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20/06/2024 | FRANCE | N°22/01770

France | France, Tribunal judiciaire de Versailles, Troisième chambre, 20 juin 2024, 22/01770


Minute n°


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
20 JUIN 2024


N° RG 22/01770 - N° Portalis DB22-W-B7G-QPNV
Code NAC : 58G
A.G.



DEMANDEURS :

1/ Madame [D] [M]
née le [Date naissance 4] 1984 à [Localité 18] (78),
demeurant [Adresse 10],

2/ Monsieur [S] [M]
né le [Date naissance 11] 1988 à [Localité 19] (78),
demeurant [Adresse 13],

représentés par Maître Yves BEDDOUK, avocat plaidant/postulant au barreau de VERSAILLES.



DEFENDERESSES :

1/ Madame [X], [H

] [M]
née le [Date naissance 12] 1962 à [Localité 21] (94),
demeurant [Adresse 2],

2/ Madame [I], [E] [M]
née le [Date naissance 9] 1963 à [Localité 21]...

Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
20 JUIN 2024

N° RG 22/01770 - N° Portalis DB22-W-B7G-QPNV
Code NAC : 58G
A.G.


DEMANDEURS :

1/ Madame [D] [M]
née le [Date naissance 4] 1984 à [Localité 18] (78),
demeurant [Adresse 10],

2/ Monsieur [S] [M]
né le [Date naissance 11] 1988 à [Localité 19] (78),
demeurant [Adresse 13],

représentés par Maître Yves BEDDOUK, avocat plaidant/postulant au barreau de VERSAILLES.

DEFENDERESSES :

1/ Madame [X], [H] [M]
née le [Date naissance 12] 1962 à [Localité 21] (94),
demeurant [Adresse 2],

2/ Madame [I], [E] [M]
née le [Date naissance 9] 1963 à [Localité 21] (94),
demeurant [Adresse 20],
[Localité 14],

représentées par Maître Carine TARLET de la SELEURL CABINET TARLET, avocat postulant au barreau de VERSAILLES et par Maître Franck-Olivier LACHAUD, avocat plaidant au barreau de SAINT-ETIENNE.

3/ La société LCL- LE CREDIT LYONNAIS, société anonyme immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LYON sous le numéro 954 509 741 dont le siège social est situé [Adresse 5] et prise en son établissement sis [Adresse 7], représentée par son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, avocat postulant au barreau de VERSAILLES et par Maître Charlotte MOCHKOVITCH, avocat plaidant au barreau de PARIS.

PARTIE INTERVENANTE :

La société PREDICA - PRÉVOYANCE DIALOGUE DU CRÉDIT AGRICOLE, société anonyme immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 334 028 123, entreprise régie par le code des assurances dont le siège social et administratif se trouve [Adresse 3], prise en la personne de son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Stéphanie COUILBAULT-DI TOMMASO de la SELARL MESSAGER COUILBAULT, avocat plaidant au barreau de PARIS et par Maître Frédérique KUCHLY, avocat postulant au barreau de VERSAILLES.

* * * * * *

ACTE INITIAL du 09 Mars 2022 reçu au greffe le 21 Mars 2022.

DÉBATS : A l'audience publique tenue le 19 Mars 2024, après le rapport de Madame GARDE, Juge désigné par le Président de la Chambre, l’affaire a été mise en délibéré au 20 Juin 2024.

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
M. JOLY, Vice-Président
Madame GARDE, Juge
Madame VERNERET-LAMOUR, Juge placé

EN PRÉSENCE DE :
Madame [W] [C], Auditrice de justice

GREFFIER : Madame LOPES DOS SANTOS

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [N] [M], né le [Date naissance 8] 1935 [Localité 16] (76), est décédé le
[Date décès 15] 2019 à [Localité 18] (78), laissant pour lui succéder :
- Madame [X] [M], sa fille,
- Madame [I] [M], sa fille,
- Madame [D] [M], sa petite-fille,
- Monsieur [S] [M], son petit-fils,
ses petits-enfants venant à la succession par représentation de leur père, Monsieur [R] [M], prédécédé le [Date décès 6] 2017 à [Localité 17] (92).

Monsieur [N] [M] était titulaire d’un contrat d’assurance sur la vie intitulé LCL VIE S1 n° 701 ALRC19099Y, souscrit le 13 février 2002 auprès de la société Predica par l’intermédiaire de la société LCL - le Crédit Lyonnais, dont la clause bénéficiaire est libellée dans les termes suivants :

“[M] [R] né le [Date naissance 1]1959, [M] [X] née le [Date naissance 12]1962, [M] [I] née le [Date naissance 9]1963, à défaut les héritiers de l’assuré.”

Au décès de Monsieur [N] [M], la société Predica a entrepris le règlement du capital décès et procédé à la répartition de la part de Monsieur [R] [M], prédécédé, de la façon suivante :
- 1/3 pour Madame [X] [M],
- 1/3 pour Madame [I] [M],
- 1/6 pour Madame [D] [M],
- 1/6 pour Monsieur [S] [M].

C’est dans ces conditions que, contestant la part leur revenant, Madame [D] [M] et Monsieur [S] [M] ont, par exploit introductif d’instance signifié le 9 mars 2022, fait assigner la société LCL - le Crédit Lyonnais devant le tribunal judiciaire de Versailles en règlement des sommes dues et indemnisation des préjudices subis. L’affaire a été enrôlée sous le RG
n° 22/01770.

Par conclusions notifiées au greffe par voie électronique le 15 avril 2022, la société Predica est intervenue volontairement à la présente procédure en sa qualité d’assureur du contrat souscrit par Monsieur [N] [M].

Puis, par actes signifiés le 8 juin et le 11 juillet 2022, la société Predica a fait assigner en interventions forcées Mesdames [X] et [I] [M]. L’affaire a été enrôlée sous le RG n° 22/04264.

La jonction des deux instances sous le RG n° 22/01770 a été prononcée par décision du juge de la mise en état rendue le 10 janvier 2023.

Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées au greffe par voie électronique le 27 juillet 2023, Madame [D] [M] et Monsieur [S] [M] demandent au tribunal de :

- Dire que les sommes du contrat d’assurance vie sont manifestement excessives et doivent être réintégrées dans la succession,
- Dire que Madame [D] [M] et Monsieur [S] [M] sont bénéficiaires du contrat d’assurance vie à hauteur de 1/6ème en représentation de leur père prédécédé,
- Condamner la société LCL, la société Predica et Mesdames [I] et [X] [M] conjointement et solidairement à verser à [D] et [S] [M] la somme de 45.521,18 € chacun, augmenté des intérêts au taux légal à compter du 4 mai 2020 et capitalisation des intérêts,

Subsidiairement,

- Dire que la société Predica et LCL ont manqué à leurs obligations de conseil,
- Condamner conjointement et solidairement le LCL, Predica et Mesdames [I] et [X] [M] à verser à titre de dommages et intérêts à [D] et [S] [M] une somme totale de 45.521,18 € chacun, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 4 mai 2020 et capitalisation des intérêts,

En tout état de cause,

- Condamner la société LCL, la société Predica et Mesdames [I] et [X] [M] conjointement et solidairement à verser à [D] et [S] [M] la somme de 10.000 € chacun au titre des dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée,
- Condamner la société LCL, la société Predica et Mesdames [I] et [X] [M] à verser la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Madame [D] [M] et Monsieur [S] [M] soutiennent, au visa des articles 734 et 752 du code civil, être les seuls héritiers de leur père et être appelés à la succession de leur grand-père, Monsieur [N] [M], en représentation de leur père, Monsieur [R] [M]. Ils en déduisent que la part de leur père doit être répartie entre eux deux à hauteur de 1/6ème chacun, leur grand-père ayant entendu assurer une stricte égalité entre chacun de ses enfants.

Ils font également valoir que l’actif net de la succession est de 669.705,16 € et que le montant du contrat d’assurance-vie est de 273.127,11 €, pour en conclure que les primes versées sur le contrat d’assurance-vie, manifestement excessives, doivent être réintégrées à la succession.

Ils poursuivent, à titre subsidiaire, l’engagement de la responsabilité des sociétés LCL - le Crédit Lyonnais et Predica sur le fondement de l’article
L. 132-9-1 du code des assurances. Ils expliquent, tout d’abord, que la banque, ès qualités d’intermédiaire, est tenue au même devoir d’information et de conseil que l’assureur. Ils relèvent, ensuite, que les sociétés défenderesses devaient s’assurer de l’adéquation entre la rédaction de la clause bénéficiaire et la volonté réelle du souscripteur. Ils soulignent, en l’occurrence, que Monsieur [N] [M] ne voulait pas privilégier une “branche” familiale au détriment d’une autre et qu’en n’attirant pas son attention sur les conséquences de la clause bénéficiaire choisie, notamment après le décès d’[R] [M], aussi bien la société LCL - le Crédit Lyonnais que la société Predica ont commis une faute.

