Minute n°
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Première Chambre
JUGEMENT
24 MAI 2024
N° RG 22/05396 - N° Portalis DB22-W-B7G-QTOW
Code NAC : 97Z
DEMANDEUR :
Monsieur [E] [P]
né le 18 Mai 1968 à [Localité 5] (91)
demeurant [Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Banna NDAO, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat postulant, et Me Maud BONDIGUEL-SCHINDLER, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant
DEFENDERESSE :
DIRECTION RÉGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES D’ILE DE FRANCE ET DE PARIS
Pôle de contrôle fiscal et des affaires juridiques, Pôle juridictionnel judiciaire
[Adresse 2]
[Localité 3]
dispensée du ministère d’avocat
ACTE INITIAL du 09 Mai 2022 reçu au greffe le 10 Octobre 2022.
DÉBATS : A l'audience publique tenue le 25 Mars 2024, Madame DURIGON, Vice-Présidente et Madame MARNAT, Juge, siégeant en qualité de juges rapporteurs avec l’accord des parties en application de l’article 805 du Code de procédure civile, assistées de Madame BEAUVALLET, Greffier, ont indiqué que l’affaire sera mise en délibéré au 24 Mai 2024.
MAGISTRATS AYANT DÉLIBÉRÉ :
Madame DURIGON, Vice-Présidente
Madame DAUCE, Vice-Présidente
Madame MARNAT, Juge
EXPOSE DU LITIGE
La société par actions simplifié FINAREA ALPHA se présente comme exerçant une activité de gestion et d'animation, de participations prises dans les sociétés éligibles au dispositif de la loi n°2007-1223 du 21 août 2007 dite loi Tepa. La souscription d'un apport en numéraire au capital de la société devait permettre aux particuliers assujettis à l'impôt solidarité sur la fortune (ci-après l'ISF) de réduire cet impôt d'un montant égal aux 75% de ce placement, en application de l'article 885-0 V bis du code général des impôts qui régit l'investissement direct fait au capital des petites et moyennes entreprises, sous conditions.
Au mois d'avril 2009, la société FINAREA ALPHA a souscrit à l'augmentation de capital de la société PACIFIC BIOTECH pour 33,5% de ses parts, puis, le 10 juin 2009, à celle de la société SHINE pour 33,3% de ses parts.
Monsieur [E] [P] a souscrit au capital de la société FINAREA ALPHA en juin 2009 pour la somme de 19.580 euros, puis en juin 2010 pour la somme de 20.370 euros. La société FINAREA ALPHA lui a alors délivré deux attestations fiscales en date du 31 juillet 2009 et du 2 juin 2010 précisant que les souscriptions étaient éligibles à cette réduction fiscale.
Monsieur [E] [P] a ensuite porté à ses déclarations fiscales d'impôt de solidarité sur la fortune des années 2009 et 2010 ces souscriptions et, sollicitant le bénéfice de la réduction d'impôt, a présenté les attestations établies par la société FINAREA ALPHA, lui faisant ainsi bénéficier d'une réduction d'ISF de 75% des versements soit une somme totale de 29.962 euros (14.685 euros pour l'année 2009 et 15.277 euros pour l'année 2010).
Remettant en cause l'avantage fiscal dont a bénéficié Monsieur [E] [P] au motif que la société FINAREA ALPHA n'avait pas la qualité de holding animatrice de groupe, la Direction Générale des Finances Publiques lui a adressé le 4 décembre 2012 une proposition de rectification de l'ISF au titre des années 2009 et 2010.
La société FINAREA ALPHA, agissant pour le compte de Monsieur [E] [P], a contesté cette proposition de rectification le 23 janvier 2013, qui a toutefois été maintenue en totalité par l'administration fiscale le 2 avril 2013. Par avis du 22 juillet 2013, la DGFIP a procédé à la mise en recouvrement de l'imposition pour la somme de 34.480 euros, dont 30.156 euros en principal.
La société FINAREA ALPHA a présenté une première réclamation contentieuse pour le compte de Monsieur [E] [P] le 24 décembre 2015 puis une seconde réclamation le 21 septembre 2021 qui a fait l'objet d'un rejet par la DGFIP le 17 mars 2022.
