La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/06/2024 | FRANCE | N°22/02841

France | France, Tribunal judiciaire de Versailles, Troisième chambre, 25 juin 2024, 22/02841


Minute n°


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
25 JUIN 2024



N° RG 22/02841 - N° Portalis DB22-W-B7G-QSOS
Code NAC : 30B
A.G.



DEMANDERESSE :

La société PLAYTIME, société par actions simplifiée à associé unique immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES sous le numéro 883 901 126 dont le siège social est situé [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal, Monsieur [W] [F],

représentée par Maître Arnaud DUFFOUR de la SELARL ARNAUD DUFFOUR A

VOCAT (AARPI ANDERS), avocat plaidant au barreau de PARIS et par Maître Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, av...

Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
25 JUIN 2024

N° RG 22/02841 - N° Portalis DB22-W-B7G-QSOS
Code NAC : 30B
A.G.


DEMANDERESSE :

La société PLAYTIME, société par actions simplifiée à associé unique immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES sous le numéro 883 901 126 dont le siège social est situé [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal, Monsieur [W] [F],

représentée par Maître Arnaud DUFFOUR de la SELARL ARNAUD DUFFOUR AVOCAT (AARPI ANDERS), avocat plaidant au barreau de PARIS et par Maître Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, avocat postulant au barreau de VERSAILLES.

DÉFENDERESSE :

La société DISTRIBUTION SANITAIRE CHAUFFAGE, société par actions simplifiée à associé unique immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de COMPIEGNE sous le numéro 572 141 885 dont le siège social est situé [Adresse 5], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Pascal KOERFER de la SCP BOULAN KOERFER PERRAULT, avocat postulant au barreau de VERSAILLES et par Maître Natacha MARCHAL de la SCP MARCHAL ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS.

ACTE INITIAL du 21 Avril 2022 reçu au greffe le 09 Mai 2022.

DÉBATS : A l'audience publique tenue le 02 Avril 2024, Monsieur JOLY,
Vice-Président et Madame GARDE, Juge, siégeant en qualité de juges rapporteurs avec l’accord des parties en application de l’article 805 du Code de procédure civile, assistées de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, ont indiqué que l’affaire sera mise en délibéré au 25 Juin 2024.

MAGISTRATS AYANT DÉLIBÉRÉS :
M. JOLY, Vice-Président
Madame GARDE, Juge
Madame VERNERET-LAMOUR, Juge placé

EN PRÉSENCE DE :
Madame [B] [A], Auditrice de justice

GREFFIER : Madame LOPES DOS SANTOS

* * * * * *

EXPOSE DU LITIGE

Aux termes d’un protocole d’accord valant renouvellement du bail commercial en date du 25 novembre 1996, Madame [Z] [E], veuve [P],
ainsi que Messieurs [V] [E], [M] [I] et [X] [E] ont donné à bail en renouvellement à la société Dupont Sanitaire Chauffage, aux droits de laquelle se trouve la société Distribution Sanitaire Chauffage, divers locaux situés [Adresse 2] à [Localité 4] (78), à usage commercial de robinetteries, appareils sanitaires et fournitures pour entrepreneurs en couverture, plomberie et chauffage central, pour une durée de neuf années à compter du 1er janvier 1994, moyennant un loyer annuel de 560.000 francs.

Arrivé à échéance le 31 décembre 2002, le bail s’est poursuivi par tacite prorogation.

Suivant acte dressé en la forme authentique le 31 mars 2021, la société Playtime, marchand de biens, a acquis les locaux donnés à bail.

Puis, le 26 juillet 2021, la société Playtime a donné congé à la société Distribution Sanitaire Chauffage pour le 31 mars 2022 et décliné le paiement d’une indemnité d’éviction, invoquant l’existence de motifs graves et légitimes.

C’est dans ces conditions que, par exploits introductifs d’instance signifiés les 21 et 28 avril 2022, la société Playtime a fait assigner la société Distribution Sanitaire Chauffage devant le tribunal judiciaire de Versailles en validation du congé délivré, fixation de l’indemnité d’occupation et indemnisation des préjudices subis.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées au greffe par voie électronique le 24 mai 2023, la société Playtime demande au tribunal
de :

- Valider le congé avec refus de renouvellement sans indemnité d’éviction à effet du 31 mars 2022,

- Débouter la société Distribution Sanitaire Chauffage de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Juger que la société Distribution Sanitaire Chauffage ne peut bénéficier ni du maintien dans les lieux découlant des dispositions de l’article L. 145-28 du code de commerce, ni d’une indemnité d’éviction selon les dispositions de l’article
L. 145-14 du même code,

- Ordonner l’expulsion de la société Distribution Sanitaire Chauffage des locaux situés [Adresse 2] et de celle de tous occupants de son chef, sans délai et ce, avec l’assistance de la force publique si besoin est,

- Fixer une indemnité d’occupation à compter du 1er avril 2022 égale au montant de la valeur locative de marché, soit la somme de 211.765 euros par an en principal et ce, jusqu’à la libération effective des locaux et remise des clés à la société bailleresse,

- Condamner la société Distribution Sanitaire Chauffage au paiement de la somme de 1.000.000 euros au titre de l’indemnisation liée à la perte de chance résultant de l’impossibilité de reconstruire le bâtiment détruit et des conséquences directes sur la valeur de l’ensemble immobilier,

- Condamner la société Distribution Sanitaire Chauffage au paiement d’une somme de 4.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que tous les dépens de la présente instance.

Subsidiairement, dans l’hypothèse où par impossible le tribunal considérait que le bailleur ne peut invoquer l’existence d’un motif grave et légitime justifiant le non-paiement de l’indemnité d’éviction,

- Débouter la société Distribution Sanitaire Chauffage de sa demande de voir intégrer dans l’estimation de l’indemnité d’éviction une quelconque indemnisation au titre des locaux donnés en location sur le [Adresse 1], en ce que ces locaux ne forment ni un tout indivisible, ni une unité d’exploitation indispensable, de nature à mettre en péril l’existence même du fonds exploité au [Adresse 2],

- Condamner la société Distribution Sanitaire Chauffage au paiement d’une somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que de tous les dépens de la présente instance,

- Débouter la société Distribution Sanitaire Chauffage de sa demande de condamnation au paiement d’une indemnité d’éviction de 2.813.000 euros assortie des intérêts judiciaires à compter de la date d’effet du congé,

- Juger nécessaire d’ordonner une mesure d’expertise pour évaluer le préjudice lié à l’impossibilité de reconstruction d’un bâtiment aux lieu et place de l’entrepôt d’une surface de 434 m² au sol,

- Juger nécessaire, avant toute estimation, d’ordonner une mesure d’expertise pour fournir au tribunal les éléments pour apprécier le montant tant de l’indemnité d’éviction et d’occupation,

- Rappeler que l’exécution provisoire est de droit,

- En tout état de cause, réserver les dépens.

La société Playtime expose, sur le fondement de l’article L. 145-17 du code de commerce, que le motif grave et légitime est constitué par un manquement du preneur aux clauses et conditions du bail d’une gravité telle que la poursuite des relations contractuelles est intolérable pour le bailleur. Elle précise que l’accomplissement de travaux sans autorisation constitue un motif grave dès lors qu’ils étaient de ceux que le preneur ne pouvait accomplir sans autorisation écrite du propriétaire. Elle fait grief à la société Distribution Sanitaire Chauffage d’avoir délibérément violé l’article 7 du contrat de bail en démolissant une cour couverte d’environ 160 m2 et un entrepôt d’environ 434 m2 situés derrière le pavillon à droite de la cour, en façade sur rue ; en construisant un bâtiment adossé au principal, édifié sur rez-de-chaussée ; et en créant une surface de parking bitumé aux lieu et place de l’entrepôt, le tout sans l’en informer et solliciter son autorisation. Elle explique que ces manquements présentent un caractère irréversible compte tenu des règles d’urbanisme, de sorte que le refus de renouvellement n’était pas subordonné à l’envoi préalable d’une mise en demeure.

Elle constate que le preneur ne réfute ni la réalisation des travaux dénoncés, ni l’absence d’autorisation donnée, que ce soit par le bailleur ou les autorités administratives. Elle réplique que les pièces versées aux débats, notamment les rapports d’expertise diligentés (l’un par Monsieur [R] [N] au mois de mai 1996 et l’autre par Monsieur [S] [C] au mois d’avril 2021), démontrent la réalisation des travaux litigieux au cours du bail expiré et l’impossibilité d’y remédier, quelles que soient les dérogations prévues par les règles d’urbanisme. Elle rétorque que les échanges de courriels entre le preneur et son architecte au printemps 2000 portaient exclusivement sur la mise en conformité de l’électricité, la mise en place d’un compteur EDF, le démontage des mezzanines de stockage extérieures, l’ouverture d’une porte d’accès magasin donnant sur le parking aménagé et la reprise de la corniche sous balcon. Elle conteste, par conséquent, qu’ils aient valu autorisation de détruire un bâtiment et d’en construire un nouveau. Elle ajoute que de nouveaux travaux ont été entrepris, sans son consentement, dans le courant de l’année 2022, alors même qu’en application de l’article 2 du contrat, les réparations de l’article 606 du code civil relèvent de sa seule responsabilité.

Elle souligne qu’en raison des motifs graves et légitimes présidant la délivrance du congé à effet du 31 mars 2022, la société Distribution Sanitaire Chauffage est redevable, à compter du 1er avril 2022, d’une indemnité d’occupation de droit commun dont le montant doit être fixé à la valeur locative de marché, évaluée par Monsieur [S] [C] à hauteur de 211.765 € par an. Elle réplique que la valeur locative de marché est distincte de la valeur locative encadrée due pour les indemnités d’occupation statutaire et écarte, de ce fait, l’évaluation faite par Monsieur [J] [L].

Elle ajoute que la commission des infractions lui a causé une perte de chance spécifique, tirée de la moins-value liée à la démolition du local existant, estimée entre 1.200.000 et 1.300.000 €. Elle observe, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, que le préjudice est certain et direct puisqu’il est futur et présente une probabilité suffisante. Elle demande, par conséquent, l’indemnisation de son préjudice à hauteur de 1.000.000 €. Elle souligne que l’analyse développée par le cabinet d’architecte Mantout est dénuée de sérieux (absence de fondement légal, pétitions de principe, etc.) et qu’elle ne peut valablement fonder le rejet de ses demandes. Elle rétorque encore, titre de propriété à l’appui, que les travaux entrepris n’ont pas été portés à sa connaissance avant son acquisition et qu’en tout état de cause, elle a été subrogée dans les droits de ses vendeurs.

Elle prend acte que la société Distribution Sanitaire Chauffage a donné congé à son autre bailleur pour les locaux situés [Adresse 1] à [Localité 4] à effet du 17 février 2022. Elle observe, néanmoins, que le caractère indivisible des locaux exploités aux [Adresse 1] et [Adresse 2] n’est pas démontré, leur utilisation conjointe n’ayant jamais fait l’objet d’une information spécifique des bailleurs respectifs. Si elle admet qu’un accord a été donné pour la création d’une porte de communication en 1975, elle souligne que cette autorisation est antérieure à la date de renouvellement du bail. Elle ajoute que la comparaison des chaînes des baux démontre que la prise à bail des locaux situés au [Adresse 1] est indépendante de celle du [Adresse 2]. Elle relève que la divisibilité des locaux est aussi établie par les activités qui y sont respectivement exploitées (showroom au [Adresse 1] / showroom et bureaux au [Adresse 2]) et le transfert récent du showroom du [Adresse 1].

Elle consacre enfin de longs développement à la nullité supposée du bail en raison de l’usage des locaux loués.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées au greffe par voie électronique le 30 août 2023, la société Distribution Sanitaire Chauffage demande au tribunal de :

- Constater, dire et juger que le congé avec refus de renouvellement sans indemnité d’éviction délivré par la société Playtime à la société Distribution Sanitaire Chauffage le 26 juillet 2021 devait être précédé d’une mise en demeure et qu’en conséquence, le bailleur ne peut invoquer l’existence d’un motif grave et légitime justifiant le non-paiement d’une indemnité d’éviction, et subsidiairement, dire que le motif invoqué ne justifie pas la privation du droit au preneur à son indemnité d'éviction et en conséquence,

- Constater, dire et juger qu’en application du congé du 26 juillet 2021 la société Distribution Sanitaire Chauffage a droit à indemnité d'éviction et en conséquence,

- Condamner la société Playtime à verser à la société Distribution Sanitaire Chauffage une indemnité d’éviction de 2.813.000 €, assortie des intérêts judiciaires à capitaliser à compter de la date d’effet du congé soit le 1er avril 2022,

- Fixer l’indemnité d’occupation à la somme de 143.700 € hors taxes par an à compter du 1er avril 2022,

- Condamner la société Playtime à payer à la société Distribution Sanitaire Chauffage une indemnité de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- La condamner aux entiers dépens avec faculté de recouvrement au profit de Me Koerfer,

A titre subsidiaire,

- Désigner tel expert, aux frais avancés de la société Playtime à l’initiative du congé avec refus de renouvellement, avec mission habituelle en la matière.

La société Distribution Sanitaire Chauffage consacre, à titre liminaire, de longs développements à la question de l’autorisation de changement d’usage de la maison d’habitation en local à usage de bureaux et entrepôts et à son incidence sur la validité du contrat de bail commercial.

Elle considère que les pièces versées aux débats par le bailleur au soutien du caractère irréversible des travaux entrepris ne sont pas probants et ne peuvent fonder l’absence de délivrance, en amont du congé avec refus de renouvellement, d’une mise en demeure. Elle ajoute que les travaux ont été autorisés, notamment en ce qui concerne l’aménagement du parking. Elle conclut ainsi à l’obligation, pour le bailleur, de lui payer une indemnité d’éviction.

Elle se réfère, pour le chiffrage des indemnités d’éviction et d’occupation, à
un rapport d’expertise amiable établi par M. [J] [L]
(2.813.000 € / 143.700 €). Elle souligne avoir été contrainte, compte tenu
du congé délivré par la société Playtime, à délivrer elle-même congé pour
ses autres locaux, situés [Adresse 1]. Elle rappelle que l’ouverture
du mur mitoyen séparant les deux immeubles a été autorisé le 12 juin 1975
et que, depuis, ces locaux forment un tout indivisible.

Elle indique, sur le fondement d’un rapport établi par le cabinet d’architecture Mantout, que l’ancien auvent n’aurait jamais pu constituer une surface utilisable en habitation ou en commerce, ce dernier étant structurellement dépendant des constructions périphériques. Elle réfute, par ailleurs, l’existence d’un quelconque préjudice pour la société Playtime, cette dernière ayant acquis les locaux donnés à bail dans leur configuration actuelle.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 février 2024.

MOTIFS

Sur le congé délivré pour motif grave et légitime

Aux termes de l’article L. 145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, il doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

En application de l’article L. 145-17, I, du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d’aucune indemnité s’il justifie d’un motif grave et légitime à l’encontre du locataire sortant. Toutefois, s’il s’agit soit de l’inexécution d’une obligation, soit de la cessation sans raison sérieuse et légitime de l’exploitation du fonds, compte tenu des dispositions de l’article L. 145-8, l’infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s’est poursuivie ou renouvelée plus d’un mois après mise en demeure du bailleur d’avoir à la faire cesser.

L’article 7 du contrat de bail stipule que le preneur peut faire au cours du bail et à ses frais tous les changements de distribution, additions et améliorations qui lui paraissent utiles, à la condition d’obtenir l’agrément préalable des bailleurs, de ne pas nuire à la solidité et la valeur des immeubles et que les travaux soient effectués sous la surveillance de l’architecte de [Localité 4] ou tel autre architecte agréé par le bailleur, dont le preneur supportera les honoraires.

En l’espèce, le congé avec refus de renouvellement et refus d’indemnité d’éviction signifié à la société Distribution Sanitaire Chauffage le 26 juillet 2021 vise comme motifs graves et légitimes la démolition d’une cour couverte d’environ 160 m2 et du vaste entrepôt à la suite d’environ 434 m2 derrière le pavillon à droite de la cour en façade sur rue, la construction d’un bâtiment adossé au principal, édifié sur rez-de-chaussée ainsi que la création d’une surface de parking bitumé aux lieu et place du vaste bâtiment détruit. Il est précisé que ces manquements s’inscrivent en violation de l’article 7 du contrat de bail et présentent un caractère irréversible en raison des règles d’urbanisme et du plan local d’urbanisme de [Localité 4].

Dans son rapport établi le 9 mai 1996, Monsieur [R] [N], expert judiciaire, décrit les locaux loués de la manière suivante :
- un petit bâtiment à gauche d’une cour centrale fermée sur la rue par un portail métallique avec un bâtiment industriel à la suite,
- un vaste hangar dans l’axe de la cour, à charpente et pans de bois avec verrière centrale (comprenant notamment une mezzanine en contrehaut à usage de stockage),
- un pavillon à droite de la cour,en façade sur rue,
- une cour couverte à la suite (environ 160 m2) et vaste entrepôt (environ
434 m2) avec sol cimenté, toiture en tôle ondulée, très simple et modeste.

Ces différents bâtiments sont visibles sur les photographies aériennes versées aux débats, prises en 1973, 2000, 2008, 2011 et 2015, à l’exception du vaste entrepôt qui n’y figure plus à compter de la photographie prise en 2008.

Sa démolition, qui n’est pas utilement contestée par la société Distribution Sanitaire Chauffage, est confirmée par le rapport d’expertise amiable établi par Monsieur [S] [C] le 21 avril 2021, lequel observe “il existait à l’origine à l’emplacement intérieur qui constitue actuellement une surface de parking bitumée et matérialisée, un vaste bâtiment qui, selon les renseignements recueillis, représentait une surface de 400 m2 à destination d’entrepôt, qui a depuis été démolie”.

En outre, il résulte des pièces versées aux débats la construction récente d’un bâtiment adossé au principal, édifié d’un simple rez-de-chaussée, dont l’emprise se situe sur une partie de l’ancienne emprise au sol de l’entrepôt.

La société Distribution Sanitaire Chauffage produit un courrier en date du
3 mars 2000 aux termes duquel elle a sollicité et obtenu l’autorisation
du bailleur pour des travaux consistant à :
- mettre en conformité l’électricité,
- mettre en place un compteur EDF distinct entre les deux bâtiments,
- démonter les mezzanines de stockage extérieur,
- ouvrir une porte d’accès magasin, donnant sur le parking aménagé,
- changer le portail de l’agence pour une ouverture maximale et retrait du poteau central,
- reprise de la corniche sous balcon.

Elle communique également une facture de la société Concept Agencements portant sur divers travaux dont la “suppression de toutes les parties couvertes situées à droite des réserves “Dupont” : mezzanine, poteaux de couverture, planchers bois etc. à l’extérieur / démolition murs intérieur dans hangar côté rue”.

Au regard des pièces versées aux débats et de la description de l’ensemble immobilier faite par Monsieur [R] [N] en 1996, il appert que le démontage des mezzanines de stockage extérieur porte sur le hangar dans l’axe de la cour, et non sur l’entrepôt. En tout état de cause, le démontage de mezzanines de stockage ne peut être confondu avec la démolition pleine et entière d’un bâtiment de 434 m2 et la construction d’un appendice de taille réduite sur une partie de son ancienne emprise au sol. La société Distribution Sanitaire Chauffage succombe ainsi dans la charge de la preuve qui lui incombe.

Corrélativement, la société Playtime justifie, au vu de l’ampleur et de la nature des travaux entrepris, de motifs graves et légitimes pour refuser le renouvellement du bail.

Il ne peut être remédié, dans un délai d’un mois, à des travaux de démolition et de construction d’une telle ampleur, et encore moins aux démarches préalables imposées par l’article 7 du contrat de bail, notamment l’obtention de l’accord du bailleur pour la réalisation des travaux et la supervision d’un architecte. Le caractère irréversible des manquements est donc avéré et ce, nonobstant les stipulations du plan local d’urbanisme.

Il est enfin indifférent à l’issue du présent litige qu’aucun préjudice n’ait été causé à la société Playtime, l’existence de motifs graves et légitimes de nature irréversible étant suffisants, au visa des dispositions susvisées, pour faire obstacle au paiement d’une indemnité d’éviction.

Le congé avec refus de renouvellement et refus du paiement d’une indemnité d’éviction sera, par conséquent, validé.

Si certaines pièces versées aux débats tendent à établir que la société Distribution Sanitaire Chauffage a quitté les locaux loués, la libération effective des lieux et la remise des clés n’est pas démontrée. Par conséquent, son expulsion sera ordonnée dans les termes du dispositif.

Sur la fixation d’une indemnité d’occupation

En application de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l’espèce, la société Playtime a donné congé à la société Distribution Sanitaire Chauffage pour le 31 mars 2022, de telle sorte que cette dernière est redevable, à compter du 1er avril 2022, d’une indemnité d’occupation de droit commun (et non statutaire) de nature à compenser le préjudice subi par le bailleur qui n’a plus la libre disposition de son bien.

La société Distribution Sanitaire Chauffage produit un rapport d’expertise amiable établi le 11 avril 2022 par le cabinet [L] Expertises. Y sont distinguées la valeur locative en renouvellement au 1er avril 2022, à hauteur
de 205.300 € HT/ an, la valeur locative de marché au 4ème trimestre 2021,
à hauteur de 211.765 € HT/an et l’indemnité d’occupation statutaire au
1er avril 2022, à hauteur de 143.700 € HT/an.

A défaut, pour la société Distribution Sanitaire Chauffage, de pouvoir se prévaloir des dispositions de l’article L. 145-28 du code de commerce, le montant de l’indemnité d’occupation de droit commun sera fixé à hauteur de 211.765 € correspondant à la valeur de marché définie par l’expert amiable, à laquelle la société Playtime souscrit.

Sur les dommages et intérêts

Seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable.

Au soutien de ses prétentions, la société Playtime produit son acte d’acquisition en date du 31 mars 2021 ainsi que ses annexes. En page 5, la désignation actuelle du bien est libellée dans les termes suivants : une propriété comprenant un terrain sur lequel sont édifiés deux bâtiments composés de bureaux et de hangars élevés d’un rez-de-chaussée, d’un premier étage, combles au-dessus.

Cette désignation est conforme au rapport d’expertise amiable établi par Monsieur [S] [C] aux termes duquel l’ensemble immobilier est composé d’un premier bâtiment situé à droite du porche en entrant sur le site (élevé d’un rez-de-chaussée et d’un étage) et d’un second bâtiment situé à gauche en entrant sur le site, élevé d’un rez-de-chaussée et d’un grenier non utilisé ainsi que d’une succession de bâtiments (ou hangars) élevés d’un rez-de-chaussée sur terre-plein, d’un étage intermédiaire et d’un premier étage partiel avec combles.

Sur le plan cadastral auquel il est renvoyé (annexe n° 11), actualisé au
17 février 2021, l’ancien emplacement de l’entrepôt est de couleur jaune clair. Par ailleurs, le descriptif Géorisques sur lequel figure une photographie des locaux vendus prouve que ces derniers n’incluent pas l’entrepôt, démoli depuis plusieurs années.

Ces éléments sont cohérents avec la chronologie précédemment rappelée, les photographies aériennes versées aux débats établissant que le bâtiment a été démoli entre les années 2000 et 2008, soit plus d’une décennie avant la vente de l’ensemble immobilier à la société Playtime.

Dès lors, à défaut de rapporter la preuve que l’entrepôt litigieux était inclus dans la désignation de l’ensemble immobilier lors de sa vente, la société Playtime n’est pas fondée à solliciter l’octroi de dommages et intérêts liés à la perte de chance résultant de l’impossibilité de reconstruire le bâtiment détruit et de ses conséquences sur la valeur de l’ensemble immobilier.

La demande présentée sera, par conséquent, rejetée.

Sur les autres demandes

Sur les dépens

Conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

La société Distribution Sanitaire Chauffage, qui succombe en ses demandes, sera condamnée aux dépens de l’instance.

Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

La société Distribution Sanitaire Chauffage, partie tenue aux dépens, sera condamnée à payer à la société Playtime la somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles exposés pour la défense de ses droits.

Sur l’exécution provisoire

En application de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la décision rendue n’en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,

VALIDE le congé avec refus de renouvellement et refus d’indemnité d’éviction signifié le 26 juillet 2021 par la société Playtime à la société Distribution Sanitaire Chauffage s’agissant des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 4] (78),

ORDONNE l’expulsion de la société Distribution Sanitaire Chauffage et de tout occupant de son chef des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 4] (78) dans un délai de quinze jours suivant la signification du présent jugement et dit qu’à défaut de libération volontaire dans le délai imparti, la société Playtime pourra y faire procéder avec, le cas échéant, l’aide d’un serrurier et/ou de la force publique,

RAPPELLE que le sort des meubles trouvés dans les lieux sera régi par les articles L. 433-1 et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution,

FIXE l’indemnité d’occupation de droit commun due à la société Playtime par la société Distribution Sanitaire Chauffage pour les locaux situés [Adresse 2] à [Localité 4] (78) sur la période courant du 1er avril 2022 à la date de libération effective des lieux marquée par la remise des clés, à la somme de 211.765 € par an,

RAPPELLE que l’indemnité d’occupation n’est pas soumise à la TVA,

CONDAMNE la société Distribution Sanitaire Chauffage à payer à la société Playtime la somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles exposés,

CONDAMNE la société Distribution Sanitaire Chauffage à payer les entiers dépens de l’instance,

REJETTE les autres demandes,

RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 JUIN 2024 par M. JOLY, Vice-Président, assisté de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, lesquels ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT
Carla LOPES DOS SANTOS Eric JOLY


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Versailles
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 22/02841
Date de la décision : 25/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-25;22.02841 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award