Ils insistent, enfin, sur la résistance abusive de la société LCL - le Crédit Lyonnais qui, malgré de nombreux courriers recommandés avec accusés de réception, n’a pas donné suite à leurs réclamations.

Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées au greffe par voie électronique le 26 octobre 2023, Mesdames [X] et [I] [M] demandent au tribunal de :

- Rejeter la demande principale de paiement de [D] et [S] [M] à hauteur de 1/6ème chacun du contrat d’assurance-vie « LCL VIE S1 », numéro 701ALRC19099Y de Monsieur [N] [M] et juger qu’ils sont chacun bénéficiaire à hauteur de 1/18ème du capital décès soit 15.173,72 euros chacun,

Subsidiairement sur ce point, si le tribunal accueillait leur demande et jugeait qu’ils étaient bénéficiaires chacun à hauteur de 1/6ème (et non de 1/18ème) :

- Condamner solidairement les sociétés Predica et LCL à verser à Mesdames [X] et [I] [M] une somme de 30.347,44 euros chacune à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la faute des sociétés Predica et LCL,
- Rejeter les demandes de Monsieur [S] [M] et Madame [D] [M] de voir les sommes issues du contrat d’assurance vie qualifiées d’excessives,
- Rejeter les demandes de Monsieur [S] [M] et Madame [D] [M] de voir les sommes issues du contrat d’assurance-vie « réintégrées » dans la succession,

En toute hypothèse,

- Rejeter toute demande complémentaire dirigée contre Mesdames [X] et [I] [M],
- Condamner toutes parties perdantes à verser à Mesdames [X] et [I] [M] une somme de 3.000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- Condamner toutes parties perdantes aux entiers dépens de l’instance, distraits au profit de Maître Carine Tarlet, avocate sur son offre de droit.

Mesdames [X] et [I] [M] expliquent, au visa des articles L. 132-9, alinéa 4, et L. 132-8, alinéa 5, du code des assurances, qu’au moment de l’exigibilité du capital décès, la désignation de Monsieur [R] [M] était caduque, raison pour laquelle sa part a été répartie entre les autres héritiers de Monsieur [N] [M], dont ses petits-enfants et elles-mêmes. Elles rappellent que les contrats d’assurance-vie échappent aux règles de la dévolution successorale, si bien que la représentation des enfants prédécédés n’est pas de droit. Elles soulignent, sur ce point, que la formulation de la clause bénéficiaire a été délibérément choisie par Monsieur [N] [M], en lieu et place d’une clause type.

Elles répliquent, au visa des articles L. 132-12 et L. 132-13 du code des assurances, que lors de la souscription du contrat, Monsieur [N] [M] avait 67 ans et que les primes versées, à hauteur de 24.000 €, étaient cohérentes avec son patrimoine. Elles indiquent, en outre, que le caractère excessif des primes doit être évalué au jour de leur versement, et non de l’ouverture de la succession.

Elles sollicitent, à titre subsidiaire, que leur éventuelle condamnation en restitution du trop-perçu soit compensée par l’allocation de dommages et intérêts par les sociétés Predica et LCL - le Crédit Lyonnais, lesquelles auraient commis une faute en n’éclairant pas suffisamment Monsieur [N] [M] sur les conséquences de la rédaction de la clause bénéficiaire du contrat.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées au greffe par voie électronique le 24 octobre 2023, la société Predica demande au tribunal de :

- Recevoir l’intervention volontaire de la société Predica, assureur du contrat d’assurance sur la vie souscrit par Monsieur [N] [M] dont les demandeurs sollicitent le règlement,
- Déclarer recevable et bien fondée l’assignation en intervention forcée de Mmes [X] et [I] [M], qui ont perçu les fonds revendiqués par leurs neveux [D] et [S] [M],

