Minute n°
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Quatrième Chambre
JUGEMENT
21 JUIN 2024
N° RG 21/06534 - N° Portalis DB22-W-B7F-QJ7S
Code NAC : 54G
DEMANDERESSE :
Madame [E] [F] épouse [D]
née le 01 Avril 1972 à [Localité 3]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Maître Thierry VOITELLIER de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocats au barreau de VERSAILLES, avocats plaidant/postulant
DEFENDERESSE :
S.A.R.L. ENTREPRISE CONSEIL AMENAGEMENT 78 (ECA 78),
immatriculée au RCS de VERSAILLES sous le n° 527 708 754 prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Valérie MARTIN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, Me Perrine WALLOIS, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat postulant
ACTE INITIAL du 06 Décembre 2021 reçu au greffe le 12 Décembre 2021.
DÉBATS : A l'audience publique tenue le 22 Mars 2024 Mme DUMENY, Vice Présidente, siégeant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du Code de Procédure Civile, assistée de Madame GAVACHE, Greffier, a indiqué que l’affaire sera mise en délibéré au 14 Juin 2024 prorogé au 21 Juin 2024.
Copie exécutoire à Maître Thierry VOITELLIER, Me Perrine WALLOIS
Copie certifiée conforme à l’origninal à
délivrée le
PROCÉDURE
Vu l’assignation délivrée par Mme [E] [F] épouse [D] à la SARL Entreprise conseil aménagement 78 (ci-après dénommée ECA 78) le 6 décembre 2021,
Vu les dernières conclusions notifiées en demande le 2 avril 2023 et en défense le
8 décembre 2022,
Vu l’ordonnance de clôture prononcée le 11 avril 2023 et les débats devant le tribunal à l’audience du 22 mars 2024,
Vu l’article 455 du code de procédure civile,
MOTIFS DE LA DÉCISION
- sur la nullité du contrat
Mme [E] [F] épouse [D] expose avoir consulté la société la SARL ECA 78 à partir de l’été 2020, laquelle lui a soumis 3 devis pour la transformation du bien immobilier situé [Adresse 1] en duplex acheté le 14 décembre 2020 ; le jour même elle a signé avec la SARL un devis d’un montant de 151 139,55 € pour lequel elle lui remettait un chèque de 30 227,91€. Elle expose que le gérant de la société lui a fait pression en lui indiquant que sa signature ne l’engageait pas et qu’il allait lui soumettre ultérieurement un devis moins cher et qu’il avait déjà réservé une équipe d’ouvriers. Trois jours plus tard il lui adressait un cinquième devis d’un montant de 140 544,35 €. C’est alors qu’elle prenait conscience que le devis signé était flou et que le 22 décembre 2020 elle lui adressait sa rétractation conforme à l’article 4 des conditions générales en sollicitant le remboursement de l’acompte. La société lui restituait les clés le 4 février suivant mais non l’acompte.
Mme [D] sollicite l’annulation du devis signé sur deux fondements juridiques : le défaut d’accord sur la chose et le prix ainsi que le dol et la violence.
La SARL affirme que la cliente a insisté pour que les travaux débutent dès qu’elle aurait acquis le bien immobilier ce qui explique qu’elle ait établi un devis au mois d’août après avoir relevé les mesures de l’appartement. Elle a travaillé sur le projet en échangeant régulièrement avec la cliente, en lui soumettant des idées d’aménagement et de matériaux puis avec une architecte d’intérieur, Madame [N] [V], présentée par celle-ci en septembre 2020. La cliente lui manifestait clairement sa volonté d’avancer rapidement sur le dossier et d’anticiper la signature de l’acquisition. La société affirme avoir proposé plusieurs plans d’aménagement, ainsi que des études de devis de fournisseurs pour l’accompagner dans les détails de son projet et adapter le chiffrage à ses desiderata et aux propositions de l’architecte. Le 2 décembre
Mme [D] lui demandait de commander les fenêtres et de planifier la démolition- isolation, le 13 décembre la cliente demandait de simplifier le projet suite au 3e devis mais lui proposait une avance sur la démolition et indiquait sa volonté que les travaux débutent immédiatement soit le 15 décembre. La société émettait alors un 4e devis abaissant le coût des travaux qui devaient démarrer dès le 15 décembre 2020 ; la cliente acceptait ce devis et versait 20 % du prix.