Par acte d’huissier en date du 9 mai 2022, Monsieur [E] [P] a fait assigner la Direction Régionale des Finances Publiques d'Ile de France et de Paris devant le Tribunal de céans aux fins de voir :
« Vu les articles 107 et 108-3, 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
Vu la décision n° 596/A/2007 de la Commission européenne ayant validé le dispositif issu de la loi n°2007-1223 du 21 août 2007 au regard du droit des aides d’Etat ;
Vu les articles 6-1 de la CEDH et 1 er -1 du Premier protocole additionnel à la CEDH ;
Vu les principes d’égalité des armes, du respect des droits de la défense, de loyauté ;
Vu le principe de la liberté du commerce et de l’industrie, le principe d’égalité devant la loi, le principe d’égalité devant les charges publiques ;
Vu les articles L. 55, L 57, L. 76 B, L. 80 A, L. 80 B, L. 143 du Livre des procédures fiscales ;
Vu les articles 3, 8, 10, 11, 132, 133, 134, 138, 142, 143, 144, 699, 700, 775 et 916 du code de procédure civile ;
Vu les articles L. 131-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution ;
Vu les articles 1134 (contrat formant la loi des parties), 1165 (effet relatif des contrats) et 1842 (personnalité morale des sociétés) du code civil, dans leur rédaction applicable en la cause ;
Vu les articles 885-0-V-bis, 885 I ter, et 1740 A du code général des impôts dans leur version applicable en la cause ; ensemble les articles 299 septies et 350 terdecies annexe III au code général des impôts ;
Vu les rescrits Truffle et Partech, tels que reconstitués, sans être démentis, par les concluants :
Vu les arrêts n°15/00923, 16/07043, 18/02728, 19/01663 et 19/03360 prononcés les 4 juillet 2017, 13 juin 2019, 28 janvier 2020, 21 septembre et 19 octobre 2021 par les Cours d’appel d’Angers, de Douai, de Reims, de Chambéry et de Poitiers,
- PRONONCER la décharge des rehaussements ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
- DECLARER irrégulière la procédure fiscale préalable à la présente procédure contentieuse ;
- EN CONSEQUENCE, ANNULER ladite procédure fiscale et PRONONCER la décharge des rehaussements ;
- REJETER comme étant infondée la décision de rehaussement puis de mise en recouvrement prise à l’encontre du concluant ;
- EN CONSEQUENCE, PRONONCER la décharge des rehaussements ;
LE CAS ECHEANT :
- ORDONNER la communication par la Direction régionale des finances publiques, ès qualités, sous astreinte provisoire, pendant deux mois, de 1.000€ par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification de la décision à intervenir, des rescrits Truffle et Partech dans leur version originale ou expurgée des éléments prétendument confidentiels ;
- ORDONNER que, passé ce délai de deux mois, la partie qui y a intérêt pourra saisir le juge de céans d’une demande de liquidation de l’astreinte provisoire et fixation de l’astreinte définitive ;
-en cas de difficulté d’interprétation du droit de l’Union européenne, poser à la Cour de justice de l’Union européenne des questions préjudicielles, dans les termes suivants ;
- « La décision de la Commission européenne réservant la réduction ISF-PME aux PME en phases liminaires de développement doit-elle être interprétée comme interdisant la réduction aux investissements dans des holdings animatrices ne détenant pas encore de participation à la date de la souscription voire dont l’actif n’est pas encore principalement composé de titres de participations ?
- « Le droit des aides d’Etat (articles 107 et 108 du TFUE, règlement n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d’application de l’article 93 du Traité CE, règlement n° 994/98 du Conseil du 7 mai 1998 sur l’application des articles 92 et 93 du Traité instituant la Communauté européenne à certaines catégories d’aides d’Etat horizontales) doit-il être interprété comme interdisant l’édiction de rescrits accordant un avantage fiscal aux seuls souscripteurs à certains véhicules d’investissement dans les PME ? Pareil rescrit ne doit-il pas donner lieu à notification préalable ? » ;
- « En présence d’un contribuable revendiquant l’application à son bénéfice de la norme fiscale énoncée dans un rescrit délivré à un autre contribuable, le principe d’effectivité du droit de l’Union européenne, ensemble la réglementation des aides d’Etat (articles 107 et 108 du TFUE, règlement n° 994/98 du Conseil du 7 mai 1998 sur l’application des articles 92 et 93 du Traité instituant la Communauté européenne à certaines catégories d’aides d’Etat horizontales) et les principes de libertés de circulation des capitaux, d’établissement et de prestations de services, ne commandent-ils pas au juge national d’ordonner la production du rescrit litigieux ? ».
