TRIBUNAL JUDICIAIRE
D’EVRY
3ème Chambre
MINUTE N°
DU : 12 Août 2024
AFFAIRE N° RG 22/02421 - N° Portalis DB3Q-W-B7G-ORKZ
NAC : 50G
CCCRFE et CCC délivrées le :________
à :
la SELARL BORRELLO-MARTIN,
Me David RICCARDI
Jugement Rendu le 12 Août 2024
ENTRE :
Monsieur [T] [F] [W],
demeurant [Adresse 1]
représenté par Maître David RICCARDI, avocat au barreau de PARIS plaidant
DEMANDEUR
ET :
Monsieur [Z] [M],
né le 06 Septembre 1991 à [Localité 3] (HAÏTI),
demeurant [Adresse 2]
représenté par Maître François Natale BORRELLO de la SELARL BORRELLO-MARTIN, avocats au barreau d’ESSONNE plaidant
Madame [G] [L] épouse [M],
née le 12 Janvier 2000
à [Localité 4] (92)
demeurant [Adresse 2]
représentée par Maître François Natale BORRELLO de la SELARL BORRELLO-MARTIN, avocats au barreau d’ESSONNE plaidant
DEFENDEURS
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Laure BOUCHARD, Juge,siégeant à Juge Rapporteur avec l’accord des avocats ;
Magistrats ayant délibéré :
Président : Sandrine LABROT, Vice-Présidente,
Assesseur : Laure BOUCHARD, Juge,
Assesseur : Béatrice MARTIN DE MEREUIL, Juge,
Assistées de Tiphaine MONTAUBAN, Greffière lors des débats à l’audience du 03 Juin 2024 et lors de la mise à disposition au greffe.
DÉBATS :
Vu l’ordonnance de clôture en date du 19 Décembre 2023 ayant fixé l’audience de plaidoiries au 03 Juin 2024 date à laquelle l’affaire a été plaidée et mise en délibéré au 12 Août 2024.
JUGEMENT : Rendu par mise à disposition au greffe,
Contradictoire et en premier ressort.
EXPOSÉ DU LITIGE
Aux termes d’un compromis de vente conclu le 30 septembre 2021, Monsieur [Z] [M] et Madame [G] [L] épouse [M] se sont engagés à acquérir un immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 6] (91), auprès de Monsieur [T] [W], avec le concours de [I] [J] immobilier en qualité de mandataire.
Cet acte prévoyait une date de réitération authentique à partir du 15 janvier 2022.
Par courrier du 21 février 2022, Monsieur [T] [W] a mis en demeure les époux [M] d’exécuter le compromis de vente dans un délai de dix jours.
Par courrier du 4 mars 2022, Monsieur [T] [W], par l’intermédiaire de son conseil, a notifié la résiliation unilatérale du compromis de vente aux époux [M], les mettant en demeure de lui verser la somme de 29.000 Euros en application de la clause pénale contenue à l’acte.
C’est dans ces conditions que Monsieur [T] [W] a fait assigner par actes d’huissier du 21 avril 2022 Monsieur [Z] [M] et Madame [G] [L] épouse [M] devant le tribunal judiciaire d’Evry.
Aux termes de ses dernières écritures régularisées par voie électronique le 19 juin 2023, Monsieur [T] [W] demande au tribunal de :
- CONSTATER la résolution de la promesse synallagmatique de vente conclue entre les parties le 30 septembre 2021 ;
- CONDAMNER Madame et Monsieur [M] à lui payer la somme de 29.000 euros en application de la clause pénale contenue dans ledit contrat ;
- DIRE que cette somme produira intérêts à compter du 15 janvier 2022, date de la demande de paiement ;
- ORDONNER la capitalisation des intérêts à chaque échéance annuelle ;
- CONDAMNER Madame et Monsieur [M] aux entiers dépens ;
- REJETER les demandes reconventionnelles des défendeurs ;
- CONDAMNER Madame et Monsieur [M] à leur payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- RAPPELER que le jugement à intervenir sera exécutoire de droit, nonobstant appel.