La société considère que les attestations versées ne sont guère crédibles pour être rédigées dans des termes identiques, imprécis et ne correspondant pas à la réalité.
Elle conclut au débouté.
Pour défaut d’accord sur la chose et sur le prix
Se fondant sur les articles 1101, 1113 et 1128 du Code civil, Mme [E] [F] épouse [D] soutient que le devis qu’elle a signé le 14 décembre 2020 ne caractérise pas un accord sur la chose et sur le prix puisque 3 jours après un autre devis lui a été proposé. Elle ajoute que le devis accepté est incomplet et imprécis, ce qui a justifié le 5e devis, comme cela ressort des attestations qu’elle verse aux débats. Elle insiste sur le nombre important de devis émis au mois de décembre 2020 pour des prestations différentes impliquant des variations de prix importantes. Affirmant ne pas être une professionnelle de la construction, elle soutient ne pas avoir été en mesure d’apprécier de manière claire et non équivoque la portée du devis signé. Elle relève que celui-ci est d’un montant supérieur de 50 % au premier reçu lors de l’achat du bien.
La SARL invoque les articles 1103 et 1113 du Code civil. Elle considère que ces différents devis constituent l’offre établie en fonction des souhaits de la cliente est adaptée au projet qu’elle a construit avec son amie architecte. Les 3 premières n’ont pas été acceptées et n’ont donc pas formé le contrat alors que l’offre du 14 décembre 2020 a été acceptée par la signature de la cliente de sorte que l’engagement a été formé ce jour-là.
Elle répond que le contrat établi sur 8 pages paraphées détaille précisément les travaux de rénovation prévus par nature et par pièce.
Elle répond que le devis adressé 3 jours plus tard à la demande de la cliente modifiait ses choix pour certains postes mais n’a pas été signé. Les messages postérieurs montrent qu’elle avait toujours l’intention de travailler avec cette entreprise.
La défenderesse invoque l’article 202 du code de procédure civile pour affirmer que les attestations ne sont pas conformes à ses exigences et n’ont donc aucun caractère probant. Elles émanent de personnes qui ne relatent pas de faits directs et circonstanciés, ce qui leur ôte toute force probante.
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L’article 1101 du Code civil énonce que le contrat est un accord de volonté entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits (art.1103).
Selon l’article 1113 du même code le contrat est formé par la rencontre d’une offre d’une acceptation par lequel les parties manifestent leur volonté de s’engager. Cette volonté peut résulter d’une déclaration d’un comportement non équivoque de son auteur. L’article suivant prévoit que l’offre comprend les éléments essentiels du contrat envisagé exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation. Celle-ci est définie à l’article 1118 comme la manifestation de volonté de son auteur d’être lié dans les termes de l’offre.
Enfin l’article 1128 du même code exige pour la validité du contrat le consentement des parties, leur capacité de contracter et un contenu licite et certain.
Aucun texte n’exige pour ce type de contrat un accord sur le prix, le marché à forfait prévu à l’article 1793 du code civil ne s’appliquant qu’aux constructions et non aux travaux d’aménagement intérieur.
Ainsi le contrat d’entreprise est un contrat consensuel exigeant seulement pour sa formation un échange des volontés. L' accord peut ne porter que sur les éléments essentiels ou ceux tenus pour essentiels par les parties. Le contrat d' entreprise présente la particularité de ne pas nécessiter un prix déterminé. Il suffit donc de rapporter la preuve d'un accord de volonté, qui peut se déduire de la remise de la chose à travailler, voire du début d'exécution de la prestation.
L’article 1353 du Code civil pose la règle selon laquelle c'est à celui qui se prévaut de l'existence du contrat d'en rapporter la preuve, et à celui qui se prétend libéré de justifier du paiement ou de l'extinction de son obligation. Au cas présent c’est à l'entrepreneur réclamant paiement d'un solde de travaux de prouver que le maître de l'ouvrage a accepté la consistance exacte des travaux commandés.
