Pôle social - N° RG 23/00667 - N° Portalis DB22-W-B7H-RK3Z
Copies certifiées conformes délivrées,
le :
à :
- Société [5]
- CPAM DE L’HERAULT
- la SELARL ABDOU ET ASSOCIES
N° de minute :
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
POLE SOCIAL
CONTENTIEUX GENERAL DE SECURITE SOCIALE
JUGEMENT RENDU LE MARDI 28 MAI 2024
N° RG 23/00667 - N° Portalis DB22-W-B7H-RK3Z
Code NAC : 89E
DEMANDEUR :
Société [5]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Valéry ABDOU de la SELARL ABDOU ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON, substitué par Me François AJE, avocat au barreau de VERSAILLES,
DÉFENDEUR :
CPAM DE L’HERAULT
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par M. [E] [H] muni d’un pouvoir spécial
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Madame Béatrice LE BIDEAU, Vice Présidente /JU
Madame Laura CARBONI, Greffière
En présence de Madame [V] [T], auditrice de justice
En présence de Madame [C] [Y], greffière stagiaire
DEBATS : A l’audience publique tenue le 28 Mars 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 28 Mai 2024.
Pôle social - N° RG 23/00667 - N° Portalis DB22-W-B7H-RK3Z
FAITS ET PROCÉDURE :
Vu le recours formé le 24 mai 2023 par la société [5] devant le pôle social du tribunal judiciaire de Versailles à l'encontre de la décision de rejet implicite de la commission médicale de recours amiable qu’elle avait saisie aux fins de contester la décision de la CPAM de l'Hérault de prendre en charge l'ensemble des arrêts et soins prescrits à la suite de l'accident dont Monsieur [R] [J] a été victime le 05 avril 2022 ;
Vu la requête introductive d'instance déposée par la société [5], valant conclusions, demandant au tribunal de lui déclarer inopposables les soins et arrêts de travail dont a bénéficié Monsieur [R] [J] au-delà du 27 avril 2022 ; à titre subsidiaire d'ordonner une expertise médicale ;
Vu les conclusions déposées par la CPAM de l'Hérault demandant au tribunal de déclarer opposable à la société [5] l'ensemble des soins et arrêts de travail prescrits et pris en charge suite à l'accident du travail dont a été victime Monsieur [R] [J] le 05 avril 2022 jusqu'à la date de guérison fixée au 25 septembre 2022 ; de rejeter la demande d'expertise médicale judiciaire et de débouter la société [5] de l'ensemble de ses demandes ;
À l’audience du 28 mars 2024, le tribunal statue à juge unique conformément à l'article L. 218-1 du code de l'organisation judiciaire, après avoir reçu l'accord des parties présentes dûment informées de la possibilité de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure. Les parties représentées s’en rapportent oralement à leurs écritures et l’affaire est mise en délibéré au 28 mai 2024 par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Monsieur [R] [J], salarié au sein de la société [5], a été victime d'un accident survenu le 05 avril 2022 sur son lieu de travail.
Le certificat médical initial établi le 05 avril 2022 faisait mention d'une “gonalgie spontanée gauche au cours du travail” et prescrivait des soins ainsi qu'un arrêt de travail jusqu'au 17 avril 2022.
La CPAM de l'Hérault a reconnu d'emblée le caractère professionnel de cet accident et la décision a été notifiée aux parties par courrier du 17 mai 2022.
À la suite de la contestation de cette décision par la société [5], le pôle social du tribunal judiciaire de Versailles a, par jugement rendu le 28 novembre 2023, devenu définitif à défaut de recours à la suite de sa notification le 10 janvier 2024, déclaré opposable à la société [5] la décision de la caisse primaire d'assurance-maladie de l'Hérault en date du 17 mai 2022 de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de l'accident dont a été victime Monsieur [R] [J] le 05 avril 2022 et il a débouté la société [5] de l'intégralité de ses demandes.
La société [5] conteste la prise en charge des soins et arrêts de travail prescrits à la suite de cet accident, estimant qu'ils sont disproportionnés par rapport au sinistre survenu et qu’ils révèlent un état pathologique antérieur.
En application des articles 1353 du code civil et L. 411-1 du code de la sécurité sociale, la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que, comme en l'espèce, le certificat médical initial est assorti d'un arrêt de travail, s'étend à toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime, et il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 12 mai 2022, 20-20.655).
En l’espèce, à l'appui de sa demande en inopposabilité des arrêts et soins prescrits à Monsieur [R] [J], la société [5] fait valoir :
- la discordance entre la lésion initiale (traumatisme genou) et la longueur des arrêts (174 jours),
- le fait que les certificats de prolongation communiqués à l'employeur sont vides de tout renseignement médical et/ou illisibles, de sorte que l'employeur ignore tout de la nature et l'évolution des lésions inhérentes à l'accident,
- le défaut de production par la caisse des prescriptions médicales motivées justifiant une continuité de symptômes et de soins,
- le fait qu'il n'existe pas d'éléments formels permettant de considérer que le service de la caisse se soit bien assuré lors de ses propres contrôles du bien-fondé des prolongations du salarié, si contrôle il y a eu, car aucun document dans les pièces communiquées à l'employeur ne vient le prouver,
- le fait que le barème établi par la caisse elle-même indique qu'en cas d'entorse du ligament collatéral médial du genou, la durée des arrêts de travail est en moyenne de 21 jours,
- le fait que le barème du Docteur [A] indique qu'en cas d'entorse du genou la durée des arrêts de travail est en moyenne de trois mois,
- qu'aux termes de son rapport médical le Docteur [L], médecin désigné par l'employeur, met en évidence l'existence d'un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte et conclut à l'absence d'imputabilité professionnelle des soins et arrêts prescrits au-delà du 27 avril 2022.