Monsieur [T] [W] fonde ses demandes sur les articles 1103, 1589 et 1304-3 du code civil et soutient qu’aux termes du compromis de vente, il pesait sur les défendeurs une obligation de déposer des demandes de prêt à des conditions précises et notamment un taux maximal de 2%, avant le 30 novembre 2021, et justifier des diligences accomplies en ce sens.
Le demandeur soutient que les époux [M] ont fait échec à la réalisation de la condition suspensive d’obtention de prêt, puisqu’ils ont décidé de demander des prêts à un taux inférieur que le taux contractuellement prévu et qu’ils n’ont pas communiqué deux demandes de prêt dans le délai contractuellement imparti.
Aux termes de leurs dernières écritures régularisées par voie électronique le 2 octobre 2023, Monsieur [Z] [M] et Madame [G] [L] épouse [M] (ci-après « les époux [M] ») demandent au tribunal de :
- REJETER les demandes de Monsieur [W],
- CONDAMNER Monsieur [W] à verser aux époux [M] la somme de 5.000 Euros au titre de la restitution d’acompte,
- CONDAMNER Monsieur [W] au paiement de la somme de 5.000 Euros à titre de dommages intérêts,
- CONDAMNER Monsieur [W] à payer aux époux [M] la somme de 3.000 Euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Les époux [M] font valoir qu’ils ont sollicité trois établissements financiers qui ont leur ont tous refusé le prêt.
Ils soutiennent que s’ils ont sollicité des prêts à des taux inférieurs à 2%, cela ne contrevenait pas aux dispositions contractuelles qui faisaient uniquement état d’un taux maximum à 2%.
Les défendeurs font valoir que s’ils ont transmis les refus de demandes de prêt au-delà du délai contractuellement fixé, ce retard ne leur est pas imputable, les banques ayant tardé à leur répondre.
A titre reconventionnel, ils sollicitent la restitution de l’acompte qu’ils ont versé.
Ils sollicitent par ailleurs des dommages intérêts, soulignant que le bien immobilier a été remis en vente et a trouvé preneur au cours de l’année 2022, la procédure apparaissant dès lors comme abusive.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions précitées des parties pour ce qui concerne l’exposé détaillé de leurs moyens et prétentions.
La clôture est intervenue le 19 décembre 2023 et l’affaire a été fixée pour être plaidée le 3 juin 2024. Le dépôt de dossier a été autorisé.
Les parties présentes ont été avisées lors de la clôture des débats de la date à laquelle la décision serait rendue par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il sera précisé qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes tendant à voir constater ou dire et juger qui ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, mais relèvent des moyens au soutien des prétentions des parties.
1. Sur la résolution du compromis de vente et le paiement de la clause pénale
Aux termes de l’article 1103 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Selon l'article 1304 du code civil, l'obligation est conditionnelle lorsqu'elle dépend d'un événement futur incertain et la condition est suspensive lorsque son accomplissement rend l'obligation pure et simple.
L'article 1304-3 du code civil dispose que la condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l'accomplissement.
Le défaut de diligence et l'abstention fautive du débiteur de l'obligation sont constitutifs de faits de nature à empêcher l'accomplissement de la condition suspensive.
Ainsi, en matière de compromis de vente, il appartient à l’acquéreur d’un bien immobilier de démontrer qu’il a sollicité un prêt conforme aux caractéristiques définies dans la promesse de vente. Faute d’avoir demandé l’octroi d’un tel prêt, la condition suspensive doit être réputée accomplie par application de l’article 1304-3 du code civil.
Par ailleurs, il convient de rappeler que selon l’article 1231-5 du code civil, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre.
Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
Il y a lieu de rappeler que la pénalité conventionnelle présente un caractère à la fois indemnitaire et comminatoire ; elle tend à indemniser une partie du dommage résultant d'un manquement aux obligations contractées à son profit mais également à dissuader son cocontractant d'y manquer en prévoyant d'avance la sanction encourue.