En l’espèce les pièces versées aux débats montrent que les parties sont en relation depuis au moins le 12 août 2020 date à laquelle l’entreprise a établi un premier devis pour la rénovation d’un duplex de 94 m² au sol et d’un appartement locatif d’une surface de 35 m², à savoir la démolition sur 2 niveaux : au premier niveau sont listés les postes électricité, faux plafond, plomberie, carrelage, faïence, revêtements de sol, peinture murs et plafonds, fenêtres ; au 2e niveau les travaux concernent uniquement l’isolation de la toiture et le coffrage la création d’une cloison entre 2 VELUX, la fourniture et la pose d’un escalier et de cloison ainsi que les revêtements de sol et de peinture ; dans le studio il est proposé la démolition puis les postes électricité, sanitaire, achat des meubles électroménagers de la cuisine, isolation -toiture, pose d’un VELUX, de cloison dans la salle de bains, de revêtements de sols et de murs.
Ce devis a été établi avant même que Mme [D] ait signé la promesse d’achat et lors de cet événement elle confirmait à l’entreprise son projet de travailler avec elle. L’entrepreneur s’est donc rendu sur les lieux à plusieurs reprises pour relever les mesures, établir des plans avec plusieurs options techniques, échangé sur ces points avec la cliente. Le 12 septembre celle-ci lui indique avoir envoyé le premier devis à sa banque pour l’obtention d’un prêt pour les travaux et 3 jours après elle lui fait rencontrer Mme [N] [V] présentée comme une architecte d’intérieur devant l’aider dans son projet
Le 26 septembre Madame demande à l’entreprise d’avancer sur les autorisations à obtenir en mairie par rapport à la modification des VELUX en toiture et la société met dans la discussion la nécessité d’obtenir, outre la déclaration préalable, l’autorisation de l’assemblée générale. Tout au long des mois de septembre, octobre et novembre 2020, la SARL propose des options techniques, réalise des visites d’autres professionnels à la demande de la cliente, lui envoie des plans et documentation ; Mme [D] lui demande de commander une fenêtre en aluminium, ce qu’elle fait le 21 octobre avec une proposition de résolution à soumettre à l’assemblée générale de la copropriété pour le changement des VELUX de toit.
Les différents messages montrent l’hésitation de la cliente, par exemple au sujet de la dimension et la matière des fenêtres, des VELUX ou encore de l’escalier intérieur. Pour en tenir compte la SARL a établi un 2e devis d’un montant de 133 686,15 € le
19 novembre, ajoutant alors des prestations relatives à la création d’une 2e salle de bains et d’un dressing, à des baies vitrées autour de la cuisine, à une porte à galandage sur le balcon, au changement des fenêtres dans l’espace de vie, à des travaux de consolidation de la charpente, au remplacement du VELUX existant et à la pose d’un autre VELUX ainsi que d’autres prestations d’électricité.
Relativement aux fenêtres le 20 novembre les parties se sont réunies puis l’entreprise est revenue prendre un relevé exact et le 2 décembre Mme [D] lui a demandé de commander les fenêtres ; et de planifier la démolition et l’isolation en lui demandant un premier devis sur ces postes ; elle lui a confirmé signer la vente et avoir les clés le 14 décembre.
Les plans que la société a établis le 7 décembre 2020 étaient ensuite modifiés au regard du projet de l’architecte d’intérieur et donnaient lieu à l’établissement du
3e devis en date du 11 décembre d’un montant de 169 034,35 € du fait notamment de démolitions plus importantes incluant notamment les WC, de la création d’une seconde salle de douche et de travaux d’électricité plus importants . Mme [D] ne l’acceptait pas et demandait dans des SMS du dimanche 13 décembre de “simplifier le projet “notamment en enlevant un VELUX de balcon, la double salle de bains des enfants et en simplifiant l’escalier dans un premier temps ; elle indiquait que l’architecte d’intérieur allait retravailler le projet. Néanmoins Mme [D] demandait si elle “ne pourrait pas faire une avance sur la démolition pour ne pas perdre de temps et commencer dès mardi (15)”. Le gérant de la SARL acceptait de simplifier comme cela et de commencer les travaux.