Les moyens soutenus par la société [5] à l'appui de sa demande en inopposabilité des soins et arrêts de travail prescrits à Monsieur [R] [J] à la suite de son accident de travail sont, à l'exception du moyen soutenant l'existence d'un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte, impropres à écarter la présomption d'imputabilité à l'accident du travail des soins et arrêts de travail litigieux.
En effet, la société inverse la charge de la preuve, dès lors que jusqu'à la date de guérison ou de consolidation, l'employeur ne peut combattre cette présomption que par la preuve contraire d'une absence complète de lien entre les arrêts de travail prescrits et l'accident du travail du fait d'une cause extérieure au travail ou d'un état pathologique antérieur indépendant.
S’agissant de l’état pathologique antérieur, la société [5] produit le rapport d'expertise médicale de son médecin-conseil le docteur [M] [L] qui fait état du rapport du docteur [O] [G] du 08 février 2023 concluant : “assuré de 59 ans, en AT depuis le 5 avril 2022 pour douleur de genou gauche. Il n'existe pas de fait lésionnel lors de cet AT, la douleur est apparue lors de la marche sans traumatisme. État antérieur évident de type chondropathie dégénérative et lésions méniscales dégénératives mon imputables au travail du fait de l'absence de mécanisme lésionnel concordant.”
Le Docteur [L] conclut que, dans ces conditions, la douleur apparue au genou gauche déjà dégénératif, sans mécanisme lésionnel, ne peut être prise en charge au titre d'un accident du travail ; qu'il s'agit d'une maladie indépendante du travail évoluant pour son propre compte et que la prise en charge des soins et arrêts de travail ne peuvent être justifiés au-delà du 27 avril 2022.
Toutefois, ce rapport d'expertise médicale faisant état du rapport du docteur [O] [G] du 08 février 2023 avait déjà été produit devant le tribunal lors de la contestation de la décision de la CPAM de l'Hérault de prise en charge l'accident du travail.
Dans son jugement du 28 novembre 2023, le tribunal, pour déclarer opposable à la société [5] la décision de la CPAM de l'Hérault, a estimé que les explications du médecin consultant ne permettaient pas de considérer que l'état antérieur décrit était la cause exclusive de l'accident survenu le 05 avril 2022 et que le fait qu'il existe un état antérieur n'excluait pas le jeu de la présomption d'imputabilité des lésions à l'accident du travail dès lors que celui-ci a concouru à l'aggravation de cet état de santé. Il ajoutait que seule la démonstration que la pathologie prise en charge par la caisse relève exclusivement d'un état préexistant évoluant pour son propre compte et totalement étrangère au travail pourrait permettre le renversement de la présomption et que l'avis du médecin consultant de la société n'était pas suffisamment circonstancié pour justifier la mise en œuvre d'une expertise, laquelle ne peut suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve.
En l'espèce, la société [5] ne prouve pas que les lésions justifiant les arrêts de travail et les soins pris en charge par la caisse, en totalité ou partiellement, ont exclusivement pour origine l'état pathologique préexistant dont elles sont la manifestation spontanée et qu’elles n'ont donc pas pu être provoquées par les conditions de travail de Monsieur [R] [J], étant rappelé que la relation de causalité entre l'accident et les lésions à l'origine des arrêts de travail restent suffisantes même lorsque l'accident a seulement précipité l'évolution ou l'aggravation d'un état pathologique antérieur.
La présomption d'imputabilité ne peut être écartée que s'il est démontré que l'accident n'a joué aucun rôle dans l'évolution ou l'aggravation de cet état antérieur ou que cette évolution est complètement détachable de l'accident.
En l’occurrence, la société [5] ne produit aucun élément probant de nature à établir que l'arrêt de travail ou les soins sont susceptibles d'avoir une cause totalement étrangère au travail. Elle n'allègue, ni a fortiori ne démontre l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l'accident ou d'une cause postérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les soins et arrêts de travail postérieurs.
Elle n'apporte ainsi à l'appui de sa demande d’expertise aucun élément de nature à accréditer l'existence d'une cause propre à renverser la présomption d'imputabilité qui s'attache à la lésion initiale, à ses suites et à ses éventuelles complications ultérieures.
Dans ces conditions, et alors qu'une mesure d'expertise ne saurait avoir pour objet de suppléer la carence d'une partie dans la production de la preuve qui lui incombe, il convient de rejeter la demande d'expertise et de débouter la société de l’ensemble de ses demandes.
La société [5] qui succombe à l’instance sera condamnée aux dépens, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et par jugement contradictoire mis à disposition au greffe le 28 mai 2024 :
DÉBOUTE la société [5] de l'ensemble de ses demandes ;
DÉCLARE OPPOSABLE à la société [5] l'ensemble des soins et arrêts de travail prescrits à Monsieur [R] [J] consécutivement à son accident du travail du 05 avril 2022 ;
CONDAMNE la société [5] aux dépens.
DIT que tout appel de la présente décision doit, à peine de forclusion, être interjeté dans le mois de la réception de la notification de la présente décision.
La GreffièreLa Présidente
Madame Laura CARBONIMadame Béatrice LE BIDEAU