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06/05/2024 | FRANCE | N°22/01290

France | France, Tribunal judiciaire de Versailles, Troisième chambre, 06 mai 2024, 22/01290


Minute n°



TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
06 MAI 2024


N° RG 22/01290 - N° Portalis DB22-W-B7G-QNFA
Code NAC : 70B




DEMANDEUR :

Monsieur [L] [E]
né le 02 Mai 1968 à [Localité 22] (92),
demeurant [Adresse 12] - [Localité 18],

représenté par Maître Sophie LIOTARD de AD&L AVOCATS, avocat plaidant au barreau de PARIS et par Maître Mélina PEDROLETTI, avocat postulant au barreau de VERSAILLES.



DÉFENDERESSE :

La société SCI [Adresse 23], société civile immo

bilière immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES sous le numéro
453 090 565 dont le siège social est situé [Adresse 3] [Lo...

Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
06 MAI 2024

N° RG 22/01290 - N° Portalis DB22-W-B7G-QNFA
Code NAC : 70B

DEMANDEUR :

Monsieur [L] [E]
né le 02 Mai 1968 à [Localité 22] (92),
demeurant [Adresse 12] - [Localité 18],

représenté par Maître Sophie LIOTARD de AD&L AVOCATS, avocat plaidant au barreau de PARIS et par Maître Mélina PEDROLETTI, avocat postulant au barreau de VERSAILLES.

DÉFENDERESSE :

La société SCI [Adresse 23], société civile immobilière immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES sous le numéro
453 090 565 dont le siège social est situé [Adresse 3] [Localité 21], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Martina BOUCHE, avocat postulant au barreau de VERSAILLES et par Maître Gérard ABADJIAN du CABINET A&C ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS.

ACTE INITIAL du 23 Février 2022 reçu au greffe le 01 Mars 2022.

DÉBATS : A l'audience publique tenue le 29 Février 2024, Madame VERNERET-LAMOUR, Juge placé, siégeant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du Code de Procédure Civile, assistée de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, a indiqué que l’affaire sera mise en délibéré au 06 Mai 2024.

* * * * * *

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte dressé en la forme authentique le 19 avril 2002, la SCI [Adresse 23] a acquis de la SCI [Adresse 24] une propriété immobilière bâtie située [Adresse 3] à [Localité 21] (78), cadastrée section B numéro [Cadastre 20] et section ZH numéro [Cadastre 2].

Par acte notarié en date du 8 septembre 2020, M. [L] [E] a acquis des consorts [W], la propriété voisine, située [Adresse 4], cadastrée section B n° [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 13] , [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 19] et [Cadastre 1].

M. [E] a confié à Monsieur [X] [S], géomètre-expert, une mission de bornage des limites de sa propriété, qui a été effectuée le 9 juillet 2021.

Ce dernier a estimé que la clôture entre les parcelles B [Cadastre 20], B [Cadastre 7] et B [Cadastre 1] était mal implantée. A l'issue de cette réunion, le géomètre-expert a recueilli l'accord de l'ensemble des parties, sauf celui de la SCI [Adresse 23]. Un procès-verbal de carence a, par conséquent, été dressé le 22 octobre 2021.

C'est dans ce contexte que M. [L] [E] a, par exploit introductif d'instance en date du 23 février 2022, fait assigner la SCI [Adresse 23] devant ce tribunal afin que lui soit restituée une fraction de la parcelle cadastrée section B n° [Cadastre 1] occupée selon lui sans droit ni titre par la SCI [Adresse 23].