En l’espèce, le compromis de vente contient une condition suspensive d’obtention de prêt, portant sur une somme maximale empruntée de 291.500 Euros, sur une durée maximale de remboursement de 25 ans, avec un taux d’intérêt maximal de 2%, hors assurances.
Aux termes de ce compromis, les époux [M] se sont engagés à déposer au moins deux demandes de prêt aux conditions susmentionnées, et à en justifier au vendeur dans un délai de 10 jours à compter du dépôt de la demande. La réception des offres de prêt ou des refus de prêt devait intervenir au plus tard le 30 novembre 2021.
Les époux [M] produisent aux débats un premier courrier d’AXA BANQUE du 27 novembre 2021, faisant état d’une demande de prêt du 5 novembre 2021, pour un financement de 291.500 Euros sur 300 mois (25 ans), à un taux de 1,66%, et mentionnant le refus de prêt de la banque.
Il y a lieu de constater que ce courrier de refus est intervenu dans le délai contractuellement prévu, et que les conditions du prêt ont été respectées. A cet égard, il ne saurait être reproché aux époux [M] de ne pas avoir sollicité de prêt à hauteur de 2% dès lors que le contrat prévoyait bien qu’il s’agissait d’un taux maximal.
Le demandeur soutient que ce document serait un faux et produit à l’appui de cette allégation des échanges de courriels entre l’agence [I] [J] et une agence AXA située à [Localité 5], qui « confirme que le document de refus de prêt de monsieur et madame [M] est un faux et qu’une plainte au pénal va être déposée ». Toutefois, cet échange ne contient pas la reproduction du document de refus de prêt en question ni d’indications précises sur ce document, de sorte qu’il ne peut être certain qu’il s’agit du document produit aux débats par les défendeurs. Il n’est pas suffisamment établi qu’il s’agirait d’un faux document de refus de prêt.
Il convient de considérer que la demande de prêt auprès d’AXA est conforme aux stipulations contractuelles et a été transmise dans les délais impartis.
Les époux [M] produisent deux autres courriers de refus de prêt :
- Un courrier de la BRED, daté du 17 décembre 2021, qui ne mentionne que le montant du prêt, mais ne précise ni le taux, ni la durée du prêt sollicité, ni la date de la demande. Ce courrier n’est pas valide, faute de préciser les conditions du prêt sollicité ;
- Un courrier de la SOCIETE GENERALE, qui mentionne les conditions du prêt. La date du 4 février 2022 est indiquée sur le courrier parmi les spécifications du prêt sollicité, de sorte qu’il est impossible de savoir s’il s’agit de la date du courrier de refus de la banque, ou de la date de la demande de prêt. Toutefois, les époux [M] font valoir qu’ils ont déposé cette troisième demande « du fait du refus des deux précédents », de sorte que cette troisième demande a nécessairement été réalisée postérieurement au 17 décembre 2021, soit hors délai contractuel. Il n’est pas justifié de ce que la demande aurait été faite avant la date prévue pour la réitération de l’acte authentique.
Les époux [M] ne justifient donc que d’une seule demande de prêt effectuée conformément aux stipulations contractuelles dans le délai, et d’une autre demande de prêt conforme aux stipulations contractuelles, mais effectuée hors délai, et manifestement postérieure à la date de réitération de l’acte sous forme authentique.
Si les époux [M] allèguent dans leurs conclusions de la situation sanitaire et du fait qu’ils auraient tenu le vendeur informé de leurs difficultés, force est de constater qu’ils ne communiquent aucune pièce de nature à témoigner de leurs diligences ou relances auprès des banques, ni d’éventuels échanges avec l’agence [J] ou le vendeur en ce sens.
Il y a lieu de retenir par conséquent que les époux [M] n’ont pas justifié, dans les délais qui leur étaient impartis de demandes de prêt correspondant aux caractéristiques contractuellement prévues, de sorte que la condition suspensive doit être réputée accomplie au sens de l’article 1304-3 du code civil précité.
