Minute n°
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Quatrième Chambre
JUGEMENT
11 JUILLET 2024
N° RG 22/01279 - N° Portalis DB22-W-B7G-QN5M
Code NAC : 64C
DEMANDEURS :
La SUMMUM ARCHITECTURE,
S.A.R.L. inscrite au RCS de Paris sous le numéro 878 829 936, dûment représentée par son gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 6]
Monsieur [U] [V]
né le [Date naissance 4] 1991 à [Localité 11]
[Adresse 5]
[Localité 6]
représentés par Maître Romain RUE de l’AARPI BOUDET & RUE, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, Me Stéphanie ARENA, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat postulant
DEFENDEURS :
Monsieur [G] [T]
né le [Date naissance 1] 1989 à [Localité 9]
[Adresse 2]
[Localité 7]
représenté par Me Virginie STRAWA BAILLEUL, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat plaidant/postulant
Copie exécutoire à Me Stéphanie ARENA, Me Virginie STRAWA BAILLEUL
Copie certifiée conforme à l’origninal Ã
délivrée le
Madame [I] [H] épouse [T]
née le [Date naissance 3] 1989 à [Localité 8]
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Me Virginie STRAWA BAILLEUL, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat plaidant/postulant
ACTE INITIAL du 21 Février 2022 reçu au greffe le 01 Mars 2022.
DÉBATS : A l'audience publique tenue le 23 Mai 2024, Mme DUMENY, Vice Présidente, et M.BRIDIER, Vice Président, siégeant en qualité de double rapporteur avec l’accord des parties en application de l’article 805 du Code de procédure civile, assistée de Madame GAVACHE, Greffier, a indiqué que l’affaire sera mise en délibéré au 11 Juillet 2024.
MAGISTRATS AYANT DÉLIBÉRÉ :
Mme DUMENY, Vice Présidente
Monsieur BRIDIER, Vice-Président
Madame BARONNET, Juge
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [G] [T] et son épouse Madame [I] [H] ont conclu en avril 2019 une promesse unilatérale de vente portant sur un terrain à [Localité 10].
Ils sont entrés en contact avec Monsieur [U] [V], architecte, qui leur a adressé le 16 mai 2019 un dossier d'esquisses en vue de la construction d'une maison individuelle.
Un premier chiffrage prévisionnel du coût des travaux a été arrêté. Puis un contrat d'architecte a été conclu le 29 mai 2019 comprenant une mission complète avec possibilité de dépassement du budget initial de 15%.
La construction devait être financée presque en totalité par un prêt.
En août 2019, le dossier de demande de permis de construire a été déposé et le permis de construire a été délivré le 24 octobre 2019.
Le 29 août 2019 l’architecte a adressé aux époux [T] le dossier d'avant-projet définitif afin de consulter les entreprises ainsi qu'une facture pour la réalisation du dossier d’avant-projet sommaire et du dossier de permis de construire.
Le 4 mai 2020, il leur a fait parvenir une demande de règlement de ses factures puis une mise en demeure de payer.
Après vaine saisine du conseil régional de l’ordre des architectes aux fins de conciliation, Monsieur [V] et la société SUMMUM ARCHITECTURE ont fait assigner Monsieur [T] et Madame [H] devant le tribunal judiciaire de Versailles aux fins d'obtenir le règlement des factures impayées, par exploit d'huissier du 21 février 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 17 août 2023, Monsieur [V] et la société SUMMUM ARCHITECTURE demandent au tribunal de :
Condamner solidairement M. [G] [T] et Mme [I] [H] à payer à la société SUMMUM ARCHITECTURE les sommes de
14.239,38 € en règlement de la facture n°1902-04 avec intérêt au taux légal à compter du 26 mai 2020,1.551,73 € HT soit 1.862,06 € TTC en application de l’article 15.2 du contrat d’architecte,6.982,80 € en réparation de son préjudice de perte de chance de percevoir les honoraires convenus aux termes de l’article 8 du contrat d’architecte, 10.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civileOrdonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil,
Rejeter l’ensemble des demandes de M. [G] [T] et Mme [I] [H],
Les condamner solidairement aux entiers dépens.