Par ordonnance du 6 juin 2023, le juge de la mise en état a rejeté la fin de non recevoir soulevée par la SCI [Adresse 23] tirée du défaut d'intérêt et de qualité à agir, considérant que l'acte de propriété de M. [L] [E] visait expressément, une propriété située, entre autres, sur la parcelle cadastrée section B n° [Cadastre 1] et que l'état hypothécaire et le procès-verbal de changements dans le numérotage des îlots de propriété ou des parcelles produits aux débats démontraient que la parcelle litigieuse était née de la réunion des parcelles cadastrées B [Cadastre 8], B [Cadastre 16] et B [Cadastre 17], rappelant que l'acte authentique rédigé par notaire faisait foi de son contenu.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 octobre 2023 , M. [L] [E] demande au tribunal de :

Vu les dispositions des articles 544 et 545 du code civil,

Juger que Monsieur [L] [E] est propriétaire de la fraction de la parcelle B [Cadastre 1] dont la SCI [Adresse 23] a pris possession en fraude de ses droits,

Debouter la SCI [Adresse 23] de l'ensemble de ses demandes,

Ordonner la restitution immédiate de sa propriété à Monsieur [L] [E],

Ordonner à la SCI [Adresse 23] de démolir les ouvrages et plantations empiétant sur la propriété de Monsieur [L] [E], dans un délai d'un mois à compter de la signification à partie du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour passé ce délai,

Condamner la SCI [Adresse 23] à payer à Monsieur [L] [E] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la SCI [Adresse 23] au paiement des entiers dépens dont le montant sera recouvré par Maitre Melina PEDROLETTI Avocat conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Au soutien de sa demande, M. [E] fait valoir au visa des articles 544 et 545 du code civil qu'une clôture ainsi que des plantations (haie d'arbustes) ont été installées sur sa propriété, au-delà de la limite séparative cadastrale, ayant pour conséquence d'agrandir la parcelle B [Cadastre 20] appartenant à la SCI [Adresse 23] de 1.030 m² au détriment de la parcelle B [Cadastre 1] lui appartenant.

M. [E] explique que l'acte de propriété de la SCI [Adresse 23] indique que la parcelle B [Cadastre 20] dont elle a fait l'acquisition le 19 avril 2002 a une surface de
2 hectares, 98 ares et 30 centiares, mesures apparaissant également sur le registre cadastral.

Il fait valoir que, sans la bande de terrain occupée par la SCI [Adresse 23] en fraude de ses droits, la parcelle B n°[Cadastre 1] mesure, que ce soit avec les outils du cadastre ou avec ceux de Geoportail, environ 2.245 m², soit 1.030 m² de moins que la surface indiquée à l'acte d'achat.

Il rétorque que le rapport du géomètre est un élément complémentaire au soutien de son action et qu'il dispose d'un titre de propriété publié sur la parcelle B n°[Cadastre 1].

Il estime que le fait que la défenderesse se prévale de l'usucapion, démontre qu'elle qu'elle occupe la bande de terre sans droit ni titre.

Il fait valoir au visa de l'article 2261 du code civil que la SCI [Adresse 23] est défaillante à rapporter la preuve d'un usucapion sur la bande de terrain litigieuse, rappelant qu'elle n'est propriétaire du bien que depuis 2002, soit depuis un peu plus de 20 ans.

Il estime que la défenderesse n'établit ni la continuité de la possession trentenaire, ni son caractère non équivoque, paisible et public.

Il conteste les témoignages portant sur l'existence et la longévité de la haie séparant à l'heure actuelle le fonds de la SCI du sien car ne respectant pas les conditions prévues par l'article 202 du code de procédure civile, rappelant que les attestations doivent être émises par des personnes ayant assisté ou ayant personnellement constaté les faits qu'elles relatent.

Il fait valoir que ces attestations ont été manifestement pré-rédigées par la défenderesse, dactylographiées, puis partiellement complétées par les attestants, en particulier s'agissant des attestations des "professionnels de l'entretien des jardins" qui évaluent tous, l'âge de la haie à plus de 30 ans.

Il ajoute que ces attestations ne sont corroborées par aucun élément matériel.

Il ajoute que la majorité des témoignages, hormis ceux des professionnels du jardin remontent sur une période maximale de 20 années.

