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06/08/2024 | FRANCE | N°24/00302

France | France, Tribunal judiciaire de Versailles, Chambre des référés, 06 août 2024, 24/00302


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ DU
06 AOUT 2024



N° RG 24/00302 - N° Portalis DB22-W-B7I-R4MJ
Code NAC : 58Z
AFFAIRE : [K] [R], [B] [R] épouse [Z] C/ S.A. SOGECAP le SOGECAP



DEMANDERESSES

Madame [K] [R]
née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 14],
demeurant [Adresse 10]
agit en sa qualité d’ayant droit de Monsieur [I] [N] [E] [R] né le [Date naissance 8] 1648, et décédé le [Date décès 7] 2023
représentée par Me Olivier AMANN, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 116

Ma

dame [B] [R]
née le [Date naissance 5] 1985 à [Localité 14],
demeurant [Adresse 4]
agit en sa qualité d’ayant droit de Monsieur [...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ DU
06 AOUT 2024

N° RG 24/00302 - N° Portalis DB22-W-B7I-R4MJ
Code NAC : 58Z
AFFAIRE : [K] [R], [B] [R] épouse [Z] C/ S.A. SOGECAP le SOGECAP

DEMANDERESSES

Madame [K] [R]
née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 14],
demeurant [Adresse 10]
agit en sa qualité d’ayant droit de Monsieur [I] [N] [E] [R] né le [Date naissance 8] 1648, et décédé le [Date décès 7] 2023
représentée par Me Olivier AMANN, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 116

Madame [B] [R]
née le [Date naissance 5] 1985 à [Localité 14],
demeurant [Adresse 4]
agit en sa qualité d’ayant droit de Monsieur [I] [N] [E] [R] né le [Date naissance 8] 1648, et décédé le [Date décès 7] 2023
représentée par Me Olivier AMANN, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 116

DEFENDERESSE

La Société SOGECAP,
Société anonyme d’assurance sur la vie et de capitalisation, immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n° 086 380 730, dont le siège social est sis [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
représentée par Me Anne-laure DUMEAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628, Me Corinne CUTARD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1693

INTERVENTION VOLONTAIRE :

Madame [T] [W] veuve [R]
née le [Date naissance 6] 1975 à [Localité 11] (ALGERIE)
[Adresse 2]
représentée par Me Emmanuelle LEFEVRE, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat postulant, Me Alexandra SAINT-PIERRE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Débats tenus à l'audience du : 13 Juin 2024

Nous, Gaële FRANÇOIS-HARY, Première Vice-Présidente au Tribunal Judiciaire de Versailles, assistée de Virginie DUMINY, Greffier,

Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil, à l’audience du 13 Juin 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 06 Août 2024, date à laquelle l’ordonnance suivante a été rendue :

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [I] [R] est décédé le [Date décès 7] 2023, laissant pour lui succéder:
- Madame [T] [W] veuve [R], conjoint survivant, qu’il a épousée en secondes noces le [Date mariage 9] 2011 sous le régime de la séparation de biens suivant contrat reçu le 27 janvier 2011 par Maître [F] [M] notaire à [Localité 12] (Yvelines),
- Madame [K] [R], fille née de la première union du défunt,
- Madame [B] [R], fille née de la première union du défunt,
- Mademoiselle [P] [R], fille mineure née en 2013, née de la seconde union du défunt.

Monsieur [I] [R] n'a pas laissé de dispositions testamentaires et n’a pas consenti de donations à cause de mort. Il a fait une donation en avancement d’hoirie d’un montant de 60 000 euros à Madame [B] [R], reçue par acte en date du 22 juin 2009. La déclaration de succession ne fait état d’aucune autre libéralité.

Il a souscrit trois contrats d’assurances-vie, à savoir :
- un contrat SEQUOIA 216/6040153 en date du 16 décembre 1998, pour un capital de 443 632,82 euros à partager à part égale entre ses descendants, et modifié en mars 2017, pour ajouter Mademoiselle [P] [R] née en 2013 en qualité de bénéficiaire, dont l’intégralité du capital était versée par le défunt avant ses 70 ans,
- un contrat EBENE 742/5049550 en date du 27 octobre 2011, pour un capital de 178 418,66 euros au bénéfice de Madame [T] [W], capital intégralement versé avant les 70 ans du défunt,
- un contrat EBENE 742/45659 souscrit le 26 avril 2019, pour un capital d’un montant de 400 966,34 euros versé en une seule fois à la souscription, après les 70 ans du défunt et au bénéfice de Madame [T] [W].

Les capitaux dépendant des deux premiers contrats d’assurance vie ont été libérés.

La déclaration de succession fait état :
- d’un actif brut de succession d’un montant évalué à 1 522 287,77 euros.
- d’un passif de succession de 317 498,75 euros,
- d’une donation rapportable consentie à Madame [B] [R] d’un montant de 60 000 euros, à imputer sur sa réserve,
- de droits pour le conjoint survivant en présence d’enfants d’un autre lit pour le quart de la masse successorale pleine propriété soit un montant de 316 197,26 euros correspondant à la quotité disponible non utilisée.

La déclaration de succession fait mention des trois contrats d’assurance-vie, sans qu’ils soient réintégrés dans la masse successorale.

Après avoir pris connaissance des bénéficiaires et des montants des contrats d’assurance vie, les demanderesses, par courrier en date du 9 février 2024, ont fait opposition au versement de la prime de 400 966 euros devant revenir à Madame [W], auprès de la société SOGECAP.

Par acte de Commissaire de Justice en date du 26 février 2024, Mme [K] [R] et Mme [B] [R] épouse [Z] ont assigné la société SOGECAP en référé devant le Tribunal judiciaire de Versailles.

Aux termes de leurs conclusions, elles sollicitent de voir, sur le fondement de l'article 834 du code de procédure civile :
- ordonner le placement sous séquestre de l’intégralité des fonds détenus par la société SOGECAP au titre du contrat d’assurance-vie EBENE 742/45659 souscrit le 26 avril 2019 entre les mains de la société SOGECAP dans l’attente d’une décision au fond sur le partage de la succession de Monsieur [I] [R], notamment quant au caractère rapportable de la prime constituant le capital du contrat ou quant à la commission d’un recel successoral par Madame [W],
- condamner Madame [T] [W] à leur verser la somme de 2500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
- à titre subsidiaire, écarter l’exécution provisoire attachée à la décision.

Elles soutiennent que le placement sous séquestre est demandé en raison de l’existence d’un différent entre les héritiers et en raison de l’urgence de cette mesure conservatoire, dans l’attente d’une décision définitive au fond sur le partage successoral et les questions de la qualification juridique et la destination des capitaux disputés.

Elles font valoir que la prime unique versée au titre de ce contrat d’assurance-vie est manifestement exagérée eu égard aux facultés de leur auteur, et permet d’aborder la question d’un différend quant au caractère déguisé d’une donation pouvant être l’objet d’un recel successoral. Elles rappellent les critères jurisprudentiels permettant de retenir le caractère manifestement exagéré de la prime constituant le capital-décès: l’utilité du contrat pour le souscripteur (en raison de son âge, de son état de santé, de la consistance de son patrimoine, de sa situation familiale). Elles relèvent que Monsieur [R] n’avait pris aucune disposition testamentaire et qu'après son divorce en 2010 et son remariage en 2011, mais avant la première manifestation de sa maladie, il avait réorganisé son épargne constituée par 2 contrats d’assurance-vie, le premier au bénéfice de ses enfants et le second au bénéfice de sa seconde épouse, ayant donc prévu de pourvoir chacun de ses héritiers dans des proportions équivalentes. Toutefoi, après son cancer du poumon et sa rémission, alors âgé de presque 71 ans, il souscrit un troisième contrat d’assurance-vie, par un versement unique d’un montant de 400 000 euros, le 26 avril 2019. Cette prime représente 33 % du patrimoine net subsistant au jour du décès de Monsieur [R], et versée en une seule fois, 4 ans avant son décès par un homme malade (rappelant ses différentes pathologies accompagnées de facteurs de risques cardio-vasculaires lourds, détéctés en avril 2018 avant souscription du contrat litigieux, Monsieur [R] étant décédé d'un AVC), au bénéfice de sa seconde épouse en concurrence directe avec les héritiers du premier rang, représente l’équivalent de 126,66 mois de revenus, soit plus de 10 années d’épargne intégrale de son salaire. Par son caractère objectivement substantiel, cette prime est manifestement exagérée. Ainsi, ce contrat d’assurance-vie souscrit à près de 71 ans, après un cancer du poumon dont le souscripteur ne pouvait ignorer le risque très élevé de récidive, en présence d’une autre pathologie présentant des facteurs de risques lourds, ne présente pas le critère d’aléa intrinsèque à tout contrat d’assurances. De l’absence d’aléa, il s’établit l’absence d’utilité de ce contrat pour le souscripteur.

Elles soutiennent qu'en réalité, la constitution de ce contrat répond à un autre objectif très précis qui est d’assurer l’avenir de son conjoint survivant, en lui procurant des capitaux correspondant à 33 % du reste de son patrimoine, auxquels s’ajouteront ses droits découlant de sa vocation successorale sur 25 % du restant de son patrimoine.

Elles relèvent en second lieu que le litige opposant héritiers de premier rang et conjoint survivant ne se limite pas au caractère rapportable ou non de la prime versée, mais s’étend à la question de la qualification de recel successoral, et affirment que par la constitution d’un capital sous couvert d’assurance-vie par un unique versement de 400 000 euros représentant 23 % de son patrimoine, souscrit 4 ans avant son décès et en état de rémission d’un cancer avec multiples pathologies lourdes, il est absolument évident que le défunt a entendu se dépouiller irrévocablement de cet actif patrimonial en faveur de son conjoint. Le recel successoral vise toutes les fraudes au moyen desquelles un héritier cherche à rompre l’égalité du partage au détriment de ses cohéritiers. La souscription d’un troisième contrat au bénéfice exclusif de l’épouse constitue nécessairement une donation déguisée, qui remet en cause les règles de dévolution successorale. Madame [W] entend cumuler le bénéfice de cette donation déguisée de 400 000 euros avec sa vocation héréditaire de 316 197 euros telle qu’établie par la déclaration de succession, soit un total de 716 197 euros. Sur une masse successorale de 1 604 789 euros (en rapportant cette donation déguisée), Madame [W] recevrait ainsi la somme de 716 197 euros soit 44,62 % du patrimoine du défunt, caractérisant l’élément matériel de la rupture de l’égalité du partage. Dans la mesure où le seul montant des capitaux à recevoir au titre de l’assurance-vie excède la quotité disponible et donc la vocation du conjoint survivant, l’abstention de Madame [W] à la réintégration de cette donation déguisée caractérise nécessairement l’élément moral du délit civil, à savoir l’intention de frauder aux droits des héritiers réservataires. La question d’un recel successoral qui pourrait être reproché à Madame [W] est manifestement légitime.

Elles soulignent enfin qu'il y a nécessairement urgence à prendre une mesure provisoire permettant de sauvegarder leurs droits, en raison du risque de dissipation des fonds.

Elles s’en rapportent sur la proposition de la société SOGECAP de s’offrir en qualité de séquestre, et sollicitent en revanche, un délai plus long que le délai de deux mois proposé par la société SOGECAP pour assigner au fond les copartageants, dans la mesure où le notaire chargé du partage dans sa phase amiable n’a pas encore présenté de projet de partage et qu’aucun procès-verbal de difficulté n’a été régularisé ou n’est en voie de l’être. Dans la mesure où l’assignation en ouverture des opérations judiciaires de partage nécessite de démontrer les démarches initiées en vue de parvenir au partage, il convient de prévoir un délai de 4 à 6 mois pour permettre aux concluantes de nouer le litige et de saisir au fond.