Le lendemain Mme [D] signait l’achat notarié de cet appartement ainsi que le devis n° 2020122221 au coût total de 151 139,55 € TTC.
Ce devis porte plus de 6 pages de descriptif des travaux et modifie celui établi
3 jours avant sur les postes suivants, conformément aux demandes formulées dans un message de la veille :
- plus de démolition, de ragréage,
- moins de dépose, de plinthes, de carrelage, de faïence dans la salle de bains du premier niveau
- diminution du coût du VELUX de remplacement et des sanitaires de la salle de bains du premier niveau
- changement des prestations sur la cloison et la porte battante entre la cuisine et l’arrière cuisine, de l’escalier, modification quant à l’emplacement du dressing dans la chambre de gauche, création de cloison retour des WC et de l’escalier, modification de gaz pour le piano, achat et pose d’un WC suspendu et d’un lave main.
Le devis paraphé à chaque page est signé à la dernière par les 2 parties ; il prévoit qu’il est valable jusqu’au 28 janvier 2021, que le début des travaux est fixé le 15 décembre 2020 pour s’achever le 25 mars 2021.
À l’article 4 les parties ont prévu que le règlement des travaux sera effectué par un acompte de 15 % TTC en confirmation de commande, règlement de 20 % au démarrage, d’appel de fonds tous les 15 jours et du solde de 5 % à réception des travaux.
Il n’est pas contesté que les travaux de démolition ont débuté le mardi 15 décembre 2020, jour où la maître d’ouvrage a proposé une réunion virtuelle de l’entrepreneur avec son architecte d’intérieur.
Le 17 décembre la société a établi une “proposition 2” N° 202012224 au prix de 148 544,35 € qui annule des travaux du précédent devis relativement à la salle de bains du studio, au VELUX et met en attente les postes portant sur la charpente et la toiture. Le gérant de l’entreprise explique dans un SMS qu’il l’a actualisé et envoyé toutes les informations et supprimé “des choses du devis provisoirement pour qu’on arrive au 140 kE... Dites-moi si besoin d’autres choses. J’ai stoppé la démolition pour l’instant”.
Le lendemain Mme [D] l’informait avoir changé d’avis par rapport aux fenêtres. Le 22 décembre elle demandait à l’entrepreneur d’appeler son architecte pour essayer d’inclure davantage du projet d’architecte dans le devis, ce que celui-ci acceptait mais quelques heures plus tard elle lui demandait par mail de “suspendre les travaux pour l’instant” ; le lendemain elle envoyait par recommandé une lettre de rétractation et demandait le remboursement de la somme versée en décomptant la partie des travaux et commandes déjà réalisée.
Pourtant le lendemain elle informait l’entreprise de ce qu’elle avait vendu sa cuisine.
Les parties semblent s’être rencontrées le 23 décembre mais elles ne s’accordent pas sur ce qui s’y est dit.
On constate qu’à la rentrée du 6 janvier 2021 l’entreprise s’est déplacée pour continuer les travaux mais s’est heurtée à l’opposition de la maître d’ouvrage ; celle-ci a indiqué dans un courriel du même jour qu’ils avaient convenu d’arrêter les travaux pour l’instant pour repartir sur un accord et des bases saines après rendez-vous avec les architectes et elle lui demandait de chiffrer le travail de démolition réalisé ainsi que de lui envoyer la copie des commandes fenêtres en indiquant revenir vers lui dès que le descriptif aurait avancé. L’entrepreneur se disait surpris par cette demande de cessation des travaux sans communication préalable ; il s’opposait à la rétractation du fait du début des travaux, du versement de l’acompte et de la somme dediée au démarrage du chantier.
Les attestations versées aux débats émanent de personnes qui n’étaient pas présentes lors de la signature le 14 décembre 2020 et n’apportent aucun élément d’appréciation sur ce point juridique.
