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16/05/2024 | FRANCE | N°22/01803

France | France, Tribunal judiciaire de Versailles, Troisième chambre, 16 mai 2024, 22/01803


Minute n°


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
16 MAI 2024


N° RG 22/01803 - N° Portalis DB22-W-B7G-QP7R
Code NAC : 58E
A.G.



DEMANDERESSE :

La société [5], société par actions simplifiée immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES sous le numéro
383 614 336 dont le siège social est situé [Adresse 7], agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Philippe MEILHAC et Maître Amb

roise DE PRADEL DE LAMAZE, tous deux avocats plaidants au barreau de PARIS avec Maître Cindy FOUTEL, avocat postulant au barreau de...

Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
16 MAI 2024

N° RG 22/01803 - N° Portalis DB22-W-B7G-QP7R
Code NAC : 58E
A.G.

DEMANDERESSE :

La société [5], société par actions simplifiée immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES sous le numéro
383 614 336 dont le siège social est situé [Adresse 7], agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Philippe MEILHAC et Maître Ambroise DE PRADEL DE LAMAZE, tous deux avocats plaidants au barreau de PARIS avec Maître Cindy FOUTEL, avocat postulant au barreau de VERSAILLES.

DÉFENDERESSES :

1/ La société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, société d’assurance mutuelle immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LE MANS sous le numéro 775 652 126 dont le siège social est situé [Adresse 2], agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

2/ La société MMA IARD, société anonyme immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LE MANS sous le numéro 440 048 882 dont le siège social est situé [Adresse 1], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Jean-Marie COSTE FLORET, avocat plaidant au barreau de PARIS et par Maître Danielle ABITAN-BESSIS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES.

ACTE INITIAL du 14 Mars 2022 reçu au greffe le 17 Mars 2022.

DÉBATS : A l'audience publique tenue le 20 Février 2024, Monsieur JOLY, Président de la Chambre, a mis l’affaire en délibéré au 16 Mai 2024.

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
M. JOLY, Vice-Président
Madame GARDE, Juge
Madame VERNERET-LAMOUR, Juge placé

GREFFIER : Madame LOPES DOS SANTOS

* * * * * *

EXPOSE DU LITIGE

La société [5] exploite quatre restaurants sous l’enseigne [5], [4], [3] et le Kiosque situés dans le [Adresse 6] (78).

Pour l’exercice de son activité, elle a souscrit le 12 février 2019, par l’intermédiaire de la société Mériel Assurances, agent général exclusif MMA, un contrat d’assurance Pro-PME n° 129068742 auprès des MMA couvrant, notamment, les pertes d’exploitation de ses quatre établissements.

Considérant que la fermeture des jardins et parcs de Versailles pendant l’épidémie de Covid-19 constituait “une impossibilité d’accès” la privant de ses revenus d’exploitation au sens des garanties souscrites, elle a, par courrier du 10 juin 2020, procédé à une déclaration de sinistre auprès de son assureur. Puis, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 4 septembre 2020, elle a mis en demeure les MMA de faire connaître leur position sur le sinistre allégué. Un refus de garantie lui a été opposé par lettre recommandée en date du 10 septembre 2020, réitérée le 10 décembre 2020, les MMA estimant que le contrat d’assurance souscrit excluait l’indemnisation des pertes d’exploitation résultant d’une mesure émanant des autorités administratives ou judiciaires prise en raison de risques de contamination d’épidémie ou de pandémie.

C’est dans ces conditions que, par exploits introductifs d’instance délivrés le
14 mars et le 27 avril 2022, la société [5] a fait assigner les sociétés MMA Iard (RG n° 22/01803) et MMA Iard Assurances Mutuelles (RG n° 22/02888) devant le tribunal judiciaire de Versailles en mobilisation de leurs garanties et indemnisation des pertes d’exploitation subies. Les deux affaires ont été jointes par décision du juge de la mise en état rendue le 18 octobre 2022 sous l’unique numéro de RG n° 22/01803.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées au greffe par
voie électronique le 24 avril 2023, la société [5] demande au
tribunal de :