- CONDAMNER la Direction régionale des finances publiques au paiement de 3.000€ au titre de
l’article 700 du code de procédure civile ;
Avec toutes conséquences de droit et de dépens. »
Monsieur [E] [P] soutient que les redressements dont il a fait l'objet sont irréguliers, faisant valoir l'absence de communication loyale par l'administration fiscale des pièces obtenues auprès de tiers lui ayant permis de qualifier la société FINAREA ALPHA de holding passive, la liste des pièces n'ayant pas été énoncée clairement et leur origine mentionnée sur la proposition de rectification s'étant avérée inexacte. Il ajoute que l'administration s'est abstenue de lui communiquer ces éléments avant la mise en recouvrement malgré sa demande et qu'elle n'a pas respecté l'obligation de motivation de sa réponse aux observations du contribuable en ne répondant pas à l'ensemble, présentées à l'appui de sa contestation des redressements.
Sur le fond, Monsieur [E] [P] soutient que les redressements ne sont pas légalement justifiés exposant que la société FINAREA ALPHA pouvait être considérée comme étant une holding animatrice éligible à la réduction d'ISF à la date des souscriptions ; il fait ainsi valoir que la société avait non seulement vocation à détenir des participations au capital social des sociétés PACIFIC BIOTECH et SHINE mais également à participer activement à la conduite de la politique de son groupe, à la stratégie et à la prise de décision au sein des filiales notamment l'adoption du budget annuel. Il ajoute que la société FINAREA ALPHA a déjà fait l'objet d'un contrôle fiscal à l'issu duquel l'administration a validé l'ensemble des charges qualifiées dans les comptes de la société d'animation, ces charges ayant été exposées dans le contexte de son activité de société holding animatrice.
Monsieur [E] [P] expose enfin que les redressements prononcés à son encontre, justifieraient le renvoi pour trois questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne. Il fait valoir en premier lieu que le fait de réserver le bénéfice de la réduction d'ISF-PME aux holdings déjà animatrices en excluant celles qui sont en phase de démarrage est contraire au droit de l'Union européenne, en particulier la décision de la Commission du 11 mars 2018 restreignant le bénéfice de la réduction d'ISF-PME aux PME aux stades liminaires de leur développement. En deuxième lieu, il soutient qu'il existe une inégalité de traitement devant la loi fiscale au motif que les souscripteurs aux holdings concurrentes Truffle et Partech pourraient bénéficier de la réduction d'ISF-PME pour souscription au capital de holdings animatrices en devenir, et que pourtant les souscripteurs aux holdings FINAREA, placés dans la même situation, n'auraient pas droit à cette réduction. Il ajoute à cet égard que les rescrits ainsi octroyés aux holdings Truffle et Partech étaient constitutifs d'une aide d'Etat et qu'ils auraient ainsi dû faire l'objet d'une notification auprès de la Commission. En troisième lieu, il expose que le refus de communication des rescrits Truffle et Partech serait contraire au droit de l'Union européenne en vertu du principe d'effectivité et des principes de libertés de circulation des capitaux, d'établissement et de prestation de services.
Bien que régulièrement citée, la Direction Régionale des Finances Publiques d'Ile de France et de Paris n'a pas constitué avocat et n'a signifié aucune conclusion.
Par jugement avant dire droit, le présent tribunal a :
- révoqué l’ordonnance de clôture en date du 9 novembre 2022,
- ordonné la réouverture des débats,
- renvoyé le dossier à l'audience de mise en état du 16 janvier 2024 pour :
conclusions de la Direction régionale des finances publiques d'Ile de France et de Paris, à signifier au plus tard le 15 décembre 2023 en réponse aux conclusions,conclusions éventuelles en demande au plus tard le 30 janvier 2024,dernières conclusions de la Direction régionale des finances publiques d'Ile de France et de Paris au plus tard le 10 mars 2024, - renvoyé à l'audience du 25 mars 2024 pour clôture et plaidoirie.
