TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ DU
04 JUIN 2024
N° RG 24/00237 - N° Portalis DB22-W-B7I-R2AL
Code NAC : 63A
AFFAIRE : [R] [K], [H] [V] C/ [N] [E], [H] [V], Organisme OMNIAM, Caisse CPAM des Yvelines
DEMANDEURS
Monsieur [R] [K],
demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Pauline MIGAT-PAROT, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 751
Monsieur [H] [V]
né le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 6] ([Localité 6]),
demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Emmanuel MOREAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C147, Me Arnaud MAGERAND, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C 2125
DEFENDEURS
Madame [N] [E],
demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Angélique WENGER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R 123, Me Banna NDAO, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 667
Monsieur [H] [V],
demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Emmanuel MOREAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C147, Me Arnaud MAGERAND, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C 2125
Organisme OMNIAM
Office National d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales,
Etablissement Public National à caractère administratif, dont le siège social est sis [Adresse 7]
représentée par Me Nathalie LANGLOIS-THIEFFRY, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.486, Me Ali SAIDJI, avocat au barreau de PARIS,
CPAM DES YVELINES,
dont le siège social est sis [Adresse 4]
non comparant
Débats tenus à l'audience du : 30 Avril 2024
Nous, Gaële FRANÇOIS-HARY, Première Vice-Présidente au Tribunal Judiciaire de Versailles, assistée de Virginie DUMINY, Greffier,
Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil, à l’audience du 30 Avril 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 04 Juin 2024, date à laquelle l’ordonnance suivante a été rendue :
EXPOSE DU LITIGE
Le 8 février 2022, le docteur [N] [E], orthodontiste, établissait une prescription médicale pour Monsieur [R] [K]. Cette prescription qui s’adressait à l’un de ses confrères, préconisait une extraction dentaire en faveur de son patient. Monsieur [R] [K] a consulté le docteur [H] [V], stomatologue, le 8 février 2023. Celui-ci a effectué sur son patient un acte chirurgical le 28 mars 2023.
Par acte de Commissaire de Justice en date du 8 février 2024, Monsieur [R] [K] a assigné le docteur [H] [V], la Caisse Primaire d’Assurance Maladie des Yvelines (CPAM 78), et l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) en référé devant le Tribunal judiciaire de Versailles aux fins de voir ordonner une expertise médicale.
Par acte de Commissaire de Justice en date du 13 mars 2024, Monsieur [H] [V] a assigné le docteur [N] [E], orthodontiste, en référé devant le Tribunal judiciaire de Versailles.
Les deux instances seront jointes.
Il expose qu’il était prévu l’extraction de 3 dents de sagesse et d’une molaire (n°48) ; que sur la radio panoramique réalisée avant l'intervention (02/12/2021), il est possible de constater l’absence de la dent de sagesse 48, la présence d’une deuxième molaire 47 et la symétrie de celle-ci avec la deuxième molaire ; que le 28 mars 2023, le Docteur [V] extrait 3 dents de sagesse (18/48/85) et la dent 48 qui n’était pas prévue sur l’ordonnance du Docteur [E] ; que le Docteur [V] précise bien qu’il a extrait la dent 48 dans son compte rendu-médical alors qu’elle est pourtant absente sur la panoramique dentaire ; que par la suite, le 4 avril 2023, il se rend chez le Docteur [V] pour comprendre les causes d’une forte douleur en bas à droite, survenue à la suite de son opération ; qu’il est constaté sur la radio panoramique réalisée après opération, qu’il ne reste du côté droit de la mandibule de Monsieur [R] [K] que la 85 (dent de lait) dont il était convenu l’extraction est toujours présente mais que la molaire 47 a disparu ; que le Docteur [V] note, tout de même, sur son compte rendu-médical que « tout est normal » ; que le 3 juin 2023, lors d’un rendez-vous de suivi, le Docteur [E] découvre l’absence de la molaire 47 ; que Monsieur [R] [K] découvre alors que sa molaire 47 a été extraite par erreur par le Docteur [V], lequel ne reconnaît pas son erreur et maintient que Monsieur [R] [K] avait bien une dent de sagesse 48, qu’il lui a retirée ; que le 16 juin 2023, le Docteur [E] rédige une attestation constatant l'absence de la molaire 47 et précise avoir demandé l'extraction des dents 18/28/38/75 et 85.
Il s'interroge donc légitimement sur la conformité aux données acquises de la science des gestes effectués par le Docteur [V] lors de l'extraction de ses dents, relevant que la responsabilité de ce dernier est susceptible d'être recherchée.
Aux termes de ses conclusions, le Docteur [V] sollicite de voir débouter Monsieur [R] [K] de sa demande d’expertise, et subsidiairement amender les missions de l’expert comme exposé dans les conclusions.
Il relève que la demande d’expertise est impertinente et abusive, en ce que Monsieur [R] [K] a contribué à la réalisation de son préjudice, indiquant que ce dernier savait qu’il n’avait pas de dent 48 mais s’est abstenu de communiquer cette information au Docteur [H] [V] lors de sa consultation ; qu’il n’aurait donc jamais extrait une dent qui ne devait pas l’être, ce qu’il n’a jamais fait en plus de 40 ans d’exercice ; que la demande d’expertise est également abusive dans la mesure où le manque d’information n’est pas du fait du Docteur [H] [V], mais plutôt de Monsieur [R] [K] qui s’est présenté sans ordonnance ni courrier le jour de la consultation , et a sollicité l’extraction de ses dents de sagesse.
Aux termes de ses conclusions, l’ONIAM conclut à sa mise hors de cause, au motif de l’absence d’accident médical non fautif, d’affection iatrogène ou d’infection nosocomiale grave, l’intervention de l’ONIAM étant exclue, en vertu du principe de subsidiarité, en cas de faute commise par un professionnel ou un établissement de santé ; qu’en l’espèce, il résulte des faits et des pièces, que le dommage allégué résulte d’une prise en charge non conforme aux règles de l’art, par le Docteur [V] ; qu’en outre, l’ONIAM relève l’absence de gravité du préjudice, le dommage subi par Monsieur [K] demeurant en deçà du seuil légal de gravité qui déclenche l’indemnisation.
Aux termes de ses conclusions, le Docteur [E] formule protestations et réserves et sollicite de voir préciser la mission d’expertise.
La CPAM des Yvelines n’a pas fait d’observation (représentation non obligatoire).
La décision a été mise en délibéré au 4 juin 2024.
MOTIFS
Sur la jonction
En application de l'article 367 du code de procédure civile, il y a lieu de joindre les instances n°24/00237 et n°24/00408.
Sur la demande d'expertise
L'article 143 du code de procédure civile dispose que "Les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d'office, être l'objet de toute mesure d'instruction légalement admissible."
L'article 232 du code de procédure civile ajoute que "Le juge peut commettre toute personne de son choix pour l'éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert la lumière d'un technicien."
Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile : « S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. ».
En l'espèce, la mesure demandée est légalement admissible ; le litige potentiel a un objet et un fondement suffisamment caractérisés ; la prétention du demandeur n'est pas manifestement vouée à l'échec ; le demandeur, dont les allégations ne sont pas imaginaires et présentent un certain intérêt, justifie par la production des pièces médicales, du caractère légitime de sa demande.
Il apparaît prématuré, au regard des pièces médicales produites, qui ne présentent aucun caractère d’évidence, de déterminer, sans avis médical professionnel, l’absence ou la présence de faute du praticien ayant effectué l’intervention d’extraction dentaire sur la personne de M. [K]. Une expertise est nécessaire.
Il y a lieu d'y faire droit, dans les conditions détaillées dans le dispositif.
Il convient de rejeter la mise hors de cause de l’ONIAM.
La présente ordonnance sera déclarée commune à la CPAM des Yvelines et à l’ONIAM.
Sur les dépens
Les dépens seront à la charge du demandeur.
PAR CES MOTIFS
Nous, Gaële FRANCOIS-HARY, Première Vice-Présidente, juge des référés, statuant par ordonnance réputée contradictoire et en premier ressort :
Ordonnons la jonction des instances n°24/00237 et n°24/00408,
Rejetons la demande de mise hors de cause de l’ONIAM,
Ordonnons une mesure d'expertise,
Désignons pour y procéder le Docteur [U] [B], médecin orthodontiste, expert auprès la Cour d'appel de Versailles,
avec mission, après s'être fait communiquer tous documents utiles, avoir consulté toute personne susceptible de l'éclairer et s’être adjoint tout sapiteur de son choix de:
- convoquer toutes les parties,
- aviser les parties de la faculté de se faire assister par le médecin-conseil de leur choix,
- interroger contradictoirement toutes les parties et leurs conseils,
- à partir des documents médicaux fournis et des déclarations, reconstituer l'ensemble des faits ayant conduit à la présente instance,
- prendre connaissance des divers examens pratiqués et du dossier médical du demandeur,
- décrire en détails les pathologies et lésions qui y apparaissent,
- dire si des investigations, traitements ... complémentaires auraient dû être effectués,
- consigner les doléances du demandeur et procéder si nécessaire à l'audition de tous sachants,
- fournir, au vu des pièces produites et des informations recueillies auprès des parties, tous les éléments permettant au juge d'apprécier si les parties défenderesses, Docteur [V] et Docteur [E], ont rempli leur devoir de conseil et de suivi médical à l'égard du demandeur,
- dire si les actes de soins ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science médicale ; dans la négative, analyser de façon détaillée et motivée, la nature des erreurs, imprudence, manque de précautions, négligences, maladresses, et autres défaillances et fautes relevées,
- rechercher si des actes médicaux auraient dû être effectués et dans l'affirmative, indiquer en quoi leur absence a conduit aux lésions du demandeur,
- de manière générale, fournir toute précision technique et de fait de nature à permettre la juridiction éventuellement saisie d’apprécier les responsabilités encourues et d’évaluer les préjudices subis,
Fixons à 1500 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert,
Disons que cette somme sera consignée par le demandeur au plus tard le 20 août 2024, au Greffe du Tribunal judiciaire de Versailles à la Régie d’avances et de recettes, faute de quoi la désignation de l'expert sera caduque,
Disons que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 232 à 248 et 263 à 284 du code de procédure civile, en présence des parties ou elles dûment convoquées, qu'il entendra les parties en leurs observations et explications, y répondra, qu'il joindra ces observations à son rapport lorsqu’elles seront écrites et que la demande lui en sera faite, qu’il devra impartir un délai de rigueur pour déposer les pièces justificatives qui lui paraîtront nécessaires et, à l’expiration du délai, aviser le juge de l’éventuelle carence des parties, qu’il vérifiera que les parties ont été à même de débattre des constatations et documents au vu desquels il entend donner son avis et qu’il devra procéder personnellement à ses opérations, avec le cas échéant l’avis d’autres techniciens qu’il aura sollicités,
Disons que l’expert devra déposer un pré-rapport, qu’il devra, lors de l’établissement de sa première note d’expertise indiquer le calendrier des opérations et le coût prévisionnel de la mesure d’expertise, qu’il informera le juge de l’avancement de ses opérations et de ses diligences et qu’il devra déposer un rapport de ses opérations et conclusions qu'il déposera au Greffe du service des expertises de cette juridiction dans le délai de 4 mois à compter de l'avis de la consignation au Greffe,
Disons qu'en cas de refus ou d'empêchement de l'expert, il sera procédé à son remplacement par le Magistrat chargé du contrôle des expertises qui est par ailleurs chargé de la surveillance des opérations d’expertise,
Déclarons commune à la CPAM DES YVELINES et à l’ONIAM la présente ordonnance,
Disons que les dépens seront à la charge du demandeur.
Prononcé par mise à disposition au greffe le QUATRE JUIN DEUX MIL VINGT QUATRE par Gaële FRANÇOIS-HARY, Première Vice-Présidente, assistée de Virginie DUMINY, Greffier, lesquelles ont signé la minute de la présente décision.
Le GreffierLa Première Vice-Présidente
Virginie DUMINYGaële FRANÇOIS-HARY