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07/06/2024 | FRANCE | N°23/01191

France | France, Tribunal judiciaire d'Évry, Chambre des référés, 07 juin 2024, 23/01191


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Au Nom du Peuple Français


Tribunal judiciaire d’EVRY
Pôle des urgences civiles
Juge des référés

Ordonnance du 7 juin 2024
MINUTE N° 24/______
N° RG 23/01191 - N° Portalis DB3Q-W-B7H-PV47

PRONONCÉE PAR

Carol BIZOUARN, première vice-présidente,
Assistée de Alexandre EVESQUE, greffier, lors des débats à l’audience du 3 mai 2024 et lors du prononcé

ENTRE :

Préfecture de [Localité 12]
dont le siège social est sis [Adresse 10]

représentée par Maître Gilles NOUGARET de la SELARL

MANCIER-LHEURE NOUGARET, avocat au barreau de l’ESSONNE

DEMANDERESSE

D'UNE PART

ET :

Monsieur [Y] [O] [J]
demeurant [Adresse 11]

représ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Au Nom du Peuple Français

Tribunal judiciaire d’EVRY
Pôle des urgences civiles
Juge des référés

Ordonnance du 7 juin 2024
MINUTE N° 24/______
N° RG 23/01191 - N° Portalis DB3Q-W-B7H-PV47

PRONONCÉE PAR

Carol BIZOUARN, première vice-présidente,
Assistée de Alexandre EVESQUE, greffier, lors des débats à l’audience du 3 mai 2024 et lors du prononcé

ENTRE :

Préfecture de [Localité 12]
dont le siège social est sis [Adresse 10]

représentée par Maître Gilles NOUGARET de la SELARL MANCIER-LHEURE NOUGARET, avocat au barreau de l’ESSONNE

DEMANDERESSE

D'UNE PART

ET :

Monsieur [Y] [O] [J]
demeurant [Adresse 11]

représenté par Maître Thomas RAEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L262

Madame [M] [U]
demeurant [Adresse 11]

représentée par Maître Thomas RAEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L262

Madame [D] [J]
demeurant [Adresse 11]

représentée par Maître Stephan OUALLI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0209

Madame [C] [T]
demeurant [Adresse 11]

non comparante ni constituée

Monsieur [N] [J]
demeurant [Adresse 3]

non comparant ni constitué

Madame [B] [T]
demeurant [Adresse 1]

non comparante ni constituée

DÉFENDEURS

D'AUTRE PART

ORDONNANCE : Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe, réputée contradictoire et en premier ressort.

**************

EXPOSE DU LITIGE

Par acte de commissaire de justice des 20 et 21 novembre 2023, l'Etat pris en la personne de Monsieur le Préfet de [Localité 12] a assigné en référé Monsieur [Y] [J] et Madame [M] [U], Madame [D] [J], Mesdames [C] et [B] [T], et Monsieur [N] [J] devant le président du tribunal judiciaire d'Évry, au visa de des articles L.480-9 du code de l'urbanisme et 835 du code de procédure civile, pour voir :

- Ordonner à Monsieur [Y] [O] [J], Madame [M] [U], Madame [D] [J], Madame [C] [T], Monsieur [N] [J] (père), Madame [B] [T] et à tous occupants de leur chef de libérer les parcelles [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 2] et [Cadastre 8] sises [Adresse 11], et de libérer lesdites parcelles de toute occupation et, notamment, de tout véhicule, caravane, résidence mobile de loisir ou autre biens meubles volumineux se trouvant sur place, dans un délai de quinze jours à compter de l'ordonnance à intervenir et pour une durée de quatre mois à compter de la libération des lieux ;
- Autoriser Monsieur le Préfet de [Localité 12], à défaut de libération volontaire des lieux, à faire procéder, pour les besoins de l'exécution des travaux de remise en état des lieux, à l'expulsion de Monsieur [Y] [O] [J], Madame [M] [U], Madame [D] [J], Madame [C] [T], Monsieur [N] [J] (père), Madame [B] [T] et de tous occupants de leur chef, au besoin avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier, pour une durée de quatre mois à compter de la libération des lieux ;

- Dire que les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place, en ce compris les véhicules et caravanes situées sur les parcelles [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 2] et [Cadastre 8], pourront être transportés dans tout garde-meubles ou lieu adapté, au choix de Monsieur le Préfet de [Localité 12], aux frais et risques des défendeurs ;
- Condamner in solidum Monsieur [Y] [O] [J], Madame [M] [U], Madame [D] [J], Madame [C] [T], Monsieur [N] [J] (père) et Madame [B] [T] à payer à l'État une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner in solidum Monsieur [Y] [O] [J], Madame [M] [U], Madame [D] [J], Madame [C] [T], Monsieur [N] [J] (père) et Madame [B] [T] aux entiers dépens.