Aux termes de ses conclusions, la société SOGECAP sollicite de voir :
- ordonner à la société SOGECAP de bloquer l’intégralité du capital décès qu’elle détient au titre du contrat d’assurance vie EBENE n°742/0045659 0 souscrit par Monsieur [I] [R] jusqu’à ce qu’une décision définitive se prononce sur le versement du capital décès,
- déclarer que le capital décès au titre dudit contrat d’assurance vie EBENE sera versé lorsque interviendra une décision définitive mettant fin au litige,
- désigner la société SOGECAP en qualité de séquestre des fonds qu’elle détient actuellement au titre au titre du contrat d’assurance vie EBENE n°742/0045659 0 et ce jusqu’à la décision du juge du fond sur la procédure que les demanderesses devront engager dans le délai de deux mois à compter du prononcé de l’ordonnance,
- déclarer que cette consignation sera automatiquement caduque en l’absence de toute assignation au fond dans ce délai de deux mois,
- débouter Madame [T] [R] née [W] de sa demande de versement de la somme provisionnelle de 400 966,34 € au titre du contrat EBENE n°742/0045659 0,
- déclarer qu’à défaut de procédure au fond, la société SOGECAP pourra procéder au dénouement du contrat d’assurance vie EBENE n°742/0045659 0 dans les conditions contractuelles la liant au bénéficiaire et que le règlement des capitaux décès sera libératoire pour la société SOGECAP,
- à titre subsidiaire, écarter l’exécution provisoire attachée à la décision à intervenir,
- à titre subsidiaire, déclarer que le capital décès au titre du contrat d’assurance vie EBENE sera versé dans le respect des dispositions fiscales du Code Général des Impôts et condamner la bénéficiaire, Madame [T] [R] née [W], à accomplir auprès de l’Administration fiscale les formalités fiscales et à payer les droits éventuellement dus,
- à titre subsidiaire, condamner Madame [T] [R] née [W] à fournir au titre du contrat d’assurance vie EBENE à la société SOGECAP les pièces suivantes :
- l’acceptation et la demande de règlement signée,
- le certificat fiscal de paiement ou de non-exigibilité établi par l’Administration fiscale (CERFA 2705A dûment complété et visé par l’administration fiscale et par le bénéficiaire) (dispositions fiscales de l’article 757 B du CGI),
- débouter les demanderesses de leur demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Elle relève que la saisine du juge des référés par les consorts [R] a nécessairement fait naître une incertitude quant au sort du capital décès issu du contrat d’assurance sur la vie EBENE n°742/0045659 0, laquelle a fait obstacle à tout versement libératoire par la société SOGECAP, qui n’a eu d’autre choix, au risque de voir sa responsabilité engagée par les différents intervenants, que de suspendre les opérations de règlement du capital décès du contrat litigieux.
Elle rappelle que seules les primes qui seraient jugées manifestement excessives au regard des facultés du souscripteur déductions faites des rachats partiels ouvriraient une possibilité de rapport à succession selon les termes de l’article L.132-13 du Code des assurances, et précise que l’assureur n’a pas connaissance de l’étendue du patrimoine du souscripteur lorsque celui-ci souscrit un contrat d’assurance sur la vie ou effectue des versements libres sur son contrat d’assurance vie. Aussi, il ne lui appartient pas d’apprécier l’éventuel caractère manifestement exagéré des primes versées par l’assuré.

Elle conclut donc que compte tenu du litige sur le contrat d’assurance vie EBENE n°742/0045659 0, il convient de suspendre, pour une durée qu’il plaira au juge des référé de fixer, le règlement de l’intégralité du capital décès actuellement détenu par la société SOGECAP au titre de ce contrat, à titre conservatoire en application des dispositions des articles 834 du code de procédure civile et 1961 du Code civil et de désigner la société SOGECAP en qualité de séquestre.

