Minute n°
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
13 AOÛT 2024
N° RG 22/02194 - N° Portalis DB22-W-B7G-QP7B
Code NAC : 74Z
A.G.
DEMANDERESSE :
La commune d’[Localité 13], collectivité territoriale de la République Française dont l’hôtel de ville est situé [Adresse 12], représentée par son Maire en exercice selon délibération
n° 2020/1 autorisant le Maire à ester en justice,
représentée par Maître Natacha MAREST-CHAVENON de la SELARL REYNAUD AVOCATS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES et par Maître Julie VUAGNOUX de L’AARPI WALDEN AVOCATS, avocat plaidant au barreau de PARIS.
DÉFENDEURS :
1/ Monsieur [X] [R]
demeurant [Adresse 5],
2/ Madame [M] [G]-[R]
demeurant [Adresse 5],
représentés par Maître Marie HEMOND, avocat plaidant/postulant au barreau de VERSAILLES.
ACTE INITIAL du 11 Avril 2022 reçu au greffe le 21 Avril 2022.
DÉBATS : A l'audience publique tenue le 04 Juin 2024, Monsieur JOLY, Premier Vice-Président Adjoint et Madame GARDE, Juge, siégeant en qualité de juges rapporteurs avec l’accord des parties en application de l’article 805 du Code de procédure civile, assistés de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, ont indiqué que l’affaire sera mise en délibéré au 13 Août 2024.
MAGISTRATS AYANT DÉLIBÉRÉ :
M. JOLY, Premier Vice-Président Adjoint
Madame GARDE, Juge
Madame FRANÇOIS-HARY, Première Vice-Présidente
GREFFIER :
Madame LOPES DOS SANTOS
* * * * * *
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [X] [R] et Madame [M] [G], son épouse, sont propriétaires depuis le 27 mai 2011 du château d’[Localité 13] situé [Adresse 5] à [Localité 13] (78). Leur parcelle, cadastrée section AB [Cadastre 3] (lot B) est issue de la division de l’assiette foncière initiale du château en trois lots (A, B et C) par acte dressé en la forme authentique le 21 octobre 1982.
L’acte de division a institué au profit du lot B diverses servitudes par destination du père de famille relatives au passage de canalisations de gaz, électricité et tout à l’égout grevant le lot A, depuis lors divisé en trois parcelles cadastrées section AB n° [Cadastre 7], [Cadastre 8] et [Cadastre 9], et plus particulièrement la parcelle cadastrée section AB n° [Cadastre 8] située [Adresse 6] à [Localité 13] appartenant, depuis le 29 décembre 2016, à la commune éponyme, la parcelle section AB n° [Cadastre 7] étant restée la propriété de la commune de [Localité 15].
Les canalisations de gaz et d’électricité aboutissent dans un bâtiment technique contigu au bâtiment principal de la mairie, appelé “appentis”.
Par délibération du 15 mai 2018, le conseil municipal d’[Localité 13] a approuvé la demande de subvention présentée dans le cadre de la Dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et d’un contrat rural pour un projet d’extension et de mise aux normes de la mairie. Un nouveau contrat rural, validé par délibération du conseil régional du 24 janvier 2019, a ensuite été adopté.
Par délibération du 12 décembre 2019, le conseil municipal d’[Localité 13] a autorisé le maire à déposer un permis de construire pour la réalisation du projet de rénovation, d’agrandissement et de mise aux normes du bâtiment de la mairie.
Le permis de construire sollicité a été accordé aux termes d’un arrêté
n° PC 07800719A0004 en date du 24 juillet 2020. Une requête en annulation a été introduite par les époux [R] devant le tribunal administratif
de Versailles le 27 septembre 2020 et rejetée par cette même juridiction le
21 avril 2023. Un appel est pendant devant la cour administrative d’appel de Versailles.
L’inauguration de la nouvelle mairie rénovée s’est tenue le 19 mars 2022.
Par courrier du 20 janvier 2022, la commune d’[Localité 13] a sollicité l’accord exprès des époux [R] pour procéder au déplacement de l’assiette de leurs servitudes de canalisation, motif pris que la démolition de l’appentis y donnant accès était nécessaire pour la création d’une place de stationnement pour les personnes à mobilité réduite. Les époux [R] s’y sont fermement opposés.