Le compromis de vente comportait une date de réitération de l’acte sous forme authentique le 15 janvier 2022 et prévoit qu’à partir de cette date, si les conditions suspensives sont réalisées, le vendeur pourra mettre en demeure les acquéreurs de s’exécuter, ce qui a été fait par Monsieur [W] par courrier du 21 février 2022.
Le contrat prévoit qu’à défaut d’une telle exécution, le vendeur pourra invoquer la résolution de plein droit des présentes et que la partie défaillante versera, à titre d’indemnité forfaitaire et de clause pénale, la somme de 29.000 Euros.
Toutefois, cette indemnité apparaît comme excessive, Monsieur [W] ne contestant pas qu’il a pu vendre son bien dans l’année 2022, comme le soutiennent les défendeurs.
Par ailleurs, il y a lieu de relever que les époux [M] ont sollicité une troisième banque pour l’obtention d’un prêt, même si leur demande était hors délai, de sorte qu’il convient de tenir compte de leur comportement.
L’indemnité sera revue à un montant de 8.000 Euros.
2. Sur le sort de l’acompte de 5.000 Euros
Le compromis de vente prévoyait le versement d’un acompte par les acquéreurs d’un montant de 5.000 Euros, entre les mains de Me [C], choisi en qualité de séquestre.
Le compromis prévoyait que cette somme s’impute sur le prix de vente, mais qu’en cas de non-réalisation de l’une quelconque des conditions suspensives, l’acompte serait immédiatement restitué à l’acquéreur, à moins qu’existe une contestation sérieuse du vendeur fondée sur la faute, la négligence ou la mauvaise foi de l’acquéreur.
En l’espèce, les époux [M] sollicitent la restitution de l’acompte de 5.000 Euros, demande dont Monsieur [W] sollicite le rejet, sans argumentation autre qu’en référence à son argumentation relative aux demandes de prêt.
Cependant, il y a lieu de constater que le vendeur n’argue pas précisément de la faute, de la négligence ou de la mauvaise foi de l’acquéreur pour s’opposer à la restitution.
La restitution de l’acompte sera donc ordonnée et Me [C] sera autorisé à se libérer des fonds entre les mains des époux [M] s’il s’en trouvait encore en possession.
3. Sur la demande de dommages intérêts
Aux termes de l’article 32-1 du code de procédure civile, « Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. »
Monsieur [W] ayant obtenu gain de cause à titre principal, il n’y a pas lieu de considérer son action comme abusive, de sorte que les époux [M] se verront déboutés de leur demande de dommages intérêts.
4. Sur les autres demandes
Par application de l’article 696 du code de procédure civile la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En l’espèce, les époux [M], qui succombent, seront condamnés aux dépens.
L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
Les époux [M] seront condamnés à payer à Monsieur [W] la somme de 1 500 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par application de l'article 514 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable à la cause, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement. Le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire. En l'espèce, il n'y a pas lieu d'écarter l'exécution provisoire.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant par décision rendue publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,
- CONDAMNE Monsieur [Z] [M] et Madame [G] [L] épouse [M] à verser à Monsieur [T] [W] la somme de 8.000 Euros,
- DEBOUTE Monsieur [T] [W] du surplus de ses demandes,
- ORDONNE la restitution de l’acompte de 5.000 Euros au bénéfice de Monsieur [Z] [M] et Madame [G] [L] épouse [M] et autorise le cas échéant Maître [C] à se libérer de cette somme à leur profit,
- DEBOUTE Monsieur [Z] [M] et Madame [G] [L] épouse [M] de leur demande de dommages intérêts,
- CONDAMNE Monsieur [Z] [M] et Madame [G] [L] épouse [M] à verser à Monsieur [T] [W] la somme de 1.500 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- CONDAMNE Monsieur [Z] [M] et Madame [G] [L] épouse [M] aux dépens,
- DIT n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire.
Ainsi fait et rendu le DOUZE AOUT DEUX MIL VINGT QUATRE, par Sandrine LABROT, Vice-Présidente, assistée de Tiphaine MONTAUBAN, Greffière, lesquelles ont signé la minute du présent Jugement.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,