Il conteste plus particulièrement l'attestation de Mme [J] [F], qui déclare que la haie existerait depuis les années 70 l'ayant personnellement toujours vue dans le prolongement du tennis, au même endroit, faisant valoir en tout état de cause que ce témoignage contredit ceux des professionnels qui limitent l'âge de la haie à 30 ou 35 ans.

Il indique que les photographies versées aux débats par la SCI permettent d'observer qu'outre la présence de la haie de thuyas sur une partie de la limite litigieuse, et qu'a été installée sur plusieurs dizaines de mètres une brande de bruyère dont la viabilité n'excède pas selon les sites internet, 10 ou 15 ans.

Il fait valoir que les photographies aériennes versées aux débats par la défenderesse ne permettent pas de distinguer la haie de thuyas dont se prévaut la défenderesse pour prouver l'usucapion, sauf sur la photographie datée de l'année 2011 et que seuls apparaissent sur ces photographies des arbres de haute tige.

Il estime que la défenderesse est défaillante à prouver des actes matériels de possession.

Il ajoute qu'elle ne dispose d'aucun juste titre et qu'il n'est aucunement démontré que l'assiette de calcul de la taxe foncière dont elle s'acquitte comporte la bande de terrain appartenant à la parcelle B [Cadastre 1].

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 décembre 2023, la SCI [Adresse 23] demande au tribunal de :

Vu l'article 1153 du Code Civil
Vu l'article 1302-1 et les articles 1303 et suivants
Vu l'article 1363 du Code Civil
Vu l'acte d'acquisition de la SCI [Adresse 23] en date du 19 avril 2002, soit il y a plus de 20 ans
Vu l'article 2258 du Code Civil
Vu l'article 2263 du Code Civil
Vu l'article 2272 du Code Civil
Vu l'article 672 du Code Civil
Vu les Jurisprudences y citées
Vu les pièces versées aux débats

DECLARER recevable et bien fondée la SCI [Adresse 23] en ses demandes, fins et conclusions,

Y faisant droit

DIRE ET JUGER que Monsieur [E], Demandeur, n'apporte aucune preuve étayant sa revendication,

DIRE ET JUGER que le procès-verbal de bornage en date du 17 septembre 2021 n'est pas opposable à la SCI [Adresse 23]

DIRE que, au-delà de tout autre débat, la SCI [Adresse 23] est propriétaire depuis son acquisition le 19 avril 2002 de la parcelle B[Cadastre 20], telle qu'existante avec ses plantations et sa clôture depuis cette date, et à tout le moins depuis plus de 30 ans.

DIRE que Monsieur [E] ne peut en aucune manière exiger l'abattage de plantations existant sur la parcelle depuis plus de 30 années.

En conséquence,

DEBOUTER Monsieur [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme irrecevables et mal fondées.

Vu l'article 1240 du Code Civil,

CONDAMNER Monsieur [E] à régler à la SCI [Adresse 23] la somme de 2.000 euros au titre du préjudice moral

Vu l'article 700 du Code Civil,

CONDAMNER Monsieur [E] à régler à la SCI [Adresse 23] la somme de 7.000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû engager pour faire valoir ses droits

CONDAMNER Monsieur [E] aux entiers dépens.

La défenderesse fait valoir au visa de l'article 1363 du code civil que M. [E] ne produit que l'acte d'achat de son terrain et un procès-verbal de bornage établi par un géomètre mandaté et payé par lui, ce alors, que nul ne peut se constituer un titre à soi-même. Elle ajoute que le plan joint au rapport de M. [S], géomètre, intitulé « plan de bornage » n'apporte aucune preuve des droits que revendique Monsieur [E] rappelant qu'un simple bornage est insuffisant à établir une preuve dès lors que le bornage ne tranche aucune question pétitoire.

Elle considère que les informations fournies par le demandeur relativement à la superficie de la parcelle B [Cadastre 1] sont incohérentes puisque l'acte d'acquisition qu'il verse aux débats fait ressortir que cette parcelle est d'une superficie de 3.275 m² et qu'il a donc acquis cette surface. Or, si l'on se réfère au plan de bornage établi par le géomètre, cette parcelle mesure en réalité 3.578 m², la superficie réelle de la parcelle B [Cadastre 1] étant donc supérieure de 300 m² à la surface de l'acte d'acquisition.

La défenderesse fait valoir au visa des articles 2258 et 2261 du Code Civil, avoir exercé en tout état de cause, une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire de l'intégralité de sa propriété telle qu'elle existe, et est bornée à ce jour.

Elle prétend que depuis a minima 30 ans, la clôture et la haie séparant les deux propriétés n'a jamais été déplacée.

S'agissant de la continuité de la possession, elle fait valoir qu'elle est propriétaire depuis 2002, de manière continue et sans absence.

Les très nombreux témoignages, qu'elle verse aux débats, attestent selon elle du caractère public de sa possession, ces témoignages attestant de la connaissance par les voisins et tierces personnes de ce que sa propriété inclut la partie de terrain litigieuse.

Elle ajoute que les attestations des professionnels de l'entretien des jardins prouvent que la haie qui sépare les deux propriétés, qui mesure plus de 4 mètres de hauteur, a entre 30 et 35 ans.

Elle rappelle que les précédents propriétaires avaient eux-mêmes acquis l'ensemble immobilier depuis le 10 mai 1957, sans que cette haie ne soit depuis lors déplacée.

Elle insiste sur l' attestation de Mme [J] [F], épouse [Y], qui déclare avoir connu la propriété de Madame [B] bien avant que celle-ci ne procède à son acquisition en 2002, étant donné qu'elle s'y rendait dans les années 70 et que la haie qui sépare les deux propriétés était exactement à l'endroit où elle se trouve actuellement.

Elle estime que la condition du caractère non équivoque de la possession est également remplie, ayant toujours manifesté, sans la moindre ambiguïté, un comportement tel à faire ressortir sa qualité de propriétaire, notamment en ce qu'elle a entretenu la propriété tout au long de sa possession, y inclus la partie litigieuse de la parcelle, tout en y résidant et en y conviant des invités.

S'agissant de la paisibilité de la possession, elle fait valoir que l'acquisition du bien immobilier dont il est question n'a pas été faite par la force ni la violence au vu de l'acte de propriété de la SCI [Adresse 23], totalement légitime.

Elle rappelle que la construction d'une clôture manifeste un acte de possession, utile pour prescrire.

Elle prétend que son intention de se comporter en propriétaire est prouvée par les nombreux actes d'entretien, des témoignages, outre les déclarations fiscales qui attestent de ce qu'elle s'est constamment acquittée de la taxe foncière, reposant sur l'intégralité de la superficie actuelle du terrain et de tout bâtiment s'y trouvant.

S'agissant du corpus, elle fait valoir la présence de deux actes matériels intangibles à savoir, d'une part, la clôture qui se trouve entre la partie litigieuse B [Cadastre 20] et les parcelles appartenant à Monsieur [L] [E] n° [Cadastre 7], [Cadastre 1], ainsi qu'en atteste la prise de vue aérienne et, d'autre part, le paiement de la taxe foncière.

Elle soutient que les deux conditions posées par l'article 2272 du code civil pour établir la bonne foi du propriétaire sont en l'espèce remplies puisqu'elle est en possession de sa propriété depuis plus de vingt ans et qu'elle dispose du juste titre requis.

Elle indique qu'elle n'a fait que poursuivre les conditions antérieures d'exploitation du bien, sans y apporter la moindre modification.

Elle ajoute enfin verser aux débats des photos aériennes des deux propriétés, dont la plus ancienne remonte à 1965, qui permettent de constater que la séparation entre les deux propriétés est immuable depuis 1965, les arbres séparant les deux propriétés étant déjà implantés dans la même configuration sur le cliché du 20 septembre 1965.

Elle rétorque, qu'il ressort clairement de ces clichés, que la séparation des terrains au nord et au sud du bois séparant les deux maisons est strictement identique et n'a pas bougé depuis le premier cliché de 1970 et que la limite séparative des deux terrains est immuable depuis 1965.

Elle justifie sa demande de dommages-intérêts par le préjudice moral qu'elle
a enduré en raison des manoeuvres et de l'agressivité dont a fait preuve
M. [E] avec l'aide de son géomètre.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 décembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la propriété de la fraction litigieuse de la parcelle B n°[Cadastre 1]

L'article 544 du code civil dispose que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements .

La propriété d'un bien se prouve par tous moyens.

A l'appui de sa demande en vue de voir juger que la SCI [Adresse 23] occupe une bande de terrain qui ferait partie de la parcelle B n°[Cadastre 1], M. [E] verse aux débats, l'acte authentique de vente entre lui et les consorts [W] en date du 8 septembre 2020, un procès-verbal de bornage établi par M. [S] géomètre-expert en date du 17 septembre 2021, un procès-verbal de carence, un extrait du plan cadastral, plusieurs photographies de sa parcelle ainsi qu'une photographie issue du site Géoportail.

Force est de constater que l'acte authentique de vente en date du 8 septembre 2020 entre les consorts [W] et M. [E] fait état de ce que la parcelle B n° [Cadastre 1] est d'une contenance de 32 ares et 75 centiares et qu'il est indiqué qu'un extrait de plan cadastral est annexé à l'acte.

Par ailleurs, il ressort du rapport du géomètre-expert que celui-ci, après avoir étudié le plan d'état des lieux dressé par la société TT Géomètres Experts à partir de mesurages réalisés le 9 juillet 2021, l'extrait du cahier de reconnaissance des chemins ruraux de la commune d'[Localité 21], l'extrait de l'ancienne feuille section B révisée pour 1933 et le plan cadastral a pu déterminer que la ligne séparative entre la parcelle B n°[Cadastre 1] et B n°[Cadastre 20] serait constituée par les segments passant par les A, B et C tels qu'ils apparaissent sur le plan de bornage dressé le 17 septembre 2021.

Il ressort des mesures réalisées sur le terrain par l'expert géomètre et inscrites sur le plan de bornage, que la parcelle B n°[Cadastre 1], en tenant compte de la limite séparative constituée par lesdits segments, est d'une surface de 3.578 m².

La différence entre cette surface mesurée et celle figurant à la fois au cadastre et sur l'acte authentique de vente est de 303 m². Contrairement à ce que soutient la défenderesse, cette différence de 303 m² n'est pas de nature à remettre en cause le travail fait par l'expert-géomètre compte-tenu du fait que le cadastre est avant tout un registre à visée fiscale et que les mesures qui y figurent ne sont données qu'à titre indicatif, une marge d'erreur étant possible. Il peut être d'ailleurs observé à ce titre qu'il existe sur d'autres parcelles ayant fait l'objet du bornage le 17 septembre 2021, des différences similaires entre la contenance cadastrale et les mesures faites sur place par le géomètre, en négatif comme en positif.

L'observation du plan cadastral et des limites proposées par le géomètre-expert permet en tout état de cause de déduire que la limite actuelle matérialisée notamment par une clôture, une haie de thuyas et une brande de bruyère a pour conséquence d'amputer la parcelle B n°[Cadastre 1] d'environ un tiers de sa surface telle qu'indiquée dans l'acte authentique, puisque la bande de terrain litigieuse a selon le plan de bornage une surface d'environ 1.030 m².

S'il est constant que le procès-verbal établi le 22 octobre 2021 par M [X] [S] n'a pas eu pour conséquence de fixer les limites séparatives entre les parcelles de M. [E] et celles de la SCI [Adresse 23], à défaut d'accord de cette dernière, il n'en demeure pas moins que ce procès-verbal est un commencement de preuve, versé aux débats et dont la SCI [Adresse 23] pouvait discuter du bien-fondé dans le cadre de la présente instance, étant rappelé que la preuve d'un droit de propriété est libre. La défenderesse ne saurait donc valablement soutenir que ce bornage devrait être écarté par le tribunal en application du principe que nul ne peut se constituer un élément de preuve à soi-même. Il convient de rappeler que, nonobstant le fait que M. [S] ait été mandaté par M. [E], il n'en demeure pas moins qu'un géomètre-expert a, selon les règles de l'art de la profession votées le 5 mars 2002, obligation de travailler en toute indépendance, impartialité, et de façon contradictoire et qu'il doit également recueillir, analyser et ordonner les éléments de preuve ou de présomption susceptibles de concourir à la détermination des limites, sans en écarter aucune a priori.

Il convient également de constater que M. [S] a, au cours de l'opération de bornage, fixé les limites séparatives avec sept autres propriétaires ayant des parcelles jouxtant celles de M. [E], dont certaines appartenant à l'office national des forêts et au Maire de la commune d'[Localité 21]. La signature par ces parties du procès-verbal de bornage démontre suffisamment le sérieux de l'étude effectuée et du plan de bornage réalisé.

Par ailleurs, la SCI [Adresse 23], si elle conteste en son entier les constatations faites par le géomètre-expert, n'apporte aucun élément permettant de contredire ses constatations et ses propositions sur la fixation des lignes séparatives entre les parcelles.

Il résulte de ce qui précède et notamment du titre de propriété de M. [E], du plan cadastral ainsi que du procès-verbal de bornage établi le 17 septembre 2021, que l'ouest de la parcelle B n° [Cadastre 1] est limité par les segments passant par les sommets A, B, C, tels qu'ils figurent sur le plan de bornage dressé par le géomètre-expert le 17 septembre 2021 et que ces segments constituent les limites séparatives avec la parcelle B n°[Cadastre 20].

Il s'en évince que la SCI [Adresse 23] qui ne conteste pas être propriétaire de la clôture actuelle, de la haie de thuyas et de la brande de bruyère empiète donc sur une partie de la parcelle B n°[Cadastre 1].

Sur la prescription acquisitive

L'article 2258 du code civil dispose que la prescription acquisitive est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi.

L'article 2261 prévoit que pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.

L'article 2265 dispose que pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu'on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre lucratif ou onéreux.

Enfin, l'article 2272 du code civil dispose que le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans.

Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans.

La SCI [Adresse 23] pour justifier d'une prescription acquisitive verse aux débats son titre de propriété, différentes photographies aériennes des deux propriétés prises entre 1965 et 2023, plusieurs relevés relatifs à la taxe foncière et différentes attestations de témoins.

A titre liminaire, il y a lieu de constater que la SCI [Adresse 23] soutient dans ses écritures à la fois une prescription trentenaire mais également la prescription abrégée de dix ans.

Pour autant, la défenderesse ne verse aux débats aucun juste titre qui attesterait de ce qu'elle aurait acquis en vertu d'un titre, la bande de terre litigieuse et qui permettrait l'application d'une prescription acquisitive réduite à dix ans telle que prévu par l'article 2272 alinéa 2 du code civil. Il lui appartient dès lors de rapporter la preuve d'une possession pendant trentes ans.

Il y a lieu de rappeler que la SCI [Adresse 23] qui ne conteste pas que la clôture, les plantations de thuyas et la brande de bruyère lui appartiennent, a acquis les parcelles B n°[Cadastre 20] et ZH n°[Cadastre 2] composant sa propriété, le 19 avril 2002.
Force est de constater qu'au jour de l'introduction de l'instance, le 23 février 2022, elle ne possédait lesdites parcelles que depuis 19 ans et demi.

S'agissant des attestations relatives à la taxe foncière, datant pour les plus anciennes de l'année 2010, celles-ci ne sont pas probantes dans la mesure où ne figure pas spécifiquement la surface de la parcelle B n° [Cadastre 20] prise en compte pour le calcul de la taxe. Il n'est donc pas possible d'en déduire que les services fiscaux auraient considéré que la surface de la parcelle B n°[Cadastre 20] aurait été supérieure à celle figurant au cadastre ou sur l'acte de propriété de la SCI tenant ainsi compte la bande de terre litigieuse.

S'agissant de l'âge de la haie de thuyas dont la défenderesse se prévaut pour rapporter la preuve d'une possession trentenaire qu'elle tiendrait pour partie de son auteur, il convient, en premier lieu, de constater que, contrairement à ce qu'elle soutient, l'examen des photographies aériennes prises à partir des années 1965 jusqu'à aujourd'hui ne permet pas de distinguer la présence de la clôture et de la haie de thuyas, seule la haie longeant le tennis en limite séparative avec la parcelle B n°[Cadastre 1] pouvant être distinguée ; étant précisé que l'implantation de cette haie-là n'est pas litigieuse.

S'agissant des attestations fournies notamment par les employés d'une entreprise d'élagage, visant à démontrer que la haie de thuyas aurait plus de trente ans, il convient de relativiser leur valeur probante dans la mesure où la plupart d'entre elles ne respectent pas les conditions posées par l'article 202 du code de procédure civile et où elles reproduisent toutes un texte déjà pré-rédigé. Par ailleurs, ainsi que le fait valoir le demandeur, la conclusion selon laquelle la haie litigieuse aurait plus de trente ans constitue une assertion sans que celle-ci ne soit étayée par une explication ou une description des caractéristiques spécifiques d'une haie de cet âge.

En outre, ces attestations viennent en contradiction avec ce que déclare Mme [F] qui soutient avoir toujours vu cette haie et notamment dans les années 1970.

S'agissant de ce dernier témoignage, sa portée est de facto à relativiser dans la mesure où il est en contradiction avec ce que déclarent les employés de l'entreprise d'élagage relativement à l'âge de la haie. De plus, cette attestation ne permet pas d'étayer la jonction de la possession dont se prévaut la SCI dans la mesure où celle-ci a acquis de la SCI [Adresse 24] et non des consorts [P] qui sont cités dans l'attestation de Mme [F].

Par ailleurs, la SCI [Adresse 23] n'apporte aucun élément pour contester le fait que la brande de bruyère qui sert également actuellement de ligne séparative et que l'on peut voir sur les photographies versées aux débats par le demandeur, a une durée de vie de seulement 15 ans.

La SCI [Adresse 23] échoue par conséquent à démontrer que la haie de thuyas, la brande de bruyère et la clôture auraient existé au moins dix ans avant qu'elle ne fasse l'acquisition de la propriété en 2002.

Il en résulte que les attestations des proches de Mme [K] [B] attestant de ce qu'ils auraient toujours vu la haie au même endroit, ou qu'ils s'en seraient occupés, depuis l'acquisition des parcelles via la SCI, ne peuvent être prises en compte pour prouver la prescription acquisitive trentenaire dans la mesure où elles n'attestent d'une possession que pendant une durée de vingt ans au maximum.

Ainsi, la SCI [Adresse 23], est défaillante à rapporter la preuve d'avoir acquis la propriété de la bande de terre litigieuse, matérialisée sur le plan de bornage par le segment entre les sommets B et C, par prescription trentenaire.

Il résulte de l'ensemble des éléments qui précèdent que la SCI [Adresse 23] a pris possession sans droit ni titre d'une partie de la parcelle B n° [Cadastre 1].

Sur la demande de restitution de démolition

La démolition est la sanction d'un droit réel transgressé.