C’est dans ces conditions que, par exploit introductif d’instance signifié le
11 avril 2022, la commune d’[Localité 13] a fait assigner Monsieur [X] [R] et Madame [M] [G], son épouse, devant le tribunal judiciaire de Versailles aux fins d’entériner le déplacement de l’assiette des servitudes litigieuses.
Une première ordonnance de clôture a été rendue le 6 septembre 2023.
Par conclusions d’incident notifiées au greffe par voie électronique le
28 novembre 2023, les époux [R] ont saisi la présente juridiction d’une demande de révocation de l’ordonnance de clôture.
A l’audience du 6 février 2024, le tribunal a ordonné la révocation de l’ordonnance de clôture rendue le 6 septembre 2023 et renvoyé la cause et les parties à l’audience de mise en état du 12 mars 2024 à 09h30 pour qu’elles intègrent à leurs développements écrits la question spécifique de la convention conclue entre la commune d’[Localité 13] et GRDF.
Une seconde ordonnance de clôture a été rendue le 12 mars 2024.
Puis, à l’issue de l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 4 juin 2024, le tribunal a demandé, par voie de note en délibéré notifiée sous 15 jours par voie de RPVA, les observations des parties sur la compétence du tribunal pour statuer sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité du maire en exercice pour représenter la commune dans le cadre du présent litige.
Dans leurs notes en réponse, notifiées le 17 juin 2024, les parties n’évoquent pas la compétence exclusive du juge de la mise en état pour statuer sur les fins de non-recevoir.
Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées au greffe par voie électronique le 8 mars 2024, la commune d’[Localité 13] demande au tribunal de :
- Déclarer la commune d’[Localité 13] recevable et bien fondée en ses demandes,
- Autoriser la commune d’[Localité 13] à déplacer l’assiette des servitudes d’accès au profit de la parcelle du Château appartenant aux époux [R] en limite de sa propriété,
- Condamner Monsieur [X] [R] et Madame [M] [G]-[R] à verser à la commune d’[Localité 13] la somme de 10.000 euros, sauf à parfaire, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- Condamner Monsieur [X] [R] et Madame [M] [G]-[R] aux entiers dépens, dont distraction au profit du cabinet Gowling Wlg, en application de l’article (sic) du code de procédure civile,
- Rejeter la demande reconventionnelle des époux [R] comme infondée,
- Dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
La commune d’[Localité 13] indique, sur le fondement de l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, que le conseil municipal d’[Localité 13] a, par une délibération n° 2020/1 du 26 mai 2020, décider de donner au maire une délégation générale de compétences, dont le droit d’ester au justice au nom et pour le compte de la commune. Elle ajoute que la présente procédure a pour but de pouvoir achever les travaux autorisés par le permis de construire en date du 27 juillet 2020. Elle en déduit que la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir du maire en exercice pour représenter la commune dans le cadre du présent litige doit être rejetée.
Elle soutient, au visa de l’article 701 du code civil, que le propriétaire du fonds servant peut modifier l’assiette de la servitude grevant son terrain s’il démontre un empêchement à la réalisation de réparations avantageuses tout en proposant au propriétaire du fonds dominant un endroit d’une commodité équivalente pour l’exercice de ses droits.
Elle explique, s’agissant de la première condition tenant à l’aggravation de la charge initiale pesant sur le fonds servant, que les travaux en cours ont pour but la rénovation et la mise en conformité des locaux de la mairie (accessibilité, remise aux normes, etc.) Elle fait valoir que ces travaux, subventionnés par le département et la région, s’inscrivent dans le cadre de l’agenda d’accessibilité programmée approuvé par arrêté préfectoral du 24 février 2016 et doivent, en conséquence, être effectués. Elle rétorque que la réalisation de la place de stationnement accessible aux personnes à mobilité réduite entre dans le champ du permis construire du 27 juillet 2020 et que celui-ci est exécutoire. Elle considère que la présente juridiction n’a pas à statuer sur la faisabilité des travaux projetés et que le tribunal administratif de Versailles a d’ores et déjà tranché la question de la légalité du permis de construire. Elle souligne que l’argumentaire des époux [R] est en contradiction avec la position de l’inspectrice des sites de la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement, de l’aménagement et des transports (DRIEAT) et que les projets en cours de discussion ne peuvent faire l’objet de parallèles utiles, leurs caractéristiques et modalités de réalisation n’étant pas encore définitivement arrêtées.