Aux termes de ses conclusions, Mme [T] [W] veuve [R], intervenante volontaire, sollicite de voir :
- déclarer recevable son intervention volontaire,
- rejeter l'ensemble des demandes de Madame [K] [R] et de Madame [B] [R],
- rejeter l'ensemble des demandes de la société SOGECAP,
- enjoindre la société SOGECAP à procéder sans délai au dénouement du contrat d'assurance-vie EBENE 742/45659 souscrit le 26 avril 2019 au profit de sa bénéficiaire, Madame [T] [R],
- enjoindre la société SOGECAP à lui verser la somme provisionnelle de 400 966,34 euros au titre du capital lui revenant comme bénéficiaire du contrat d'assurance-vie EBENE 742/45659 souscrit le 26 avril 2019,
- condamner solidairement Madame [K] [R] et Madame [B] [R] à lui payer la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

Elle relève l'inexistence d'un différend en soutenant l'absence de preuve du caractère exagéré de la prime d'assurance et de son caractère rapportable à la succession, rappelant que le caractère manifestement exagéré d'une prime d'assurance vie au moment du versement s'apprécie notamment au regard de la situation patrimoniale du souscripteur et de l'utilité du contrat pour celui-ci ; en l'espèce, le caractère exagéré de la prime de 400 000 euros n'a pas l'évidence requise, d'une part, s'agissant de sa situation patrimoniale, Monsieur [I] [R] était propriétaire de sa résidence principale, une maison à [Localité 13], ainsi que d'une résidence secondaire, un appartement situé en Savoie, et était également propriétaire de deux appartements à [Localité 13] qui constituaient un investissement locatif ; il disposait de plus de revenus confortables qui s'élevaient en 2019 à un salaire net mensuel de 3158 euros (prime de fin d'année non comprise et après impôt) ; en 2019, le contrat litigieux représentait ainsi moins de 25% du patrimoine de Monsieur [I] [R] (1 204 789 + 400 966 = 1 730 544 euros).

Elle conteste que ce contrat d'assurance-vie ne présentait aucune utilité pour Monsieur [I] [R] compte tenu de son état de santé de sorte qu'il constituerait nécessairement une donation déguisée ; il était âgé en avril 2019 de 70 ans et était en période de rémission de son cancer datant de 2013 (dont la récidive n'est apparue qu'a compter de 2021) et en pleine possession de ses facultés mentales ; s'il souffrait de différentes pathologies courantes à son âge (cardiaques et diabète), son pronostic vital n'était aucunement engagé et il n'était pas dans un état de santé menaçant laissant présager un décès à bref échéance ; il continuait avec passion son activité professionnelle de gérant de société ; à l'évidence, le contrat d'assurance vie souscrit en 2019, comme les deux précédents souscrits en 1988 et en 2011 , présentait un intérêt économique pour Monsieur [I] [R].

Elle relève par ailleurs l'absence d’action engagée au fond portant sur la réintégration à une succession d'une prétendue libéralité, laquelle peut être diligentée indépendamment d'une action en partage judiciaire successoral, et conclut dès lors que l'urgence n'est pas caractérisée de même que l'existence d'un véritable différend entre les parties.

Elle soutient en tout état de cause que, quand bien même la qualification de prime exagérée serait susceptible d'être retenue, le séquestre est injustifié et disproportionné, précisant que les capitaux décès devront lui être versés ; dans l'hypothèse où un tribunal retient la qualification de prime manifestement exagérée, celle-ci est alors effectivement réunie par le notaire, comme une donation, à la masse de calcul de la quotité disponible et de la réserve héréditaire conformément à l'article 922 du Code civil ; si la prime vient à dépasser la quotité disponible, son bénéficiaire doit alors verser aux héritiers qui le demandent, une indemnité de réduction ; Madame [T] [R] resterait la seule bénéficiaire du contrat d'assurance-vie et une indemnité de réduction serait inscrite à son passif dans le cadre de l'acte de partage et viendrait en déduction de ses droits ; il n'y a donc aucun risque pour la SOGECAP d'être exposée à une libération des fonds.

Elle conteste enfin l'argument tiré du recel successoral par donation déguisée, aucun acte frauduleux ne pouvant lui être reproché, n'ayant pas caché l'existence de ce contrat à ses cohéritières, et souligne donc le caractère disproportionné de la demande de séquestre, puisqu'elle serait redevable, selon les demanderesses, d'une indemnité de réduction de l'ordre de 83 000 euros, alors que le séquestre demandé s’élève à 400 966,34 euros dans l'attente d'une hypothétique décision au fond. Elle conclut en conséquence que le capital décès doit être versé immédiatement à son bénéficiaire.

La décision a été mise en délibéré au 6 août 2024.

MOTIFS

Sur l'intervention volontaire

Il y a lieu d'accueillir l'intervention volontaire de Mme [T] [W] veuve [R].

Sur la demande de séquestre

Aux termes de l’article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence de différents.

L’article 1961 du Code civil dispose que la justice peut ordonner le séquestre, notamment, d’une chose mobilière dont la propriété ou la possession est litigieuse entre deux ou plusieurs personnes.

Les tribunaux, et en cas d'urgence les juges des référés, sont investis d'un pouvoir d'appréciation à l'effet d'ordonner un séquestre lorsqu'ils estiment que cette mesure est indispensable et urgente. Une mesure de séquestre ne se justifie que s'il existe un litige sérieux. La contestation sérieuse n'est donc pas un obstacle à la décision de référé sur ce sujet, mais en est au contraire la condition.

En l'espèce, il est certain qu'un litige oppose les héritiers de M. [I] [R] dans le cadre de la succession de ce dernier. Le différend porte sur la qualification des primes constituant le troisième contrat d’assurance-vie litigieux (EBENE 742/45659 souscrit le 26 avril 2019), et qui relève de la compétence du juge du fond.

Mme [K] [R] et Mme [B] [R], issues d'une première union du défunt, soutiennent qu'il s'agit d'une donation déguisée présenant un caractère rapportable à la succession, voire constitue un recel successoral, tandis que Mme [W] veuve [R], seconde épouse et conjoint survivant, revendique à son profit le bénéfice et le versement dudit capital décès.

Le litige est réel et sérieux. Il est donc impératif que les fonds soient bloqués dans l'attente d'une décision définitive au fond.

Il sera fait droit à la demande selon les modalités précisées au présent dispositif.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

A ce stade, et s'agissant d'une mesure conservatoire, aucune partie n'est considérée comme succombante. Chacune d'elles conservera donc ses frais irrépétibles.

Les dépens seront laissés à la charge des demanderesses.

PAR CES MOTIFS

Nous, Gaële FRANCOIS-HARY, Première Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de Versailles, statuant par ordonnance mise à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort :

Accueillons l'intervention volontaire de Mme [T] [W] veuve [R],

Ordonner à la société SOGECAP de bloquer l'intégralité des capitaux qu'elle détient au titre du contrat d’assurance-vie EBENE 742/45659 souscrit le 26 avril 2019 par M. [I] [R], jusqu'à ce que la juridiction du fond qui sera saisie ait statué par décision définitive sur le bénéficiaire des capitaux dus au titre de ce contrat,

Désignons la société SOGECAP en qualité de séquestre des fonds jusqu’à la décision définitive du juge du fond sur la procédure que les demanderesses devront engager dans le délai de six mois à compter du prononcé de l’ordonnance, sous peine de caducité du séquestre,

Disons que chacune des parties conservera ses frais irrépétibles,

Laissons les dépens à la charge des demanderesses.

Prononcé par mise à disposition au greffe le SIX AOUT DEUX MIL VINGT QUATRE par Gaële FRANÇOIS-HARY, Première Vice-Présidente, assistée de Virginie DUMINY, Greffier, lesquelles ont signé la minute de la présente décision.

Le Greffier La Première Vice-Présidente

Virginie DUMINY Gaële FRANÇOIS-HARY


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Versailles
Formation : Chambre des référés
Numéro d'arrêt : 24/00302
Date de la décision : 06/08/2024
Sens de l'arrêt : Ordonne de faire ou de ne pas faire quelque chose avec ou sans astreinte

Origine de la décision
Date de l'import : 17/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-08-06;24.00302 ?
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