Ces éléments de fait démontrent qu’entre le 12 août et la signature du contrat le
14 décembre les parties ont été en relation régulière et ont notamment échangé sur l’étendue des prestations, l’entreprise intégrant dans ses devis les choix techniques de la maître d’ouvrage et de l’architecte d’intérieur qui l’assistait. Si le devis signé ne précise pas la nature ou la couleur des matériaux, il liste la quantité et le prix unitaire des prestations et le contrat d’entreprise permet cette évolution selon les souhaits du maître d’ouvrage par la signature d’un avenant en cours d’exécution.
Le fait que la SARL ait établi un 5ème devis trois jours après la signature du contrat s’explique par la réunion virtuelle faisant suite au démarrage de la démolition, l’entreprise cherchant à tenir compte immédiatement des modifications envisagées à ce moment-là. De plus cette nouvelle version n’a pas été signée ni acceptée. Enfin le message qui accompagne ce devis fait état d’un retrait provisoire de certains postes.
La maître d’ouvrage ne peut donc en déduire que le contrat est imprécis et incomplet dans son contenu puisqu’aucun texte ne l’exige.
Il en va de même du prix puisque le devis signé comporte un détail de chaque quantité et prix unitaire pour chaque poste, le Code civil n’exige pas plus. L’augmentation puis la diminution du coût s’explique logiquement par la modification de certaines prestations, l’ajout d’autres à la demande de la cliente et de son architecte d’intérieur.
Le tribunal en déduit que le contrat signé le 14 décembre 2020 après quatre mois de négociations et précisions dans les prestations n’encourt aucune nullité.
Pour dol
Mme [E] [D] demande au tribunal d’annuler le contrat du 14 décembre 2020 du fait que son consentement a été vicié par la société qui a multiplié les manœuvres pour obtenir sa signature en abusant de sa faiblesse. Elle rappelle qu’à cette époque elle faisait l’objet d’une procédure de divorce compliquée, était seule avec ses enfants pour trouver un logement en région parisienne dans le cadre d’un retour précipité en France. Elle indique que sa fragilité l’a conduit à être hospitalisée en psychiatrie et à être arrêtée pendant 3 mois en raison d’un burn-out.
Elle affirme que la société a insisté pour qu’elle signe le devis en lui précisant qu’elle pourrait le modifier ensuite pour que les travaux commencent immédiatement puisque elle avait réservé une équipe d’ouvriers. Elle soutient que l’objectif de la société était de la faire contracter avant le 31 décembre 2020 et de l’empêcher de se rétracter en commençant immédiatement les travaux, comme l’affirment ses amis. Elle se dit victime d’un dol et de violence psychologique. Elle plaide que la demande de son adversaire de retirer ces termes dans ses écritures renforce la conviction que celle-ci a eu un comportement semblable à son préjudice lors de la signature du contrat.
La SARL considère qu’aucun élément ne caractérise l’existence de manœuvres dolosives ni de violence permettant d’annuler ledit contrat. Elle affirme que les attestations ne sont pas conformes aux dispositions procédurales ou bien ne sont pas probantes.
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Les articles 1130 et suivants du Code civil énoncent que l’erreur et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Le caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné. Ils sont une cause de nullité relative du contrat. Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre, par des manœuvres ou des mensonges, la dissimulation intentionnelle d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre.
Au soutien de sa demande fondée sur le vice du consentement, la demanderesse se contente d’insister sur le caractère pressant de la demande de l’entreprise pour signer mais elle ne fait état d’aucune manœuvre ou mensonge visant à lui cacher une information déterminante pour elle. Elle ne produit aucun témoignage d’une personne qui était présente à ses côtés le jour de la signature du contrat ou dans les jours précédents. L’architecte d’intérieur Mme [V] indique avoir rencontré l’entreprise à un rendez-vous de chantier sur place au cours duquel son gérant « s’est montré très agréable en premier lieu mais qui rapidement s’est révélé pressant, insistant pour signature du devis et démarrage des travaux. Sur la base d’un devis approximatif sans avoir de descriptif des besoins et des matériaux choisis et équipements retenus. Le devis a été signé dans la précipitation” ; Mme [X] reprend exactement les mêmes termes mais ne précise pas avoir été présente toujours de la signature. Les autres personnes de l’entourage de la demanderesse ne font que reproduire les propos ou le ressenti de celle-ci mais aucun document ne fait état d’informations qui lui auraient été révélées postérieurement et qui, si elles avaient été portées à sa connaissance, l’auraient incitée à ne pas conclure ce de contrat.
Faute de rapporter la preuve de telles manœuvres dolosives, Mme [E] [D] doit être débouté de sa demande d’annulation du contrat du 14 décembre 2020.
- sur la demande subsidiaire en restitution de l’acompte
Mme [E] [D] demande à son cocontractant le remboursement de la somme de 24 585,91 €, correspondant au montant de l’acompte payé de 30 227,91 dont elle déduit 5 642 € de travaux réalisés. Elle se fonde sur l’article 4 des conditions générales du contrat prévoyant qu’en cas de rétractation dans les 14 jours de la remise du chèque l’acompte de 15 % serait remboursable. Elle affirme pouvoir se rétracter jusqu’au 28 décembre 2020, l’avoir fait le 22 décembre en demandant la restitution de son acompte. Si elle reconnaît que la société a commencé les travaux de démolition visés au devis sans attendre le délai de rétractation mais sans terminer ses prestations, elle accepte de payer la somme de 5 642 € pour ce travail effectif.
La SARL conclut au rejet. Elle fait valoir que la maître d’ouvrage cherche à rompre abusivement le contrat alors même qu’aucune difficulté n’existait et qu’elle lui a demandé de débuter les travaux dès le lendemain de son achat en proposant de faire une avance sur la démolition pour ne pas perdre de temps ; elle en déduit qu’elle a ainsi renoncé à son droit de rétractation contractuel ce qui a été confirmé par la demande de démarrage des travaux dès le lendemain de la signature du devis et par le versement d’un acompte de 20 % du coût total. La société considère que sa cocontractante était définitivement tenue par les engagements du contrat.
Elle relève que le jour même où la cliente lui a envoyé un courrier de rétractation, elle lui a demandé de contacter son architecte d’intérieur pour essayer d’inclure davantage de projets de celui-ci dans le devis et le lendemain elle lui a demandé de ne pas tenir compte du courrier et a proposé une rencontre avec les architectes tout en demandant l’arrêt des travaux. La société conclut qu’en poursuivant l’exécution du contrat malgré l’exercice de la faculté de rétractation, la maître d’ouvrage a renoncé à celle-ci. Puis en lui interdisant l’accès au chantier elle a abusivement rompu le contrat de sorte que l’acompte lui est définitivement acquis.
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Aux termes des articles 1103 et 1104 du Code civil les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
L’article 1118 du même Code prévoit son alinéa 2 que tant que l’acceptation n’est pas parvenue à l’offrant elle peut être librement rétractée pourvu qu’elle lui parvienne avant l’acceptation. Le contrat est conclu dès que l’acceptation parvient à l’offrant (art. 1121). Aux termes de l’article suivant la loi ou le contrat peuvent prévoir un délai de rétractation qui est le délai avant l’expiration duquel son bénéficiaire peut rétracter son consentement.
Il est de jurisprudence constante que la partie qui, faisant usage de la faculté contractuellement stipulée, a exercé son droit de rétractation , peut y renoncer en poursuivant l' exécution du contrat et en effectuant des actes d'exécution incompatibles avec cette faculté de rétractation .
En l’espèce la chronologie des pièces montre que postérieurement à la signature du devis incluant une faculté de rétractation de 14 jours, soit du 14 au 28 décembre 2020, Mme [E] [F] épouse [D] a adressé le 23 décembre un courrier recommandé intitulé “lettre de rétractation” précisant son souhait de se désengager de cette commande et de résilier le devis N°2020122221 en profitant du délai de rétractation de 14 jours et demandant le remboursement des sommes versées.
Cependant les travaux de démolition, visés dans ce devis, avaient déjà débuté dès le 15 décembre, à la demande expresse de la cliente dans son message du 13 décembre. Il convient d’interpréter cette volonté de la maître de l’ouvrage comme celle de renoncer implicitement à sa faculté de rétractation pour l’ensemble du devis. Cela est possible dans la mesure où cette rétractation a uniquement un fondement contractuel.
Il s’ensuit que le contrat n’a pas été rétracté et que l’acompte ne sera pas restitué.
Le rejet des demandes principales et subsidiaires de la demanderesse conduit à la débouter également des demandes subséquentes d’assortir la condamnation des intérêts légaux capitalisés.
- sur la demande reconventionnelle en paiement du solde
La SARL demande de juger que sa cliente est tenue au règlement des sommes contractuellement fixées à savoir celle déjà réglée de 30 227,91 € et en complément celle de 37 784,98 € à titre de dommages-intérêts. Elle affirme être créancière de l’acompte (22 670,93 €), des 20 % de démarrage (30 227,91 € ) ainsi que du premier appel du fonds (15 113,95 €). Ayant déjà reçu la somme de 30 227,91 € sur le total de 68 012,79 € elle demande règlement du solde de 37 784,98 €.
Mme [E] [D] conclut au rejet du fait de la nullité du contrat ; elle ajoute que sa cocontractante n’est pas de bonne foi ni loyale et que faire droit à sa demande aboutirait au paiement d’une somme totale de 98 330,69 € pour des travaux qu’elle n’a pas effectués, ce qui est injustifié au regard des articles 1219 et suivants du Code civil ; il causerait un enrichissement sans cause non justifiée à la défenderesse.
Si le tribunal n’annulait pas l’ensemble du contrat elle affirme que la clause prévoyant qu’elle devrait payer l’intégralité des sommes figurant dans le devis sans contrepartie est manifestement abusive et qu’elle ne pourra qu’être réputée non écrite et écartée par le tribunal en application de l’article L212-1 du code de la consommation.
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L’article 1103 du Code civil susvisé exige la bonne foi dans la négociation, la conclusion et l’exécution du contrat.
Le contrat d’entreprise du 14 décembre 2020 n’ayant pas été annulé, ses dispositions trouvent à s’appliquer. L’article 4 énonce que le règlement des travaux sera effectué par le versement d’un acompte de 15 % du montant TTC en confirmation de commande, “non-remboursables, sauf sur rétractation dans les 14 jours après la remise du chèque, de 20 % au démarrage, d’appel de fonds tous les 15 jours et versement du solde de 5 % à réception des travaux(toutes réserves listées dans le PV de réception devant être levées). En cas de retard dans les paiements, l’entreprise se réserve le droit de suspendre les travaux et d’appliquer des pénalités au taux d’intérêt légal, soit 5 % pour l’année 2019/2020.”
La cliente soutient que la clause prévoyant qu’elle doit régler la totalité des prestations créée un déséquilibre significatif entre elle et le professionnel. Cependant la clause sus énoncée n’indique pas que les paiements doivent se faire indépendamment de l’exécution des contrats. Par ailleurs elle établit un déséquilibre en permettant à la seule cliente de rétracter son acceptation du devis.
Il n’existe donc pas de raison pour la réputer non écrite.
Il appartient l’entreprise, qui demande le règlement de 45 % du montant du devis, de démontrer qu’elle a effectivement réalisé des prestations à proportion.
Elle ne conteste pas avoir été empêchée d’accéder sur le chantier à partir du début janvier 2021 et la cliente affirme qu’elle a eu recours à ce moment-là à une entreprise tierce, ce qui a justifié son refus de laisser accéder son cocontractant et un huissier au chantier le 1er février.
L’huissier intervenu à la demande de la maître d’ouvrage le 13 janvier 2021 constate que des démolitions ont déjà lieu en partie mais qu’aucuns travaux n’ont été réalisés. Si la SARL démontre avoir commandé des fenêtres avec cadran à la demande de Mme [D] et les avoir reçues le 1er février 2021, elle ne communique pas la facture ou le bon commande que lui a demandé celle-ci pour permettre à la juridiction d’en connaître le montant.