Elle argue, s’agissant de la seconde condition tenant à l’équivalence des commodités, que le tracé envisagé sera plus direct, plus court et plus simple que celui existant. Elle note que, tout en restant implantés sur la parcelle de la commune, les compteurs seront directement accessibles depuis le terrain du château. Elle se réfère encore à l’obtention de l’accord des concessionnaires de réseaux depuis l’année 2020 pour procéder au transfert litigieux, celui-ci ne présentant aucune difficulté technique.
Elle souligne que la convention signée avec GRDF le 9 octobre 2023 a pour objet la modification du tracé et des caractéristiques du passage en tréfonds, sous les parcelles appartenant à la commune, de ses canalisations gazières. Elle rétorque que cette convention ne concerne ni l’accès ni l’emplacement des compteurs du château, de sorte qu’elle est sans incidence sur les termes du litige.
Elle affirme que les époux [R] ne supporteront pas les frais liés à la modification de l’assiette des servitudes et au déplacement des compteurs.
Elle réplique que l’achèvement des travaux suppose l’accomplissement de tous les travaux prévus et autorisés par le permis de construire. Elle estime qu’à ce jour, les travaux ne sont pas achevés au sens du droit de l’urbanisme, ce qui suffit à justifier l’engagement de la présente procédure pour y parvenir. Elle rétorque que toutes les procédures administratives ont été initiées par les époux [W] et qu’aucun harcèlement de sa part n’est démontré.
Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées au greffe par voie électronique le 8 mars 2024, Monsieur [X] [R] et Madame [M] [G]-[R] demandent au tribunal de :
A titre principal,
- Juger irrecevable la demande de la commune,
- Juger que la demande de déplacement de la servitude d’accès aux compteurs formulée par la commune est mal fondée,
A titre subsidiaire,
- Juger que les conditions justifiant le déplacement des servitudes dont bénéficient Monsieur et Madame [R] ne sont pas remplies au sens des dispositions de l’article 701 du code civil,
En conséquence,
- Débouter la commune d’[Localité 13] de l’intégralité de ses demandes,
- Condamner à titre reconventionnel la commune d’[Localité 13] à verser à Monsieur et Madame [R] la somme de 20.000 € en réparation de la mise en oeuvre à leur encontre d’une procédure abusive,
- Condamner la commune d’[Localité 13] à verser à Monsieur et Madame [R] la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Hemond en application de l’article 699 du code de procédure civile,
A titre infiniment subsidiaire,
- Ecarter l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
Les époux [R] soutiennent, au visa des articles L. 2121-29 et L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, que la modification de l’assiette de servitudes inscrites sur le domaine public tout comme la signature de conventions de servitudes ne font pas partie des délégations pouvant être accordées au maire. Ils considèrent qu’avant de les assigner, la commune d’[Localité 13] devait, à peine d’irrecevabilité de l’action engagée, obtenir une délibération préalable et favorable du conseil municipal sur la demande de déplacement. Ils ajoutent que la modification de la servitude proposée s’accompagne d’un nouvel emplacement pour le bâtiment abritant les compteurs et installations techniques et qu’aucune autorisation d’urbanisme préalable n’a été régularisée. Ils concluent, in fine, à l’irrecevabilité de l’action intentée.
Ils exposent, s’agissant de la première condition tenant à l’aggravation de la charge initiale pesant sur le fonds servant, que l’accessibilité des locaux a pu être corrigée sans démolition préalable du bâtiment abritant les compteurs du château. Ils relèvent, en effet, que l’essentiel des travaux d’amélioration projetés se concentrait au niveau du bâtiment principal de l’hôtel de ville dont l’inauguration s’est tenue le 19 mars 2022. Ils considèrent, par ailleurs, que les difficultés d’accès alléguées ne sont pas démontrées et que la preuve de la faisabilité de la place de stationnement litigieuse n’est pas rapportée. Ils répliquent que la décision du tribunal administratif de Versailles n’est pas définitive et qu’elle ne porte, au demeurant, que sur la recevabilité de la requête (et non sur son bien-fondé). Ils arguent de l’existence d’un avant-projet définitif pour la construction d’une salle polyvalente et d’une bibliothèque approuvé par le conseil municipal le 14 octobre 2022 projetant une situation géographique différente pour la place de stationnement litigieuse, sans démolition de l’appentis. Ils indiquent que l’assiette foncière dont dispose la commune lui permet, le cas échéant, de créer des emplacements de stationnement pour personnes à mobilité réduite sans frais ni démolition. Ils font grief à la commune d’agir par choix délibéré, sans aucune contrainte technique et/ou économique, ce que ne permettent pas les dispositions légales. Ils précisent, s’agissant des travaux de mise en conformité, que les vérifications périodiques des installations électriques n’ont pas porté sur les compteurs et qu’aucune trace d’amiante n’a été détectée dans l’appentis. Ils observent également que les travaux de démolition ne font pas partie des travaux concernés par les subventions attribuées par le département et la région, subventions accordées avant le dépôt du permis de construire.
Ils prétendent, s’agissant de la seconde condition tenant à l’équivalence des commodités, que la faisabilité technique du déplacement n’est pas établie en raison des canalisations électriques et gazières avales existantes (indispensables à l’alimentation du château) et des contraintes techniques inhérentes aux canalisations de gaz (fourreau en fibres d’amiante). Ils soulèvent aussi des difficultés d’ordre juridique, le nouvel emplacement des compteurs empiétant sur l’assiette d’une servitude de passage consentie à la commune de [Localité 15] et le classement de la parcelle cadastrée section AB n° [Cadastre 8] supposant, pour toute constitution de servitude, l’agrément préalable du ministre chargé des sites. Ils prétendent, enfin, que le déplacement des compteurs en limite de propriété avec la parcelle cadastrée AB n° [Cadastre 2] supposerait l’édification d’une nouvelle construction, l’aménagement d’un accès depuis l’intérieur de leur propriété, fermée par un portail d’accès, et le raccordement des canalisations avales aux compteurs, dont ni les modalités ni le coût n’ont été sérieusement envisagés par la commune.
Il expliquent que, par délibération du 29 septembre 2023, le conseil municipal d’[Localité 13] a autorisé la signature d’une convention entre la commune d’[Localité 13] et la société GRDF concédant à la société GRDF une servitude de passage en tréfonds sur les parcelles AB n° [Cadastre 8], AB n° [Cadastre 10] et AB n° [Cadastre 11] de canalisations destinées à la distribution de gaz et de tous accessoires y compris en surface tels que les protections cathodiques et les postes de détente en surface. Ils précisent que les plans annexés à cette nouvelle convention révèlent un prolongement des canalisations de 6 mètres depuis la place du château jusqu’à la parcelle AB n° [Cadastre 8] où l’installation d’un compteur gaz est prévue en limite de propriété en lieu et place du positionnement envisagé par la commune pour le déplacement des compteurs gaz et électricité du château. Ils ajoutent que ces mêmes plans montrent l’installation d’un nouveau compteur gaz au même endroit que la place de stationnement PMR dont se prévaut la commune pour justifier sa demande de déplacement des compteurs du château. Ils en concluent que la commune d’[Localité 13] ne justifie plus d’un lieu de déplacement des compteurs, en violation des dispositions de l’article 701 du code civil.
Ils soutiennent que le caractère infondé de la présente procédure ainsi que les propos diffamatoires tenus par le maire de la commune dénotent le harcèlement administratif et judiciaire qu’ils subissent pour faire simplement valoir leurs droits.
Ils sollicitent, le cas échéant, que l’exécution provisoire de la présente décision soit écartée eu égard aux conséquences irréversibles qu’elle est susceptible d’engendrer.
MOTIFS
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir du maire
Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, l’article 789 du code de procédure civile dispose que le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les fins de non-recevoir.
Cette règle est d’ordre public.
En l’espèce, il appartenait aux époux [R] de saisir en temps utile le juge de la mise en état de la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir du maire en exercice. A défaut, ces derniers ne peuvent utilement s’en prévaloir devant le juge du fond.
La fin de non recevoir présentée sera, par conséquent, déclarée irrecevable.
Sur le transport de l’exercice de la servitude
Sur le périmètre de la demande
La commune d’[Localité 13] demande au tribunal de l’autoriser à déplacer l’assiette des servitudes d’accès au profit de la parcelle du château appartenant aux époux [R] en limite de leur propriété.
Si les époux [R] soulignent, à juste titre, que le droit d’accès aux compteurs des canalisations est accessoire à la servitude consentie et ne se confond pas avec elle, la distinction qu’ils opèrent est artificielle, la demande formée par la commune d’[Localité 13], fondée sur l’article 701 du code civil, ne souffrant d’aucune ambiguïté compte tenu des termes du débat.
Sur le bien-fondé de la demande
En application de l’article 701 du code civil, le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l’usage, ou à le rendre plus incommode.
Ainsi, il ne peut changer l’état des lieux, ni transporter l’exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée.
Mais cependant, si cette assignation primitive était devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti, ou si elle l’empêchait d’y faire des réparations avantageuses, il pourrait offrir au propriétaire de l’autre fonds un endroit aussi commode pour l’exercice de ses droits, et celui-ci ne pourrait pas le refuser.
Les parties s’accordent sur la nécessité de prévoir, outre les 28 emplacements de stationnement existants, une place accessible aux personnes à mobilité réduite. Seul l’emplacement de cette place fait débat, le projet porté par la commune impliquant la destruction de l’appentis existant.
Il appartient à la commune d’[Localité 13], propriétaire du fonds servant, de rapporter la preuve, d’une part, de son intérêt à demander une modification de l'assiette de la servitude et, d’autre part, de l’équivalence de conditions de la nouvelle assiette proposée.
Si la conformité administrative du projet de transport de l’exercice d’une servitude est un préalable nécessaire à son autorisation, il ne préjuge pas de son bien-fondé et n’exonère pas le propriétaire du fonds servant du respect des deux conditions susvisées.
Au soutien de ses prétentions, la commune verse aux débats un arrêté accordant un permis de construire n° [Numéro identifiant 4] assorti de prescriptions valant autorisation de travaux et démolition, auquel sont notamment annexés les avis favorables de Madame la ministre de la transition écologique et solidaire ainsi que des sous-commissions départementales de sécurité et d’accessibilité.
Le projet de démolition de l’appentis pour la création d’une place accessible aux personnes à mobilité réduite ne figure ni sur les plans de l’avant-projet sommaire établi au mois d’avril 2018 ni dans le descriptif du projet sur la base duquel le nouveau contrat rural n° 976 a été conclu lors de la commission permanente du 24 janvier 2019. Il est en revanche bel et bien mentionné dans la demande de permis de construire.
D’après les informations communiquées par la commune, l’entrée du terrain litigieux se situe au niveau de la [Adresse 14], dont la pente au niveau de la façade est de 2,2 %. Le début de la pente au niveau de l’intersection est à 7,6 % sur 15 mètres. La place de stationnement accessible aux personnes à mobilité réduite serait donc créée au niveau de l’entrée de la mairie, à environ 8 mètres.
Dans sa note technique, établie à la demande de Monsieur [R] le
22 mars 2021, Monsieur [E] [L], architecte DPLG et expert près la cour d’appel de Paris, indique, croquis et mesures à l’appui, que “la réalisation de la place de stationnement pour personne à mobilité réduite telle qu’autorisée dans sa représentation au permis de construire est impossible et ne respecte pas les normes. Compte tenu de la topographie du site, pentes et devers, l’implantation d’une place de stationnement à cet endroit est impossible.”
Il ajoute, sur demande de Monsieur [R], que la création d’une ou de deux places de stationnement accessibles aux personnes à mobilité réduite face à la mairie, perpendiculairement à la voie de circulation, à un endroit où la voirie est relativement plane, serait non seulement possible mais également plus opportune car plus aisée et économique. Cette analyse est corroborée par la production de l’extrait du registre des délibérations du 15 décembre 2023 aux termes duquel le conseil municipal d’[Localité 13] a approuvé le classement dans le domaine public d’une partie des parcelles AB[Cadastre 1] et AB[Cadastre 2] (voirie et parking), faisant face à la mairie.
Cette alternative, susceptible de répondre à l’exigence d’accessibilité dont la commune est débitrice tout en préservant les modalités d’exercice de la servitude existante, n’est ni sérieusement envisagée ni même critiquée par la commune d’[Localité 13]. Cette dernière se borne, en effet, à considérer que cette note est “sans portée” et en “totale contradiction avec la position de l’inspectrice des sites de la DRIEAT” sans apporter le moindre élément probant au soutien de ses allégations.
Si la commune se prévaut de la contrainte née de l’agenda d’accessibilité programmée approuvé par arrêté préfectoral du 24 février 2016, force est de constater que la nature exacte des travaux inclus dans cet agenda n’est pas connue (aucune annexe n’étant versée aux débats). Il faut également rappeler, ainsi que cela a été précédemment évoqué, que la démolition de l’appentis ne semble avoir été envisagée pour la première fois qu’en 2019, lors du dépôt de la demande de permis de construire.
S’agissant des travaux de rénovation de l’extraction et de l’évacuation des fumées, mais aussi de la suppression des matériaux contenant de l’amiante, ils ne concernent pas l’appentis. Au surplus, le refus des époux [R] de procéder au transport de l’exercice de leur servitude n’a pas nui à la poursuite des autres travaux de réhabilitation et d’accessibilité de la mairie, le nouveau site ayant été inauguré le 19 mars 2022.
Dès lors, la commune d’[Localité 13] ne prouve pas que la création d’une place de stationnement accessible aux personnes à mobilité réduite en lieu et place de l’appentis existant soit la seule solution ou la solution la plus économique pour parvenir à ses fins. Il n’y a donc pas lieu de déroger au principe de fixité de la servitude.
En conséquence, la commune d’[Localité 13] sera déboutée de l’intégralité de ses demandes, sans qu’il ne soit nécessaire de revenir en détail sur les autres moyens soulevés.
Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive
Aux termes de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile, sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
En vertu de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L'abus de droit est le fait pour une personne de commettre une faute par le dépassement des limites d'exercice d'un droit qui lui est conféré, soit en le détournant de sa finalité, soit dans le but de nuire à autrui.
Si les pièces communiquées de part et d'autre témoignent d'un conflit prégnant entre les parties et d'une multiplication des procédures administratives et/ou judiciaires, elles n'établissent pas, de la part de la commune d'[Localité 13], un détournement de son droit d'ester en justice ou une intention de nuire.
En outre, les faits de diffamation pour lesquels Monsieur [Y] [S], maire de la commune, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel, font l'objet d'une procédure distincte.
La demande de dommages et intérêts présentée sera, par conséquent, rejetée.
Sur les autres demandes
Sur les dépens
Conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
En vertu de l’article 699 du code de procédure civile, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.
La commune d’[Localité 13], qui succombe en ses demandes, sera condamnée aux dépens de l’instance avec droit de recouvrement au profit de Maître Marie Hemond.
Sur les frais irrépétibles
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.
La commune d’[Localité 13], tenue aux dépens, sera condamnée à payer aux époux [R] la somme qu’il est équitable de fixer à 4.000 € au titre des frais irrépétibles exposés.
Sur l’exécution provisoire
En application de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la décision rendue n’en dispose autrement.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,
DÉCLARE irrecevable la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir du maire en exercice pour représenter la commune d’[Localité 13],
REJETTE l'intégralité des demandes de la commune d'[Localité 13],
REJETTE la demande de dommages et intérêts de Monsieur [X] [R] et Madame [M] [G], son épouse,
CONDAMNE la commune d’[Localité 13] aux dépens de l’instance avec droit de recouvrement au profit de Maître Marie Hemond,
CONDAMNE la commune d’[Localité 13] à payer à Monsieur [X] [R] et Madame [M] [G], son épouse, la somme de 4.000 € au titre de leurs frais irrépétibles,
RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 AOÛT 2024 par M. JOLY, Premier Vice-Président Adjoint, assisté de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, lesquels ont signé la minute du présent jugement.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Carla LOPES DOS SANTOS Eric JOLY