A titre principal,

- Constater que les conditions relatives à la garantie « pertes d’exploitation » prévues par les conditions générales du contrat d’assurance Pro-PME consécutives à « l’impossibilité d’accès » aux établissements exploités par la société [5] sont acquises à la société [5], à raison de la fermeture du [Adresse 6],
- En tant que de besoin, écarter comme abusive la condition de la garantie relative « à l’atteinte aux moyens de transport habituellement utilisés »,
- En tant que de besoin, écarter la clause d’exclusion comme i) non applicable au cas d’espèce et ii) en toute hypothèse nulle car dénuée de caractère très apparent,

Par conséquent,

- Condamner, en exécution du contrat d’assurance Pro-PME, la société MMA Iard à payer à la société [5] la somme de 1.034.585 € au titre de la perte d’exploitation subie par les établissements pour la période du 19 mars au 6 juin 2020,
- Condamner, en exécution du contrat d’assurance Pro-PME, la société MMA Iard à payer à la société [5] la somme de 1.515.985 € au titre de la perte d’exploitation subie par les établissements pour la période du 30 octobre 2020 au 19 mai 2021,

Ou à défaut de condamnation immédiate,

- Juger avant dire droit que la société [5] est fondée à demander à la société MMA Iard en application du contrat d’assurance souscrit, l’indemnisation de la perte d’exploitation subie pendant la période des impossibilités d’accès dont elle a fait l’objet,
- Surseoir à statuer, dans l’attente du rapport d’expertise, sur le montant de l’indemnité que MMA Iard devra allouer à la société [5],
- Désigner tel expert qu’il plaira au tribunal pour :
* Se faire communiquer tous documents et pièces utiles à l’accomplissement de sa mission,
* Fixer le montant de la perte d’exploitation subie par la société la Flottille pendant la période de fermeture dont elle a fait l’objet :
* Prendre en considération le chiffre d’affaires réalisé durant les différentes fermetures ordonnées par les autorités :
* Du 19 mars 2020 au 6 juin 2020,
* Du 30 octobre 2020 au 19 mai 2021,
* Calculer le chiffre d’affaires qui aurait été réalisé en l’absence des impossibilités d’accès,

* Calculer la perte de chiffre d’affaires par soustraction du chiffre d’affaires réalisé à celui qui aurait été réalisé en l’absence des impossibilités d’accès,
* Déterminer le taux de marge brute,
* Appliquer ce taux à la perte de chiffre d’affaires,
* Entendre tout sachant lui permettant de mener à bien sa mission d’expertise,
* Dire que l’expert sera et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile et qu’il déposera l’original et une copie de son rapport au greffe du tribunal de commerce (sic) de céans dans le délai qui lui sera imparti,
* Fixer la provision à consigner au greffe à titre d’avance sur les honoraires de l’expert dans le délai qui sera imparti dans la décision à intervenir,
* Réserver les dépens.
- Condamner la société MMA Iard au versement, à titre de provision, à la société la Flottille d’une somme égale à 75 % de la perte d’exploitation raisonnablement estimée total de 2.550.000 €, soit 1.687.500 €,
- Convoquer, à réception du rapport d’expertise, les parties en audience publique aux fins de conclusions en ouverture de rapport,

A titre subsidiaire,

- Relever que MMA Iard a engagé sa responsabilité civile vis-à-vis de la société [5] pour défaut de conseil, pour lui avoir fait signer une police standard non adaptée à sa situation très particulière et faute de lui avoir conseillé spécifiquement d’être assurée en cas de fermeture des accès aux parcs et jardins du Château de Versailles,
- Dire que la perte de chance est de 100 %,
- Condamner MMA Iard à payer à la société [5] – à raison d‘une perte de chance de 100 % - la somme de 1.034.585 € au titre de la perte d’exploitation subie par ses établissements pour la période du 19 mars 2020 au 6 juin 2020,
- Condamner, MMA Iard à payer à la société [5] – à raison d‘une perte de chance de 100 % - la somme de 1.515.985 € au titre de la perte d’exploitation subie par ses établissements pour la période du 30 octobre 2020 au 19 mai 2021.

En tout état de cause,

- Condamner la société MMA Iard à payer à la société [5] la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,
- Rappeler l’exécution provisoire attachée au jugement à intervenir.

