TRIBUNAL JUDICIAIRE
D’EVRY
3ème Chambre
MINUTE N°
DU : 12 Août 2024
AFFAIRE N° RG 21/05322 - N° Portalis DB3Q-W-B7F-OD3G
NAC : 50A
CCCRFE et CCC délivrées le :________
à :
la SCP FGB,
la SELARL GAIA,
Me François LAMBERT
Jugement Rendu le 12 Août 2024
ENTRE :
Madame [Z] [O],
demeurant [Adresse 6] - [Localité 11]
représentée par Maître François LAMBERT, avocat au barreau de PARIS plaidant
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/3819 du 29/07/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de EVRY)
Madame [Y] [S],
demeurant [Adresse 6] - [Localité 11]
représentée par Maître François LAMBERT, avocat au barreau de PARIS plaidant
Monsieur [L] [S]-[T],
demeurant [Adresse 4] - [Localité 9]
représenté par Maître François LAMBERT, avocat au barreau de PARIS plaidant
Madame [F] [S],
demeurant [Adresse 4] - [Localité 10]
représentée par Maître François LAMBERT, avocat au barreau de PARIS plaidant
Madame [Z] [S],
demeurant [Adresse 6] - [Localité 11]
représentée par Maître François LAMBERT, avocat au barreau de PARIS plaidant
Madame [B] [S],
demeurant [Adresse 6] - [Localité 11]
représentée par Maître François LAMBERT, avocat au barreau de PARIS plaidant
L’association nationale des gens du voyage citoyens,
dont le siège social est sis [Adresse 8]
[Localité 12]
représentée par Maître François LAMBERT, avocat au barreau de PARIS plaidant
DEMANDEURS
ET :
La S.C.I. 2SM,
dont le siège social est sis [Adresse 3]
[Localité 7]
représentée par Maître Sarah DEGRAND de la SCP FGB, avocats au barreau de MELUN plaidant
La Commune de [Localité 14],
dont le siège social est sis [Adresse 2]
[Localité 14]
représentée par Maître Jean-Louis PERU de la SELARL GAIA, avocats au barreau de PARIS plaidant
DEFENDERESSES
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Laure BOUCHARD, Juge, siégeant à Juge Rapporteur avec l’accord des avocats ;
Magistrats ayant délibéré :
Président : Sandrine LABROT, Vice-Présidente,
Assesseur : Laure BOUCHARD, Juge,
Assesseur : Béatrice MARTIN DE MEREUIL, Juge,
Assistées de Tiphaine MONTAUBAN, Greffière lors des débats à l’audience du 03 Juin 2024 et lors de la mise à disposition au greffe.
DÉBATS :
Vu l’ordonnance de clôture en date du 19 Décembre 2023 ayant fixé l’audience de plaidoiries au 03 Juin 2024 date à laquelle l’affaire a été plaidée et mise en délibéré au 12 Août 2024.
JUGEMENT : Rendu par mise à disposition au greffe,
Contradictoire et en premier ressort.
EXPOSÉ DU LITIGE
Mesdames [Z] [O], [Y] [S], [L] [S]-[T], [F] [S], [Z] [S] et [B] [S] ont occupé, entre 2018 et 2022, un terrain situé sur la commune de [Localité 14], vendu à la SCI 2SM par acte notarié du 19 novembre 2019.
Par actes d’huissier du 13 septembre 2021, Mesdames [Z] [O], [Y] [S], [L] [S]-[T], [F] [S], [Z] [S] et [B] [S] (ci-après « les consorts [O]-[S] ») et l’association nationale des gens du voyage citoyen (ANGVC) ont fait assigner devant le tribunal judiciaire d’Evry la commune de [Localité 14] et la SCI 2SM aux fins de voir prononcer l’annulation de la vente du terrain.
Par ordonnance du 3 janvier 2023, le juge de la mise en état a refusé la demande de sursis à statuer présentée par les consorts [O]-[S].
Aux termes de leurs dernières écritures régularisées par voie électronique le 1er octobre 2023, les consorts [O]-[S] demandent au tribunal de :
- Prendre acte du désistement de l’Association Nationale des Gens du Voyage Citoyens,
- Prononcer la nullité absolue du contrat de vente de la parcelle de terrain cadastrée AN [Cadastre 5] et située [Adresse 1] à [Localité 14], signé le 19 novembre 2019 par la SCI 2SM et la commune de [Localité 14],
- Condamner la société 2SM et la commune de [Localité 14] in solidum à verser à Maître François LAMBERT la somme de 1 000 euros par demanderesse, soit au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, soit au visa de l’article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société 2SM et la commune de [Localité 14] in solidum aux entiers dépens.
Les demanderesses fondent leur demande sur les articles 6, 1102, 1162, 1179 et 1180 du code civil et sollicitent l’annulation de la vente du terrain intervenue au profit de la SCI 2SM pour violation de l’ordre public, faute pour la commune de [Localité 14] de respecter ses obligations découlant de la loi n°2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage.
Aux termes de ses dernières écritures régularisées par voie électronique le 19 juin 2023, la commune de [Localité 14] demande au tribunal de :
- Débouter les consorts [O]-[S] de leurs demandes,
- Condamner les consorts [O]-[S] et l’Association nationale des gens du voyage citoyens à verser à la commune de [Localité 14] la somme de 2.000 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- Condamner les consorts [O]-[S] et l’Association nationale des gens du voyage citoyens aux dépens.
Elle invoque l’irrecevabilité à agir des demanderesses, faute pour elle de démontrer qu’elles font partie de la communauté des gens du voyage.
Elle conteste toute violation de l’ordre public, en rappelant que l’obligation d’aménagement des aires d’accueil a été transférée à la communauté d’agglomération [Localité 13]. La commune conteste en tout état de cause que le terrain ait pu être utilisé en tant qu’aire d’accueil des gens du voyage, puisqu’il ne remplissait pas les critères requis.
Elle rappelle par ailleurs que la commune avait procédé à la désaffectation du bien, en vue de sa vente, avant l’occupation par les demanderesses.
Aux termes de ses dernières écritures régularisées par voie électronique le 7 avril 2023, la SCI 2SM demande au tribunal de :
- Déclarer irrecevables toutes les demandes fins et conclusions de Mesdames [Z] [O], [Y] [S], [L] [S]-[T], [F] [S], [Z] [S], [B] [S] et de l’Association nationale des gens du voyage citoyens,
- Les débouter en tout état de cause de toutes leurs demandes,
- Condamner Mesdames [Z] [O], [Y] [S], [L] [S]-[T], [F] [S], [Z] [S], [B] [S] à payer à la SCI 2SM la somme de 27 000,00 €uros arrêtée au 26 avril 2022, date à laquelle la SCI 2SM a retrouvé la jouissance de son bien,
- Condamner Mesdames [Z] [O], [Y] [S], [L] [S]-[T], [F] [S], [Z] [S], [B] [S] et de l’Association nationale des gens du voyage citoyens à payer à la SCI 2SM 3 000,00 €uros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’en tous les dépens dont distraction au profit de Maître Sarah DEGRAND de la SCP FGB.
La SCI 2SM fait valoir que les demanderesses sont tiers au contrat de vente et ne sont donc pas recevables à agir de ce fait pour en solliciter la nullité.
Sur le fond, la SCI 2 SM rappelle que la vente contestée a été précédée de deux délibérations de la commune de [Localité 14] en date du 21 juin 2018, l’une prononçant après enquête publique le déclassement du délaissé de voirie et l’autre autorisant la cession du bien à la SCI 2SCM.
Par ailleurs, la défenderesse soutient que la commune n’est pas concernée par les obligations qui relèvent de la loi du 5 juillet 2000, donnant compétence sur ce point à la communauté d’agglomération dénommée « [Localité 13] ».
Sur le prix de vente, la SCI 2SM fait valoir que le bien objet de la vente était un délaissé de voirie contigu d’un autre terrain dont la SCI 2SM était déjà propriétaire, et que le prix fixé est supérieur à l’évaluation des domaines.
A titre reconventionnel, la SCI 2SM indique que malgré les promesses faites par les intéressées à l’huissier dès le 27 février 2020, sous la menace d’une ordonnance d’expulsion, elles se sont maintenues sur les lieux et ont conforté leur occupation en installant un mobil-home et en accueillant des nouveaux membres de leur famille. Elle sollicite l’indemnisation d’un préjudice de jouissance pouvant s’établir à 1.000 Euros mensuels.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions précitées des parties pour ce qui concerne l’exposé détaillé de leurs moyens et prétentions.
La clôture est intervenue le 19 décembre 2023 et l’affaire a été fixée pour être plaidée le 3 juin 2024. Le dépôt de dossier a été autorisé.
Les parties présentes ont été avisées lors de la clôture des débats de la date à laquelle la décision serait rendue par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il sera précisé qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes tendant à voir constater ou dire et juger qui ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, mais relèvent des moyens au soutien des prétentions des parties.
1. Sur le désistement de l’Association Nationale des Gens du Voyage Citoyen
Aux termes de ses dernières conclusions, l’Association Nationale des Gens du Voyage Citoyen a fait valoir qu’elle se désistait de ses demandes.
Il y a lieu d’en prendre acte, de sorte qu’il ne sera pas statué sur sa recevabilité à agir.
2. Sur la recevabilité à agir des demanderesses
Aux termes de l’article 789 du code de procédure civile, « Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
6° Statuer sur les fins de non-recevoir.
(...)
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces fins de non-recevoir au cours de la même instance à moins qu'elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état ».
En l’espèce, les défendeurs soulèvent une fin de non-recevoir tiré du défaut d’intérêt et de qualité à agir des demanderesses.
Cette fin de non-recevoir aurait dû être soulevée devant le juge de la mise en état, exclusivement compétent pour en connaître.
Les défenderesses seront donc déclarées irrecevables en leur fin de non-recevoir.
3. Sur la nullité du contrat
Aux termes de l’article 1162 du code civil, « Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. »
L’article 1er de la loi n°20000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage prévoit que les communes participent à l’accueil des personnes dites gens du voyage et que dans chaque département, un schéma départemental précise les secteurs géographiques d’implantation et les communes où doivent être réalisées les aires d’accueil, les communes de plus de 5.000 habitants figurant obligatoirement au schéma départemental.
En l’espèce, il n’est pas contesté que l’obligation d’aménagement des aires d’accueil a été transférée à la communauté d’agglomération du [Localité 13], en application de la loi du 1er janvier 2017. La mise à disposition d’aires d’accueil ou de terrains familiaux s’apprécie donc à l’échelle de la communauté d’agglomération, et non plus de la commune.
Or, la commune de [Localité 14] produit aux débats le schéma départemental d’accueil et d’habitat des gens du voyage de l’Essonne, établi pour la période 2019/2024, qui indique que deux aires permanentes d’accueil ont été aménagées sur la communauté d’agglomération [Localité 13] en 2012 et 2009, ces deux aires étant sous-occupées.
Au regard de ce schéma départemental, il n’est pas valablement démontré que la commune de [Localité 14] serait en infraction par rapport à la législation en la matière, même si elle ne dispose sur son territoire d’aucune aire d’accueil ni aucun terrain familial locatif à destination des gens du voyage.
En tout état de cause, quand bien même la commune ne respecterait pas ses obligations en matière d’accueil des gens du voyage, cela ne saurait entraîner de facto la nullité du contrat dont il est question.
En effet, pour entraîner la nullité du contrat, il doit être démontré que ses termes ou son but sont contraires à l’ordre public. Les termes du contrat ne sont ici pas mis en cause.
La question seule du but doit alors se poser, les demanderesses soutenant que la commune a précisément vendu le terrain pour échapper à ses obligations d’accueil des gens du voyage.
Or, en premier lieu, il n’est pas démontré que le terrain était propice à l’accueil des gens du voyage, celui-ci étant placé dans une zone industrielle, entièrement bétonnée et à proximité directe d’une route nationale propice aux nuisances, ce qui n’apparaît pas conforme aux préconisations incluses dans le schéma départemental d’accueil et d’habitat des gens du voyage produit aux débats.
Par ailleurs, en second lieu, la commune démontre qu’elle avait procédé au déclassement du terrain et la désaffectation de celui-ci par arrêté du 19 mars 2018, à une date où le terrain était libre. Il est expressément indiqué sur cet arrêté que le déclassement est effectué « préalablement à la cession » de celui-ci.
A cet égard, la SCI 2SM fait valoir qu’elle était déjà propriétaire du terrain adjacent et qu’elle avait fait part à la mairie de son projet d’acquérir ledit terrain. La SCI 2SM avait donc un intérêt personnel à l’acquisition de ce terrain.
Il ressort de ce qui précède qu’il n’est pas suffisamment démontré que la mairie de [Localité 14] ait eu pour but, en vendant ce terrain, de ne pas respecter ses obligations en matière d’accueil des gens du voyage, la vente litigieuse étant manifestement une vente d’opportunité suite à une sollicitation et à un besoin exprimé par la SCI 2SM.
La vente s’est par ailleurs faite à un prix conforme à l’estimation des domaines, de sorte qu’il n’est pas démontré qu’il aurait été bradé par la mairie.
La contrariété à l’ordre public du but poursuivi par les parties dans la conclusion de ce contrat n’est donc pas établie.
La demande sera rejetée.
4. Sur la demande reconventionnelle
Aux termes de l'article 1240 du code civil, « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
Par ailleurs, selon l’article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.
L’indemnité d’occupation est la contrepartie de l’utilisation sans titre du bien.
La SCI 2SM sollicite la réparation d’un préjudice de jouissance pour la période du 19 novembre 2019, date de l’acquisition du terrain, au 26 avril 2022, date de départ des demanderesses.
Elle sollicite une indemnisation de 1.000 Euros par mois.
Il y a lieu de constater d’abord que cette demande se rattache bien à l’objet principal du litige, qui porte sur la destination du terrain occupé par les demanderesses pendant plusieurs années.
Toutefois, si la demande apparaît fondée dans son principe, la SCI 2SM ne fournit aucun élément de nature à justifier le chiffrage de celle-ci.
La demande sera par conséquent rejetée.
5. Sur les autres demandes
Par application de l’article 696 du code de procédure civile la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En l’espèce, les demanderesses, qui succombent, seront condamnées aux dépens.
L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
Les demanderesses seront condamnées à payer à chaque défenderesse la somme de 1 500 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par application de l'article 514 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable à la cause, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement. Le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire. En l'espèce, il n'y a pas lieu d'écarter l'exécution provisoire.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant par décision rendue publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,
- Prend acte du désistement de l’Association Nationale des Gens du Voyage Citoyen de ses demandes,
- Déclare irrecevable la fin de non-recevoir soulevée devant le tribunal,
- Rejette la demande de nullité du contrat de vente,
- Rejette la demande reconventionnelle en paiement d’une indemnité d’occupation,
- Condamne Mesdames [Z] [O], [Y] [S], [L] [S]-[T], [F] [S], [Z] [S] et [B] [S] à verser à la Commune de [Localité 14] et la SCI 2SM la somme de 1.500 Euros à chacune,
- Condamne Mesdames [Z] [O], [Y] [S], [L] [S]-[T], [F] [S], [Z] [S] et [B] [S] aux dépens,
- Dit n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire.
Ainsi fait et rendu le DOUZE AOUT DEUX MIL VINGT QUATRE, par Sandrine LABROT, Vice-Présidente, assistée de Tiphaine MONTAUBAN, Greffière, lesquelles ont signé la minute du présent Jugement.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,