Le tribunal n’ayant pas retenu l’exercice de la faculté de rétractation par la maître de l’ouvrage, cette dernière ne peut prétendre au remboursement de l’acompte de 15 % du montant TTC, correspondant à un montant de 22 670,93 €, en application de la clause conventionnelle.
Le tribunal déplore que l’entreprise ne donne aucune indication sur l’état d’avancée de ses travaux. Au vu du constat dressé le 13 janvier 2021 elle a exécuté le lot démolition sur tout le niveau 1 (poste 1a du devis) et pour partie au niveau 2 (poste 1b) par la dépose des aménagements sous combles, du plafond et de l’isolation ; en revanche au niveau supérieur restaient les sols évalués à 18 m², si bien que le tribunal estime que cette prestation de 6.350 € HT a été réalisée à 95% .
Dans le lot dépose SDB (poste 1c) seule la dépose des sanitaires a été exécutée soit 2 items sur les 8 devisés 1.800 € HT; il sera donc jugé que la prestation a été réalisée à hauteur de 25 %.
Les autres prestations de fourniture, pose et réalisation de travaux n’avaient pas commencé au jour de l’arrêt du chantier.
En conséquence il convient de considérer que l’entreprise a droit aux sommes suivantes:
(6.350 € HT x95 %) + (1.800 € HT x 25%)= 6.032,50 + 450=6.482,50 € HT + 10% TVA= 7.130,75 € TTC.
Ayant perçu une somme supérieure dans le cadre de l’acompte non restituable, la société ne peut prétendre au paiement d’autres sommes.
- sur la demande reconventionnelle relative aux conclusions
Se fondant sur l’article 41 alinéa 5 de la loi du 29 juillet 1881, la défenderesse demande la suppression dans les conclusions n°1 signifiées le 10 octobre 2022 par son adversaire des termes de “violences psychologiques”qu’elle considère comme employés abusivement à son encontre et injurieux.
L’intéressée s’en remet à l’appréciation du tribunal.
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L’article 41 alinéas 4 et 5 de la loi du 29 juillet 1881 énonce que “Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux.
Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts.”
Dans la mesure où le code civil retient la violence, qu’elle soit physique ou psychologique, comme vice du consentement pouvant causer l’annulation du contrat, il ne peut être fait grief à la demanderesse, qui sollicite l’annulation du contrat pour ce vice, d’avoir reproché à son adversaire dans ses premières conclusions d’avoir exercé
des “violences psychologiques”. Ces propos ne peuvent être qualifiés d’injurieux, outrageants ou diffamatoires sous peine de priver de substance ce texte.
Cette demande ne peut donc prospérer.
- Sur les autres prétentions
Mme [E] [F] épouse [D], qui succombe en l’action qu’elle a initiée, sera condamnée aux dépens et à verser à son adversaire une indemnité de procédure équitablement arrêtée à la somme de 1500 €, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; elle sera corrélativement déboutée de ce chef.
Enfin aucune partie ne s’oppose à l’exécution provisoire de plein droit de la présente décision.
PAR CES MOTIFS
le tribunal statuant publiquement par décision contradictoire et susceptible d’appel
Déboute Mme [E] [F] épouse [D] de sa demande d’annulation du contrat d’entreprise du 14 décembre 2020, de restitution de l’acompte avec intérêts légaux et capitalisation,
Déboute la SARL Entreprise conseil aménagement 78 de ses demandes d’indemnité et de suppression de termes dans les conclusions de son adversaire,
Condamne Mme [E] [F] épouse [D] aux dépens de l’instance et à verser une indemnité de 1.500 € à la SARL Entreprise conseil aménagement 78 pour ses frais irrépétibles,
Déboute Mme [E] [F] épouse [D] de ce chef,
Rappelle que l’exécution provisoire est de plein droit.
Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 JUIN 2024 par Mme DUMENY, Vice Présidente, assistée de Madame GAVACHE, greffier, lesquelles ont signé la minute du présent jugement.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT