Minute n°
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Deuxième Chambre
JUGEMENT du 19 JUILLET 2024
N° RG 22/02241 - N° Portalis DB22-W-B7G-QRNB
DEMANDERESSE :
L’Association [5], Association déclarée dont le siège social est situé [Adresse 1], immatriculée auprès du Répertoire des Entreprises et des Etablissements sous le numéro 785 074 915, représentée par son Président, Monsieur [F] [T],
représentée par Maître Benjamin LEMOINE de la SELARL RIQUIER - LEMOINE, avocats au barreau de VERSAILLES, avocats plaidant/postulant
DEFENDERESSE :
Mairie de [Localité 6], domiciliée en cette qualité à l’Hôtel de Ville, [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal, Monsieur le Maire en exercice
représentée par Maître Didier LECOMTE de la SELARL DIDIER LECOMTE, avocats au barreau de VAL D’OISE, avocats plaidant, Me Lalia MIR, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat postulant
ACTE INITIAL du 07 Avril 2022 reçu au greffe le 22 Avril 2022.
DÉBATS : A l'audience publique tenue le 26 Mars 2024, Madame RODRIGUES, Vice-Présidente, siégeant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du Code de Procédure Civile, assistée de Madame SOUMAHORO, Greffier, l’affaire a été mise en délibéré au 31 Mai 2024 prorogé au 31 Mai 2024, prorogé au 28 juin 2024, puis au 19 Juillet 2024.
EXPOSE DU LITIGE
L’Association « [5] » (ci-après « l'Association ») est une association de la Loi 1901 à but non lucratif dont l’objet est, aux termes de ses statuts,
« d’organiser les loisirs des enfants et des adolescents dans des centres de vacances et de loisirs : montagne, mer, campagne en France et à l’étranger dans un souci constant d’éducation et d’assurer la formation et le perfectionnement de ses Cadres. »
Le Ministère de l'’Education nationale a mis en place au cours de l’année 2020, à la suite du confinement lié à l’épidémie de la Covid-19, un dispositif « vacances apprenantes ou colonies apprenantes ».
Dans le cadre de ce dispositif, la commune de [Localité 6] a souhaité faire appel à l’Association aux fins de permettre à des jeunes des quartiers prioritaires de partir en vacances.
Dans ce cadre, elle a réservé auprès de l’Association deux colonies apprenantes :
- « [7] » du 23 juillet au 31 juillet 2021 ;
- « [3] » du 25 au 31 août 2021.
L’objet du présent litige porte uniquement sur le séjour qui s’est déroulé du 25 au 31 août 2021, pour 22 participants moyennant un coût de 16.200 €.
Le séjour s’est déroulé comme convenu du 25 au 31 août 2021.
Le 2 septembre 2021, Madame [M] de la ville de [Localité 6] a adressé à l'Association un courriel en formant un certain nombre de griefs s’agissant des conditions de déroulement du séjour, et notamment du non-respect des mesures sanitaires par les animateurs, des conditions de rapatriement des jeunes pour des raisons sanitaires, ces derniers ayant été identifiés cas contact durant le trajet en bus les amenant au centre de vacances, et du suivi insuffisant suite à deux accidents corporels d’enfants lors d’une activité durant le séjour.
Le 6 septembre 2021, la commune de [Localité 6] a établi un rapport circonstancié du séjour à [Localité 8] du mercredi 25 août au mardi 31 août 2021 dans lequel, il était fait mention d’une jeune ayant eu « le pieds cassé » et une autre « une fracture de l’épaule avec risque aigu d’embolie pulmonaire ».
Ce rapport a été transmis à l'Association laquelle, par courriel du 13 septembre 2021 adressait une réponse circonstanciée à la Mairie de [Localité 6].
Aucune suite n'a été donnée par la Mairie de [Localité 6].
Le 17 septembre 2021, l’Association lui a transmis la facture relative au séjour susvisé, d’un montant de 16.200 euros aux fins de règlement.
Le 3 décembre 2021, l’Association adressait un mail à la commune de [Localité 6], s’étonnant de ne pas avoir reçu le moindre règlement alors qu’aux termes de la convention les liant, la Mairie de [Localité 6] devait verser 80 % à la commande et 20 % à réception de facture.
Une nouvelle relance adressée par mail le 9 décembre 2021 à la commune de [Localité 6], est demeurée sans effet.
Dans ces conditions, l’Association a adressé un courrier recommandé à la Mairie de [Localité 6], rappelant l’absence d’un quelconque règlement au titre du séjour qui s’était déroulé du 25 au 31 août 2021, malgré l’envoi de la facture au 17 septembre 2021, et dans lequel elle rappelait qu'elle avait avancé 100 % des dépenses pour le séjour organisé par la Mairie.
Cette lettre recommandée demeurant à nouveau sans effet, une nouvelle relance était adressée à la Mairie de [Localité 6] le 26 janvier 2022.
Aux termes d'une réponse du 25 janvier 2022, Maître Didier LECOMTE, conseil de la commune de [Localité 6], faisait état « de très nombreux dysfonctionnements » relatifs à ce séjour, précisant que « certains de ces faits pourraient même caractériser le délit de mise en danger de la personne d’autrui » et indiquant qu’en conséquence « la commune n’entend pas régler la facture », sans être opposée à un règlement amiable du dossier.
Par une correspondance recommandée avec avis de réception du 10 février 2022, l’Association adressait une mise en demeure à la Mairie de [Localité 6] d’avoir à procéder au règlement de la somme de 16.200 €.
En parallèle, elle répondait par courrier recommandé du même jour à Maître Didier LECONTE, lui précisant qu’elle contestait catégoriquement la teneur de son courrier recommandé du 22 janvier précédent et lui transmettait, pour information, copie de la mise en demeure adressée à sa cliente, ainsi que les coordonnées de son propre conseil.
Cette mise en demeure étant restée infructueuse, c'est dans ces conditions que l'association a fait assigner devant la présente juridiction la mairie de [Localité 6], par acte introductif d’instance en date du 7 avril 2022, aux fins de voir cette dernière condamnée à lui verser la somme en principal de 16.200 €.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la RPVA le 18 novembre 2022, l'Association « [5] » demande au tribunal de :
Vu les dispositions des articles 1344 et 1231-6 alinéa 3 du Code Civil,
Vu les pièces versées aux débats,
Déclarer l’Association [5] recevable et bien fondée en ses demandes.
En conséquence,
Condamner la commune de [Localité 6], pris en la personne de son Maire en exercice, domicilié en cette qualité [Adresse 4], à payer à l’Association [5] la somme de 16.200 € en principal, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 11 février 2022.
Condamner la commune de [Localité 6], pris en la personne de son Maire en exercice, domicilié en cette qualité [Adresse 4], à verser à l’Association [5] la somme de 4.000 € à titre de dommages et intérêts en raison de la mauvaise foi caractérisée de la commune de [Localité 6] et de sa résistance abusive à paiement.
Déclarer irrecevable et subsidiairement mal fondée la commune de [Localité 6] en sa demande de sursis à statuer.
La débouter du surplus de ses demandes.
Condamner la commune de [Localité 6], pris en la personne de son Maire en exercice, domicilié en cette qualité [Adresse 4], à verser à l’Association [5] la somme de 4.000 € sur le fondement et en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamner la commune de [Localité 6], pris en la personne de son Maire en exercice, domicilié en cette qualité [Adresse 4], aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 3 octobre 2023, la commune de [Localité 6] demande au tribunal de :
Vu les dispositions de l’article 4 du Code de procédure pénale,
Vu l’article 378 du Code de procédure civile,
Vu les dispositions de l’article 1217 du Code civil,
Vu l’article 700 du Code de procédure civile,
Vu les pièces versées aux débats,
Recevoir et dire bien fondée la Mairie de [Localité 6] en l’ensemble de ses demandes,
Prononcer le sursis à statuer sur le fondement de l’article 4 du Code de procédure pénale ;
Débouter l’Association [5] de l’ensemble de ses demandes ;
Réduire le paiement de la prestation à la somme de 3.240 euros sur le fondement de l’article 1217 du Code civil ;
Condamner l’Association [5] au paiement de la somme de 4.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Condamner l’Association [5] au paiement de la somme de 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner, l’Association [5] aux entiers dépens.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties quant à l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 février 2024. L'affaire a été fixée à l’audience du 26 mars 2024 et mise en délibéré au 31 mai 2024 prorogé au 28 juin 2024, puis au 19 juillet 2024, date à laquelle la présente décision a été rendue.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre préliminaire, il est rappelé qu'en vertu de l’article 768 du Code de procédure civile, le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
Sur la demande de sursis à statuer :
La commune de [Localité 6] fait valoir qu’elle a déposé une plainte contre X avec constitution de partie civile pour des faits de mise en danger de la vie d’autrui et pour non-assistance à personne en péril, mais également pour des faits de maltraitance et de mauvais traitement.
Elle précise qu'il ressort de l’enquête interne qu'elle a réalisé que de graves dysfonctionnements se sont révélés lors de l’organisation du séjour du 25 au 31 août 2021 et qu'au regard de la gravité des allégations portées par les participants de ce camp de colonie apprenante, les suites de cette plainte sont déterminantes pour l’issue de la présente instance.
En réplique, l'Association fait valoir qu'il est établi en jurisprudence que la demande de sursis à statuer constitue une exception de procédure ; que, dès lors, en application des dispositions de l’article 771 du Code de procédure civile, que la demande de sursis à statuer formée par la défenderesse ne pouvait l’être que devant le juge de la mise en état exclusivement compétent jusqu’à son dessaisissement pour statuer sur une telle demande, de sorte qu'en l'état sa demande de sursis à statuer est irrecevable.
S'agissant de la demande de sursis à statuer, elle rappelle que les faits relatés par la Commune de [Localité 6] dans sa plainte, qu'au demeurant elle conteste vigoureusement, ne sauraient influer sur la solution de la présente instance.
Elle souligne que la Commune de [Localité 6] s'est contentée de déposer plainte et s'est gardée de se constituer partie civile, ce qui lui est tout à fait loisible de faire pour mettre en mouvement l’action publique dès lors qu’un délai de trois mois s’est écoulé depuis qu’elle a déposé plainte le 17 juin 2022.
***
L’article 73 du code de procédure civile dispose que constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours.
Aux termes de l’article 74 alinéa 1 du même code, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l' exception seraient d'ordre public.
Selon l'article 378 du même code, la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.
Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu’une demande tendant à faire suspendre le cours de l'instance, doit, à peine d'irrecevabilité, être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.
Cette règle doit, néanmoins, recevoir exception lorsque la cause du sursis à statuer demandée apparaît, est connue ou aurait dû l’être du demandeur postérieurement à une défense au fond ou à une fin de non-recevoir.
Par ailleurs, en application de l’article 789 du même code, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les exceptions de procédure .
Il résulte de l’article 791 du même code que le juge de la mise en état n’est saisi que par des conclusions lui étant spécifiquement adressées. Il ne saurait être saisi par des demandes relevant de sa compétence dans des conclusions comportant, en outre, des prétentions et moyens relevant du fond de l’affaire.
En l'espèce, la Commune de [Localité 6], qui avait toute faculté de saisir le juge de la mise en état aux fins de sursis à n'a pas provoqué d’incident en notifiant des conclusions spécialement adressées au juge de la mise en état.
Par conséquent, sa fin de non-recevoir sera déclarée irrecevable, conformément aux dispositions de l'article 789 du code de procédure civile.
Sur la demande en paiement :
L'Association expose qu'il résulte de la convention de réservation, régularisée entre elle et la Mairie de [Localité 6], en date du 28 juin 2001, que cette dernière s’est engagée à procéder au règlement des participations au séjour convenu en deux règlements fractionnés, soit 80 % à la signature de la convention, 20 % en fin de séjour à réception de la facture selon le nombre de participants ; que la Mairie de [Localité 6] avait aux termes de ladite convention réservé 25 places pour un prix de séjour de 675 € par participant, soit une coût total de 16.875€ ; que finalement, le nombre de participants s’est limité à 22, de sorte qu'en application de la convention de réservation prévoyant « une minoration de 5% des effectifs fixés pour chaque séjour, sans qu’aucun dédit soit réclamé au preneur », l’Association a facturé le coût du séjour pour les 22 participants au prix fixé par participant (675 €), soit 14.850 €, ainsi qu’une somme de 1.350 € correspondant au dédit à hauteur de 100 % relatif aux deux places non utilisées.
