une équipe de PNC pour assurer la sécurité du vol et l'activité du service, il développe la conscience du risque de ses équipes, ils relaie auprès du commandant de bord de façon actualisée les informations sur le déroulement du vol,

3) chaque membre d'équipage est responsable de l'application rigoureuse des tâches qui lui sont confiées en rapport avec la sécurité de l'avion et de ses occupants et en respect des procédures décrites dans le Manex AF, soutient le commandant de bord, en montrant l'exemple dans le développement d'un niveau d'expertise élevée au sein de l'équipage, prévient immédiatement le commandant de bord en cas d'anomalie à la sûreté ou à la sécurité, limite au maximum les interruptions de tâches dans le cockpit, en particulier pendant la préparation du vol.

Monsieur [G] [I], chef de cabine, a attesté que « nous décidons au poste d'une reprise du service. Il n'y a plus à ce moment de turbulences en cabine, les conditions sont réunies pour reprendre le service. [C] [J] occupant le poste P2 et se trouvant à l'office arrière je le préviens via l'interphone. La réponse d'[C] [J] est nette et précise, non il ne reprendra pas le service. Vu le ton employé je me déplace à l'arrière de la cabine pour en savoir plus. Installé et ceinturé sur le siège dédié à P2 avec sa veste d'uniforme sans insignes (ni ailes ni insigne sécurité) il me réitère fermement son refus de reprendre le service. Il commence à m'expliquer que ses connaissances aéronautiques et sa licence de pilote justifient sa position.

Je l'interromps pour lui rappeler le lien hiérarchique et que je n'apprécie ni le contenu ni le ton employé et qu'il devrait changer d'attitude. Je lui rappelle que lors du début du service, j'ai interrompu le service à mon initiative compte tenu des turbulences. L'avis du CDB justifie la reprise du service (') le service ne reprendra pas (')

Le refus des consignes est marqué sans ambiguïté deux fois. Mes explications n'emportant aucun changement de comportement ».

Monsieur [Z] [Y], commandant de bord, a attesté ainsi qu'il suit : « Au bout de quelques minutes, le chef de cabine revient me voir au poste, en me faisant part de son altercation avec le PNC [C] [J]. En effet, celui-ci refuse de faire le service, il reste assis attaché sur son siège de structure. (')

Quelques minutes plus tard, je reçois un appel de l'arrière de l'appareil alors que les consignes sont maintenant éteintes. Le vol est très légèrement turbulent. C'est le PNC [J] qui m'appelle et me dit qu'à l'arrière cela bouge beaucoup et qu'il refuse de se détacher pour faire le service. Il me dit qu'il en va de sa propre sécurité. Je lui fais alors remarquer qu'au moment de son appel il n'y a pas de turbulence, et que les conditions météo resteront favorables jusqu'à la fin du vol, ce qui sera effectivement le cas. Il persiste néanmoins dans son attitude (')

J'ai ensuite la visite de l'intéressé au poste de pilotage, porte de cockpit fermée. Celui-ci m'explique son comportement, de façon très théâtrale. Il m'explique notamment qu'il a des notions d'aéronautiques, et qu'il a préféré ne pas assurer le service pour préserver sa propre sécurité. Il insiste aussi beaucoup sur le fait qu'il a 43 ans et une longue expérience de Stewart. Contrairement au chef de cabine qui est jeune, et, selon son propos, a besoin d'affirmer son autorité.

Il me fait part aussi de son étonnement quant à la réaction visiblement offusquée du chef de cabine quand il lui a dit qu'il resterait assis pour le reste du vol. Je suis alors en face de quelqu'un de déterminé, qui a visiblement besoin de justifier son comportement, et semble être plus motivé par son incompatibilité de caractère avec le chef de cabine que par sa propre sécurité. Devant sa détermination et le retard que nous avons, je ne souhaite pas polémiquer et le laisse repartir en cabine ».

Monsieur [C] [J] ne soutient pas que les affirmations du chef de cabine et du commandant de bord sont erronées. Alors que le droit de retrait et le droit d'abstention invoqués ont été ci-dessus écartés, le comportement de Monsieur [C] [J] de refus de reprendre le service conformément aux ordres de ses supérieurs hiérarchiques constitue un acte injustifié d'insubordination.

La société Air France justifie de l'existence d'un précédent disciplinaire survenu dans les 3 années précédant le 29 juillet 2013 et rappelé dans la lettre de licenciement, tous autres évènements ne pouvant être pris en considération par la cour. En effet, un rapport très détaillé concernant une rotation du 21 avril 2012 émanait de Monsieur [F] [T], chef de cabine, concernant la menace de Monsieur [C] [J] de ne pas assurer la rotation si sa fille n'était pas admise sur le vol en JPS, l'arrivée décontractée et séparée du reste de l'équipage 10 minutes avant l'embarquement, les manquements à ses obligations de sécurité au cours du vol , une attitude agressive envers son supérieur hiérarchique à bord de l'appareil et devant les passagers, ayant contraint le commandant de bord d'intervenir à 2 reprises pour lui rappeler les règles hiérarchiques, le comportement adéquat et la synergie, une menace sur son supérieur hiérarchique après le vol et en présence des autres PN et du commandant de bord ; le commandant de bord Monsieur [D] [X] a confirmé ces indications, attestant de sa demande à Monsieur [C] [J] d'accepter sa subordination ou chef de cabine et son engagement de ne pas faire des clans doit, « le reste de la rotation se passera cahin-caha, pas d'éclats de voix mais une communication très tendue entre les protagonistes. Monsieur [T] tentera sans succès de faire entendre raison à M.à l'issue du dernier débarquement», et d'une discussion longue avec Monsieur [C] [J] qui lui a confirmé avoir dit au chef de cabine « si j'ai des problèmes Air France, tu en auras aussi », et avoir dit à Monsieur [C] [J] «qu'il ne pouvait accepter un tel comportement de sa part, qu'il devait faire son autocritique sur le déroulement de la journée et s'atteler à être irréprochable et respecter la hiérarchie pour prouver à tous que cette journée n'aura été qu'une regrettable exception . J'ai le sentiment qu'il a été réceptif à mes arguments.»

Monsieur [C] [J] ne conteste pas avoir fait l'objet d'une mise à pied de 15 jours notifiée le 2 octobre 2012.

L'appelant a le 29 juillet 2013 fait preuve à nouveau d'insubordination, et refusé d'accomplir tant ses fonctions commerciales que ses fonctions de sécurité. Sur ce point, la société Air France rappelle à juste titre qu'après la fin des turbulences, il revient au PNC de s'assurer de la sécurité des passagers, ce que Monsieur [C] [J] n'a pas fait puisque soucieux de sa seule sécurité, il a refusé de quitter son siège à l'arrière de l'avion.

L'incapacité de Monsieur [C] [J] à se mettre en conformité avec les règles professionnelles s'imposant à lui, et la désorganisation du fonctionnement de l'équipage provoqué par son comportement établissent l'impossibilité de maintenir le contrat de travail. Nonobstant les lettres de félicitations des 30 août, 3 septembre et 3 octobre 2013 (sur lesquelles il n'est pas donné de précision, notamment si elle concernait l'ensemble de l'équipage ou en particulier Monsieur [C] [J]), et l'avancement au 1er janvier 2014 au statut de steward première classe, la faute grave reprochée à Monsieur [C] [J] se trouve caractérisée et l'ensemble des demandes de Monsieur [C] [J] doit être rejeté.

Par suite, le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu que le licenciement de Monsieur [C] [J] reposait sur une cause réelle et sérieuse ; et condamné la société Air France au paiement d'indemnités de préavis, de congés payés afférents et d'indemnité conventionnelle de licenciement et pour frais de procédure en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

~*~

L'équité impose de condamner Monsieur [C] [J] à payer à la société Air France somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La demande à ce titre de Monsieur [C] [J] sera rejetée.

Ce dernier sera également condamné aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, et après en avoir délibéré conformément à la loi,

REJETTE le moyen de péremption;

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

STATUANT À NOUVEAU ET Y AJOUTANT,

DIT que le licenciement du 19 décembre 2013 est causé par une faute grave ;

REJETTE l'ensemble des demandes de Monsieur [C] [J] ;

Le CONDAMNE à payer à la société Air France la somme de 1500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Le CONDAMNE aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-2
Numéro d'arrêt : 16/22420
Date de la décision : 06/12/2019

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 9B, arrêt n°16/22420 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-12-06;16.22420 ?
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