La société [5] indique, au visa des articles 1103, 1188, 1189, 1190 et suivants du code civil ainsi que L. 113-1 du code des assurances, que les contrats d’assurance s’interprètent de la manière la plus favorable à l’assuré.

Elle rappelle que les jardins et parcs du Château de Versailles, qui font partie du domaine de Versailles sous le régime d’établissement public à caractère administratif, ont été fermés du 19 mars au 6 juin 2020 puis du 30 octobre 2020 au 18 mai 2021 inclus. Elle soutient, sur le fondement des conditions générales du contrat, que les MMA lui doivent leur garantie en cas d’impossibilité d’accès liée à une mesure d’interdiction d’accès émanant des autorités administratives ou judiciaires prise à la suite d’un événement soudain, imprévisible et extérieur à son activité ou aux bâtiments dans lesquels elle l’exerce. Elle relève, en l’espèce, que la fermeture des parcs et jardins du Château de Versailles a empêché toute personne physique de pouvoir se rendre à pieds dans ses établissements, pour un service sur place ou à emporter, et opère une distinction entre l’impossibilité d’accès liée à la fermeture des parcs et jardins d’une part, et celle liée à l’interdiction d’accueillir du public dans les restaurants d’autre part.

Les sociétés MMA ne contestant pas la condition de garantie relative à la notion de “moyen de transport”, les développements qui y sont consacrés par la société [5] sont dépourvus d’objet.

Elle considère que la clause d’exclusion d’une mesure émanant des autorités administratives ou judiciaires prise en raison de risques de contamination d’épidémie ou de pandémie s’applique seulement aux cas de fermeture individuelle d’un établissement et non aux cas de fermeture générale. Plus précisément, elle prétend que le “ou” introduisant le second tiret distributif (prise en raison de risques de contamination d’épidémie ou de pandémie) renvoie au premier tiret (de fermeture de votre établissement pour cause de fraude, atteinte à l’ordre public ou inobservation des normes sanitaires) et à l’hypothèse d’une fermeture individuelle. Elle en tient pour preuve le paragraphe suivant, lequel liste les exceptions à la règle, toujours dans le cadre d’une fermeture individuelle. Elle ajoute, en application des articles L. 113-1 et L. 112-4 du code des assurances, que cette clause n’est ni formelle (précision du champ d’application), ni limitée (par rapport à la garantie), ni apparente (même police et même taille que le reste des conditions), ce qui la lui rend inopposable.

Elle prétend, à titre subsidiaire, que les MMA ont manqué à leur devoir d’information et de conseil en ne lui proposant pas un contrat d’assurance adapté aux particularités de son établissement (dans un endroit clos, soumis à un régime administratif) et demande, en conséquence, l’allocation de dommages et intérêts à hauteur du préjudice subi.

Elle explique, s’agissant du montant de ses pertes d’exploitation, que ces dernières doivent, en application des conditions générales, être évaluées de gré à gré ou par expertise. Elle indique avoir eu recours à son expert-comptable qui a estimé sa perte de marge brute d’exploitation cumulée sur la période courant du 15 mars au 2 juin 2020, puis du 30 octobre 2020 au 18 mai 2021, à la somme de 2.550.000 €. Elle demande, à défaut, la désignation d’un expert judiciaire et le versement d’une provision qu’elle évalue à 75 % du montant calculé par l’expert comptable, soit 1.687.500 €.

Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées au greffe par voie électronique le 8 juin 2023, les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles demandent au tribunal de :

- Juger que les conditions d’application des garanties ne sont pas réunies,

Et à défaut,
- Juger opposable l’exclusion contractuelle de garantie,
- Juger mal fondée l’action pour manquement à une obligation de conseil,

En conséquence,

- Débouter la société [5] de toutes ses demandes, fins et prétentions,
- Condamner la société [5] au paiement aux MMA Iard et Iard Assurances Mutuelles d’une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Les MMA exposent, au visa des articles 1101 et suivants du code civil, que le contrat d’assurance fait la loi des parties et que les juges du fond ont le devoir de l’appliquer sans pouvoir le modifier. Elles ajoutent, sur le fondement des articles 1188, 1189 et 1192 du code civil, que le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties, en préservant la cohérence de l’acte tout entier.

Elles ne contestent pas que le [Adresse 6] a été fermé du
19 mars au 11 mai 2020. Elles considèrent, en revanche, qu’il n’est pas justifié d’une fermeture imposée par les pouvoirs publics durant le second confinement.

Elles soulignent que le sinistre dont il est demandé l’indemnisation, caractérisé par la fermeture des établissements assurés, se serait réalisé quand bien même les parcs et jardins seraient restés ouverts et ce, du seul fait des mesures d’interdiction d’accueillir du public. Or, elles observent que le risque de fermeture d’un établissement en raison d’une épidémie n’est pas garanti. Elles en concluent que les conditions de mobilisation de leur garantie ne sont pas réunies.

Elles ajoutent que si la garantie “impossibilité d’accès” s’applique notamment aux mesures d’interdiction d’accès émanant des autorités administratives ou judiciaires prises à la suite d’un événement soudain, imprévisible et extérieur à l’activité ou aux bâtiments dans lesquels elle est exercée, la police souscrite exclut expressément toute mesure prise en raison de risques de contamination d’épidémie ou de pandémie. Elles répliquent que cette exclusion s’applique à toutes les pertes d’exploitation, comme l’indique expressément la tabulation de la clause. Elles considèrent que l’exclusion est parfaitement limitée puisqu’elle laisse dans le champ de la garantie “impossibilité d’accès” toutes les mesures émanant des autorités publiques qui auraient une autre cause qu’une épidémie ou une pandémie.

Elles relèvent, en tout état de cause, que la garantie a pour objet de replacer l’assuré dans la situation financière qui aurait été la sienne sans l’interruption ou la réduction d’activité entraînée par la survenance des événements. Elles font grief à la société [5] de faire fi des facteurs intérieurs et extérieurs qui, indépendamment de la fermeture des jardins, auraient eu une incidence directe sur son activité et ses résultats (mesures d’interdiction de recevoir du public ; confinement de la population).

Elles indiquent, à titre subsidiaire, que les pertes d’exploitation s’évaluent au regard de la perte de marge brute ajoutée aux frais supplémentaires d’exploitation, dont sont déduites les charges épargnées. Elles prétendent
qu’il faut tenir compte des économies sur les loyers / redevances ; charges sociales / salaires et charges d’exploitation.

Elles réfutent, enfin, tout manquement à leur obligation d’information et de conseil. Elles rappellent que la société [5] a souscrit sa police d’assurance en toute connaissance de cause et qu’il ne peut être fait grief à l’agent d’assurance, mandataire, de ne pas lui avoir proposé d’autres garanties que celle souscrite, le contrat litigieux étant un contrat d’adhésion et non un contrat sur-mesure. Elles ajoutent que l’épidémie de Covid-19 est un événement sans précédent, sans lien avec les aléas inhérents à l’exploitation de restaurants.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 juillet 2023.

MOTIFS

Sur la garantie pertes d’exploitation après impossibilité d’accès à l’établissement

Sur les conditions de mobilisation de la garantie

Aux termes de l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

Il incombe à l’assuré, afin de bénéficier des prestations d’assurance alléguées, de prouver que les conditions de mobilisation de la garantie souscrite auprès de son assureur sont remplies.

Les conditions générales du contrat d’assurance souscrit prévoient, en page 41, une garantie pertes d’exploitation après impossibilité d’accès à l’établissement.

Plus précisément, l’interruption ou la réduction d’activité doit être consécutive à “une impossibilité ou à des difficultés d’accéder à vos *établissements *désignés aux Conditions Particulières par les moyens de transport habituellement utilisés lorsque cette impossibilité ou ces difficultés résultent :
de dommages matériels *survenant à moins de 1.000 mètres de votre* établissement * dès lors que ces dommages auraient été couverts au titre de votre *assurance Incendie et risques annexes, dégâts des eaux et autres liquides, liquides endommagés ou perdus, tempête, grêle, neige*, avalanche* et catastrophes naturelles s’ils avaient affecté vos* locaux*ou
d’une mesure d’interdiction d’accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, prise à la suite d’un événement soudain, imprévisible et extérieur à votre *activité ou aux bâtiments dans lesquels vous * l’exercez (...)”.
En l’espèce, il s’infère des arrêtés n° 78-2020-03-19-003 du 19 mars 2020 et
n° 78-2020-03-30-001 du 30 mars 2020 de la préfecture des Yvelines mais également des décrets n° 2020-293 du 23 mars 2020, 2020-423 du 14 avril 2020, 2020-548 du 11 mai 2020 et 2020-663 du 31 mai 2020 que les jardins et parcs du Château de Versailles, qui appartiennent à l’établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles, ont été fermés du
19 mars 2020 au 31 mai 2020. Ils l’ont également été, eu égard à leur statut spécifique les incluant dans le domaine de Versailles et les assimilant à
des musées, par décrets n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 et suivants, du
30 octobre 2020 au 19 mai 2021.

Les MMA ne contestent pas que l’épidémie de Covid-19 s’est manifestée de manière soudaine, imprévisible et extérieure à l’activité exercée par la société [5] ou à ses bâtiments. Elles ne contestent pas davantage que la fermeture des parcs et jardins, au sein desquels sont implantés les établissements de restauration, a empêché la clientèle de s’y rendre par les moyens de transport habituellement utilisés, c’est-à-dire par voie pédestre.

La société [5] rapporte ainsi la preuve d’une interruption d’activité consécutive à une impossibilité d’accès à ses quatre établissements par les moyens de transport habituellement utilisés résultant d’une mesure d’interdiction émanant des autorités administratives prise à la suite d’un événement soudain, imprévisible et extérieur à son activité ou aux bâtiments dans lesquels elle l’exerce.

Sur la clause d’exclusion de garantie

Les conditions générales du contrat d’assurance comprennent, en page 45, un encart coloré avec une police en gras sur “CE QUI EST EXCLU” libellé dans les termes suivants :

“Outre les dommages mentionnés au chapitre “Ce qui n’est jamais garanti” ne sont pas prises en charge les pertes d’exploitation résultant :
(...)
d’une mesure émanant des autorités administratives ou judiciaires :- de fermeture de votre* établissement* pour cause de fraude, atteinte à l’ordre public ou inobservation des normes sanitaires ;
- ou prise en raison de risques de contamination d’épidémie ou de pandémie.
Toutefois, si vous* exercez une activité d’hôtellerie et/ou de restauration, cette exclusion ne concerne pas la fermeture de votre *établissement *pour cause de maladie* contagieuse, assassinat, suicide, décès d’un client, survenant dans votre* établissement*, (...)”

Sur sa validité
Selon l’article L. 112-4 du code des assurances, les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents.

En l’espèce, le paragraphe consacré aux exclusions de garantie est présenté dans un encart distinct dont le fond est coloré (à la différence des autres termes du contrat), avec comme titre “CE QUI EST EXCLU” en majuscule et en gras. Tous les cas d’exclusion sont ensuite énumérés en gras, sous forme de puces.

La clause d’exclusion contestée, mentionnée en caractères très apparents, que ce soit en termes de police ou de formalisme, respecte ainsi les dispositions légales.

Sur son champ d’application
En vertu de l’article L. 113-1, alinéa 1, du code des assurances, les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.

Il est de principe que les clauses d’exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu’elles doivent être interprétées et qu’elles ne se réfèrent pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées.

Il appartient à l’assureur qui entend se prévaloir d’une clause d’exclusion de garantie de rapporter la preuve de son application au cas d’espèce.

Selon l’article 1188 du code civil, le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes.
Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.

En vertu de l’article 1192 du même code, on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation.

En l’espèce, la manière dont la clause d’exclusion est rédigée et présentée, sous forme de puces, introduit, dans l’hypothèse d’une impossibilité d’accès ou de difficultés d’accès résultant d’une mesure émanant des autorités administratives ou judiciaires, deux cas d’exclusion distincts : l’un en cas de fermeture individuelle de l’établissement pour cause de fraude, atteinte à l’ordre public ou inobservation des normes sanitaires et l’autre en cas de mesure prise en raison de risques de contamination d’épidémie ou de pandémie.

Si le premier tiret circonscrit expressément son champ d’application à une fermeture individuelle de l’établissement assuré, tel n’est pas le cas du second tiret qui s’applique à toute mesure émanant des autorités administratives ou judiciaires. L’indépendance de la seconde proposition par rapport à la première est d’ailleurs confirmée par la conjonction de coordination “ou”.

S’agissant du dernier paragraphe introduit par le connecteur logique “Toutefois”, les termes employés font référence à la fermeture individuelle de l’établissement assuré et, par conséquent, au premier tiret distributif, première cause d’exclusion.

La clause d’exclusion de garantie se réfère, enfin, à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées puisqu’elle est circonscrite, s’agissant de son volet critiqué, aux impossibilités ou difficultés d’accès aux établissements assurés par les moyens de transport habituellement utilisés lorsque cette impossibilité ou ces difficultés résultent d’une mesure émanant des autorités administratives ou judiciaires prise à la suite d’un événement soudain, imprévisible et extérieur à l’activité exercée et aux bâtiments concernés, en raison de risques de contaminations d’épidémie ou de pandémie.

Sont donc garantis, a contrario, tous les autres motifs.

C’est ainsi à juste titre, au regard des termes clairs et précis des conditions générales du contrat d’assurance - que le tribunal n’a pas, sous peine de dénaturation, à interpréter - que les MMA ont opposé une exclusion de garantie à la société [5] pour l’indemnisation de ses pertes d’exploitation sur le fondement de la garantie “impossibilité d’accès”, les mesures de police administrative de fermeture des parcs et jardins du Château de Versailles (assimilés à des musées) ayant été prises en raison de risques de contamination d’épidémie ou de pandémie et, plus particulièrement, en raison de risques de contamination en lien avec l’épidémie de Covid-19.

Sur le manquement de l’assureur à son devoir d’information et de conseil

Le devoir d’information et de conseil qui pèse sur l’assureur - et sur son agent général, dont il est de plein droit responsable en vertu des dispositions de l’article L.511-1 du code des assurances - lui prescrit de renseigner et d’éclairer l’assuré sur les conditions, l’ampleur et les restrictions de la garantie qu’il souscrit.

Lors de la souscription de son contrat le 12 février 2019, la société [5] a reconnu que les conditions générales n° 352N de l’assurance MMA Pro-PME, les conventions spéciales n° 165D de l’assurance MMA Pro-PME ainsi que les statuts de MMA Iard Assurances Mutuelles lui avaient été remis et qu’elle en avait pris connaissance.

Les développements précédents établissent que la lecture des clauses claires et précises de la police lui permettait de connaître les conditions du contrat et, notamment, le champ d’application de la garantie “impossibilité d’accès”.

La société [5] a donc souscrit le contrat d’assurance en parfaite connaissance de cause, tant sur le plan des conditions de mobilisation de la garantie que des risques susceptibles d’en être exclus.

Il sera d’ailleurs observé que, si elle succombe en ses demandes, ce n’est pas en raison d’une inadaptation de la garantie souscrite à la situation géographique de ses établissements (les conditions de mobilisation de la garantie “impossibilité d’accès” étant réunies) mais bien en raison d’une exclusion de garantie, elle-même indifférente à ladite situation géographique.

Ainsi, le manquement de l’assureur à son devoir d’information et de conseil n’est pas prouvé et les demandes indemnitaires présentées sur ce fondement seront rejetées.

Sur les autres demandes

Sur les dépens

Conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

La société [5], qui succombe en ses demandes, sera condamnée aux dépens de l’instance.

Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

La société [5], qui succombe en ses demandes, sera condamnée à payer aux MMA la somme qu’il est équitable de fixer, eu égard aux situations économiques respectives des parties, à la somme de 3.000 €.

Sur l’exécution provisoire

En application de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la décision rendue n’en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,

REJETTE l’intégralité des demandes de la société [5],

CONDAMNE la société [5] à payer aux sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société [5] aux dépens de l’instance,

RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 16 MAI 2024 par M. JOLY, Vice-Président, assisté de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, lesquels ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT
Carla LOPES DOS SANTOS Eric JOLY


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Versailles
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 22/01803
Date de la décision : 16/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-16;22.01803 ?
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