Elle souligne que, bien qu'elle ait rempli son obligation liée à l’organisation du séjour convenu, la Mairie de [Localité 6] refuse d’honorer son obligation à paiement, alors même que, le séjour concerné étant labellisé « colo apprenantes », celle-ci a perçu de l'Etat des subventions importantes, dont il lui appartient de justifier du montant, et qui en tout état de cause peuvent représenter jusqu’à 80 % du coût du séjour.
Elle considère que la Commune de [Localité 6] ne saurait se retrancher derrière de prétendus « nombreux dysfonctionnements » qu’elle n’établit nullement, pour se délier de son obligation de paiement.
En réponse, à la demande de réduction de prix présentée par la commune de [Localité 6] sur le fondement des dispositions de l’article 1217 du Code civil, elle reproche à celle-ci de ne pas rappeler les termes de l’article 1223 du Code civil desquels il résulte que pour se prévaloir d’une sanction consistant en la réduction du prix, le créancier de l’obligation doit respecter un formalisme particulier consistant en la mise demeure du débiteur et la notification de la réduction du prix, exigences que n'a pas respectées la mairie de [Localité 6], de telle sorte qu'elle peut qu’être déboutée en sa demande.
L'association soutient, qu'en tout état de cause, la demande de réduction de prix ne peut qu’être rejetée dès lors qu’elle ne repose que sur de prétendus manquements nullement établis ; que la commune de [Localité 6] se contente de procéder par affirmations sans verser aucun élément de nature à établir les griefs formés à son encontre, les pièces versées aux débats n'étant pas suffisamment probantes.
Elle souligne, encore, qu’aucune action en justice n’a été initiée à son encontre par les parents des jeunes ayant participé au séjour et, en particulier, par les parents des deux jeunes qui se sont malencontreusement blessés lors dudit séjour ; que d'ailleurs, seuls les participants au séjour, par l’intermédiaire de leurs représentants légaux, seraient le cas échéant recevables et bien fondés à faire valoir un quelconque préjudice, sous réserve que ces manquements soient avérés, ce qui n’est pas le cas, raison pour laquelle ils n’ont d’ailleurs engagé aucune action judiciaire à son encontre.
Elle précise encore , que la mairie de [Localité 6], qui reconnaît que le prix du séjour commandé est pris en charge « jusqu’à 80% », « plafonné à 400 € par mineur et par semaine » par l’Etat, sans toutefois indiquer le montant de cette prise en charge, n’hésite pas à solliciter une réduction de prix à concurrence de 80 %, indiquant dans le corps de ses écritures qu’elle « s’engage à rétrocéder le trop-perçu » sans toutefois former la moindre demande en ce sens dans le dispositif de ses écritures.
En défense, la commune de [Localité 6] fait valoir que les colonies apprenantes visent un public prioritaire aux fins notamment de leur permettre de partir en vacances et de bénéficier d’activités sportives et culturelles et de plein air qui doivent être organisées dans des conditions permettant d’assurer la sécurité des jeunes ; qu'il ressort de l’enquête interne qu'elle a réalisée que, notamment, des enfants se sont blessés au cours d’une activité d’accrobranche et qu'ils n’ont jamais été auscultés par un médecin, que le directeur du site infligeait des punitions humiliantes aux enfants et que les règles sanitaires liées à la crise de la Covid-19 n’étaient nullement respectées par l’Association au cours du séjour.
Elle précise que cette enquête l'a conduite à déposer une plainte au pénal contre X avec constitution de partie civile pour des faits de mise en danger de la vie d’autrui et pour non-assistance à personne en péril, mais également pour des faits de maltraitance et de mauvais traitement.
Elle souhaite, dans ces conditions, obtenir une réduction du prix à hauteur de 80%. et souligne que le fait que l’Etat puisse prendre en charge jusqu’à 80 % du coût du séjour plafonné à 400 euros par mineur et par semaine est indifférent dans la mesure où la mission de cette colonie apprenante n’a pas été remplie.
Elle affirme que contrairement aux allégations de l’Association, elle lui a bien notifié, en vertu de l’article 1223 du Code civil, son souhait de voir réduire le montant de la prestation de services, puisque par courrier d’avocat en date du 22 janvier 2022, le conseil de la Commune de [Localité 6] indiquait « Dans l’immédiat, la Commune n’est pas opposée à un règlement amiable » auquel l’Association n’a pas souhaité donner suite.
Elle précise enfin que, dans la mesure où elle a bénéficié des aides de l’Etat pour permettre à ces jeunes de partir en vacances, elle s’engage à rétrocéder le trop perçu.
***
Les articles 1103 et 1104 du Code civil posent pour principe que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi.
L'article 1353 du même code impose à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
L'article 1217 du Code civil dispose que « la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;
- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;
- obtenir une réduction du prix ;
- provoquer la résolution du contrat ;
- demander réparation des conséquences de l'inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter. ».
Par ailleurs, selon l'article 1219 du Code civil : « Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ».
Enfin, aux termes de l'article 1220 du Code civil : « Une partie peut suspendre l'exécution de son obligation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais ».
Toutefois, conformément aux règles de preuve, il appartient, en toutes hypothèses, à celui qui invoque l'exception d'inexécution d'établir la réalité de l'inexécution alléguée.
Au soutien de sa demande en paiement, l’Association « [5] » produit une facture éditée le 1er septembre 2021 dont la commune de [Localité 6] ne conteste pas le montant.
En revanche, celle-ci soutient que l’Association « [5] » a été défaillante dans l’accueil des jeunes qui lui étaient confiés à l'occasion du séjour.
Au soutien de ses affirmations, elle produit :
un rapport d'enquête administrative du 18 octobre 2021 non signé,deux certificats médicaux concernant les deux enfants blessés,deux retranscriptions d'entretiens avec les mères des deux enfants blessés et d'un enfant ayant été déclaré cas contact, ni datées ni signées,les témoignages manuscrits de 4 jeunes ni datés ni signés et qui ne précisent pas davantage la date du séjour dont ils relatent le déroulement.
Or, force est de constater qu'à l'exception de l'absence de consultation médicale pour les deux jeunes blessés qui constitue, à l'évidence, un manquement contractuel, les pièces produites, non contradictoires, non signées et parfois non datées, sont insuffisantes à faire la preuve des reproches faits à l’Association « [5] » par la mairie de [Localité 6].
Il convient ainsi de relever que « le rapport enquête administrative » n'est que la retranscription des doléances des enfants et des parents, alors qu'il apparaît que les organisateurs et les encadrants du séjour n'ont pas été confrontés à ces déclarations et n'ont pas été mis en mesure de s'expliquer sur les griefs qui leur étaient reprochés.
Il convient, également, de noter que la demanderesse a immédiatement répondu, par courriel du 13 septembre 2021, aux reproches que lui faisait la commune.
Dès lors, la seule carence qui peut être reprochée à l’Association « [5] » est d'avoir laissé deux enfants blessés sans consulter un médecin et ce, quand bien même les blessures se sont révélées moins graves qu’initialement craintes.
Ce manquement rend légitime et fondée l'exception d'inexécution opposée à la demande de paiement.
Ainsi, il doit être fait droit, dans son principe, à la demande de réduction de prix réclamée par la commune de [Localité 6].
Toutefois, il y a lieu de noter que cette dernière reconnaît que ce type de séjour permet aux communes de percevoir de l'Etat des subventions pouvant aller jusqu'à 80 % du prix du séjour dans la limite de 400 € par enfant.
Or, elle ne justifie pas de cette subvention.
Pour autant, elle ne conteste pas en avoir bénéficié, de telle sorte que faute de précision, il convient de tenir pour acquis qu'elle a bénéficié d'une subvention correspondant à 80 % du prix du séjour dans la limite de 400 € par enfant.
Le séjour s'élevant à 675 € par enfant, 80 % du prix de ce séjour s'établit à 540 €, somme supérieure au maximum de la subvention.
Par ailleurs, il n'est pas contestable que la commune de [Localité 6] ne saurait prétendre à une réduction de prix dont en définitive, elle ne s'est pas acquittée, ce dont elle convient, de surcroît, lorsqu'elle propose de restituer le « trop-perçu ».
Ainsi, elle ne peut valablement demander de réduction de prix sur la somme de 8.800 €(22 x400).
Compte tenu de la gravité du manquement de l’Association « [5] », qui aurait pu mettre en grand danger les deux enfants qui lui étaient confiés, il convient d'opérer, le reliquat de la facture de 7.400 € (16.200 – 8.800), un abattement de 75 %, soit 5.500 €.
En conséquence, la commune de [Localité 6] est tenue au paiement de la somme de 10.650 € [8.800 +(7.400 – 5.500)], laquelle portera intérêts au taux légal à compter du 11 février 2022, date de réception de la mise en demeure conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du Code civil qui dispose que « les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. ».
Sur la demande de dommages et intérêts présentée par la commune de [Localité 6] :
La commune de [Localité 6] invoque la contrainte d’organiser une enquête auprès de tous les enfants et de gérer les parents au travers de leur avocat aux fins d’apporter des réponses, elle sollicite la condamnation de l’Association à lui verser des dommages et intérêts d’un montant de 4.000 euros.
L’Association « [5] » demande le rejet de la demande de dommages et intérêts formée par la commune de [Localité 6] qui n’est au demeurant, selon elle, nullement motivée.
***
L’article 1231-1 du Code civil dispose : « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure ».
L’article 1231-3 du Code civil précise que « le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde ou dolosive. ».
Enfin, aux termes de l'article 1231-6 du Code civil, « Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.
Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.
Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.»
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En l'espèce, force est de constater que la commune de [Localité 6] ne procède que par voie d'affirmation, sans apporter, au soutien de ses affirmation, la moindre preuve, notamment du nombre d’agents et du temps que son rapport a mobilisés pour permettre sa rédaction.
En conséquence, elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
L’Association « [5] » soutient qu'en raison de la mauvaise foi de la commune de [Localité 6] et du retard en paiement, elle subit un préjudice en ce que ce retard a notamment contribué à des difficultés de trésorerie importantes alors qu'elle s’était déjà trouvée dans une situation difficile liée à la période de crise sanitaire ; qu'il est ainsi justifié que lui soit allouée une somme de 4.000 € à titre de dommages et intérêts en application des dispositions de l’article 1231-6 alinéa 3 du Code civil.
L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.
En l'espèce, outre le fait que la mauvaise foi de la commune de [Localité 6] n'est nullement démontrée, la seule faute pouvant objectivement lui être reprochée est d'avoir effectué une appréciation inexacte de ses droits.
Cette faute étant en soi insusceptible de fonder une demande de dommages et intérêts, l’Association « [5] » doit être déboutée de ce chef de prétentions.
A titre surabondant, il convient de relever que l’Association « [5] » ne justifie pas de préjudice distinct de celui directement causé par le retard dans le paiement de sa créance.
En conséquence, elle sera déboutée de ce chef de demande.
Sur les autres demandes :
Il y a lieu de condamner la commune de [Localité 6], qui succombe, aux dépens de l'instance.
Aux termes de l’article 700 du Code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
En l'espèce, il n'apparaît pas contraire à l'équité de laisser à chaque partie la charge des frais irrépétibles qu'elle a pu engager dans la présente instance.
Enfin, il convient de rappeler que selon les dispositions de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
Le présent jugement est donc assorti de l'exécution provisoire de plein droit.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, en premier ressort par mise à disposition au greffe,
DÉCLARE irrecevable la demande de sursis à statuer,
CONDAMNE La Commune de [Localité 6], prise en la personne de son représentant légal, Monsieur le Maire en exercice, à verser à l’Association « [5] la somme de 10.650 € assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 février 2022,
CONDAMNE La Commune de [Localité 6], prise en la personne de son représentant légal, Monsieur le Maire en exercice, aux dépens de l'instance,
DIT n'y avoir à indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.
REJETTE les demandes plus amples ou contraires.
Jugement prononcé par mise à disposition au greffe le 19 JUILLET 2024 par Madame RODRIGUES, Vice-Présidente, siégeant en qualité de Juge Unique, assistée de Madame SOUMAHORO, Greffier, lesquels ont signé la minute du présent jugement.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT