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14/05/2024 | FRANCE | N°23/00983

France | France, Tribunal judiciaire de Versailles, Troisième chambre, 14 mai 2024, 23/00983


Minute n°




TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
14 MAI 2024


N° RG 23/00983 - N° Portalis DB22-W-B7H-RE2W
Code NAC : 30B



DEMANDERESSE :

La société GARAGE DE [Localité 5] SARL, société à responsabilité limitée immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES sous le numéro 314 910 282 ayant son siège social [Adresse 2] [Localité 5], représentée par son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Guillaume NICOLAS de la

SCP PIRIOU METZ NICOLAS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES et par Maître
Anne-France DE HARTINGH, avocat plaidant au barreau ...

Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
14 MAI 2024

N° RG 23/00983 - N° Portalis DB22-W-B7H-RE2W
Code NAC : 30B

DEMANDERESSE :

La société GARAGE DE [Localité 5] SARL, société à responsabilité limitée immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES sous le numéro 314 910 282 ayant son siège social [Adresse 2] [Localité 5], représentée par son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Guillaume NICOLAS de la SCP PIRIOU METZ NICOLAS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES et par Maître
Anne-France DE HARTINGH, avocat plaidant au barreau de PARIS.

DÉFENDERESSE :

La SOCIETE D’EXPLOITATION GARAGE VERSAILLES, société à responsabilité limitée immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES, sous le numéro 399 986 587 dont le siège social est sis [Adresse 3] [Localité 5], agissant poursuites et diligences de son dirigeant en exercice domicilié en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Ivan CORVAISIER de la SELARL CORVAISIER AVOCATS ASSOCIES, avocat plaidant/postulant au barreau de VERSAILLES.

PARTIE(S) INTERVENANTE(S) :

La SELARL ML CONSEILS prise en la personne de Maître [E] [W] agissant en qualité de Mandataire Judiciaire de la SOCIETE D’EXPLOITATION GARAGE [Localité 5], domicilié [Adresse 4] [Localité 5], nommé à cette fonction par un jugement du Tribunal de Commerce de Versailles rendu le 18 février 2020,

La SELARL. AJASSOCIES prise en la personne de Maître [Y] [C] agissant en qualité de Commissaire à l’exécution du plan de redressement de la SOCIETE D’EXPLOITATION GARAGE [Localité 5], domicilié [Adresse 1] [Localité 5], nommé à cette fonction par un jugement du Tribunal de Commerce de Versailles rendu le 18 janvier 2022,

représentées par Maître Ivan CORVAISIER de la SELARL CORVAISIER AVOCATS ASSOCIES, avocat plaidant/postulant au barreau de VERSAILLES.

* * * * * *

ACTE INITIAL du 15 Février 2023 reçu au greffe le 16 Février 2023.

DÉBATS : A l'audience publique tenue le 04 Avril 2024 Madame GARDE, Juge, siégeant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du Code de Procédure Civile, assistée de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, a indiqué que l’affaire sera mise en délibéré au 14 Mai 2024.

EN PRÉSENCE DE : Madame Agathe RUELLAN, Auditrice de justice

* * * * * *

EXPOSÉ DU LITIGE
La société Garage de [Localité 5] est propriétaire de locaux dépendant d’un ensemble immobilier situé [Adresse 2] à [Localité 5] (78). Son capital social est divisé entre Monsieur [X] [N], Madame [I] [N], son épouse, et leurs filles, Madame [Z] [M] et Madame [V] [G], qui disposent chacun de 25 % du capital.
Par acte du 4 décembre 2002, la société Garage de [Localité 5] a donné à bail commercial à la société d’exploitation Garage [Localité 5], dont Madame [V] [G] est gérante, des locaux à usage de garage dépendant de l’ensemble immobilier susvisé, pour une durée de neuf années à compter du 1er octobre 2002, moyennant un loyer annuel de 36.000 € hors taxes. Arrivé à échéance, le bail a été tacitement prorogé.
Par avenant en date du 17 octobre 2003, prenant effet au 1er octobre 2003, le loyer a été abaissé à la somme annuelle de 30.600 € hors taxes.
Se prévalant d’un défaut de paiement des loyers à compter du 4e trimestre de l’année 2015, la société Garage de [Localité 5] a fait délivrer à la société d’exploitation Garage [Localité 5], le 16 octobre 2017, un commandement visant la clause résolutoire d’avoir à payer la somme de 76.803 € selon décompte arrêté au 1er octobre 2017.
Par exploit d’huissier en date du 20 février 2018, la société Garage de [Localité 5] a fait assigner la société d’exploitation Garage [Localité 5] devant le juge des référés de Versailles aux fins de résiliation de plein droit du contrat de bail, paiement des arriérés locatifs et fixation de l’indemnité d’occupation.
Par ordonnance en date du 26 juillet 2018, le juge des référés du tribunal de grande instance de Versailles a rejeté la demande de la société Garage de [Localité 5], se prévalant de l’existence de contestations sérieuses.
C’est dans ces conditions que, par exploit introductif d’instance signifié le 18 octobre 2019, la société Garage de [Localité 5] a fait assigner la société d’exploitation Garage [Localité 5] devant le tribunal judiciaire de Versailles aux mêmes fins. L’affaire a été enrôlée sous le RG n° 19/07170.
Par jugement du tribunal de commerce de [Localité 5] en date du 18 février 2020, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte au bénéfice de la société d’exploitation Garage [Localité 5]. Puis, par jugement du 18 janvier 2022, le tribunal de commerce de Versailles a arrêté un plan de redressement par continuation au bénéfice de la société d’exploitation Garage [Localité 5].
Des pourparlers ont alors été engagés entre les parties. Mais, en l’absence de diligences pour une demande de retrait du rôle, une ordonnance de radiation a été rendue le 29 novembre 2022. C’est donc par ordonnance en date du 16 février 2023 que le juge de la mise en état a ordonné le rétablissement au rôle de la présente affaire, sous le numéro de RG 23/00983.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées au greffe par voie électronique le 17 février 2023, la société Garage de [Localité 5] demande au tribunal de : GA
Donc en substance, tu es saisie :
Demande de résiliation judiciaire du contratDemande de fixation au passif de la procédure collective des créances nées antérieurement au jugement d’ouvertureDemande de condamnation en paiement pour les créances nées postérieurement au jugement d’ouverture

Prononcer la résiliation judiciaire du bail GALa résiliation judiciaire suit un régime distinct de la résiliation de plein droit : la résiliation judiciaire suppose une appréciation du tribunal sur la gravité des manquements commis alors qu’il faut mais il suffit, pour une résiliation de plein droit, la délivrance d’un commandement de payer visant la clause résolutoire infructueux dans le délai d’un mois suivant sa délivrance
consenti à la société d’exploitation Garage [Localité 5],Ordonner en conséquence son expulsion ainsi que celle de toute personne dans les lieux de son fait et ce avec l’assistance du commissaire de police et de la force armée s’il y a lieu,
Ordonner le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux dans tel garde meuble qu’il plaira à la bailleresse de désigner et ce aux faits, risques et périls de la défenderesse,Juger que faute par celle-ci d’avoir vidé les lieux et restitué les clés à la date impartie par le jugement à intervenir, elle sera tenue à compter du 1er jour calendaire suivant le délai imparti pour libérer les lieux de payer à la bailleresse une astreinte définitive de 500 € par jour de retard,Dans l’hypothèse où le tribunal de céans s’estimerait incompétent sur cette demande que la concluante formulerait alors devant le Juge commissaire, et en toute hypothèse :
Condamner les défendeurs au paiement des loyers dus depuis la date d’ouverture de la procédure collective, soit 107.972,46 € dont 35.547,54 € (1.227,54 € au titre du prorata de loyers du mois de février 2020 + 34.320 € au titre des mois de mars 2020 à janvier 2021) avec intérêts au taux légal à compter du 18 janvier 2021 et pour le surplus à compter de la notification des présentes,Condamner les défendeurs au paiement des loyers courants à compter du 1er décembre 2022 jusqu’au jugement à intervenir,Condamner les défendeurs au paiement des loyers majorés de 10 % à compter de la décision à intervenir et jusqu’à complète restitution des locaux vides de tous biens et de tous occupants,Ordonner l’inscription au passif du redressement judiciaire de la société d’exploitation du Garage de [Localité 5] de la somme en principal de 273.130,40 €, décompte arrêté au 28 novembre 2022, ainsi que du coût du commandement de payer délivré le 16 octobre 2017, soit 408,78 €, et du coût de levée des états des privilèges et nantissements soit 48,44 € et 41,59 €,Condamner les défendeurs au paiement d’une somme de 5.000 € en vertu de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens de la présente instance,Juger que le montant du dépôt de garantie versé par la société d’exploitation du Garage de [Localité 5] sera acquis à la demanderesse à titre de dommages et intérêts au regard notamment de l’ampleur de la dette accumulée et de l’absence de tout versement y compris depuis l’exercice par l’administrateur de l’option de continuation du contrat de bail commercial,Rappeler que l’exécution provisoire de la décision à intervenir est de droit.

La société Garage de [Localité 5] fonde sa demande de résiliation judiciaire du contrat de bail sur les articles L.622-13 et L.622-14 du code de commerce. Elle explique que, si l’ouverture d’une procédure collective s’oppose à l’action du bailleur en acquisition de la clause résolutoire et en paiement des arriérés locatifs à la date d’ouverture du jugement, celui-ci conserve la faculté de faire constater, dans un délai de trois mois à compter du jugement d’ouverture, la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et des charges postérieurs au jugement concerné. GATrès clair ! Bravo
Elle indique que l’administrateur nommé dans le cadre de la procédure collective, tout en optant pour la poursuite du bail, n’a réglé aucun loyer depuis le 18 février 2020, portant ainsi la dette locative à la somme de 235.690,40 € au 31 décembre 2021. Elle ajoute qu’aucun versement n’a eu lieu depuis l’adoption du plan de continuation par le jugement du 18 janvier 2022 et que la situation continue de s’aggraver, avec un arriéré s’élevant désormais à la somme totale de 273.130,40 €, échéance du mois de novembre 2022 incluse.GACe n’est pas clair

Elle réplique que dans la mesure où un plan de continuation de l’activité a été adopté, la présente juridiction est bien compétente pour statuer sur sa demande. GAC’est un moyen essentiel, attention

Au soutien de sa demande d’inscription au passif, elle expose qu’aucun paiement n’est intervenu depuis le 4ème trimestre 2015. Elle conteste l’accord verbal invoqué par la société d’exploitation Garage [Localité 5] dans un courrier adressé à l’huissier de justice après délivrance du commandement de payer en date du 16 octobre 2017, consistant en une suspension du paiement des loyers en compensation de la réalisation de travaux. Elle prétend que, si de nombreux pourparlers GANombreux pourparlers ?
ont été engagés en raison des liens familiaux existant entre les associés des deux sociétés, le preneur n’a jamais prouvé avoir réalisé de travaux. Elle réfute le caractère probant des devis produits. Elle explique que l’un a été établi par une entreprise radiée depuis 2015 et l’autre par une société se trouvant en Espagne. GATon moyen : les pièces versées aux débats ne sont pas probantes et ne peuvent fonder les allégations adverses.
Elle ajoute qu’ils sont postérieurs à la cessation de règlement des loyers et d’un montant largement inférieur à la somme exigible. Elle relève encore qu’ils ne sont ni complets, ni précis. Elle souligne, enfin, qu’aucune demande de travaux ne lui est parvenue et que, si tel avait été le cas, elle aurait exécuté ses obligations - sous réserve que le preneur exécute les siennes.
S’agissant, enfin, de la créance née postérieurement à la date d’ouverture de la procédure collective, elle demande une condamnation en paiement à hauteur de 107.972,46 € selon décompte arrêté au 30 novembre 2022.
Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées au greffe par voie électronique le 2 juin 2023, la société d’exploitation Garage [Localité 5], la Selarl ML Conseils, ès qualités de mandataire judiciaire, ainsi que la SELARL AJ Associés, ès qualités de commissaire à l’exécution du plan, demandent au tribunal de :
In limine litis :
Prendre acte du plan de redressement de la société d’exploitation Garage [Localité 5],Constater l’intervention volontaire de la Selarl AJ Associés, prise en la personne de Maître [Y] [C], ès qualités de commissaire à l’exécution du plan de la société d’exploitation Garage [Localité 5],Déclarer le commandement de payer en date du 16 octobre 2017 nul et dépourvu de tout effet,A titre principal :
Constater l’irrecevabilité des demandes de la société Garage de [Localité 5] en acquisition de la clause résolutoire ainsi que sa demande de condamnation de la société d’exploitation Garage [Localité 5] au paiement de loyers arriérés,Au surplus :
Constater l’existence d’un accord verbal entre les parties,Constater une violation par le bailleur de son obligation de mise à disposition de locaux conforme du fait de la présence d’amiante dans les plafonds du bâtiment,Débouter la demanderesse de l’ensemble de ses demandes,A titre subsidiaire :
Ordonner l’inscription au passif du redressement judiciaire de la société d’exploitation Garage [Localité 5] d’une créance de loyer de 46.920 €,En tout état de cause :
Condamner la société Garage de [Localité 5] au paiement de la somme de 2.000 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, Dire que la société Garage de [Localité 5] conservera à sa charge le paiement des frais et dépens taxables de la présente instance, en ceux compris le coût du commandement de payer signifié le 16 octobre 2017. La société d’exploitation Garage [Localité 5] fait valoir que le commandement de payer signifié le 16 octobre 2017 ne mentionne pas la clause résolutoire du bail litigieux. Elle soutient également, sur le fondement de l’article L.145-41 du code de commerce, que le commandement de payer visant la clause résolutoire doit, à peine de nullité, énoncer clairement le délai d’un mois imparti au preneur pour s’exécuter. Elle explique qu’il ressort du commandement de payer concerné la mention tantôt d’une absence de délai, tantôt d’un délai d’un mois et, qu’à défaut de délai clair, il ne peut produire effet. GALa conséquence juridique, c’est la privation d’effet.

La société d’exploitation Garage [Localité 5] consacre de longs développements à la recevabilité et au bien-fondé d’une demande de résiliation de plein droit du contrat de bail. Toutefois, l’acquisition de la clause résolutoire n’étant pas poursuivie par la société Garage de [Localité 5], les développements qui y sont consacrés sont sans objet.
Pour s’opposer à la demande de résiliation judiciaire du bail, elle se fonde sur les articles L.622-13 et L.622-14 du code de commerce. Elle expose, en premier lieu, que le bailleur ne peut agir en résolution du bail qu’à l’issue d’un délai de trois mois à compter du jugement d’ouverture de la procédure collective. Le jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire ayant été rendu le 18 février 2020, elle indique que la société Garage de [Localité 5] ne pouvait pas agir pour solliciter la résiliation judiciaire du bail avant le 19 mai 2020. L’assignation ayant été délivrée le 18 octobre 2019, elle en déduit que la demande a été forméeGAC’est une erreur matérielle des conclusions : l’assignation est datée du 18 octobre 2019. D’ailleurs, si ça avait été le 18 octobre 2020, ça n’aurait eu aucun sens : le délai de 3 mois aurait été respecté
hors délai de trois mois. Elle ajoute, au visa de la jurisprudence, que le commandement de payer antérieur au jugement d’ouverture ne produit pas d’effet postérieur en l’absence de décision passée en force de chose jugée. Elle se fonde, en second lieu, sur l’article R.641-21 du code de commerce pour soutenir que la requête en résiliation du bail relève de la seule compétence du juge commissaire.
Pour contrer les demandes en paiement formées, elle se fonde sur les dispositions d’ordre public issues des articles L.622-21 et L.631-14 du code de commerce précisant que le jugement d’ouverture interdit toute action en justice de la part des créanciers aux fins de résolution pour défaut de paiement.
Elle réfute enfin toute demande d’inscription au passif en raison de l’existence d’un accord verbal entre les parties, à tout le moins jusqu’au commandement de payer du 16 octobre 2017. Elle soutient que le demandeur a attendu deux années avant de solliciter le paiement des loyers et que l’abandon de la créance s’explique par la relation familiale liant les parties. A titre subsidiaire, elle consent à l’inscription d’une créance de 46.920 € correspondant aux loyers courant du mois de novembre 2017 au 18 février 2020, après déduction de la somme de 3.000 € réglée en août 2018.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 janvier 2024.

MOTIFS
Les dispositions issues de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations étant applicables aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, il sera fait référence, dans le présent jugement, à l’ancienne numérotation du code civil.
Propos liminaires
La société Garage de [Localité 5] ne poursuivant pas la résiliation de plein droit du contrat de bail, il n’y a pas lieu, pour le tribunal, de statuer sur l’irrecevabilité soulevée en réponse par la société d’exploitation Garage [Localité 5].
Par ailleurs, invité à déposer son dossier de plaidoiries, le conseil de la société d’exploitation Garage [Localité 5] a indiqué avoir adressé une lettre de décharge à sa cliente le 31 octobre 2023. Aucune pièce n’a ainsi été déposée au soutien de ses prétentions.
Sur la demande de nullité du commandement de payer délivré
Selon l’article 1134 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
L’article L. 145-41, alinéa 1, du code de commerce, dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
La condition résolutoire ne pouvant être mise en oeuvre que pour un manquement à une stipulation expresse du bail, ce manquement doit être contractuellement sanctionné par la clause résolutoire et les conditions d’application d’une telle clause doivent être interprétées strictement. Il appartient au bailleur d’établir la persistance de l’infraction aux clauses du bail après l’expiration du délai de mise en demeure.
En tout état de cause, le commandement visant la clause résolutoire doit, pour produire effet, être suffisamment clair et précis sur ses causes et le délai donné au débiteur pour s’exécuter.
En l’espèce, la clause résolutoire stipulée au bail est libellée dans les termes suivants :
“Le contrat est résilié de plein droit en cas de non paiement du loyer et/ou de toutes sommes dues en vertu du présent contrat ou du non respect de l’une quelconque de ses dispositions, après un délai d’un mois suivant la signification d’un commandement visant la présente clause, demeuré sans effet”.

Le commandement de payer visant la clause résolutoire, signifié le 16 octobre 2017, ne reproduit pas la clause résolutoire stipulée au bail.
De plus, les mentions portées sur le commandement de payer relatives au délai consenti au preneur pour s’exécuter sont contradictoires, les premières lignes lui intimant de s’exécuter sur-le-champ, tandis que les suivantes rappellent les dispositions de l’article L. 145-41 du code de commerce et le délai d’un mois applicable.
Or, la sanction automatique attachée à l’acquisition de la clause résolutoire du bail suppose que le commandement délivré soit suffisamment clair et précis afin de permettre au preneur d’agir en toute connaissance de cause et ce, indépendamment du règlement ou non des sommes dues.
Dans ces conditions, le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré par la société Garage de [Localité 5] à la société d’exploitation Garage [Localité 5] le 16 octobre 2017 sera déclaré nul et de nul effet.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de bail
Sur la compétence du tribunal pour statuer sur cette demande
En vertu de l’article L. 622-14, 2°, du code de commerce, dépendant du chapitre II “De l’entreprise au cours de la période d’observation”, la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et utilisés pour l’activité de l’entreprise intervient lorsque le bailleur demande la résiliation ou fait constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, le bailleur ne pouvant agir qu’au terme d’un délai de trois mois à compter dudit jugement.
L’article L. 631-14 du code de commerce précise, en son premier alinéa, que les articles L. 622-3 à L. 622-9, à l’exception de l’article L. 622-6-1, et L. 622-13 à L. 622-33 sont applicables à la procédure de redressement judiciaire.
En l’espèce, la société d’exploitation Garage [Localité 5] n’est plus soumise à procédure collective ni, a fortiori, à période d’observation, puisqu’un plan de redressement a été adopté par le tribunal de commerce de Versailles le 18 janvier 2022.
Dans ces conditions, la demande de résiliation judiciaire du contrat de bail est soumise aux dispositions de droit commun et non à celles spécifiques aux procédures collectives.
Sur le bien-fondé de cette demande
Selon l’article 1728 du code civil, le preneur est tenu de payer le prix du bail aux termes convenus.
L’article 1184 du code civil dispose que la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.
En application de l’article 1315 du code civil, ceui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
En l’espèce, le bail a été consenti et accepté moyennant le paiement d’un loyer annuel de 36.000 € assujetti à la TVA et indexé sur l’indice ICC. Puis, à compter du 1er octobre 2003, le loyer a été ramené à la somme de 30.600 €.
S’il résulte d’un courrier du 19 octobre 2017 adressé par le conseil de la société d’exploitation Garage [Localité 5] aux huissiers de justice à l’origine de la signification du commandement de payer visant la clause résolutoire délivré quelques jours auparavant que la société bailleresse aurait consenti une exonération de loyer au preneur, ces allégations ne sont pas prouvées.
Le manquement de la société Garage de [Localité 5] à son obligation de délivrance n’est pas davantage établi.
Enfin, la société d’exploitation Garage [Localité 5] ne démontre pas s’être acquittée, en tout ou partie, des sommes dues depuis l’adoption du plan de redressement par continuation de l’activité.
Les impayés récurrents de la société d’exploitation Garage [Localité 5] depuis plusieurs années constituent ainsi un motif grave et légitime justifiant le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de bail.
Corrélativement, l’expulsion de la société d’exploitation Garage [Localité 5] des locaux donnés à bail sera ordonnée dans les termes du dispositif.
Selon l’article L. 131-1 du code des procédures civiles d’exécution, tout juge peut, même d’office, ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision.
En l’espèce, aucun élément ne laisse préjuger une résistance de la société d’exploitation Garage [Localité 5] à l’exécution de la présente décision.
Dès lors, le prononcé d’une astreinte sera écarté.

Sur la demande d’inscription au passif de la procédure collective
S’agissant des créances antérieures à l’ouverture de la procédure collective
L’article L 622-21, I, du code de commerce, auquel renvoie l’article L. 631-14 du même code, prévoit que le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.
L’article L. 622-22 du code de commerce dispose que, sous réserve des dispositions de l'article L. 625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L. 626-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.
Le tribunal de commerce de Versailles a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société d’exploitation Garage [Localité 5] par jugement du 18 février 2020.
Au soutien de sa demande de fixation au passif de la procédure collective, la société Garage de [Localité 5] produit :
- un décompte locatif arrêté au 30 décembre 2021 pour un solde restant dû de 235.690,40 €,
- une déclaration de créance auprès des organes de la procédure collective à hauteur de 157.979,18 € au titre des loyers impayés à la date du 18 février 2020, frais de commandement et article 700 du code de procédure civile (sans aucun détail),
- deux courriers du mandataire judiciaire accusant réception de déclarations de créances à hauteur de 73.440 € à titre privilégié et 84.539,18 € à titre chirographaire.
Le loyer mensuel de 3.120 € figurant au décompte locatif est conforme aux stipulations contractuelles. Le prorata du loyer du mois de février 2020 (du 1er au 17 février inclus) s’élève ainsi à hauteur de 1.828,97 € (3.120 / 29 x 17), pour un solde restant dû, au 18 février 2020 non inclus, de 165.759,37 € (163.930,40 + 1.828,97)
Si la société Garage de [Localité 5] poursuit la fixation d’une créance de 273.130,40 € selon décompte arrêté au 28 novembre 2022, elle n’a procédé qu’à une seule déclaration de créance d’un montant de 157.979,18 € selon décompte arrêté au 18 février 2020.
La condamnation sera, par conséquent, limitée à ce seul montant et les autres demandes seront rejetées, étant précisé que le coût du commandement de payer délivré le 16 octobre 2017, soit 408,78 €, et le coût de levée des états des privilèges et nantissements, soit 48,44 € et 41,59 €, relèvent des dépens de l’instance.
Sur les demandes en paiement
S’agissant des créances nées entre l’ouverture de la procédure collective et l’adoption du plan de redressement
L’article L. 622-17, I, du code de commerce, dans sa version applicable au présent jugement, dispose que les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance.
La charge de la preuve incombe au créancier.
La demande en paiement formée par la société Garage de [Localité 5], nonobstant l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, est donc recevable.
En l’espèce, il est acquis aux débats qu’un plan de redressement par continuation de l’activité a été adopté. Toutefois, la société Garage de [Localité 5] ne démontre pas que les organes de la procédure collective aient régulièrement opté pour la continuation de l’activité dans les locaux objets du litige. En effet, aucune pièce justificative n’est versée aux débats.
Dans ces conditions, la demande en paiement à échéance des loyers échus entre le 18 février 2020, date du jugement d’ouverture de la procédure collective, et le 18 janvier 2022, date d’adoption du plan de redressement, sera rejetée.
S’agissant des loyers dus depuis l’adoption du plan de redressement
Selon l’article 1134 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Depuis l’adoption du plan de redressement, l’exécution des obligations de paiement du preneur est soumise au droit commun.
La demande en paiement formée par la société Garage de [Localité 5] est donc recevable.
La société Garage de [Localité 5] ne précise pas le montant du loyer applicable depuis le 1er janvier 2022 (le décompte versé aux débats s’arrêtant au 30 décembre 2021).

Dans ces conditions, le montant de la créance due entre le 1er décembre 2022 et le 14 mai 2024 inclus sera calculé sur la base d’un loyer mensuel de 3.120 €, soit 54.449,03 € (17 x 3.120 + 3.120 / 31 x 14).
S’agissant de la conservation du montant du dépôt de garantie
En vertu de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de ses prétentions.
Selon l’article 1153 du code civil, dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement.
En l’espèce, la société d’exploitation Garage [Localité 5] ne prouve pas l’existence d’un préjudice distinct de celui réparé par les intérêts au taux légal.
En conséquence, la demande présentée, qui n’est pas justifiée, sera rejetée.
S’agissant de l’indemnité d’occupation
En application de l’article 12, alinéa 2, du code de procédure civile, le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
Conformément aux dispositions de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le contrat de bail étant résilié à compter de ce jour, la société d’exploitation Garage [Localité 5] est redevable d’une indemnité d’occupation de droit commun, qui vise tant à compenser la perte de loyers qu’à réparer le préjudice subi par la société Garage de [Localité 5], qui n’a pas la libre disposition de son bien.
L’indemnité d’occupation de droit commun est, par principe, fixée à la valeur locative de marché.
En l’espèce, la société Garage de [Localité 5] ne développe aucun moyen de fait ou de droit au soutien de ses prétentions et ne verse aux débats aucun élément probant.
Dans ces conditions, le montant de l’indemnité d’occupation que la société d’exploitation Garage [Localité 5] sera condamnée à payer à la société Garage de [Localité 5] jusqu’à la libération effective des lieux sera fixé au montant du dernier loyer contractuel, charges, TVA et indexation incluses.

Sur les autres demandes
Sur les dépens
Conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
La société d’exploitation Garage [Localité 5], qui succombe en ses demandes, sera condamnée aux dépens de l’instance.
Cette condamnation inclut le coût du commandement de payer signifié le 16 octobre 2017, la procédure ayant été initialement introduite aux fins de résiliation de plein droit du contrat de bail.
Sur les frais irrépétibles
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.
La société d’exploitation Garage [Localité 5], partie tenue aux dépens, sera condamnée à payer à la société Garage de [Localité 5] la somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles exposés pour la défense de ses droits.
Sur l’exécution provisoire
En application de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la décision rendue n’en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,
DÉCLARE nul et de nul effet le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré par la société Garage de [Localité 5] à la société d’exploitation Garage [Localité 5] le 16 octobre 2017,
DÉCLARE recevables les demandes en résiliation du contrat de bail et paiement des sommes dues,
PRONONCE la résiliation judiciaire du bail commercial en date du 4 décembre 2002 liant les parties et portant sur divers locaux dépendant d’un ensemble immobilier situé [Adresse 2] à [Localité 5] (78),

ORDONNE à la société d’exploitation Garage [Localité 5] de libérer de sa personne et de ses biens ainsi que de tous occupants de son chef les lieux qu’elle occupe au [Adresse 2] à [Localité 5] (78) dans un délai d’un mois à compter de la signification du présent jugement,
DIT que faute pour la société d’exploitation Garage [Localité 5] de libérer les lieux dans le délai d’un mois à compter de la signification du présent jugement, la société Garage de [Localité 5] pourra faire procéder à son expulsion et/ou à celle de tous occupants de son chef avec l’assistance de la force publique et d’un serrurier si besoin est,
RAPPELLE que le sort des meubles trouvés dans les lieux sera régi par les articles L. 433-1 et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution,
FIXE la créance de loyers de la société Garage de [Localité 5] au passif de la procédure collective de la société d’exploitation Garage [Localité 5] à la somme de 157.979,18 € selon décompte arrêté au 18 février 2020 non inclus,
CONDAMNE la société d’exploitation Garage [Localité 5] à payer à la société Garage de [Localité 5] la somme de 54.449,03 € au titre des loyers dus entre le 1er décembre 2022 et le 14 mai 2024 inclus,
CONDAMNE la société d’exploitation Garage [Localité 5] à payer à la société Garage de [Localité 5], à compter du 15 mai 2024 et jusqu’à la libération effective des lieux marquée par la remise des clés, une indemnité d’occupation égale au montant du dernier loyer contractuel, charges, TVA et indexation incluses,
REJETTE les autres demandes,
CONDAMNE la société d’exploitation Garage [Localité 5] à payer à la société Garage de [Localité 5] la somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles exposés,
CONDAMNE la société d’exploitation Garage [Localité 5] aux dépens de l’instance, incluant le coût du commandement de payer signifié le 16 octobre 2017,
RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 MAI 2024 par Madame GARDE, Juge, assistée de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, lesquelles ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT
Carla LOPES DOS SANTOS Angéline GARDE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Versailles
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 23/00983
Date de la décision : 14/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 20/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-14;23.00983 ?
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