L'affaire a été appelée à l'audience du 19 décembre 2023 puis a fait l'objet de plusieurs renvois à la demande des parties et a été entendue à l'audience du 3 mai 2024.

A l'audience du 3 mai 2024, l'État pris en la personne de Monsieur le Préfet de [Localité 12], représenté par son avocat, a soutenu son acte introductif d'instance, déposé ses pièces telles que visées dans l'assignation et, y ajoutant en se référant à ses conclusions écrites déposées à l'audience, a sollicité que le délai d'expulsion soit porté de quatre à 6 mois et le débouté des défendeurs de l'ensemble de leurs demandes.

Il fait valoir que Monsieur [N] [Z] [J] (fils) a acquis, le 30 avril 2013, une parcelle cadastrée [Cadastre 4] située en zone N du PLU, non constructible, mais qu'à compter de l'année 2014 des gravats ont commencé à y être entreposés et des travaux effectués par Messieurs [N] (père), [N] (fils) et [Y] [J]. Il précise que cette parcelle, propriété de Monsieur [N] [Z] [J] (fils), a été divisée en cinq parcelles cadastrés [Cadastre 5] à [Cadastre 8] par acte du 26 novembre 2015, lesquelles ont été ensuite données par actes notariés des 22 février et 28 avril 2016 à Madame [D] [J] (parcelles [Cadastre 6] et [Cadastre 7] puis 213), du 15 mai 2016 à Monsieur [Y] [J] (parcelle [Cadastre 5]), et du 21 mai 2021 à Mesdames [C] et [B] [T] (parcelle [Cadastre 8]).

Il précise que par décision du tribunal correctionnel d'Évry, Messieurs [N] (père), [N] (fils) et [Y] [J] ont été condamnés pénalement pour avoir, sur la parcelle cadastrée [Cadastre 4] (devenue [Cadastre 5] à 214), construit un bâtiment en dur sans permis de construire, une clôture sans déclaration préalable, entreposé des gravats et tuiles en infraction au PLU et abattu des arbres sans déclaration préalable et condamnés à remettre les lieux en état sous astreinte. Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 16 décembre 2020, sauf sur la condamnation de monsieur [N] [J] (père) à remettre les lieux en état.

Il indique que malgré cette condamnation, devenue définitive, les consorts [J] n'ont pas remis en état les lieux et ont procédé à de nouveaux travaux, constatés par des rapports de la police municipale en date des 17 décembre 2018, 1er décembre 2021 et 13 avril 2022, et un constat de commissaire de justice du 13 janvier 2023.

En défense, Monsieur [Y] [J] et Madame [M] [U], représentés par leur avocat, se référant à leurs conclusions écrites, ont sollicité de :

- A titre principal : Surseoir à statuer dans l'attente de l'examen des demandes et de tout recours gracieux et/ou administratif concernant les demandes de permis de construire et de STECAL déposées par Monsieur [Y] [J] ;

- A titre subsidiaire : Débouter l'État représenté par Monsieur le Préfet de [Localité 12] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de Monsieur [J] ;

- A titre infiniment subsidiaire : Accorder à Monsieur [Y] [J] un délai de grâce pour quitter les lieux d'une durée minimum de 24 mois et suspendre en conséquence la demande d'expulsion formée par Monsieur le Préfet de [Localité 12] représentant l'État ;

- En tout état de cause : Mettre hors de cause Madame [M] [U] et en conséquence, débouter l'État pris en la personne du Préfet de [Localité 12] de toute demande à l'encontre de Madame [U], le condamner à verser à Madame [U] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner l'État pris en la personne du Préfet de [Localité 12] à verser à Monsieur [Y] [O] [J] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner l'État pris en la personne du Préfet de [Localité 12] aux entiers dépens.