Les défendeurs sollicitent quant à eux du tribunal, dans leurs dernières conclusions notifiées le 26 juin 2023, de :
A titre principal,
Les recevoir en leurs demandes reconventionnelles, les y déclarer bien fondés,
Prononcer la résiliation du contrat d’architecte aux torts exclusifs de ce dernier,
Débouter la société SUMMUM ARCHITECTURE et Monsieur [U] [V] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
Condamner solidairement la société SUMMUM ARCHITECTURE et Monsieur [U] [V] à leur verser, en raison du manquement de l’architecte à son devoir de conseil les sommes de :
- 3.833,67 € au titre de la restitution des honoraires perçus,
- 5.837,58 € au titre des frais exposés dans le cadre du projet de construction qu’ils ont dû abandonner,
- 100.000 € en réparation de la perte de chance de voir leur projet se réaliser au budget initialement prévu,
- 56.640,00 € à parfaire au titre du montant du loyer depuis la signature du compromis du 5 avril 2019 ;
- 10.000 € au titre du préjudice moral pour la déception occasionnée par l’échec de leur projet ;
Subsidiairement, si le manquement de l’architecte à son devoir de conseil était écarté,
Limiter le montant des sommes sollicitées à la dernière version en date du 26 juin 2020 de la facture n°1902-04 visée au dispositif,
Écarter toute majoration et capitalisation des intérêts,
En tout état de cause,
Les condamner solidairement à leur verser la somme de 3.500,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
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Ainsi que le permet l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions des parties pour l’exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.
La clôture a été prononcée le 10 octobre 2023. L’affaire a été plaidée à l’audience tenue en double rapporteur le 23 mai 2024 et la décision a été mise en délibéré à ce jour.
MOTIFS DE LA DÉCISION
-Sur la demande de paiement de la somme de 14.239,38€ TTC et sur la demande de résiliation judiciaire du contrat
-Se fondant sur les articles 1103 et 1104 du code civil, Monsieur [U] [V] exerçant son activité dans le cadre de la société Summum architecture réclame le paiement des éléments de la mission qu'il affirme avoir réalisés conformément à la rémunération prévue au contrat.
Il explique avoir adressé au maître d'ouvrage, par courriel du 29 août 2019, un facture n°1902-02 qui comprenait :
-les études d’avant-projet sommaire (APS) pour un montant de 2.190,67 € TTC,
-la constitution du dossier de permis de construire (DPC), pour un montant de 3.833,68 € TTC.
Selon lui, le maître d'ouvrage n'aurait payé que le montant de 2.190,67€ TTC.
Monsieur [V] affirme avoir ensuite continué d'assurer ses diligences et notamment les missions études d’avant-projet détaillé (APD), étude de projet (PRO) et dossier de consultation des entreprises (DCE), ayant donné lieu à l’émission d’une facture récapitulative n°1902-04 du 4 mai 2020 d’un montant total de 14.239,38 € TTC qui aurait été envoyée par mail du même jour aux défendeurs et qui comprenait le montant de 3.833,68€ TTC relatif au DPC.
Il conteste l'affirmation des défendeurs selon laquelle cette facture ne leur aurait pas été adressée et remarque qu'ils n’ont jamais contesté qu’il avait pleinement exécuté sa mission jusqu’à la réalisation du dossier de consultation des entreprises (DCE).
Il remarque que le 24 mai 2020, Monsieur [T] et Madame [H] ont indiqué qu'ils ne paieraient pour le moment que le dossier PC et que le reste serait payé « comme précisé dans le contrat lorsque le financement par prêt aura été accepté. » Or selon lui, le contrat d’architecte ne fait aucunement dépendre le paiement des honoraires de l’architecte de l’obtention du financement du projet.
Il reproche aux maîtres de l’ouvrage une négligence en n'ayant pas procédé aux démarches d'obtention du prêt destiné à financer les travaux dans les délais impartis par la clause suspensive du contrat. Il considère que c'est le refus de la BNP d'octroyer le prêt sollicité, prévoyant un montant de 269.536,79€ au titre de la construction, qui a provoqué l'arrêt unilatéral du projet.
Il rappelle avoir tenté de trouver un accord avec Monsieur [T] et Madame [H] en acceptant de différer la facturation de l’élément PRO et en rectifiant sa facture n°1902-04 pour la ramener à 10.953,37 € TTC, puis face à leur refus d'honorer leurs engagements contractuels, en leur proposant de résilier d’un commun accord le contrat d’architecte et de mettre un terme définitif à sa mission contre le paiement de 50% de la facture n°1902-04 rectifiée, soit 5.476,69 € TTC, toujours en vain.
Il sollicite donc le paiement de l'entière facture, soit la somme de 14.239,38€ TTC. Il ne se prononce par ailleurs pas sur la demande de résiliation judiciaire du contrat formulée par les défendeurs mais réclame en revanche l'indemnité de résiliation prévue au contrat.
-Monsieur et Madame [T] rappellent le contexte dans lequel est intervenue la conclusion du contrat le 29 mai 2019, avec plusieurs échanges notamment relatif au coût du projet. Selon eux il ressort de ces éléments que le montant maximum de l’enveloppe allouée à la construction projetée était de 285.000€ TTC, marge de
15 %, que ce montant incluait tant les honoraires de l’architecte, l’assurance dommage ouvrage, l’étude thermique et les fondations spéciales, et qu'il était précisé que la construction serait quasi intégralement financée par un prêt.
Ils relèvent que le contrat régularisé vise une enveloppe financière travaux de 243.000 € TTC, en ce compris les VRD, avec possibilité de dépassement du budget initial de 15 %, que le budget travaux maximum fixé était ainsi, sur la base du projet initial, de 279.450 € TTC, VRD et fondations spéciales incluses et que l’architecte avait bien précisé, avant la conclusion du contrat, que ce montant serait largement tenable et les avait rassurés sur ce point.
Ils précisent que la variation de 15 % contractuellement fixée « ne vaut que si le programme défini au CCP ou en annexe est inchangé ».
Les époux [T] retracent la poursuite des échanges entre eux et l'architecte, indiquent que le 24 juin 2019, ils l’interrogeaient, sans succès quant au chiffrage du projet, que le 12 juillet 2019, à la suite des modifications qu'il importait de réaliser selon l'architecte pour rester dans l'enveloppe budgétaire, ils observaient que le projet commençait à s'éloigner de l'esquisse initiale. Ils faisaient par la suite part de leur déception et par mail du 25 juillet 2019 l'architecte leur indiquait « je pense qu’il faut définitivement abandonner la première esquisse et se concentrer sur la version intermédiaire qui sera plus en accord avec le budget ».
Le dossier de permis de construire était déposé le 2 août 2019 et le 29 août 2019, l’architecte transmettait le dossier APD afin de consulter les entreprises et y joignait sa facture pour l’APS et le PC. Ils affirment que le dossier PRO ne leur a pas été transmis. Le 4 novembre un nouveau point budget était réalisé au cours duquel était confirmé le montant de l'enveloppe budgétaire de 238.000€ HT (207.450€ HT + 15%). Le 8 novembre l'architecte confirmait que le projet modifié entrait dans l'enveloppe définie. Les consultations d'entreprises se poursuivaient mais le 17 mars le projet était arrêté.
Ils expliquent que le projet s'est éloigné de celui initialement présenté et que l'architecte n'a pas respecté l'enveloppe fixée, constitutive d'un élément essentiel du contrat pour eux. Ils ajoutent que les délais d'exécution de la mission n'ont pas été tenus.
Ils font ainsi valoir que le projet initial était bien plus onéreux que le coût prévisionnel envisagé et que l’architecte a reconnu lui-même en dernier lieu un dépassement de 30 % du montant initial, qui plus est sur une version du projet au rabais.
Ils considèrent que Monsieur [V] a ainsi manqué à son devoir de conseil, manquement constitutif d'une faute tant par la sous-estimation manifeste initiale du coût du projet que par son défaut de réactivité et de rigueur dans le conseil délivré au cours de sa mission.
Ils sollicitent en conséquence que soit prononcée la résiliation du contrat aux torts exclusifs de l'architecte et que la société SUMMUM ARCHITECTURE soit déboutée de toutes ses demandes.
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Sur la résiliation du contrat d'architecte
Aux termes des article 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi, cette dernière disposition étant d'ordre public.
L’article 1231-1 du même code dispose que : « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure. »Â
Il est constant qu'en application de ces textes, l'architecte se voit imposer une obligation de conseil et d'information à l'égard du maître d'ouvrage dans le cadre de leurs relations contractuelles.
En l'espèce, un contrat d'architecte a été signé par les parties le 29 mai 2019 confiant à Monsieur [V] une mission complète en deux phases : il indique que le maître d'ouvrage déclare disposer d'une enveloppe financière pour les travaux de 243.000€ TTC, comprenant les coûts relatifs aux travaux de voirie et réseaux divers mais hors honoraires de l'architecte qui, au moment de la signature du contrat, étaient évalués à une somme de 22.819,50€ HT, soit 27.383,40€ TTC correspondant à 11% du montant estimé des travaux, soit 207.450€ HT.
Le contrat est signé sous la condition suspensive de l'obtention d'un prêt d'un montant de 265.000€. Il est stipulé que les honoraires de l'architecte sont payables au fur et à mesure de l'avancement de la mission et que le maître d'ouvrage s'engage à verser les sommes dues à l'architecte pour l'exercice de sa mission dans un délai maximum de 21 jours à compter de la date de réception de la facture.
Dans leurs conclusions, les défendeurs admettent que le coût estimé dans le contrat puisse varier de 15%, soit jusqu'à la somme de 243.000€x15% = 279.450€ TTC, mais à la condition que le programme défini au CCP ou en annexe soit inchangé.
Par courriel du 4 novembre 2019, Monsieur [T] indiquait à l'architecte qu'ils allaient pouvoir financer une construction dans une enveloppe de 238.000€ HT, soit 285.600€ TTC. Par courriel du 11 novembre 2019 il notait qu'ils parvenaient en additionnant tous les coûts à « un total d'environ 300.000€ TTC soit avec vos honoraires un montant de 333.000€ TTC, nous dépassons donc le budget de seulement 13.000€. »
Il ressort par ailleurs des conclusions de Monsieur [V] et du mail de Monsieur [T] du 3 mars 2020 versé aux débats que les maîtres d'ouvrage avaient signé les devis de travaux proposés par la société BATI SERVICES 28, devis qui ne sont cependant pas communiqués au tribunal.
Pourtant les maîtres d'ouvrage affirment dans leurs conclusions que le projet était stoppé le 17 mars 2020.
Le tribunal observe que les pièces produites, notamment les devis des entreprises versés aux débats, ne permettent pas de connaître avec certitude le coût définitif des travaux. Il convient dès lors de se fonder sur les déclarations des parties contenues dans les courriels échangés.
Dans son courriel du 26 juin 2020, Monsieur [V] expliquait que le projet aurait pu être réalisé pour 256.209,48€ HT, y compris la pose des micro-pieux et l'escalier, sur la base des devis de BATI SERVICES 28 et de FORINFRA. Il observait que le total HT au stade de la consultation des entreprises sur la base de l'APD s’élevait donc à environ 30% de plus que l'estimation initiale à la signature du contrat.
Il est constant que dans le cadre des relations contractuelles entre un maître d'ouvrage et son architecte, le coût des travaux fixé contractuellement est une estimation qui peut évoluer au cours de la mission. Pour autant, cette évolution est généralement limitée dans une fourchette que les contractants ont admis comme possible à hauteur de 15%.
Monsieur [V] reconnaît dans son courriel du 26 juin 2020 que le coût des travaux s'élèverait à environ 30% de plus que l'estimation initiale, soit 256.209,48 € HT correspondant à une somme de 307.451,37 € TTC, bien supérieure à ce qui était ainsi convenu dans le contrat initial.
Il a donc manqué à son devoir de conseil financier à l'égard des époux [T] en sous estimant de façon excessive le coût final des travaux.
Mais par ailleurs les maîtres d'ouvrage ont poursuivi les discussions avec le maître d'œuvre et les entreprises, ont accepté des augmentations du coût du projet et ont même signé les devis de la société BATI SERVICES 28. Ils ont ce faisant laissé penser qu'ils avaient la possibilité d'augmenter leur capacité de financement. A cette date, ils avaient donc de façon manifeste l'intention de poursuivre la réalisation du projet.
Monsieur [T] et Madame [H] ont de toute évidence également laissé passer un long délai avant d'entreprendre les démarches de recherche du financement bancaire nécessaire à leur projet mais restent étonnamment taisants dans leurs conclusions sur ce point. Monsieur [V] produit cependant un plan de financement établi par la BNP pour les maîtres d'ouvrage pour un coût de construction de 269.536,79€ et un coût du terrain de 225.000€ sans que le tribunal ne puisse savoir, sauf par l'affirmation de ce dernier, si ce plan de financement a été accepté par les clients.
Le tribunal observe que ce plan de financement est daté du 12 mai 2020 et qu'il est permis de conclure, en l'absence de toute contestation par Monsieur [T] et Madame [H] des affirmations de Monsieur [V] sur ce point, qu'il n'a de toute évidence pas été finalisé.
Les époux [T] ont ainsi fait preuve de leur côté d'une négligence fautive. En effet des démarches d'obtention d'un prêt beaucoup plus en amont du projet auraient permis de stopper celui-ci plus rapidement et d'éviter des coûts pour chacune des parties. Ils ont par ailleurs laissé croire jusqu'au dernier moment à l'architecte que le projet serait finalisé puisqu'il n'est pas contesté qu'ils ont même signé les devis de travaux de la société BATI SERVICES 28 en mars 2020 pour une somme de 263.440,25€ TTC selon Monsieur [V], soit le montant correspondant peu ou prou au montant du prêt sollicité.
Le maître d’œuvre de son côté aurait dû s'assurer de la capacité de financement du projet par les maîtres d'ouvrage.
L'ensemble de ces éléments conduit à constater que des négligences fautives ont été commises par les deux parties contractantes et que ces négligences ont ensemble conduit à l'arrêt du projet.
S'il est ainsi justifié de prononcer la résiliation judiciaire du contrat, celle-ci le sera aux torts partagés des contractants.
Sur le règlement de la somme de 14.239,38€
Il ressort des pièces et conclusions que Monsieur [T] et Madame [H] ont signé les devis proposés par l'entreprise BATI SERVICES 28 le 3 mars 2020, soit après la réalisation par l'architecte de l'avant-projet détaillé, des études de projet et de la consultation des entreprises.
Les éléments détaillés dans le contrat conclu entre le maître d’œuvre et les maîtres d'ouvrage comprenaient les missions suivantes :
Acompte/Esquisse : 1.643€ TTC
Avant projet sommaire : 2.190,67€ TTC
Dossier de permis de construire : 3.833,68€
Études d'avant-projet détaillé : 4.107,51€
Études de projet : 4.381,34
Dossier de consultation des entreprises : 1.916,85€.
Soit un total de : 16.430,05€
L'ensemble de ces étapes de la mission ont été effectuées par l'architecte alors même que Monsieur [T] et Madame [H] laissaient penser que le projet serait réalisé et financé.
Monsieur [V] reconnaît avoir été réglé de la somme de 2.190,67€ TTC. Il réclame donc le solde de 14.239,38€.
Compte tenu du partage de responsabilité, Monsieur [T] et Madame [H] seront condamnés à payer à la société d’exercice de Monsieur [V] la moitié de cette somme, soit 7.119,69€.
-Sur le paiement de l'indemnité de résiliation d'un montant de 1.862,07€
La société de M. [V] sollicite, sur le fondement de l'article 15.2 du contrat d'architecte, le paiement d'une somme de 1.862,07€.
Monsieur [T] et Madame [H] sollicitent la résiliation du contrat aux torts exclusifs de Monsieur [V] et que ce dernier soit débouté de l'ensemble de ses demandes, sans autre précision sur l'indemnité de résiliation.
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Aux termes de l'article 15.2 du contrat d'architecte, une indemnité de résiliation est due en cas de résiliation pour motif autre qu'une faute de l'architecte.
En l'espèce, la résolution judiciaire du contrat a été décidée compte tenu des manquements et négligences fautives des deux parties dont celle de l’architecte, ce qui ne lui ouvre pas droit à une indemnité de résiliation.
La demande sera rejetée.
-Sur la perte de chance des demandeurs
Selon Monsieur [V], les manquements des maîtres d'ouvrage l'ont privé de la chance de voir le projet aboutir et donc de percevoir le solde des honoraires fixés contractuellement. Il sollicite ainsi une somme de 6.982,80€ correspondant à 90% des sommes non prises en compte dans sa demande précédente relative aux prestations effectivement réalisées et sur lesquelles il a déjà été statué.
Les époux [T] remarquent que le contrat prévoit déjà la réparation de toute rupture qui interviendrait sans faute de l’architecte, réparation également sollicitée par l’application de l’indemnité de résiliation à hauteur de 20 % des honoraires de la phase 2 outre les honoraires correspondant aux missions exécutées. Ils font valoir que les demandes ainsi formulées par la société SUMMUM ARCHITECTURE aboutissent à une indemnisation nettement supérieure à ce qu’aurait perçu l’architecte s’il avait effectivement accompli sa mission sans faute jusqu’à son terme et qu'elles doivent être rejetées.
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Comme pour la demande au titre de l'indemnité de résiliation, il convient de faire observer que la résiliation judiciaire est prononcée aux torts partagés des deux parties
qui ont toutes les deux contribué à la mise à l'arrêt du projet par leurs négligences respectives.
La réparation d'un préjudice de perte de chance, au demeurant non développée, sera donc également rejetée.
-Sur demande reconventionnelle en restitution des honoraires
Les époux [T] sollicitent le remboursement de la somme de 3.833,67€ au titre des honoraires versés (factures n°1902-01 pour la phase EQS d’un montant de 1.643,00 € TTC - facture n°1902-03 pour la phase APS, du 06/08/2019, d’un montant de 2190,67 € TTC).
Monsieur [V] et sa société répliquent que les maîtres d’ouvrage ne peuvent revendiquer aucun préjudice au titre des éléments de missions ESQ et APS qu’ils ont validés et payés librement après services rendus le 9 septembre 2019 et qu'ils ont même reconnu, le 24 mai 2020, être redevables de l’élément de mission PC sans toutefois honorer leur engagement de payer.
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En l'espèce, le tribunal a fait droit à la demande de Monsieur [V] de condamnation de Monsieur [T] et Madame [H] à lui payer la moitié des honoraires des prestations par lui effectuées et non encore réglées.
S'agissant de la somme de 3.833,67€, déjà payée, celle-ci correspond à l'esquisse et à l'avant-projet sommaire. Ces deux étapes sont nécessaires afin de parvenir à fixer une première estimation du projet et ont été exécutées par le professionnel. Elles sont donc dues, nonobstant le fait que l'architecte ne soit pas parvenu par la suite à demeurer dans l'enveloppe initiale prévue.
La demande sera donc rejetée.
-Sur la demande en paiement des frais exposés dans le cadre du projet de construction
Les défendeurs sollicitent le remboursement des frais exposés dans le cadre du projet: études de sol + étude béton + étude thermique : 3.000 € + 2.057,58 € + 780 € = 5.837,58 € TTC.
Leurs adversaires répliquent que l’étude de sol a été fournie par les maîtres d’ouvrage avant leur entrée en relation avec lui, que l’étude thermique est obligatoire pour le dépôt du permis de construire et l’étude béton est nécessaire pour la consultation des entreprises ; qu'il ne peut donc résulter aucun préjudice du fait de l’exécution de ces études nécessaires à la réalisation du projet auquel les maîtres d’ouvrage ont, de leur seul fait, renoncé.
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Monsieur [T] et Madame [H] justifient du paiement de ces études. L'étude de sol ayant été effectuée avant la signature du contrat d'architecte, il ne peut être retenu aucun lien de causalité entre cette dépense et l'échec des relations contractuelles pour la mettre à sa charge.
Cette demande de Monsieur [T] et Madame [H] sera donc rejetée.
S'agissant de l'étude béton pour un coût de 2.957,58€ et de l'étude thermique pour un coût de 780€, elles ont été commandées et réalisées au cours des relations contractuelles et dans le cadre de la réalisation du projet de construction, auquel elles sont liées.
La résiliation judiciaire du contrat étant prononcée au tort des deux parties, il y a lieu que ce coût soit pris en charge par moitié par les deux parties.
L’architecte sera donc condamné à payer à Monsieur [T] et Madame [H] la somme de (2.957,58€ + 780€) /2 = 1.868,79€.
-Sur la réparation de la perte de chance de voir le projet se réaliser au budget initialement prévu
Les époux [T] la réparation de la perte de chance de voir leur projet se réaliser au budget initialement prévu par l’allocation de 100.000 € de dommages-intérêts. Ils expliquent que le budget initialement prévu pour la construction ne peut plus être tenu, du fait de l’augmentation substantielle de tous les coûts sur ces deux dernières années, tant s’agissant des parcelles que des coûts de la construction, qu'ils ont ainsi été contraints de revoir l’intégralité de leur projet initial tant au regard de la surface du terrain que des contraintes d’urbanismes liées à cette nouvelle parcelle. Ils fondent leur demande sur un montant de 691.000€, minoré par rapport à leur souhait initial. Ils évoquent également le coût constructeur de 274k€, les frais supplémentaires (peinture et sol, micro pieux, terrassement) de 49k€, le prix du terrain ainsi que les frais d'agence à hauteur de 225k€ ainsi que les droits d’enregistrement et autres pour 16k€ et affirment, sans autre explication de leur calcul, qu'il en résulte une différence a minima de 127.000€ justifiant la demande de 100.000€ qui induit un coefficient de perte de chance de 0,8.
Monsieur [V] et sa société rappellent que seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable. Ils considèrent que l’éventualité favorable perdue ne pourrait être que la réalisation du projet initial et que la perte de chance ne peut résider dans la différence entre le prix de biens immobiliers cédés aux alentours et le coût global de la construction. Selon lui la perte de chance ne peut être caractérisée que si le projet de construction avait été réalisé et si un dépassement fautif du budget était établi ; en la matière, la perte de chance ne peut donc être que celle d’éviter un dépassement du budget initial. Il conclut que les maîtres d'ouvrage ayant renoncé à leur projet de construction, ils ne peuvent revendiquer aucun préjudice de perte de chance né du défaut de réalisation de celui-ci.
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Il est constant que seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable.
En l'espèce, il a déjà été précisé que le seul plan de financement produit est daté du 12 mai 2020 soit très tardivement au regard de l'état d'avancement du projet de construction, et que le tribunal ne sait pas de façon certaine si ce plan de financement a été refusé par les défendeurs ou in fine par la banque. Par ailleurs Monsieur [T] et Madame [H] avaient semble t il accepté le projet puisqu'il n'est pas contesté qu'ils avaient signé les devis de travaux de la société BATI SERVICES 28.
Dès lors, il ne peut être reproché à Monsieur [V] ou à sa société de leur avoir fait perdre une chance alors que les clients ont renoncé de leur propre initiative au projet et qu'ils ne démontrent pas ne pas avoir disposé du financement bancaire sollicité.
La demande sera donc rejetée.
-Sur l’indemnisation du loyer
Monsieur [T] et Madame [H] sollicitent la prise en charge par leurs cocontractants du montant du loyer réglé depuis la signature du premier compromis du 5 avril 2019 jusqu’à la signature du second compromis en date du 13 avril 2023 pour l’achat d’un bien ancien, soit pendant 4 ans : 1.180 € x 48 mois = 56.640,00 €.
Les défendeurs font remarquer qu'aucun préjudice ne peut être invoqué par les maîtres d’ouvrage qui ont bien bénéficié de la mise à disposition du bien loué.
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Le tribunal observe que l'entrée dans les lieux dont le loyer est mentionné date du 24 août 2018, soit avant le début des démarches entreprises avec Monsieur [V]. Si l'échec du projet a conduit les maîtres d'ouvrage à demeurer locataires, ces derniers ne démontrent pas si ce maintien en tant que locataires a engendré un coût spécifique supplémentaire par rapport à la construction envisagée. En tout état de cause ce ne pourrait être que ce coût supplémentaire qui pourrait faire l'objet d'une indemnisation. De plus ils pouvaient eux-mêmes mettre fin au contrat et poursuivre leur projet sans attendre l’année 2023.
Par ailleurs, il sera de nouveau remarqué que les époux [T] ont contribué au même titre que l'architecte à l'échec de ce projet, qu'aucune perte de chance n'est imputable non plus à l'architecte en l'absence de démonstration de la disparition certaine d'une éventualité favorable, qu'il n'apparaît ainsi pas justifié que celui-ci prenne en charge une partie de leur loyer.
La demande sera rejetée.
-Sur la réparation du préjudice moral
Monsieur [T] et Madame [H] sollicitent une somme de 10.000€ à titre d'indemnisation de leur préjudice moral résultant de la déception de ne pas voir le projet se réaliser et la nécessité de recommencer les recherches d’un autre terrain et modifier leur projet initial.
Les défendeurs considèrent que la démonstration du préjudice moral allégué et de son évaluation sont lacunaires et qu'en tout état de cause, ce préjudice ne leur est aucunement imputable, aucun lien de causalité n'étant établi par les maîtres d'ouvrage entre la faute reprochée et ce préjudice.
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S'il peut être reproché à l’architecte un manquement à son obligation de conseil en matière financière consistant en une sous-estimation excessive du projet de construction, il ne peut être établi de lien de causalité direct entre ce manquement et la déception de Monsieur [T] et Madame [H] de ne pas voir leur projet se réaliser dans la mesure où il ressort des éléments déjà développés qu'ils ont eux-mêmes décidé de stopper la réalisation du projet alors qu'ils avaient signé les devis des constructeurs et donc accepté le projet dans tous ses aspects, architecturaux comme financiers. Au demeurant ce préjudice n'est pas étayé par aucune pièce.
La demande sera donc rejetée.
- sur la solidarité des demandeurs
Les époux [T] demandent la condamnation solidaire de l’architecte et de sa structure d’exercice au règlement des indemnités, ce à quoi les intéressés ne s’opposent pas.
Dans la mesure où les pièces démontrent que le contrat d’architecte a été signé par M. [V] sous l’enseigne SUMMUM Architecture et que cette société a été immatriculée comme EURL en novembre 2019 soit durant le contrat, il convient de les condamner in solidum au versement de l’indemnisation.
-Sur les demandes accessoires
Les intérêts légaux courront à compter de la date de la présente décision compte tenu du partage de responsabilité prononcé dans la résiliation du contrat liant les parties. Leur capitalisation sollicitée par les demandeurs est de droit et sera prononcée aux conditions légales.
Monsieur et Madame [T] seront condamnés aux dépens et à payer à la société une indemnité de 4.000€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Ils seront corrélativement déboutés de ce chef.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire rendu en premier ressort et mis à disposition au greffe,
Prononce la résiliation judiciaire aux torts partagés du contrat d'architecte signé le
29 mai 2019 par Monsieur [U] [V] d'une part et Monsieur [G] [T] et Madame [I] [H] d'autre part;
Condamne solidairement Monsieur [G] [T] et Madame [I] [H] à payer à la société SUMMUM ARCHITECTURE la somme de 7.119,69 € au titre des éléments de sa mission effectivement réalisés et non réglés après partage de responsabilité ;
Déboute la société SUMMUM ARCHITECTURE de ses demandes de paiement d'une somme de 1.862,07 € au titre de l'indemnité de résiliation prévue au contrat d'architecte et d'une indemnité de 6.982,80 € en réparation de son préjudice de perte de chance ;
Condamne in solidum Monsieur [U] [V] et la société SUMMUM ARCHITECTURE à payer à Monsieur [G] [T] et Madame [I] [H] une somme de 1.868,79 € au titre des frais d'étude béton et d'étude thermique exposés dans le cadre du projet de construction ;
Déboute Monsieur [G] [T] et Madame [I] [H] de leurs demandes de condamnation au titre des honoraires perçus, de la perte de chance, du montant du loyer et du préjudice moral ;
Dit que les intérêts courront à compter de la date de la présente décision et ordonne leur capitalisation aux conditions légales ;
Condamne solidairement Monsieur [G] [T] et Madame [I] [H] aux dépens ;
Condamne solidairement Monsieur [G] [T] et Madame [I] [H] à payer à la société SUMMUM ARCHITECTURE la somme de 4.000,00€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Monsieur [G] [T] et Madame [I] [H] de leur demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 JUILLET 2024 par Mme DUMENY, Vice Présidente, assistée de Madame GAVACHE, greffier, lesquelles ont signé la minute du présent jugement.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT