La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/07/2024 | FRANCE | N°22/05928

France | France, Tribunal judiciaire de Versailles, Troisième chambre, 09 juillet 2024, 22/05928


Minute n° :

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES

Troisième Chambre

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT

rendue le
09 JUILLET 2024



N° RG 22/05928 - N° Portalis DB22-W-B7G-Q5JW
Code NAC : 30G




DEMANDERESSE au principal :
Défenderesse à l’incident :

Madame [L], [C], [H] [A]
née le 29 Juillet 1953 à [Localité 4] (ALGÉRIE),
demeurant [Adresse 2],

représentée par Maître Marc ROZENBAUM, avocat plaidant/postulant au barreau de VERSAILLES.



DÉFENDERESSE au principal :
Demandere

sse à l’incident :

La société BATIGERE EN ILE DE FRANCE, société anonyme d’HLM à directoire et conseil de surveillance immatriculée au Registre du Commerc...

Minute n° :

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES

Troisième Chambre

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT

rendue le
09 JUILLET 2024

N° RG 22/05928 - N° Portalis DB22-W-B7G-Q5JW
Code NAC : 30G

DEMANDERESSE au principal :
Défenderesse à l’incident :

Madame [L], [C], [H] [A]
née le 29 Juillet 1953 à [Localité 4] (ALGÉRIE),
demeurant [Adresse 2],

représentée par Maître Marc ROZENBAUM, avocat plaidant/postulant au barreau de VERSAILLES.

DÉFENDERESSE au principal :
Demanderesse à l’incident :

La société BATIGERE EN ILE DE FRANCE, société anonyme d’HLM à directoire et conseil de surveillance immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de NANTERRE sous le numéro 582 000 105 ayant son siège social situé [Adresse 1], prise en la personne de son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Martin LECOMTE de la SCP DE CHAUVERON - VALLERY - RADOT - LECOMTE, avocat plaidant au barreau de PARIS et par Maître Margaret BENITAH, avocat postulant au barreau de VERSAILLES.

DÉBATS : A l'audience publique d’incident tenue le 06 Juin 2024, les avocats en la cause ont été entendus en leurs plaidoiries par Madame GARDE, Juge de la mise en état assistée de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier. Puis le Magistrat chargé de la mise en état a avisé les parties que l’ordonnance sera prononcée par sa mise à disposition au greffe à la date du 09 Juillet 2024.

* * * * * *

EXPOSE DU LITIGE

Aux termes d’un acte sous seing privé en date du 16 mai 2012, la société Batigère en Île-de-France a consenti à Madame [L] [A] un bail commercial portant sur divers locaux situés [Adresse 3] à [Localité 5] (78), à usage exclusif de pharmacie, pour une durée de neuf années à compter du 15 novembre 2012, moyennant un loyer annuel en principal de 11.880 €.

Dénonçant des dégâts des eaux à répétition à compter de son entrée en jouissance, Madame [L] [A] a fait établir plusieurs procès-verbaux de constat d’huissier puis sommé son bailleur, le 8 septembre 2020, de procéder aux travaux de reprise nécessaires.

Par décision du 24 février 2021, le tribunal de commerce de Versailles a ordonné une expertise et commis Madame [G] [B] pour y procéder. Dans son rapport, déposé le 6 mai 2022, celle-ci considère que les désordres sont dus à une non-conformité aux règles de l’art et à une exécution défectueuse concernant le réseau d’évacuation des eaux pluviales engageant la responsabilité du bailleur.

C’est dans ces conditions que, par exploit introductif d’instance délivré le
26 octobre 2022, Madame [L] [A] a fait assigner la société Batigère
en Île-de-France devant le tribunal judiciaire de Versailles en indemnisation du préjudice subi.

Puis, par conclusions d’incident notifiées au greffe le 29 mars 2024, la société Batigère en Île-de-France a soulevé l’irrecevabilité des demandes présentées en raison de la clause de renonciation à recours en responsabilité stipulée au bail.

Aux termes de ses dernières conclusions d’incident, notifiées au greffe par voie électronique le 4 juin 2024, la société Batigère en Île-de-France demande au juge de la mise en état de :

- Juger irrecevables les demandes de Madame [A], celle-ci ayant contractuellement renoncé à tout recours contre Batigère Île-de-France,
- Condamner Madame [A] à payer à la société Batigère Île-de-France la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.

La société Batigère en Île-de-France explique, au visa des articles 789 et 122 du code de procédure civile, que l’article 6 du contrat de bail comporte une clause de non recours réciproque évitant le cumul d’assurances de chose et de responsabilité sur le local. Elle soutient que l’étendue de cette clause est limitée et justifiée par l’engagement de chaque partie de recourir à son propre assureur pour obtenir d’éventuelles indemnisations. Elle réplique que les désordres subis n’ont jamais empêché l’exploitation des locaux et prétend avoir fait preuve de diligence pour y remédier. Elle considère ainsi que ni l’atteinte portée à son obligation de délivrance ni la faute lourde alléguées ne sont démontrées.

Aux termes de ses dernières conclusions d’incident, notifiées au greffe par voie électronique le 22 mai 2024, Madame [L] [A] demande au juge de la mise en état de :

- Débouter la société Batigère Île-de-France de l’intégralité de ses demandes,
- Condamner la société Batigère Île-de-France à payer à Madame [A] la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
- Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir,
- Condamner le défendeur aux entiers dépens.

Madame [L] [A] relève, au visa de l’article 1131 ancien du code civil, que la clause litigieuse porte atteinte à l’obligation de délivrance du bailleur. Plus précisément, elle indique qu’elle fait échec à l’engagement de sa responsabilité alors même que la jouissance paisible du local n’est pas assurée. Elle dénonce, en tout état de cause, une faute lourde de la part de son bailleur. Elle explique avoir subi plus d’une quinzaine de dégâts des eaux depuis son entrée en jouissance, sans que la société Batigère en Île-de-France ait entrepris les démarches nécessaires pour y remédier.

MOTIFS

Les dispositions issues de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations étant applicables aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, il sera fait référence, dans le présent jugement, à l’ancienne numérotation du code civil.

Sur la clause de renonciation à tout recours

Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, l’article 789 du code de procédure civile dispose que le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les fins de non-recevoir.
Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir.

Constitue une fin de non-recevoir, au sens de l’article 122 du code de procédure civile, tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir.

En l’occurrence, l’examen de la fin de non-recevoir soulevée suppose que la présente juridiction statue sur la validité de la clause de renonciation à recours et son opposabilité à Madame [L] [A].

En vertu de l’article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :

1° de délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ;
2° d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été
louée ;
3° d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
4° d'assurer également la permanence et la qualité des plantations.

Il est de principe que toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite.

En l’espèce, Madame [L] [A] a attrait en justice la société Batigère en
Île-de-France afin que celle-ci soit condamnée, sur le fondement de son obligation de délivrance, à l’indemniser des préjudices subis en raison des dégâts des eaux ayant successivement affecté ses locaux.

Le contrat de bail commercial liant les parties stipule, en son article 6, que :

“a) L’ensemble immobilier sera assuré dans sa totalité en valeur de reconstruction à neuf, contre les risques d’incendie, d’explosion, tempête, ouragan, dégâts des eaux, cyclone, chute d’appareils de navigation aérienne, contre les risques de grèves, émeutes, mouvements populaires, actes de terrorisme et de sabotage.
b) Le preneur déclare faire son affaire personnelle de la couverture des risques précités et du paiement régulier des primes y afférentes, dont il justifiera auprès du bailleur.
Le preneur adressera au bailleur un exemplaire des conditions particulières de la police.
c) Le preneur devra déclarer immédiatement à l’assureur, d’une part, au bailleur, d’autre part, tout sinistre, quelle qu’en soit l’important même s’il n’en résulte aucun dégât apparent.
(...)
g) Le preneur renonce à tout recours en responsabilité ou réclamation contre le bailleur, tous mandataires du bailleur, et leurs assureurs et réciproquement pour le bailleur à l’égard du preneur en cas de dégâts causés au local et/ou aux objets ou marchandises s’y trouvant, par suite de fuites, d’infiltrations, d’humidité ou autres circonstances.”

Cette clause de renonciation à recours en responsabilité doit être distinguée d’une clause limitative ou exonératoire de responsabilité. En effet, si elle ne remet pas en cause le principe et l'étendue de la responsabilité de la société Batigère en Île-de-France ès qualités de bailleur, elle prive Madame [L] [A] de la possibilité d'agir en justice à son encontre en raison de l'inexécution de ses obligations. Aussi est-il nécessaire de s'assurer, d'une part, que cette clause est limitée, claire et précise et, d'autre part, qu’elle n’a pas pour effet de neutraliser le caractère contraignant de l’obligation essentielle résultant du contrat en dispensant la société Batigère en Île-de-France d’exécuter son obligation.

En l’occurrence, la renonciation à recours en responsabilité acceptée par Madame [L] [A] est circonscrite aux seules conséquences des dégâts des eaux affectant les lieux loués pour lesquelles elle peut mais aussi et surtout doit être assurée conformément aux points a), b) et c) de l’article 6 du contrat.

De portée précise et circonstanciée, cette clause, librement et réciproquement consentie, n’a pas pour effet de vider de sa substance l’obligation de délivrance du bailleur qui, bien qu’aménagée sur le volet de la jouissance paisible des locaux donnés à bail, subsiste pour le surplus.

La clause de renonciation à recours stipulée au bail est, par conséquent, valide.

Toutefois, et ainsi que le relève à juste titre Madame [L] [A], les effets d’une telle clause peuvent être neutralisés si la preuve d’une faute lourde du cocontractant est rapportée.

La faute lourde est caractérisée par un comportement d’une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée.

En l’espèce, si le nombre de sinistres subis par Madame [L] [A] n’est pas contesté, les pièces versées aux débats établissent que la société Batigère en Île-de-France a été diligente dans leur suivi en procédant à des investigations en recherche de fuites et à des travaux réparatoires, y compris à la demande de l’expert désigné par le tribunal de commerce.

Dès lors, et bien que ces diligences aient été insuffisantes pour enrayer la poursuite des troubles pendant plusieurs années (dont les origines, parfois plurielles, n’ont pas été immédiatement identifiées), aucune faute lourde ne saurait être retenue à son encontre.

Il s’ensuit que la clause de renonciation à recours stipulée au bail, valide, est opposable à Madame [L] [A] dans le cadre du présent litige.

L’action intentée sera, par conséquent, déclarée irrecevable.

Sur les autres demandes

Sur les dépens

Conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

Madame [L] [A], qui succombe en ses demandes, sera condamnée aux dépens de l’incident.

Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

Madame [L] [A], partie tenue aux dépens, sera condamnée à payer à la société Batigère en Île-de-France la somme qu’il est équitable de fixer à
2.000 € au titre des frais irrépétibles exposés pour l’incident.

Sur l’exécution provisoire

En application de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la décision rendue n’en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS

Le Juge de la mise en état, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire rendue en premier ressort et susceptible d’appel dans les conditions prévues par l’article 795 du code de procédure civile,

DÉCLARE irrecevable l’action engagée par Madame [L] [A] à l’endroit de la société Batigère en Île-de-France,

CONDAMNE Madame [L] [A] à payer à la société Batigère en Île-de-France la somme de 2.000 € au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de l’incident,

CONDAMNE Madame [L] [A] aux dépens de l’incident,

CONSTATE l’extinction de l’instance et le dessaisissement subséquent de la 3ème chambre civile du tribunal judiciaire de Versailles,

RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 JUILLET 2024, par Madame GARDE, Juge, Juge de la mise en état, assistée de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, lesquelles ont signé la minute de la présente décision.

LE GREFFIER LE JUGE DE LA MISE EN ÉTAT
Carla LOPES DOS SANTOS Angéline GARDE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Versailles
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 22/05928
Date de la décision : 09/07/2024
Sens de l'arrêt : Déclare la demande ou le recours irrecevable

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-09;22.05928 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award