Ils font valoir que Monsieur [Y] [J] a adressé un recours gracieux à la Mairie et à la Préfecture le 23 novembre 2023 ainsi qu'une demande de permis de construire concernant le bâtiment en dur et la clôture présents sur la parcelle, dont le rejet a également fait l'objet d'un recours gracieux le 11 mars 2024. Devant le refus implicite de la Préfecture, ils indiquent avoir mandaté un avocat aux fins de saisir la juridiction administrative pour contester cette décision. Ils estiment que leurs tentatives de régularisation de la situation démontrent leur bonne foi et qu'il est nécessaire, pour statuer, qu'il soit sursis jusqu'à la décision du tribunal administratif.

Sur le fond, ils font valoir que la demande d'expulsion porte atteinte de manière disproportionnée au droit au respect et à la vie privée et familiale puisque les consorts [J] étant issus de la communauté des gens du voyage, l'usage qu'ils font de cette parcelle correspond à leur domicile. Ils précisent qu'il serait, à tout le moins, nécessaire de leur accorder des délais pour se reloger.

Enfin, ils indiquent que Madame [M] [U], compagne de Monsieur [Y] [J], n'étant pas propriétaire de la parcelle litigieuse, elle devra être mise hors de cause.

Madame [D] [J], représentée par son avocat, se référant à ses conclusions écrites, a sollicité de :

-Juger n'y avoir lieu à référé ;
-Laisser les dépens à la charge de l'État.

Elle fait valoir qu'elle n'a fait l'objet d'aucune condamnation pénale et qu'elle tient ses droits de Monsieur [N] [J], lequel n'a pas été condamné à remettre les lieux en état du fait de l'infirmation partielle prononcée par la Cour d'appel de Paris le 16 décembre 2020. Elle précise qu'aucune construction en dur n'est édifiée sur ses parcelles et qu'elle a été autorisée à implanter des clôtures et à rénover son habitation préexistante par la Mairie.

En réponse aux demandes reconventionnelles, l'Etat pris en la personne de Monsieur le Préfet de [Localité 12] indique que le recours exercé par Monsieur [Y] [J] n'est pas sérieux, ce qui devra conduire à rejeter la demande de sursis à statuer qui lui paraît, au demeurant, dilatoire au regard de l'ancienneté des faits. Il ajoute que l'expulsion demandée ne porte nullement atteinte à la vie privée des défendeurs qui ne justifient pas d'une impossibilité à se reloger, dans un contexte où leurs agissements de mauvaise foi ne sauraient leur permettre d'invoquer une atteinte à ce droit. Il indique que les conditions légales requises pour l'obtention de délai ne sont pas réunies et que Madame [U] étant occupante du terrain en sa qualité de compagne de Monsieur [Y] [J], il n'y a pas lieu de la mettre hors de cause.

Mesdames [C] et [B] [T] et Monsieur [N] [J], bien que régulièrement assignés, n'ont pas constitué avocat.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à l'assignation introductive d'instance et aux écritures déposées et développées oralement à l'audience ainsi qu'à la note d'audience.

A l'issue des débats il a été indiqué aux parties que l'affaire était mise en délibéré au 7 juin 2024 et que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe.

Par note en délibéré autorisée, en date du 12 mai 2024, Monsieur [Y] [J] et Madame [M] [U] ont transmis la copie de leur requête en annulation du refus implicite du Maire de [Localité 9] de modifier le PLU et la délimitation de la parcelle [Cadastre 5] en STECAL, requête déposée devant le tribunal administratif de Versailles et datée du 25 mars 2024.

MOTIFS

Sur la procédure

En application des dispositions de l'article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond, le juge ne faisant droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.

Les demandes des parties tendant à voir "dire et juger" ou "constater" ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l'article 4 du code de procédure civile et ne donneront pas lieu à mention au dispositif.

Sur la demande de sursis à statuer

L'article 378 du code de procédure civile dispose que la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'évènement qu'elle détermine.

L'article 110 du même code prévoit que le juge peut suspendre l'instance lorsque l'une des parties invoque une décision, frappée de tierce opposition, de recours en révision ou de pourvoi en cassation.

Or, le fait qu'une partie allègue devant le juge civil que le juge administratif est saisi d'un recours contre une décision administrative ne constitue pas par lui-même une question préjudicielle motivant un sursis à statuer. La juridiction de l'ordre judiciaire, à qui est opposée une exception tirée de l'interprétation ou de la validité d'un acte administratif individuel, n'est tenue de surseoir à statuer que si cette exception présente un caractère sérieux et porte sur une question dont la solution est nécessaire au règlement du litige.

Au cas présent, l'instance a été introduite au visa des articles 835 du code de procédure civile et L.480-9 du code de l'urbanisme. Ce dernier prévoit que, si, à l'expiration du délai fixé par le jugement, la démolition, la mise en conformité ou la remise en état ordonnée n'est pas complètement achevée, le maire ou le fonctionnaire compétent peut faire procéder d'office à tous travaux nécessaires à l'exécution de la décision de justice aux frais et risques du bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol.

Au cas où les travaux porteraient atteinte à des droits acquis par des tiers sur les lieux ou ouvrages visés, le maire ou le fonctionnaire compétent ne pourra faire procéder aux travaux mentionnés à l'alinéa précédent qu'après décision du tribunal judiciaire qui ordonnera, le cas échéant, l'expulsion de tous occupants.

Monsieur [Y] [J] fait valoir qu'il a introduit deux recours gracieux en date du 24 novembre 2023 auprès de la Mairie de [Localité 9] et de la Préfecture de [Localité 12] et une demande de permis de construire qui a fait l'objet d'un arrêté de refus en date du 6 février 2024 contre lequel il a également engagé un recours gracieux en date du 11 mars 2024.

Or, les deux premiers recours gracieux, en l'absence de réponse sous deux mois, ont été implicitement refusés et il disposait d'un délai de deux mois supplémentaires, soit jusqu'au 24 mars 2024 (aucune pièce produite ne démontrant la date de réception de ce recours par la Mairie), pour engager un recours contentieux. La requête en annulation produite en cours de délibéré, et dont la date de dépôt au tribunal administratif de Versailles n'est pas connue, est datée du 25 mars 2024. En l'absence d'autres éléments d'appréciation des différents délais et notamment de pièces permettant de vérifier la date de réception du recours grâcieux par les services de la Mairie et celle de placement de la requête en annulation par le tribunal administratif, il ne démontre pas avoir agi pendant les délais légaux.

Le second recours gracieux relatif au refus de permis de construire est quant à lui toujours en cours. Cependant, il n'a été communiqué que partiellement dans le cadre de la présente instance (uniquement les deux premières pages) privant ainsi le juge des référés de la possibilité de prendre connaissance des moyens invoqués et d'évaluer le caractère sérieux du recours engagé.

Il est en outre constaté que, s'agissant d'une procédure administrative engagée depuis 2014 avec les premiers procès-verbaux de constatation d'infraction et d'une condamnation pénale définitive depuis l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 16 décembre 2020, le défendeur n'a engagé de démarches de régularisation que postérieurement à la délivrance de l'assignation dans le cadre de la présente instance, soit près de trois ans après que la décision pénale ait revêtu son caractère définitif.

Dès lors, Monsieur [Y] [J] échoue à démontrer que les conditions d'un sursis à statuer sont remplies. Il n'y a donc pas lieu à référé sur la demande de sursis à statuer.

Sur la demande de mise hors de cause de Madame [M] [U]

Il ressort des éléments versés aux débat et non contestés en défense, que Madame [M] [U] est la compagne de Monsieur [Y] [J], propriétaire de la parcelle cadastrée [Cadastre 5].

A ce titre, le procès-verbal établi par un commissaire de justice les 15 et 17 janvier 2023 a constaté qu'elle était occupante de la parcelle cadastrée [Cadastre 5]. Dès lors, s'agissant d'une demande d'expulsion de tout occupant des lieux, peu importe que celle-ci ne soit pas propriétaire de la parcelle.

Il n'y a, par conséquent, pas lieu de mettre hors de cause Madame [M] [U].

Sur la demande d'expulsion

L'article 835 du code de procédure civile prévoit que le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite résulte, quant à lui, de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.

Aux termes de l'article L.480-9 du code de l'urbanisme, à l'expiration du délai fixé par le jugement, si la démolition, la mise en conformité ou la remise en état n'a pas été complètement achevée, le maire ou le fonctionnaire compétent peut faire procéder d'office à tous travaux nécessaires à l'exécution de la décision de justice aux frais et risques du bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol.

Au cas où les travaux porteraient atteinte à des droits acquis par des tiers sur les lieux ou ouvrages visés, le maire ou le fonctionnaire compétent ne pourra faire procéder aux travaux qu'après décision du tribunal judiciaire qui ordonnera, le cas échéant, l'expulsion de tous les occupants.

Aux termes de l'article R.480-4 du code de l'urbanisme, l'autorité administrative habilitée à exercer les attributions qui sont définies aux articles L.480-2, L.480-5, L.480-6 et L.480-9 est le Préfet, qui peut déléguer, dans les matières relevant de leur compétence, l'exercice de ces attributions aux chefs de service départementaux des administrations civiles de l'État ou à leurs subordonnés ainsi qu'aux agents relevant du ministère de la culture et de l'environnement.

Au cas présent, Monsieur [Y] [J], Madame [D] [J] et Mesdames [C] et [B] [T] sont propriétaires des parcelles cadastrées [Cadastre 5] à [Cadastre 8] situées [Adresse 11], acquises par donation de Monsieur [N] [Z] [J] (fils).

Par jugement du tribunal correctionnel d'Évry du 5 avril 2018, tel que partiellement confirmé par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 16 décembre 2020, Monsieur [Y] [J] et Monsieur [N] [Z] [J] (fils) ont été notamment condamnés à remettre en état les lieux (parcelle cadastrée [Cadastre 4]) dans un délai de six mois, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et ce avec exécution provisoire.

Dès lors, le moyen développé par Madame [D] [J] selon lequel elle tiendrait ses droits de Monsieur [N] [J] (père) bénéficiaire de l'infirmation partielle de la cour d'appel et par tant non condamné à remettre en état les lieux, sera écarté, l'acte de donation permettant de confirmer qu'elle tient bien ses droits de Monsieur [N] [Z] [J] (fils), condamné pénalement comme précédemment invoqué.

Dans le cadre du PLU de la ville de [Localité 9], les parcelles cadastrées [Cadastre 5] à [Cadastre 8] sont situées en zone N dans laquelle sont interdites notamment les occupations du sol liées à des activités commerciales, artisanales ou des secteurs secondaire et tertiaire, les aménagements de terrains pour le camping et le stationnement de caravanes, et les dépôts de toute nature. Les défrichements de zone boisée sont interdits, les abattage ou coupe d'arbres étant soumis à des conditions particulières. Enfin, sont également soumises à des conditions particulières les extensions de constructions préexistantes légalement édifiées.

Le procès-verbal établi par un commissaire de justice en date des 15 et 17 janvier 2023 confirme notamment la présence :
-sur la parcelle [Cadastre 5] appartenant à Monsieur [Y] [J] : d'un large portail métallique flanqué de chaque côté par des piliers en parpaing, d'une couche de granulats au sol formant une aire de circulation pour les véhicules et caravanes, d'une étendue de gravats majoritairement constituée de tuiles brisées, de caravanes et véhicules divers, d'un abri de jardin non fixé au sol, d'une construction modulaire de type chantier, d'un bâtiment de type grange sous laquelle se situe un chalet en bois à usage d'habitation et une extension en cours d'édification ;
-sur les parcelles [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 2] appartenant à Madame [D] [J] : des véhicules, une surélévation du terrain, un chalet en cours de construction dont les murs sont érigés en parpaing, des caravanes et véhicules et une clôture grillagée ;
-sur la parcelle [Cadastre 8] appartenant à Mesdames [C] et [B] [T] : des monticules de terre et de gravats et une caravane.

Il en ressort que les parcelles [Cadastre 5] à [Cadastre 8], anciennement [Cadastre 4], n'ont pas été remises en état depuis le jugement correctionnel et que de nouveaux travaux sont en cours sur deux d'entre elles.

Si Monsieur [Y] [J] fait valoir qu'il a engagé un recours gracieux contre la décision de refus de permis de construire visant à régulariser les constructions érigées sur la parcelle [Cadastre 5], ce recours n'a pas abouti favorablement avant le rendu de la présente décision et il n'est démontré aucun élément en faveur d'un éventuel recours contentieux à venir.

En outre, s'il indique avoir formé une demande pour bénéficier d'une modification du PLU pour que sa parcelle soit reconnue comme aire d'accueil et terrain familial locatif destiné à l'habitat des gens du voyage (dits STECAL) en application de l'article L.151-13 du code de l'urbanisme, il ne justifie pas d'avoir engagé un recours contentieux dans le délai de deux mois suivant ce refus implicite.

En outre, à supposer la demande de STECAL acceptée, celle-ci concerne l'installation de résidences démontables et non la construction de bâtiments en dur. Dès lors, elle ne saurait constituer une contestation sérieuse à la demande principale visant à expulser provisoirement Monsieur [Y] [J] et Madame [M] [U] pour remettre en état la parcelle [Cadastre 5].

S'agissant de la situation particulière de Madame [D] [J], celle-ci produit deux décisions de non-opposition de la commune de [Localité 9], en date des 30 janvier 2020 et 22 mars 2022, suivant des déclarations préalables qu'elle a faite pour l'édification d'un grillage rigide et plaque de béton de 50 cm sur les parcelles cadastrées [Cadastre 7] et [Cadastre 2], et pour la rénovation de la façade en bois et de la toiture en tôle d'un local de stockage sur une surface au sol existante de 88m² sur la parcelle cadastrée [Cadastre 7].

Mais il ressort du procès-verbal de commissaire de justice précité que le chalet en cours de construction sur le terrain appartenant à Madame [D] [J] vient en remplacement d'une ancienne cabane en bois démolie. Or, tel n'est pas l'objet de la déclaration préalable ayant bénéficié d'une non opposition en date du 22 mars 2022, portant sur la rénovation de la façade en bois et de la toiture en tôle d'un local de stockage et non sur une construction en dur.

En conséquence, si le caractère manifestement illicite de la construction du grillage et de son mur de soubassement se heurte à une contestation sérieuse, tel n'est pas le cas du bâtiment en cours de construction.

Dès lors, l'Etat pris en la personne de Monsieur le Préfet de [Localité 12] établit, par le non-respect du PLU et de la condamnation pénale devenue définitive par les défendeurs, l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant de la violation évidente de la règle de droit.

Il ne saurait être considéré que cela constitue une atteinte disproportionnée au droit de propriété des défendeurs, dès lors que l'autorité publique n'a d'autre choix, conformément à l'article L.480-9 du code de l'urbanisme, que de se substituer aux propriétaires défaillants pour faire procéder à une remise en état des lieux afin de leur permettre de recouvrer leur destination naturelle et qu'une telle remise en l'état, qui suppose l'intervention d'une équipe d'ouvriers et d'engins de chantier, présuppose que le terrain soit laissé nu le temps des travaux.

Pour mettre fin au trouble manifestement illicite constaté et à défaut d'évacuation spontanée et volontaire dans le délai d'un mois par les propriétaires tout comme par les personnes s'y étant installées, quelles qu'en soient les conditions, il convient d'ordonner l'expulsion temporaire de Monsieur [Y] [J] et Madame [M] [U], Madame [D] [J], Mesdames [C] et [B] [T], et Monsieur [N] [J], pendant une durée qui ne peut excéder celle nécessaire à l'exécution des travaux de remise en état et ne pouvant excéder quatre mois, le demandeur ne justifiant pas les nécessités imposant d'augmenter ce délai à 6 mois.

Par conséquent, l'État pris en la personne de Monsieur le Préfet de [Localité 12] est autorisé à faire procéder à l'expulsion des défendeurs et de celle de tous occupants de leur chef, au besoin avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier, en l'absence de départ volontaire dans le délai d'un mois suivant la signification de la présente décision.

Sur les délais d'expulsion

En vertu de l'article L.412-1 du code des procédures civiles d'exécution, si l'expulsion porte sur un local affecté à l'habitation principale de la personne expulsée ou de tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu'à l'expiration d'un délai de deux mois qui suit le commandement d'avoir à quitter les lieux.

Aux termes de l'article L.412-6 du code des procédures civiles d'exécution il doit être sursis à toute mesure d'expulsion non exécutée à la date du 1er novembre de chaque année jusqu'au 31 mars de l'année suivante, à moins que le relogement des intéressés soit assuré dans des conditions suffisantes respectant l'unité et les besoins de la famille. Les dispositions du présent article ne sont toutefois pas applicables lorsque les personnes dont l'expulsion a été ordonnée sont entrés dans les locaux par voie de fait ou lorsque ceux-ci sont situés dans un immeuble ayant fait l'objet d'un arrêté de péril.

En l'espèce, dans la mesure où les défendeurs ont installé leur domicile dans les lieux par voie de fait, c'est-à-dire sans autorisation légale, réglementaire ou conventionnelle, il convient de constater que les délais prévus aux articles L.412-1, L.412-3 et L.412-6 du code des procédures civiles d'exécution n'ont pas lieu de s'appliquer au présent litige.

Sur le sort des biens mobiliers

Concernant les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place, il y a lieu d'appliquer les dispositions des articles L.433-1 et R.433-1 du code des procédures civiles d'exécution.

Il convient également d'autoriser que les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place, en ce compris les véhicules et caravanes, soient transportés dans tout garde meubles ou lieu adapté au choix de Monsieur le Préfet de [Localité 12] aux frais et risques des défendeurs.

Sur les frais et dépens

Monsieur [Y] [J] et Madame [M] [U], Madame [D] [J], Mesdames [C] et [B] [T], et Monsieur [N] [J], parties perdantes, seront condamnés in solidum aux dépens de la présente procédure de référé.

En application de l'article 700 du code de procédure civile les défendeurs seront en outre condamnés in solidum à payer à la PREFECTURE DE [Localité 12] une indemnité de procédure qu'il est équitable de fixer à la somme de 1.500 euros.

PAR CES MOTIFS

Le juge des référés, statuant publiquement, par ordonnance réputée contradictoire rendue par voie de mise à disposition au greffe et en premier ressort,

REJETTE la demande de sursis à statuer présentée par Monsieur [Y] [J] et Madame [M] [U] ;

REJETTE la demande de mise hors de cause de Madame [M] [U] ;

DIT que Monsieur [Y] [J] et Madame [M] [U], Madame [D] [J], Mesdames [C] et [B] [T], et Monsieur [N] [J] devront libérer provisoirement les parcelles cadastrées [Cadastre 5] à [Cadastre 8], situées [Adresse 11] et ce à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision ;

ORDONNE l'expulsion de Monsieur [Y] [J] et Madame [M] [U], Madame [D] [J], Mesdames [C] et [B] [T], et Monsieur [N] [J] et de tous occupants de leur chef, avec leurs biens mobiliers en ce compris les véhicules et résidences mobiles, des parcelles cadastrées [Cadastre 5] à [Cadastre 8], situées [Adresse 11] et ce à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, avec l'assistance d'un serrurier et le concours de la force publique en tant que besoin ;

ORDONNE le transport et le séquestre des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux dans un garde-meubles au choix de l'Etat, pris en la personne de Monsieur le Préfet de [Localité 12], aux frais, risques et périls de Monsieur [Y] [J] et Madame [M] [U], Madame [D] [J], Mesdames [C] et [B] [T], et Monsieur [N] [J] ;

DIT que cette expulsion est temporaire, et durera le temps nécessaire à la réalisation des travaux de remise en état dans la limite de quatre mois ;

CONDAMNE in solidum Monsieur [Y] [J] et Madame [M] [U], Madame [D] [J], Mesdames [C] et [B] [T], et Monsieur [N] [J] aux dépens de la présente instance ;

CONDAMNE in solidum Monsieur [Y] [J] et Madame [M] [U], Madame [D] [J], Mesdames [C] et [B] [T], et Monsieur [N] [J] à verser à l'Etat pris en la personne de Monsieur le Préfet de [Localité 12] la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire ;

RAPPELLE que la présente ordonnance est exécutoire par provision.

Ainsi fait et prononcé par mise à disposition au greffe, le 7 juin 2024, et nous avons signé avec le greffier.

Le Greffier,Le Juge des Référés,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire d'Évry
Formation : Chambre des référés
Numéro d'arrêt : 23/01191
Date de la décision : 07/06/2024
Sens de l'arrêt : Expulsion "ferme" ordonnée en référé (sans suspension des effets de la clause résolutoire)

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-07;23.01191 ?
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