TRIBUNAL JUDICIAIRE
D’EVRY
3ème Chambre
MINUTE N°
DU : 12 Août 2024
AFFAIRE N° RG 22/00034 - N° Portalis DB3Q-W-B7F-OJXS
NAC : 53B
CCCRFE et CCC délivrées le :________
à :
Me Philippe BENZEKRI,
Me Karine LE BRETON
Jugement Rendu le 12 Août 2024
ENTRE :
Monsieur [F] [H],
né le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 11],
demeurant [Adresse 2]
représenté par Maître Karine LE BRETON, avocat au barreau d’ESSONNE plaidant
DEMANDEUR
ET :
Monsieur [E] [Y] [W] [I],
né le [Date naissance 5] 2000 à [Localité 8], de
demeurant [Adresse 6]
représenté par Maître Philippe BENZEKRI, avocat au barreau de PARIS
postulant et Maître Daniel BERT, avocat au barreau de PARIS, plaidant
DEFENDEUR
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Laure BOUCHARD, Juge, siégeant à Juge Rapporteur avec l’accord des avocats ;
Magistrats ayant délibéré :
Président : Sandrine LABROT, Vice-Présidente,
Assesseur : Laure BOUCHARD, Juge,
Assesseur : Béatrice MARTIN DE MEREUIL, Juge,
Assistées de Tiphaine MONTAUBAN, Greffière lors des débats à l’audience du 03 Juin 2024 et lors de la mise à disposition au greffe.
DÉBATS :
Vu l’ordonnance de clôture en date du 16 Janvier 2024 ayant fixé l’audience de plaidoiries au 03 Juin 2024 date à laquelle l’affaire a été plaidée et mise en délibéré au 12 Août 2024.
JUGEMENT : Rendu par mise à disposition au greffe,
Contradictoire et en premier ressort.
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [P] [T] [I] est décédé le [Date décès 4] 2021, laissant pour lui succéder son fils [E] [I].
Monsieur [F] [H] a sollicité, dans le cadre des opérations de succession, le remboursement d’une dette de 31.500 Euros qu’il détenait sur le défunt, alléguant de l’existence d’une reconnaissance de dette du défunt à son profit.
C’est dans ces conditions que par acte de commissaire de justice du 23 décembre 2021, Monsieur [F] [H] a fait assigner Monsieur [E] [I] devant le tribunal judiciaire d'Evry, aux fins de remboursement de la somme de 31.500 Euros.
Par ordonnance du 21 novembre 2023, le juge de la mise en état a rejeté la demande de sursis à statuer sollicitée par Monsieur [E] [I] dans l’attente d’une décision définitive sur l’action pénale.
Aux termes de ses dernières conclusions régularisées par voie électronique le 5 décembre 2022, Monsieur [F] [H] demande au tribunal de :
- Condamner Monsieur [E] [I] à payer à Monsieur [H] [F] la somme de 31.500 Euros, avec intérêt au taux à légal à compter de la décision à intervenir,
- Condamner Monsieur [E] [I] à payer à Monsieur [H] [F] la somme de 5.000 Euros à titre de dommages intérêts,
- Débouter Monsieur [E] [I] de toutes ses demandes,
- Condamner Monsieur [E] [I] au paiement de la somme de 5.000 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- Condamner Monsieur [E] [I] aux dépens.
Monsieur [F] [H] indique avoir prêté à Monsieur [P] [T], qui était son ami, des sommes d’argent en espèces entre février et mai 2021, suite à quoi ce dernier a signé une reconnaissance de cette dette, devant témoin, Monsieur [A] [X].
Il soutient que cette reconnaissance de dette est bien valide au regard des exigences de l’article 1376 du code civil, et que Monsieur [E] [I] avait confirmé que son père lui devait de l’argent. Le demandeur fait valoir que lui et le défunt avaient convenu que cette somme puisse être remboursée en « nature », par la fourniture et la pose de fenêtres à son domicile par Monsieur [P] [T], dont c’était le métier, tel que cela apparaît dans la reconnaissance de dette, ce qui est corroboré selon lui par la production du devis établi par le défunt.
Monsieur [F] [H] explique les prêts d’argent en liquide par le fait qu’il joue à des jeux d’argent et parie très souvent, ce qui lui permet d’avoir des liquidités importantes.
Le demandeur soutient par ailleurs, sur le fondement de l’article 1104 du code civil, que Monsieur [E] [I] est de mauvaise foi puisqu’il a fait croire à Monsieur [F] [H] qu’il reconnaissait la dette, avant de se rétracter.
Aux termes de ses dernières conclusions régularisées par voie électronique le 7 février 2023, Monsieur [E] [I] demande au tribunal de :
- Ordonner le sursis à statuer dans l’attente d’une décision définitive en ce qui concerne l’action pénale pendante à l’encontre de Monsieur [F] [H],
- Enjoindre à Monsieur [F] [H] de produire l’original de la prétendue reconnaissance de dette dans le cadre d’une sommation de communiquer qui lui sera adressée,
- Enjoindre à Monsieur [F] [H] de produire les preuves de retraits des montants en numéraire qu’il aurait prêtés à Monsieur [I],
- Débouter Monsieur [F] [H] de toutes ses demandes,
- Condamner Monsieur [F] [H] à lui payer la somme de 5.000 Euros à titre de dommages intérêts,
- Condamner Monsieur [F] [H] à lui payer la somme de 3.000 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens,
- Écarter l’exécution provisoire si par extraordinaire Monsieur [E] [I] devait être condamné.
Monsieur [E] [I] indique avoir porté plainte pour faux et usage de faux auprès du Procureur de la République, au vu des nombreuses incohérences présentes sur l’acte dont se prévaut le demandeur, rédigé deux jours avant le décès de son père.
Il soutient que s’il a cru, dans un premier temps, à la validité de la reconnaissance de dette, cette croyance n’a pas résisté à un examen approfondi du document, qui l’a amené à remettre en cause sa validité formelle et matérielle.
Le défendeur fait valoir que le document ne remplit pas les conditions de l’article 1376 du code civil, à défaut de mention manuscrite s’agissant de la somme en lettres et en chiffres.
Il souligne que par ailleurs les éléments constitutifs du contrat de prêt, à savoir la justification de la remise des fonds, ne sont pas établis.
Il sollicite des dommages intérêts, soutenant que Monsieur [F] [H] a engagé une action judiciaire sur la base d’une reconnaissance de dette vraisemblablement falsifiée et dépourvue de toute force probante.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions précitées des parties pour ce qui concerne l’exposé détaillé de leurs moyens et prétentions.
La clôture est intervenue le 16 janvier 2024 et l’affaire a été fixée pour être plaidée le 3 juin 2024. Le dépôt de dossier a été autorisé.
Les parties présentes ont été avisées lors de la clôture des débats de la date à laquelle la décision serait rendue par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il sera précisé qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes tendant à voir constater ou dire et juger qui ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, mais relèvent des moyens au soutien des prétentions des parties.
1. Sur la demande de sursis à statuer
Si les conclusions du défendeur contiennent encore une demande tendant à ce que soit prononcé le sursis à statuer, il y a lieu de relever que cette demande a déjà été portée devant le juge de la mise en état, qui l’a rejetée.
Il n’y a dès lors plus lieu de statuer sur cette demande.
2. Sur la demande en paiement
Les articles 1103 et 1104 du code civil disposent que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Aux termes de l’article 1902 du code civil, l’emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées, en même quantité et qualité, au terme convenu.
Par ailleurs, il résulte des dispositions combinées des articles 1353 et 1359 du code civil qu’il appartient à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver et qu’il doit être passé acte par écrit de toutes choses portant sur une somme excédant la somme de 1.500 euros. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.
L’article 1376 du code civil précise que l’acte sous signature privée par lequel une partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention écrite par lui-même de la somme en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l’acte sous signature privée vaut pour la somme écrite en toutes lettres.
En l’espèce, le document litigieux, dont Monsieur [H] produit une version indiquée comme étant l’originale, est intitulé « reconnaissance de dette » et contient les mentions suivantes :
« Je soussigné M. [P] [T] [I], ci-après dénommé le débiteur, né le 30/07/1971 à [Localité 10] Portugal, demeurant au [Adresse 7], reconnais devoir à M. [F] [B] [H], ci-après dénommé le créancier, né le 07/11/1980 à [Localité 11], demeurant au [Adresse 3], la somme de 31500.00 Euros (Trente et un mille cinq cents euros).
Montant qu’il m’a accordé par remise d’espèces :
- le 18 février (3200 Euros)
- le 3 mars (8500 Euros)
- le 18 mars (2800 Euros)
- le 14 avril (6300 Euros)
- le 21 avril (4800 Euros)
- le 12 mai (5900 Euros).
Je m’engage expressément à lui rembourser cette somme en une seule fois, au plus tard le 31 septembre 2021 ou pris comme acompte pour l’installation des fenêtres (...). Ce prix est consenti sans intérêts.
Témoin de ce prêt M. [X] [A] né le 11/03/83 à [Localité 9] Tunisie, demeurant (...).
Pour le cas où mon décès interviendrait avant le remboursement complet, mes héritiers sont tenus solidairement d’achever ce remboursement en vertu du présent engagement. »
Le document est entièrement dactylographié, mais comporte les signatures manuscrites du « débiteur », du « créditeur » et du « témoin ».
Le montant de la reconnaissance de dette est écrit en lettres et en chiffres, mais cette mention n’est pas manuscrite.
À cet égard, si la mention de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres, écrite par la partie même qui s'engage, n'est plus nécessairement manuscrite, elle doit cependant résulter, selon la nature du support, d'un des procédés d'identification conforme aux règles qui gouvernent la signature électronique ou de tout autre procédé permettant de s'assurer que le signataire est le scripteur de ladite mention.
En l’espèce, il n’existe aucune garantie que Monsieur [P] [T] [I] soit le scripteur de la mention du montant de la reconnaissance de dette, écrite électroniquement.
De plus, Monsieur [E] [I] pointe à juste titre de nombreuses incohérences présentes sur le document de reconnaissance de dette, et notamment les suivantes qui seules doivent être regardées comme pertinentes :
- numéro de téléphone de Monsieur [I] erroné (9 chiffres au lieu de 10),
- terme du prêt le 31 septembre 2021, alors qu’il n’y a que 30 jours en septembre,
- erreur dans l’orthographe du prénom du témoin,
- erreur dans le lieu de naissance du témoin (il est indiqué « [Localité 9], Tunisie » alors que la ville de [Localité 9] se situe au Maroc),
- mention « des héritiers » du souscripteur, alors qu’il n’a qu’un seul héritier.
Dès lors, le document ne constitue qu’un commencement de preuve par écrit qui doit être corroboré par d’autres éléments. Il convient par conséquent d’étudier les autres éléments apportés par les parties.
À cet égard, il est établi que Monsieur [E] [I] avait indiqué dans un premier temps, suite à la réclamation de [F] [H], qu’il lui paierait les 31.500 Euros.
Toutefois, cela ne saurait pour autant valoir reconnaissance de cette dette dans la mesure où il n’est pas le souscripteur allégué et qu’il a pu dans un premier temps penser la dette fondée, avant de se raviser après lecture approfondie du document remis par Monsieur [F] [H].
D’autre part, Monsieur [F] [H] produit une attestation émanant de Monsieur [A] [X], dans laquelle celui-ci indique « avoir bien signé en tant que témoin présent à ce moment la reconnaissance de dette de Monsieur [P] [I] envers M. [F] [H] le 12 mai 2021 », sans davantage de précisions quant au contexte ou au contenu de cette reconnaissance.
Toutefois, il y a lieu de constater que la réalité des remises de fonds par Monsieur [F] [H] au profit de Monsieur [P] [T] [I] n’est pas démontrée. A cet égard, Monsieur [F] [H] produit un listing de dépenses et retraits, qui ne correspond toutefois pas à des relevés bancaires et n’est donc pas probant. En tout état de cause, ces retraits ne correspondent pas exactement aux sommes mentionnées sur la promesse de vente, et il n’existe aucune preuve que ces sommes auraient été remises à Monsieur [P] [T] [I].
Est également produit aux débats un devis établi par la société ISO France, le 12 mai 2021, soit le jour de la reconnaissance de dette, ce qui tend à conforter la mention présente sur la reconnaissance, en vertu de laquelle le remboursement de la dette pourrait se faire comme un acompte à voir sur la réalisation de travaux. Cependant, le montant de ce devis est supérieur à la somme mentionnée sur la reconnaissance de dette, ce qui est incohérent avec le fait que la somme constituerait un « acompte » à valoir sur le paiement de cette facture.
Il ressort de l’ensemble de ce qui précède qu’au vu de l’absence de preuve de remise des fonds, les éléments produits aux débats ne sont pas suffisants pour venir corroborer la reconnaissance de dette, notamment s’agissant de son montant, au vu des imperfections dont celle-ci est entachée, et confirmer les conditions du contrat de prêt allégué.
Monsieur [F] [H] sera par conséquent débouté de sa demande en paiement. Par voie de conséquence, il sera également débouté de sa demande de dommages intérêts.
3. Sur la demande de dommages intérêts
Aux termes de l’article 32-1 du code de procédure civile, « Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés ».
En l’espèce, si la reconnaissance de dette ne réunit pas les conditions de validité imposées par la loi, et que le tribunal a considéré qu’il n’était pas suffisamment justifié de l’existence et du contenu du contrat de prêt allégué, cela n’implique pas nécessairement que le document produit est un faux.
La demande sera par conséquent rejetée.
4. Sur les autres demandes
Par application de l’article 696 du code de procédure civile la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En l’espèce, Monsieur [F] [H], qui succombe, sera condamné aux dépens.
L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
Monsieur [F] [H] sera condamné à payer à Monsieur [E] [I] la somme de 1 500 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par application de l'article 514 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable à la cause, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement. Le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire. En l'espèce, il n'y a pas lieu d'écarter l'exécution provisoire.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant par décision rendue publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,
- REJETTE la demande en paiement et la demande de dommages intérêts de Monsieur [F] [H],
- REJETTE la demande de dommages intérêts de Monsieur [E] [I],
- CONDAMNE Monsieur [F] [H] à payer à Monsieur [E] [I] la somme de 1.500 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- CONDAMNE Monsieur [F] [H] aux dépens,
- DIT n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire.
Ainsi fait et rendu le DOUZE AOUT DEUX MIL VINGT QUATRE, par Sandrine LABROT, Vice-Présidente, assistée de Tiphaine MONTAUBAN, Greffière, lesquelles ont signé la minute du présent Jugement.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,