Aux termes de l'article L131-1 du code des procédures civiles d'exécution, tout juge peut, même d'office, ordonner une astreinte pour assurer l'exécution de sa décision.

En l'espèce, il conviendra de faire droit à la demande de M. [E] et d'ordonner la restitution de la bande litigieuse faisant partie de la parcelle
B n° [Cadastre 1] et, par conséquent, d'ordonner aux frais de la SCI [Adresse 23] la démolition des ouvrages et plantations empiétant sur la parcelle B n° [Cadastre 1] et plus particulièrement de la clôture, de la haie de thuyas et de la brande de bruyère.

Il y a lieu cependant de préciser que la démolition ne concernera pas les arbres de haute tige.

Au vu des circonstances de l'espèce et des échanges entre les parties versés aux débats, il y a lieu d'indiquer que cette condamnation devra être exécutée, à l'expiration d'un délai de quatre mois calendaires suivant la signification du présent jugement, sous astreinte de 100 € par jour pendant six mois, à charge pour M. [E], à défaut de démolition, de solliciter du juge de l'exécution la liquidation de l'astreinte provisoire et le prononcé d'une astreinte définitive.

Sur la demande reconventionnelle de la SCI [Adresse 23]

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l'espèce, la SCI [Adresse 23] est défaillante à rapporter la preuve d'une faute commise par M. [E].

Le fait de solliciter le propriétaire d'une parcelle pour que soit organisé un bornage à l'amiable ne saurait être qualifié de manoeuvre et aucune agressivité ne ressort des échanges ayant eu lieu entre les parties, le courriel de
M. [E] adressé à Mme [R] le 12 octobre 2021 étant d'une parfaite courtoisie.

La SCI [Adresse 23] sera par conséquent déboutée de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts.

Sur les autres demandes

Sur les dépens

Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

La SCI [Adresse 23] qui succombe sera condamnée aux dépens de l'instance dont le montant sera recouvré par Maître Melina PEDROLETTI, avocat postulant, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

La SCI [Adresse 23], partie perdante, sera condamnée à payer à M. [L] [E] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Sur l'exécution provisoire

En application de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la décision rendue n'en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

DIT que la limite ouest de la parcelle cadastrée B n°[Cadastre 1] sur la commune d'[Localité 21] est constituée par les segments passant par les sommets A, B, C, tels qu'ils figurent sur le plan de bornage dressé par M. [X] [S], géomètre-expert, le 17 septembre 2021 et que ces segments constituent la limite séparative avec la parcelle cadastrée B n° [Cadastre 20],

CONDAMNE la SCI [Adresse 23] à restituer à M. [L] [E] la bande de terrain faisant partie de la parcelle B n°[Cadastre 1] dont la limite avec la parcelle
B n°[Cadastre 20] est fixée par les segments B et C sur le plan de bornage dressé le
17 septembre 2021,

ORDONNE, aux frais de la SCI [Adresse 23] la démolition des ouvrages et plantations (clôture, haie de thuyas et brande de bruyère) empiétant sur la parcelle B n° [Cadastre 1], à l'exclusion des arbres de haute tige,

DIT que cette condamnation devra être exécutée, à l'expiration d'un délai de quatre mois calendaires suivant la signification du présent jugement, sous astreinte de 100 € par jour pendant six mois, à charge pour M. [L] [E], à défaut de la démolition, de solliciter du juge de l'exécution la liquidation de l'astreinte provisoire et le prononcé d'une astreinte définitive,

CONDAMNE la SCI [Adresse 23] à payer les dépens avec distraction au profit de Maître Melina PEDROLETTI , avocat postulant au barreau de Versailles,

Rappelle que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 MAI 2024 par Madame VERNERET-LAMOUR, Juge placé, assistée de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, lesquelles ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIERLE JUGE PLACÉ
Carla LOPES DOS SANTOS Sophie VERNERET-LAMOUR


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Versailles
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 22/01290
Date de la décision : 06/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-06;22.01290 ?
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