Sur le fond,

- Rejeter la demande principale de paiement de [D] et [S] [M], à hauteur de 1/6e chacun du contrat d’assurance vie « LCL VIE S1 »,
n° 701 ALRC19099Y, de M. [N] [M] et juger qu’ils sont chacun bénéficiaire à hauteur de 1/18e du capital décès, soit 15.173,72 € chacun,
- Subsidiairement, si le tribunal accueillait leur demande et jugeait qu’ils étaient bénéficiaires chacun à hauteur de 1/6e (et non de 1/18e), condamner Mmes [X] et [I] [M] à restituer l’indu à la société Predica, soit le trop-perçu, à hauteur de 30.347,44 € chacune (articles 1302 et s. du code civil),
- Sur ce point, rejeter la demande reconventionnelle de dommages et intérêts de Mmes [I] et [X] [M], la preuve d’un préjudice de 30.347,44 € chacune n’étant pas rapportée,

En toute hypothèse,

- Juger que la part non encore réglée à [S] et [D] [M] du contrat d’assurance vie « LCL VIE S1 », n° 701 ALRC19099Y, ne pourra leur être versée par l’assureur que conformément aux dispositions du
code général des Impôts (articles 757 B 806 III 292B Annexe II CGI et 990 I CGI), sur remise par les bénéficiaires des dossiers de prestation décès comprenant l’ensemble des pièces nécessaires au paiement, notamment fiscales,
- Juger que la société Predica, assureur, n’a pas manqué à ses obligations
vis-à-vis de son assuré, M. [N] [M],
- Rejeter toute demande complémentaire dirigée contre la société Predica, notamment au titre d’une résistance abusive, les conditions de la responsabilité civile (faute, préjudice, lien de causalité) n’étant pas réunies,
- Rejeter la demande subsidiaire de dommages et intérêts pour défaut de conseil dès lors que plusieurs clauses bénéficiaires qui auraient satisfait les intérêts de [D] et [S] [M] ont bien été conseillées à l’assuré et que ce conseil n’a pas été suivi de sorte que le « préjudice » invoqué par [D] et [S] [M] n’est pas imputable à l’assureur Predica,
- Rejeter toute demande de réintégration à l’actif successoral au titre du rapport et/ou de la réduction pour atteinte à la réserve héréditaire, dirigée contre l’assureur,
- Condamner toute partie perdante à verser à la société Predica une indemnité de 2.800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- Condamner toute partie perdante aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Frédérique Kuchly, avocat au barreau de Versailles, en application des articles 699 et suivants du code de procédure civile.

La société Predica se prévaut des dispositions des articles L. 132-8 et L. 132-9 du code des assurances. Elle explique que, conformément à la rédaction de la clause bénéficiaire du contrat, la part de Monsieur [R] [M] ne revient pas à ses enfants et/ou ses héritiers mais aux héritiers de l’assuré, c’est-à-dire à Mesdame [I] et [X] [M] pour 1/3 chacune et à Madame [D] [M] et Monsieur [S] [M] pour 1/6ème chacun.

Elle réplique, s’agissant de la demande de dommages et intérêts en compensation de la restitution de l’indu, que Mesdames [I] et [X] [M] n’établissent pas avoir subi un préjudice en lien de causalité direct et certain avec une faute de sa part.

Elle réfute aussi tout manquement à son devoir d’information et de conseil. Elle soutient que la clause rédigée l’a été en toute connaissance de cause et que Monsieur [N] [M], invité à la vérifier au cours de l’exécution du contrat, n’a pas souhaité la modifier. Elle ajoute que l’article L. 132-9-1 du code des assurances, dont se prévalent les demandeurs, a été créé postérieurement à la date de souscription du contrat. Elle soutient encore que le montant des dommages et intérêts ne peut excéder le montant du capital décès dont l’attribution est contestée, soit 30.347,44 € chacun. Elle relève, enfin, que le préjudice allégué ne peut s’analyser qu’en une perte de chance que l’assuré suive le conseil prodigué.

Elle rétorque, enfin, que dans le cadre d’une action engagée contre le bénéficiaire sur le fondement de l’article L. 132-13 du code des assurances, il appartient aux héritiers qui s’estiment lésés d’établir l’excès manifeste dans le versement de chaque prime ainsi que l’atteinte à l’égalité entre héritiers (rapport) ou à la réserve héréditaire (réduction).

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées au greffe par voie électronique le 25 octobre 2023, la société LCL - le Crédit Lyonnais demande au tribunal de :

- Mettre hors de cause le Crédit Lyonnais,
- Juger que le Crédit Lyonnais n’a commis aucune faute,
- Débouter Madame [D] [M] et Monsieur [S] [M] de l’ensemble de leurs demandes,
- Débouter Mesdames [X] et [I] [M] de toutes leurs demandes,
- Condamner toute partie perdante au paiement de la somme de 2.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens lesquels pourront être recouvrés par la SELARL Minault Teriitehau agissant par Maître Stéphanie Teriitehau, avocat au barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le Crédit Lyonnais demande sa mise hors de cause au motif que seule la société Predica a la qualité d’assureur au contrat d’assurance-vie.

Il souligne, à titre subsidiaire, que Monsieur [N] [M] a explicitement opté pour une clause libre en désignant nommément chacun de ses trois enfants, sans cocher la case “vivants ou représentés”, puis en indiquant “à défaut, les héritiers de l’assuré”. Il en déduit que la part de Monsieur [R] [M], enfant prédécédé, doit être répartie entre les différents héritiers de Monsieur [N] [M].

Il réplique, sur le plan indemnitaire, que le montant des dommages et intérêts ne peut excéder le montant du capital décès dont l’attribution est contestée, soit 30.347,44 € chacun. Il relève, bien plus, que les conditions de la mise en jeu de sa responsabilité ne sont pas réunies. Il rappelle que des clauses
pré-imprimées prévoyant le mécanisme de la représentation ont été proposées à Monsieur [N] [M] et que ce dernier les a délibérément écartées. Il ajoute qu’invité à vérifier la clause bénéficiaire choisie, il n’a pas souhaité la modifier. Il conclut ainsi à l’absence de faute. Il indique, à titre subsidiaire, que le préjudice allégué doit être apprécié sous le prisme d’une perte de chance.

Il s’oppose, en tout état de cause, à la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive. Il explique que seule la société Predica détient et gère les capitaux et ajoute que la répartition a été effectuée conformément aux termes de la clause bénéficiaire.

Il rétorque, enfin, que le préjudice allégué par Mesdames [X] et [I] [M] n’est pas établi.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 novembre 2023.

MOTIFS

Sur la clause bénéficiaire et la répartition subséquente du capital

Aux termes de l’article L. 132-8 du code des assurances, le capital ou la rente garantis peuvent être payables lors du décès de l'assuré à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés.
Est considérée comme faite au profit de bénéficiaires déterminés la stipulation par laquelle le bénéfice de l'assurance est attribué à une ou plusieurs personnes qui, sans être nommément désignées, sont suffisamment définies dans cette stipulation pour pouvoir être identifiées au moment de l'exigibilité du capital ou de la rente garantis.
Est notamment considérée comme remplissant cette condition la désignation comme bénéficiaires des personnes suivantes :
-les enfants nés ou à naître du contractant, de l'assuré ou de toute autre personne désignée ;
-les héritiers ou ayants droit de l'assuré ou d'un bénéficiaire prédécédé.
L'assurance faite au profit du conjoint profite à la personne qui a cette qualité au moment de l'exigibilité.
Les héritiers, ainsi désignés, ont droit au bénéfice de l'assurance en proportion de leurs parts héréditaires. Ils conservent ce droit en cas de renonciation à la succession.
En l'absence de désignation d'un bénéficiaire dans la police ou à défaut d'acceptation par le bénéficiaire, le contractant a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre. Cette désignation ou cette substitution ne peut être opérée, à peine de nullité, qu'avec l'accord de l'assuré, lorsque celui-ci n'est pas le contractant. Cette désignation ou cette substitution peut être réalisée soit par voie d'avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l'article 1690 du code civil, soit par voie testamentaire.
Lorsque l'assureur est informé du décès de l'assuré, l'assureur est tenu de rechercher le bénéficiaire, et, si cette recherche aboutit, de l'aviser de la stipulation effectuée à son profit.

Si les articles 751 à 755 du code civil, applicables en matière de succession, prévoient le mécanisme de la représentation, il n’est tenu compte, dans le cadre de l’assurance-vie, que de la qualité de bénéficiaire du contrat. Dès lors, si la représentation en cas de prédécès d’un bénéficiaire n’est pas prévue expressément par le souscripteur, le mécanisme ne s’applique pas lors du dénouement du contrat.

En l’espèce, la clause bénéficiaire du contrat, pré-imprimée et complétée de manière manuscrite par Monsieur [N] [M], désigne ses trois enfants, Monsieur [R] [M], Madame [X] [M] et Madame [I] [M] ès qualités de bénéficiaires. A défaut, les bénéficiaires sont les héritiers de l’assuré, c’est-à-dire les héritiers de Monsieur [N] [M].

Il est établi par les pièces versées aux débats et reconnu par les parties qu’en raison du prédécès de Monsieur [R] [M], les héritiers de Monsieur [N] [M] sont Madame [X] [M], Madame [I] [M], ses filles, ainsi que Madame [D] [M] et Monsieur [S] [M], ses petits-enfants venant par représentation de leur père, Monsieur [R] [M].

Lors du décès de Monsieur [N] [M], seuls deux de ses bénéficiaires étaient vivants : Madame [X] [M] et Madame [I] [M].

L’application des stipulations contractuelles et plus particulièrement de la clause de sauvegarde implique ainsi, eu égard à l’absence de représentation des bénéficiaires initialement désignés (Monsieur [N] [M] n’ayant pas coché l’une des cases la prévoyant), la répartition de la part initialement dévolue à Monsieur [R] [M] (soit 1/3 du capital) entre les quatre héritiers de Monsieur [N] [M], soit ses deux filles d’une part et ses deux
petits-enfants venant en représentation de leur père dans le cadre de la succession d’autre part, à hauteur de 1/3 pour Madame [X] [M], 1/3 pour Madame [I] [M], 1/6 pour Madame [D] [M] (50 % de la part de Monsieur [R] [M]) et 1/6 pour Monsieur [S] [M] (50 % de la part de Monsieur [R] [M]).

En d’autres termes, c’est à juste titre que la société Predica a procédé à une répartition du capital de l’assurance-vie à hauteur de :
- 8/18ème pour Madame [X] [M] (6/18ème du capital en sa qualité de bénéficiaire désignée et 1/3 de la part de Monsieur [R] [M] en sa qualité d’héritière de l’assuré, soit 2/18ème du total),
- 8/18ème pour Madame [I] [M] (6/18ème du capital en sa qualité de bénéficiaire désignée et 1/3 de la part de Monsieur [R] [M] en sa qualité d’héritière de l’assuré, soit 2/18ème du total),
- 1/18ème pour Madame [D] [M] (50 % du 1/3 de la part de Monsieur [R] [M]),
- 1/18ème pour Monsieur [S] [M] (50 % du 1/3 de la part de Monsieur [R] [M]).

Les demandes formées par Madame [D] [M] et Monsieur [S] [M] seront, par conséquent, rejetées.

Sur le rapport successoral et la réduction pour atteinte à la réserve héréditaire

Aux termes de l’article L. 132-13 du code des assurances, le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant.
Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

Il est de principe que le caractère excessif des primes s'apprécie au moment du versement, au regard de l'âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur ainsi que de l'utilité du contrat pour celui-ci.
Au soutien de leurs prétentions, Madame [D] [M] et Monsieur [S] [M] se contentent de comparer le montant du contrat d’assurance-vie (273.127,11 €) à l’actif net de la succession (669.705,16 €).

A défaut de rapporter la preuve qui leur incombe, Madame [D] [M] et Monsieur [S] [M] seront, par conséquent, déboutés de leur demande.

Sur le devoir d’information et de conseil de l’assureur et de son intermédiaire

L’article L. 132-9-1 du code des assurances, créé par la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005, dispose que le contrat comporte une information sur les conséquences de la désignation du ou des bénéficiaires et sur les modalités de cette désignation. Il précise que la clause bénéficiaire peut faire l'objet d'un acte sous seing privé ou d'un acte authentique.

En application de l’article L. 511-1 du code des assurances, la distribution d'assurances ou de réassurances est l'activité qui consiste à fournir des recommandations sur des contrats d'assurance ou de réassurance, à présenter, proposer ou aider à conclure ces contrats ou à réaliser d'autres travaux préparatoires à leur conclusion, ou à contribuer à leur gestion et à leur exécution, notamment en cas de sinistre.
Pour l'activité de distribution d'assurances, l'employeur ou mandant est civilement responsable, conformément aux dispositions de l'article 1242 du code civil, du dommage causé par la faute, l'imprudence ou la négligence de ses employés ou mandataires agissant en cette qualité, lesquels sont considérés, pour l'application du présent article, comme des préposés, nonobstant toute convention contraire.

En l’espèce, le contrat d’assurance-vie a été souscrit le 13 février 2002. L’obligation d’information issue de la loi du 15 décembre 2005 n’est donc pas applicable au présent litige.

Néanmoins, en vertu de son devoir d’information et de conseil, l’assureur est tenu d’attirer l’attention du souscripteur sur le fait qu’en matière d’assurance-vie, à la différence des règles de la dévolution successorale, il n’existe pas de représentation automatique d’un bénéficiaire par ses enfants et que la représentation doit être expresse.

Il n’est pas démontré que Monsieur [N] [M], âgé de 67 ans, était un souscripteur averti disposant de compétences particulières en matière assurantielle.

Toutefois, lors de sa souscription, Monsieur [N] [M] a délibérément choisi, parmi plusieurs options pré-rédigées dont “les enfants de l’assuré(e), nés ou à naître, vivants ou représentés, à défaut les héritiers de l’assuré(e)”, une rédaction libre de la clause bénéficiaire.

Il a également arbitré, une fois ses bénéficiaires désignés, les conséquences à en tirer selon plusieurs scénarios “au deuxième à défaut du premier, au troisième à défaut du deuxième, etc / par parts égales, vivants ou représentés / autres 1) ... % 2) ... % (...) / à défaut, les héritiers de l’assuré(e)”.
En sus, la société Predica démontre lui avoir adressé, en 2014 et en 2015, des lettres d’information annuelles l’invitant, de manière claire et précise, à vérifier la rédaction de sa clause bénéficiaire et son adaptation à sa situation personnelle.

Dès lors, au jour du décès de son fils, Monsieur [N] [M] disposait de toutes les informations nécessaires pour, le cas échéant, modifier la clause bénéficiaire de son assurance-vie et y inclure le mécanisme de la représentation.

Aussi l’assureur justifie-t-il de diligences suffisantes pour l’information de son assuré quant aux conséquences attachées à la rédaction de sa clause bénéficiaire, le devoir d’information et de conseil lui incombant ne devant, en effet, être confondu avec une immixtion dans les choix personnels opérés.

Madame [D] [M] et Monsieur [S] [M] seront, par conséquent, déboutés de leurs demandes.

Sur la résistance abusive

Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Madame [D] [M] et Monsieur [S] [M], qui perdent leur procès, ne peuvent qu’être déboutés de leur demande de dommages et intérêts.

Sur les autres demandes

Sur les dépens

Conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En vertu de l’article 699 du code de procédure civile, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.

Madame [D] [M] et Monsieur [S] [M], qui succombent en leurs demandes, seront condamnés aux dépens de l’instance avec droit de recouvrement au profit de Maîtres Carine Tarlet, Frédérique Kuchly et la SELARL Minault Teriitehau agissant par Maître Stéphanie Teriitehau.

Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

Eu égard aux situations économiques respectives des parties, Madame [D] [M] et Monsieur [S] [M], tenus aux dépens, seront condamnés à verser aux défendeurs, les sommes de :
- 2.500 € à Mesdames [I] et [X] [M],
- 1.000 € à la société Predica,
- 1.000 € à la société LCL - le Crédit Lyonnais.

Sur l’exécution provisoire

En application de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la décision rendue n’en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,

REJETTE l’intégralité des demandes de Madame [D] [M] et de Monsieur [S] [M],

CONDAMNE Madame [D] [M] et Monsieur [S] [M] à payer les sommes de 2.500 € (en tout) à Mesdames [I] et [X] [M], 1.000 € à la société Predica et 1.000 € à la société LCL - le Crédit Lyonnais au titre des frais irrépétibles exposés pour la défense de leurs droits,

CONDAMNE Madame [D] [M] et Monsieur [S] [M] aux entiers dépens de l’instance avec droit de recouvrement au profit de Maîtres Carine Tarlet, Frédérique Kuchly et la SELARL Minault Teriitehau agissant par Maître Stéphanie Teriitehau, avocats postulants.

RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 JUIN 2024 par M. JOLY, Vice-Président, assisté de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, lesquels ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT
Carla LOPES DOS SANTOS Eric JOLY


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Versailles
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 22/01770
Date de la décision : 20/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-20;22.01770 ?
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