La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/06/2024 | FRANCE | N°23/01221

France | France, Tribunal judiciaire d'Évry, Chambre des référés, 07 juin 2024, 23/01221


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Au Nom du Peuple Français



Tribunal judiciaire d’EVRY
Pôle des urgences civiles
Juge des référés

Ordonnance du 7 juin 2024
MINUTE N° 24/______
N° RG 23/01221 - N° Portalis DB3Q-W-B7H-PXAW

PRONONCÉE PAR

Carol BIZOUARN, Première vice-présidente,
Assistée de Alexandre EVESQUE, greffier, lors des débats à l’audience du 3 mai 2024 et lors du prononcé

ENTRE :

S.A.S. INOX
dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Maître Isabelle CADET-COLLIN, avocate postulante au

barreau de l’ESSONNE et par Maître Emmanuel HUMEAU, demeurant SELARL QUARTZ AVOCATS - [Adresse 1], avocat plaidant au barreau de LA ROCHE-SU...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Au Nom du Peuple Français

Tribunal judiciaire d’EVRY
Pôle des urgences civiles
Juge des référés

Ordonnance du 7 juin 2024
MINUTE N° 24/______
N° RG 23/01221 - N° Portalis DB3Q-W-B7H-PXAW

PRONONCÉE PAR

Carol BIZOUARN, Première vice-présidente,
Assistée de Alexandre EVESQUE, greffier, lors des débats à l’audience du 3 mai 2024 et lors du prononcé

ENTRE :

S.A.S. INOX
dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Maître Isabelle CADET-COLLIN, avocate postulante au barreau de l’ESSONNE et par Maître Emmanuel HUMEAU, demeurant SELARL QUARTZ AVOCATS - [Adresse 1], avocat plaidant au barreau de LA ROCHE-SUR-YON

DEMANDERESSE

D'UNE PART

ET :

S.A.S. ONE EYE
dont le siège social est sis [Adresse 3]

représentée par Maître Nicolas GARBAN de l’AARPI GS ASSOCIES 2, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0795

DÉFENDERESSE
D'AUTRE PART

ORDONNANCE : Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort.

**************
EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte de commissaire de justice du 1er décembre 2023, la SAS INOX a fait assigner en référé devant le président du tribunal judiciaire d'Évry la SAS ONE EYE, au visa de l'article 835 du code de procédure civile, aux fins de voir :
- Condamner la société ONE EYE à payer à la société INOX la somme de 145.900 euros à titre de provision sur la créance que détient cette dernière à son encontre ;
- Condamner la société ONE EYE à payer à la société INOX la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société ONE EYE aux dépens de l'instance.

Au soutien de ses demandes, la SAS INOX expose que par acte notarié du 23 novembre 2018, elle a vendu en l'état futur d'achèvement à la SAS ONE EYE un immeuble à usage de bureaux, situé à [Localité 4], laquelle a pris possession des lieux le 30 septembre 2019 après réception du chantier avec réserves le 25 septembre 2019. Elle précise que la facture correspondant au solde de la vente, à hauteur de la somme de 102.000 euros, est demeurée impayée au motif que les désordres et malfaçons constatés par la SAS ONE EYE n'auraient fait l'objet d'aucune reprise. Or, elle précise que conformément au contrat de vente régularisé entre les parties devant notaire, la SAS ONE EYE s'est engagée à payer la somme totale de 2.040.000 euros au titre de l'acquisition de l'immeuble, dont la somme de 102.000 euros à la livraison et ce même en présence d'une réception avec réserves, étant précisé qu'à défaut de paiement une pénalité de retard sur la base de 1% serait exigible. Elle ajoute que l'expert, désigné par le juge des référés aux fins de constatations des désordres, a procédé à l'apurement des comptes entre les parties et conclu que la SAS ONE EYE doit régler immédiatement à la SAS INOX la somme de 145.900 euros, comprenant la somme de 45.900 euros au titre des intérêts de retard contractuels, et estimé le coût des réserves non encore levées à la somme de 2.000 euros. Elle souligne qu'à ce jour seules deux réserves n'ont pas été levées, mais que celles-ci seront prises en charge dans le cadre de l'assurance dommage-ouvrage souscrite. Elle s'estime en conséquence bien fondée à solliciter l'octroi d'une provision.

Appelée à l'audience du 19 décembre 2023, l'affaire a été renvoyée successivement aux audiences des 30 janvier 2024, 5 avril 2024 puis à celle du 3 mai 2024.

A l'audience du 3 mai 2024, la SAS INOX, représentée par son conseil, s'est référée à ses conclusions en réplique aux termes desquelles elle maintient ses prétentions et moyens exposés à son acte introductif d'instance et sollicite le débouté de la SAS ONE EYE de ses exceptions d'incompétence, ainsi que de toutes ses demandes, fins et prétentions.

En défense, la SAS ONE EYE, représentée par son conseil, s'est référée à ses conclusions n°2 aux termes desquelles elle sollicite du juge des référés de :
- La recevoir en ses demandes et la déclarer bien fondée ;
- A titre liminaire, au visa de l'article L.721-3 du code de commerce, relever l'incompétence du juge judiciaire pour statuer sur un litige entre deux sociétés commerciales et dire n'y avoir lieu à référé ;
- A titre subsidiaire, au visa des articles 1104, 1219 et suivants,1231-5 et 1343-5 du code civil, la recevoir en ses demandes et la déclarer fondée, débouter la SAS INOX de ses demandes au titre de l'application de la clause pénale du contrat,
- En toutes hypothèses, lui accorder un échéancier de 24 mois pour régler l'ensemble du montant dû à raison de 5.000 euros par mois et le solde le 24ème mois et débouter la SAS INOX de toutes ses autres demandes.

Pour s'opposer aux demandes formulées par la partie demanderesse, la SAS ONE EYE indique que le bâtiment a fait l'objet d'une livraison le 30 septembre 2019 avec de nombreuses réserves non levées à cette date. Elle précise que pour tenir compte de l'absence de levées de ces dernières, elle a volontairement sursis au paiement du solde du marché et sollicité la désignation d'un expert pour déterminer l'étendue des désordres et des réserves non levées. Elle reconnaît devoir le solde du marché initial mais conteste devoir les pénalités de retard au motif qu'elles sont réductibles par le juge du fond. Elle relève en outre que l'expert a outrepassé le cadre de sa mission en estimant que le solde du prix devait être payé en intégralité avec des pénalités de retard. S'agissant de sa demande de délai de paiement, elle fait valoir que, ne disposant pas de la trésorerie suffisante, elle a mis en vente le bien objet du litige selon mandat de vente conclu le 22 janvier 2024. Elle ajoute que dans l'hypothèse où aucun échéancier ne lui serait accordé, elle serait déclarée en état de cessation des paiements ce qui compliquera la cession de l'immeuble à venir. En tout état de cause, elle soulève l'incompétence de la juridiction saisie au profit du tribunal de commerce au motif qu'il s'agit d'une contestation relative à des engagements pris entre deux sociétés commerciales et non d'une question portant sur la propriété d'un bien.

Pour s'opposer à l'exception d'incompétence soulevée par la partie défenderesse, la SAS INOX fait valoir que le litige porte sur le paiement du solde du prix d'une vente immobilière, laquelle constitue un acte civil, même si la vente est conclue entre commerçants et que par conséquent, ce litige ressort de la compétence du tribunal judiciaire. S'agissant de la demande de délai de paiement, la SAS INOX relève que la SAS ONE EYE n'a pas la trésorerie suffisante, ce qui confirme sa mauvaise foi, et rappelle que cette dernière a bénéficié de larges délais de paiement, cette somme étant due depuis le 30 septembre 2019, date de livraison du bien.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à l'assignation introductive d'instance et aux écritures déposées et développées oralement à l'audience ainsi qu'à la note d'audience.

A l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré au 7 juin 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la compétence du juge judiciaire

En vertu des articles 74 et 75 du code de procédure civile, la partie qui soulève in limine litis une exception d'incompétence doit, à peine d'irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l'affaire soit portée.

L'article L.721-3 du code de commerce dispose que les tribunaux de commerce connaissent :
1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;
2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;
3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.

Selon les termes de l'article R.211-4, 11° du code de l'organisation judiciaire, en matière civile, le tribunal judiciaire est compétent pour connaître des actions en paiement, en garantie et en responsabilité liées à une opération de construction immobilière.

En l'espèce, l'objet du litige concerne le paiement du solde du prix d'une vente en l'état futur d'achèvement conclu par acte authentique le 23 novembre 2018 entre la SAS INOX et la SAS ONE EYE.

Quand bien même l'acte de vente a été conclu entre deux sociétés commerciales, il n'en demeure pas moins que ce dernier est un acte de nature civile relevant de la compétence exclusive du tribunal judiciaire.

Par conséquent, il convient de rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la partie défenderesse.

Sur la demande de provision

Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Le montant de la provision allouée en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.Le juge des référés fixe discrétionnairement à l'intérieur de cette limite la somme qu'il convient d'allouer au requérant.

Il convient de préciser que si le juge des référés n'est pas compétent pour interpréter un contrat tel qu'un acte de vente, il peut en revanche tirer toutes conséquences d'une stipulation contractuelle claire et précise, qui ne nécessite pas d'interprétation.

Ainsi, l'acte notarié conclu le 23 novembre 2018 entre les parties stipule, en page 9, que le surplus sera payé au fur et à mesure de l'avancement des travaux et le solde à la livraison, à hauteur de 5% du prix total, soit la somme de 102.000 euros.

De plus, s'agissant des dispositions relatives au fractionnement du prix payable à termes, l'acte prévoit, en page 28, que "l'acquéreur devra verser la somme due dans un délai de huit jours ouvrés à compter de la réception de la notification de la lettre recommandée envoyée par le vendeur. Passé ce délai, l'acquéreur devra payer en sus, sans qu'il soit besoin d'une mise en demeure, une pénalité calculée sur la base de 1% par mois de la somme appelée, tout mois commencé étant dû en son intégralité. Le vendeur se réserve le droit de demander la réparation du préjudice effectivement subi".

Concernant l'achèvement des ouvrages et la prise de possession des lieux, l'acte notarié prévoit, en page 37, plusieurs hypothèses et notamment :
« 1/ l'acquéreur accepte la livraison sans formuler de réserves : il procède au réglement des sommes dues tel que prévu aux présentes ; les clés lui seront alors remises, et il prend possession des lieux ;
2/ l'acquéreur accepte la livraison en formulant des réserves : il procède au règlement des sommes dues tel que prévu aux présentes ; les clés lui seront remises et il prend possession des lieux.
(...)
Dans les cas visés aux 1°/ et 2°/ ci-dessus, la livraison des locaux sera constatée par un procès-verbal contradictoire. Le vendeur devra effectuer les travaux nécessaires pour la levée des réserves. Il sera établi un procès-verbal de levée de réserves ».

En l'espèce, un procès verbal de mise a disposition a été conclu entre les parties le 30 septembre 2019 aux termes duquel un état des lieux contradictoire a été établi et accepté par les parties avec réserves suivant la liste annexée. La SAS INOX a transmis l'appel de fond n°7 correspondant au solde du prix à savoir la somme de 102.000 euros, selon courrier du 30 septembre 2019.

Dès lors, force est de constater que la livraison de l'immeuble acquis par la SAS ONE EYE est intervenue le 30 septembre 2019 selon procès-verbal contradictoire.

Aux termes de son dire n°3, l'expert a procédé aux comptes entre les parties et considéré que la SAS ONE EYE est redevable de la somme de 102.000 euros au titre de la facture du 30 septembre 2019 et de la somme de 45.900 euros au titre des intérêts de retard contractuels.

Or, les sommes réclamées au titre des intérêts de retard contractuels, à hauteur de 45.900 euros, s'analysent en une clause pénale, qui, même prévue au contrat, est susceptible d'être réduite voir supprimée par le juge du fond en raison des circonstances, ne présente pas de caractère incontestable. Il n'y a donc pas lieu à référé de ce chef.

Toutefois, la SAS ONE EYE reste débitrice de la somme de 102.000 euros, laquelle était exigible depuis le 30 septembre 2019 puisque les parties n'ont pas conditionné le paiement du solde du prix à la levée des réserves.

Par conséquent, la SAS ONE EYE n'ayant pas respecté ses engagements conformément à l'acte de vente, ce que d'ailleurs elle ne conteste pas, il convient de la condamner à payer la somme non sérieusement contestable de 102.000 euros à titre de provision à valoir sur le solde du prix de vente exigible à la livraison.

Sur la demande de délai de paiement

Aux termes de l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. La décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités encourues à raison du retard cessent d'être dues pendant le délai fixé par le juge.

Il appartient au juge saisi d'une demande de délais de paiement de s'assurer de la capacité du débiteur à honorer sa dette dans le délai de deux ans au regard de sa situation financière.

La SAS ONE EYE sollicite des délais de paiement, demande à laquelle s'oppose la SAS INOX.

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats et des explications des parties que la SAS ONE EYE ne présente pas de trésorerie suffisante pour procéder au paiement intégral de sa dette.

Toutefois, il convient de relever la bonne foi de la SAS ONE EYE a mis le bien dont s'agit en vente le 22 janvier 2024 pour un prix net vendeur de 1.600.000 euros, selon mandat de vente.

Ainsi, il y lieu de prendre en compte les difficultés financières et la volonté de la SAS ONE EYE d'apurer sa dette locative et, sur le fondement des dispositions des articles 1343-5 du code civil, de lui accorder, dans les termes du dispositif ci-après, des délais de paiement étant précisé qu'à défaut de respect des modalités fixées, les poursuites pour le recouvrement de la somme provisionnelle allouée pourront reprendre.

Sur les frais et dépens

Il convient de laisser les dépens à la charge de la SAS ONE EYE conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
L'équité commande de laisser à chacune des parties la charge des frais qu'elle a exposés, il n'y a pas lieu d'appliquer l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Le juge des référés, statuant par ordonnance contradictoire, en premier ressort et mise à disposition au greffe ;

REJETTE l'exception d'incompétence formée par la partie défenderesse ;
SE DECLARE compétent pour statuer sur les demandes formulées ;

CONDAMNE la SAS ONE EYE à payer à la SAS INOX la somme de 102.000 euros à titre de provision ;

AUTORISE la SAS ONE EYE à se libérer de son obligation en 24 mensualités de 4.250 euros chacune ;

DIT que le paiement de la première échéance devra intervenir avant le 5 juillet 2024 et les suivants avant le 5 de chaque mois ;

DIT qu'en cas de vente du bien avant la fin du délai de 24 mois, la SAS ONE EYE devra payer, sans délai à compter de la réception du prix de vente, le solde restant dû ;

DIT qu'à défaut de versement d'une seule échéance, l'intégralité de la dette deviendra immédiatement exigible ;

DIT n'y avoir lieu à référé sur la demande formée au titre des intérêts de retard contractuels ;

CONDAMNE la SAS ONE EYE aux entiers dépens de l'instance ;

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire ;

RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit.

Ainsi fait et prononcé par mise à disposition au greffe, le 7 juin 2024, et nous avons signé avec le greffier.

Le Greffier,Le Juge des Référés,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire d'Évry
Formation : Chambre des référés
Numéro d'arrêt : 23/01221
Date de la décision : 07/06/2024
Sens de l'arrêt : Accorde une provision

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-07;23.01221 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award