La Direction Régionale des Finances Publiques d'Ile de France et de Paris n'a pas constitué avocat et n'a signifié aucune conclusion. Le présent jugement, rendu en premier ressort, sera réputé contradictoire.
Le tribunal renvoie expressément à l'assignation délivrée par Monsieur [E] [P] qui vaut conclusions pour l'exposé des moyens du demandeur en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'affaire a été appelée à l'audience du 25 mars 2024, date à laquelle la clôture est intervenue, et l’affaire a été mise en délibéré au 24 mai 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de décharge des rehaussements
Sur la régularité de la procédure de rehaussement
L'article L.57 du livre des procédures fiscales dispose que l'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation.
Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée.
L'article R*57-1 du même code précise à cet égard que la proposition de rectification fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée.
L'article L.76 B du même code précise que l'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L.57 ou de la notification prévue à l'article L.76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande.
Monsieur [E] [P] reproche à la Direction Régionale des Finances Publiques d'Ile de France et de Paris de ne pas avoir respecté les dispositions des articles L 57 et L76 B du livre des procédures fiscales, rappelant que l'administration fiscale doit informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus auprès de tiers qu'elle a consultés pour proposer les rappels.
*S'agissant de la question de l'obligation de motivation, il ressort de la proposition de rectification du 4 décembre 2012 que l’administration fiscale a indiqué les éléments matériels constatés par le service à l'occasion des vérifications de comptabilité de la société FINAREA ALPHA et du GIE FINAREA Services et le schéma mis en place avec les sociétés opérationnelles tel qu'il résulte des différentes pièces. Il résulte de la lecture de cette proposition de rectification qu'elle cite les rapports de gestion de la société FINAREA ALPHA au titre des exercices clos le 30 juin 2009 et le 30 juin 2010 ce qui justifie, selon elle, que la souscription par la société FINAREA ALPHA au capital des sociétés opérationnelles PACIFIC BIOTECH et SHINE était motivée par la stratégie de développement fixée par ces sociétés. Elle indique que cela ressort également du contrat d'animation conclu avec ces sociétés qui limite le rôle de la société FINAREA ALPHA à des missions de conseil en stratégie de la filiation opérationnelle et des missions de mise en place et de réalisation du contrôle de gestion.
L'administration fiscale ajoute que la société FINAREA ALPHA dispose uniquement d'un droit de véto à leur conseil de direction et ne dispose pas de moyens propres, sa représentation étant assurée au sein de les sociétés opérationnelles par une tierce personne : « un gérant de participation » qui est son délégué permanent au sein de ces sociétés et assure ses fonctions notamment en siégeant au sein du conseil d’administration de direction de la filiale opérationnelle.
L'administration fiscale relève également que les prestations prévues au contrat d'animation mentionnent que la société opérationnelle a l'obligation de « posséder ou avoir la jouissance des équipements et matériels nécessaires au fonctionnement normal de ses services de telle sorte que la prestataire ne soir tenu à la réalisation d'aucun investissement » et de « mettre à la disposition du prestataire le personnel ainsi que les moyens matériels lui appartenant qui pourraient être nécessaires à l'exécution du contrat », et qu'à compter du 1er janvier 2010, la gestion fonctionnelle et opérationnelle de la société FINAREA ALPHA était assurée par le GIE FINAREA Services disposant d'un nombre de salariés limité.
Il résulte de ces éléments que l'administration fiscale a, dans sa proposition de rectification, précisé les règles de droit applicables aux investissements réalisés dans le cadre des dispositions de l'article 885-0V bis du code général des impôts et les conditions de la réduction d'ISF d'une part, et qu'elle s'est fondée sur des informations légales et financières accessibles au public, pour conclure à l'absence du caractère animateur de la société FINAREA ALPHA, d'autre part.
L'administration fiscale a exposé les raisons et les éléments qui l'ont conduite à prendre cette décision. Monsieur [E] [P], par le biais de la société FINAREA, a pu faire valoir ses observations de manière détaillée au vu de la proposition de rectification et des éléments y figurant.
Il résulte de ces éléments que la proposition de rectification est suffisamment motivée. Il doit être relevé qu'il n'en résulte aucune atteinte au principe des droits de la défense et à l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
En outre, l'administration fiscale a répondu de manière précise et détaillée aux observations de Monsieur [E] [P] de sorte que l'exigence de motivation prévue par l'article 57 du livre des procédures fiscales a été respectée.
*S'agissant de l'obligation d'information, cette obligation ne s'impose que pour les renseignements et documents effectivement utilisés par l’administration fiscale pour fonder les rectifications, qu'elle a obtenu de tiers, dont le contribuable doit être informé avec une précision suffisante pour lui permettre de discuter utilement leur origine ou de demander qu'ils soient mis à sa disposition.
Les obligations résultant de l'article L.76 B du LPF visent uniquement des documents sur lesquels l'administration se fonde pour établir un redressement. Cette obligation ne porte pas sur les documents rendus accessibles au public en vertu d'une obligation légale lesquels ne doivent être mis à la disposition du contribuable que si celui-ci indique n'avoir pu y avoir accès.
En outre, aucune disposition ne prévoit la communication des documents qui n'ont pas été utilisés pour fonder une imposition.
Il ne peut être reproché à l'administration de ne pas avoir communiqué à Monsieur [E] [P] la totalité de la procédure de vérification de la comptabilité des sociétés FINAREA ALPHA et GIE FINAREA Services alors que seuls certains documents, dont la nature et l'origine sont précisés, ont effectivement été utilisés pour fonder ses rectifications et servir de base au rehaussement.
Monsieur [E] [P] fait valoir que l'administration fiscale n'a pas communiqué tous les documents sélectionnés pour justifier des redressements fiscaux.
Il doit être relevé que la demande de communication de pièce de Monsieur [E] [P] ne visait aucun document en particulier.
Il résulte des éléments produits aux débats que l'administration fiscale a satisfait à son obligation de communication des pièces obtenues auprès de tiers et qui sont le soutien de la proposition de rectification l'ayant conduite à ne pas reconnaître à la société FINAREA ALPHA la qualité de holding animatrice et à son obligation de motivation. En outre, l'administration fiscale a satisfait à son obligation de loyauté au vu des éléments contenus dans la proposition de rectification, des documents sur lesquels l'administration fiscale a fondé sa décision.
La procédure de rehaussement n'est pas entachée d'irrégularité. Il ne sera donc pas fait droit à la demande de Monsieur [E] [P].
Sur le bien-fondé du redressement fiscal
L'article 885-0 V bis du code général des impôts, dans sa version applicable, a institué le principe d'une réduction de l'ISF à hauteur de 75 % des versements effectués par les contribuables qui souscrivent au capital d'une société constituant une PME exerçant exclusivement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale et se trouvant en phase d'amorçage, de démarrage ou d'expansion, au sens des lignes directrices concernant les aides d'Etat visant à promouvoir les investissements en capital-investissement dans les PME (2006/C 194/02).
La société au capital de laquelle le redevable souscrit doit exercer exclusivement une ou plusieurs activités éligibles, à savoir une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Sont en revanche exclues :
les activités civiles (autres qu'agricoles, libérales ou assimilées fiscalement à des activités commerciales) notamment les activités de gestion de patrimoine mobilier définies à l'article 885 O quater du code générale des impôts,les activités de gestion ou de location d'immeubles sauf si la souscription est effectuée au capital d'entreprises solidaires exerçant une activité de gestion immobilière à vocation sociale.
L'activité financière des sociétés holding les exclut en principe du champ d'application de la réduction. Cependant, pour l'application de ce dispositif, il y a lieu d'assimiler les sociétés holding animatrices de leur groupe à des sociétés ayant une activité opérationnelle si les conditions prévues pour l'octroi de ce régime de faveur sont satisfaites.
Les sociétés holding animatrices sont celles qui outre la gestion d'un portefeuille de participations :
- participent activement à la conduite de la politique de leur groupe et au contrôle de leurs filiales constituant des PME exerçant une activité commerciale, industrielle artisanale agricole ou libérale et se trouvant en phase d'amorçage, de démarrage ou d'expansion,
- et rendent le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture à ces filiales de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers.
Les sociétés holding passives qui sont de simples gestionnaires d'un portefeuille mobilier sont exclues du bénéfice de la réduction d'impôt.
Il est de principe qu'une société holding qui ne contrôle aucune filiale opérationnelle ne peut être qualifiée de holding animatrice et ne peut donc pas être assimilée aux PME visées par l'article 885-0V bis du code général des impôts dans sa rédaction applicable aux circonstances de l'espèce, de sorte que la souscription à son capital n'est pas éligible à la réduction d'ISF prévue par ce texte.
L'article 299 septies de l'annexe III du code général des impôts dans sa version applicable au présent litige, dispose que lorsqu'un contribuable souscrit au capital d'une société dans les conditions prévues aux 1 et 1 bis ou au 2 du I de l'article 885-0V bis du code général des impôts, cette société lui délivre un état individuel précisant notamment qu'elle satisfait aux conditions exigées par le texte, qu'il peut joindre à sa déclaration d'ISF ou fournir dans les trois mois suivant la date limite de dépôt de sa déclaration.
La remise de ce document qui constitue une formalité nécessaire à l'obtention de l'avantage en cause, ne suffit pas à démontrer que les conditions prévues à l'article 885-0V bis du code général des impôts sont réunies et ne confère pas de droit au contribuable à bénéficier de la réduction d'impôt à laquelle il prétend, quand bien même il est de bonne foi. En outre, aucune règle n'impose à l'administration fiscale d'établir avant de procéder à la rectification de l'imposition du contribuable qu'il avait connaissance du caractère erroné du document joint à sa déclaration.
Monsieur [E] [P] soutient que la société FINAREA ALPHA exerçait une activité de holding animatrice.
Il convient de relever que la participation effective à la conduite de la politique du groupe doit s'apprécier en considération de la mise en oeuvre des moyens d'animation dont la holding dispose, le seul fait qu'elle ait le pouvoir d'animer sa filiale opérationnelle n'étant pas suffisant à lui conférer la qualité de holding animatrice. En effet, la société holding doit, par le biais de ses participations dans les filiales, concourir à une véritable activité industrielle ou commerciale en mobilisant des moyens spécifiques. Il doit ainsi être démontré que la société holding ne se limite pas à gérer son portefeuille de titres mais qu'elle entretient des relations l'amenant à contrôler gérer et animer ses filiales.
La preuve du caractère « d'animatrice » s'apprécie au plus tard au jour du fait générateur de l'impôt et la seule circonstance que l'objet social de la société FINAREA ALPHA est d'animer des filiales n'est pas suffisant à démontrer la réalité de l'animation.
Il y a donc lieu de se placer à la date des investissements de Monsieur [E] [P], soit en 2009 et 2010, pour déterminer si à cette époque, la société FINAREA ALPHA exerçait une activité industrielle commerciale artisanale agricole ou libérale.
Il résulte de la proposition de rectification du 4 décembre 2012 (pièce n°19) que la société FINAREA ALPHA a été constituée le 23 mai 2008 et qu'elle a souscrit au capital de la société PACIFIC BIOTECH en avril 2009 à hauteur de 33,5% du capital de celle-ci, le reste du capital étant toujours détenu par les associés historiques, et au capital de la société SHINE le 10 juin 2009 à hauteur de 33,3% du capital de celle-ci, le reste du capital étant toujours détenu par son associé unique historique. Il n'est pas contesté qu'à la clôture de son premier exercice le 30 juin 2009, l'actif de la société FINAREA ALPHA était composé de participations à hauteur de 72,97%, de valeurs mobilières de placement et disponibilités à hauteur de 14,73% et d'autres actifs à hauteur de 12,30%. A la clôture de son deuxième exercice le 30 juin 2010, l'actif de la société FINAREA ALPHA était composé de participations à hauteur de 55,91%, de valeurs mobilières de placement et disponibilités à hauteur de 31,17% et d'autres actifs à hauteur de 12,92%.
Aux dates de souscriptions de Monsieur [E] [P] au capital de la société FINAREA ALPHA, cette société avait des participations dans le capital des sociétés PACIFIC BIOTECH et SHINE, mais comme le relève la proposition de rectification, la société FINAREA ALPHA ne détenait qu'une participation minoritaire et les dirigeants historiques ont été maintenus à la direction des sociétés.
L'administration fiscale en a déduit que la société FINAREA ALPHA ne disposait que d'un droit de véto pour lui permettre de s'assurer que la politique menée soit conforme à ses intérêts et à ceux de ses actionnaires, le rôle de la société FINAREA ALPHA se cantonnant à un rôle d'accompagnement de la stratégie initiée par les dirigeants historiques au vu des conventions conclues avec chacune des sociétés opérationnelles.
Monsieur [E] [P] soutient que la société FINAREA ALPHA doit être qualifiée de holding animatrice en raison des éléments suivants :
- l'objet social de la société FINAREA ALPHA qui en substance a toujours été le coaching actif des jeunes PME par l'animation de ses participations,
- le savoir-faire apporté aux PME en particulier par la fourniture d'un business plan,
- les moyens dont la société FINAREA ALPHA s'est d'emblée dotée de réaliser cet objet social par la mise en place d'un comité d'investissement,
- l'exigence de la part des fondateurs des PME, en contrepartie de ses prises de participation, d'un modèle de statuts type, d'un contrat d'animation relatant le détail des prestations qui seraient fournies moyennant rémunération aux PME cibles et d'un pacte d'actionnaire type imposé aux PME,
- le processus de prise de décision au sein de chaque filiale permettant qu'aucune décision importante ne puisse être prise sans l'accord de la holding FINAREA ALPHA ni qu'aucune décision stratégique ou dépense ne soit décidée dans l'aval de la société FINAREA ALPHA.
Si ces éléments caractérisent l'élaboration d'un dispositif de nature à permettre d'animer les sociétés opérationnelles, il n'est pas établi que les principales décisions relatives à la politique économique et stratégique ou concernant la gestion du groupe ont bien été prises par la société FINAREA ALPHA, comme le relève l'administration fiscale, et qu'ainsi ces moyens ont été concrètement mis en œuvre et abouti à ce que la société FINAREA ALPHA définisse effectivement la politique du groupe constitué avec ses filiales.
Aucun élément produit aux débats ne permet de démontrer que la société FINAREA ALPHA a défini effectivement la politique du groupe constitué avec ses filiales.
En outre, si l'avis du comité d'investissement de la société FINAREA ALPHA a été assorti de préconisations, il s'agissait d'accompagner la société PACIFIC BIOTECH sur le plan du management sans qu'aucun élément du dossier ne vienne démontrer que la société FINAREA ALPHA dispose du pouvoir d'imposer ses propres vues au dirigeant de la PME qui conservait l'ensemble de ses prérogatives.
Il doit être relevé que la surveillance exercée au travers de son droit de véto ne signifie pas qu'elle impulsait la stratégie de ses filiales mais seulement qu'elle pouvait s'opposer à la conduite d'une politique économique mise en œuvre par les actionnaires majoritaires, ce qui n'est pas révélateur en soi d'une animation effective de ses filiales, comme l'a relevé l'administration fiscale.
Le rapport de gestion de l'exercice social de la société FINAREA ALPHA clos le 30 juin 2010 établit que les dirigeants des sociétés PACIFIC BIOTECH et SHINE assurent la maîtrise de la stratégie de la société et conduisent seuls sa politique.
Les pièces produites par Monsieur [E] [P] sont insuffisantes à établir le rôle d'animateur effectif de la société FINAREA ALPHA qui n'a au vu de celles-ci qu'un simple rôle d'accompagnement mais n'est dotée d'aucun pouvoir décisionnel, lequel est le fait de l'actionnaire majoritaire.
Enfin, Monsieur [E] [P] ne rapporte aucun élément probant de nature à établir que la société FINAREA ALPHA dispose de moyens propres, alors que le contrat d'animation prévoyait au contraire que les sociétés opérationnelles avaient l'obligation de « posséder ou avoir la jouissance des équipements et matériels nécessaires au fonctionnement normal de [leurs] services de telle sorte que le Prestataire ne soit tenu à la réalisation d'aucun investissement », et que la gestion fonctionnelle et opérationnelle de la société FINAREA ALPHA était assurée par le GIE FINAREA Services disposant d'un nombre de salariés limité.
Les éléments produits aux débats ne permettent pas de démontrer que le dispositif d'animation élaboré par la société FINAREA ALPHA a concrètement été mis en œuvre et lui a permis de définir la politique du groupe.
Monsieur [E] [P] ne rapporte pas la preuve que l'activité d'animation de groupe de la société FINAREA ALPHA revêtait un caractère prépondérant par rapport à ses activités de nature civile, qu'elle avait effectivement mis en œuvre les moyens dont elle disposait pour animer ses filiales en prenant des décisions de politique commerciale ou d'orientation stratégique s'imposant aux sociétés PACIFIC BIOTECH et SHINE, de sorte qu'elle ne pouvait être considérée comme une société holding animatrice aux dates de souscriptions de ce dernier.
Or, une société holding qui ne contrôle aucune filiale opérationnelle ne peut être qualifiée de holding « animatrice » et ne peut donc être assimilée aux PME visées à l'article 885-0 V bis du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable, de sorte que la souscription à son capital n'est pas éligible à la réduction d'ISF prévue par ce texte.
En conséquence de quoi, la demande de Monsieur [E] [P] n’est pas justifiée et sera rejetée.
Sur les questions préjudicielles
Sur la demande de question préjudicielle : « La décision de la Commission européenne réservant la réduction ISF-PME aux PME en phases liminaires de développement doit-elle être interprétée comme interdisant la réduction aux investissements dans des holdings animatrices ne détenant pas encore de participation à la date de la souscription voire dont l’actif n’est pas encore principalement composé de titres de participations ? »
Il doit être relevé que la question relative à l'éligibilité de la réduction fiscale aux holdings animatrices ne détenant pas encore de participation porte sur l'application par le juge national d'une disposition de droit interne ; l'interprétation préalable d'une norme de droit européen n’est donc pas requise.
La première question préjudicielle soulevée par Monsieur [E] [P] est dépourvue d’intérêt et de pertinence dans la mesure la décision rendue par la Commission européenne C(2008)1055 du 11 mars 2008, à laquelle il se reporte, ne fait aucune référence à la notion de société holding animatrice et n'a pas considéré que la réduction d'impôt ISF-PME instituait une aide incompatible avec le droit communautaire.
Par ailleurs, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne n'est pas applicable au présent litige, l'ISF n'entrant pas dans le champ d'application du droit de l'Union européenne, tout comme s’agissant de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui n'est pas applicable au contentieux fiscal lorsque le contribuable se contente, comme en l'espèce, de contester le bien-fondé des suppléments d'impôts mis à sa charge sans présenter de contestations relatives aux pénalités.
Les rehaussements d'ISF ne sont donc pas contraires au droit de l'union européenne et aux principes de l'égalité devant la loi et devant les charges publiques.
Le demandeur sera donc débouté de sa demande de question préjudicielle qui n’est pas justifiée.
Sur la question préjudicielle et la communication des rescrits Truffle et Partech
L'article 267 du traité de fonctionnement de l'Union européenne dispose que la Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur l'interprétation des traités, sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union. Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.
L'article L80 B-1er du livre des procédures fiscales dispose que le rescrit individuel consiste pour l'administration à prendre position sur l'appréciation d'une situation de fait qui lui est présentée au regard d'un texte fiscal.
En l'espèce, les rescrits fiscaux litigieux dans les dossiers de sociétés concurrentes Truffle et Partech ont été obtenus par les deux sociétés sur la base de montages juridiques et fiscaux précis, et de circonstances de faits qui sont propres à ces personnes morales. Ces avis n'ont pas pour vocation de fixer des règles sur la réduction d'ISF en faveur de l'investissement dans les PME alors que le cadre juridique de ce dispositif est fixé par les dispositions de l'article 885-0V bis du code général des impôts.
Ainsi, ils n'ont pas de portée générale qui les rendraient opposables à tous les contribuables et la demande de communication des rescrits Truffle et Partech est dès lors sans intérêt pour la résolution du litige.
Il n'y a donc pas lieu d'ordonner la communication des rescrits Truffle et Partech.
Il résulte de la combinaison de l'ensemble de ces éléments qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de question préjudicielle en lien avec les rescrits Truffle et Partech ainsi qu'à la communication des rescrits Truffle et Partech.
Il sera débouté de sa demande.
Sur les autres demandes
Compte tenu du sens du présent jugement, l’exécution provisoire sera écartée.
Il y a lieu de condamner Monsieur [E] [P] aux dépens et de le débouter de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort,
DÉBOUTE Monsieur [E] [P] de toutes ses demandes,
CONDAMNE Monsieur [E] [P] aux dépens,
ECARTE l'exécution provisoire du présent jugement.
Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 MAI 2024 par Madame DURIGON, Vice-Présidente, assistée de Madame BEAUVALLET, greffier, lesquelles ont signé la minute du présent jugement.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT