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02/05/2024 | FRANCE | N°20/06118

France | France, Tribunal judiciaire de Versailles, Troisième chambre, 02 mai 2024, 20/06118


Minute n°


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
02 MAI 2024


N° RG 20/06118 - N° Portalis DB22-W-B7E-PWLR
Code NAC : 58G
S.V-L.



DEMANDEURS :

1/ Monsieur [Z], [N] [A]
né le [Date naissance 12] 1954 à [Localité 17] (38),
demeurant [Adresse 4],

2/ Monsieur [H], [B] [A]
né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 17] (38),
demeurant [Adresse 14],

3/ Madame [O], [V] [A] épouse [R]
née le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 17] (38),
demeurant [Adresse 9],

représen

tés par Maître Raphaël YERNAUX de la SCP PLOTTON VANGHEESDAELE FARINE YERNAUX, avocat plaidant au barreau de l’AUBE et par Maître Sébastien CROMBEZ, ...

Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
02 MAI 2024

N° RG 20/06118 - N° Portalis DB22-W-B7E-PWLR
Code NAC : 58G
S.V-L.

DEMANDEURS :

1/ Monsieur [Z], [N] [A]
né le [Date naissance 12] 1954 à [Localité 17] (38),
demeurant [Adresse 4],

2/ Monsieur [H], [B] [A]
né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 17] (38),
demeurant [Adresse 14],

3/ Madame [O], [V] [A] épouse [R]
née le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 17] (38),
demeurant [Adresse 9],

représentés par Maître Raphaël YERNAUX de la SCP PLOTTON VANGHEESDAELE FARINE YERNAUX, avocat plaidant au barreau de l’AUBE et par Maître Sébastien CROMBEZ, avocat postulant au barreau de VERSAILLES.

DÉFENDEURS :

1/ Madame [L], [J] [A]
née le [Date naissance 8] 1959 à [Localité 17] (38),
demeurant [Adresse 3],

représentée par Maître Fanny CHARPENTIER de la SELEURL FANNY CHARPENTIER, avocat plaidant/postulant au barreau de VERSAILLES.

2/ La société NOCAUDIE - LE SOUEF, société à responsabilité limitée immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de TOURS sous le numéro 390 516 185 dont le siège social est situé [Adresse 7], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Olivier FONTIBUS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES et par Maître Antoine BRILLATZ de la SCP BRILLATZ-CHALOPIN, avocat plaidant au barreau de TOURS.

3/ Le GROUPEMENT D’INTÉRÊT ÉCONOMIQUE AFER, groupement d’intérêt économique immatriculé au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 325 590 925 dont le siège social est situé [Adresse 13], agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

représenté par Maître Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, avocat postulant au barreau de VERSAILLES et par Maître Françoise CHAROUX, avocat plaidant au barreau de PARIS.

* * * * * *

ACTE INITIAL du 06 Novembre 2020 reçu au greffe le 25 Novembre 2020.

DÉBATS : A l'audience publique tenue le 06 Février 2024, Monsieur JOLY, Président de la Chambre, a mis l’affaire en délibéré au 02 Mai 2024.

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
M. JOLY, Vice-Président
Madame GARDE, Juge
Madame VERNERET-LAMOUR, Juge placé

GREFFIER : Madame LOPES DOS SANTOS

* * * * * *

EXPOSE DU LITIGE

Mme [Y] [P] veuve [A] (ci-après Mme [Y] [A]), née le [Date naissance 6] 1928, est décédée le [Date décès 10] 2020.

De son union avec M. [M] [A] sont issus quatre enfants :
- M. [Z] [A],
- M. [H] [A],
- Mme [O] [A],
- Mme [L] [A].

Mme [Y] [A] avait adhéré le 29 mars 1990 à effet du 1er mai 1990 au contrat collectif d'assurance sur la vie AFER ( numéro d'adhésion 02655876) par l'intermédiaire de son mandataire la SARL NOCAUDIE ASSURANCES.

Les bénéficiaires de ce contrat, étaient, en cas de décès de son conjoint ses enfants à parts égales, à défaut ses ayants droit légaux.

M. [M] [A] est décédé le [Date décès 15] 2004, laissant pour lui succéder, Mme [Y] [A] et leurs quatre enfants.

Par courrier en date du 31 décembre 2014, le CABINET NOCAUDIE ASSURANCES a informé le GIE AFER de ce que Mme [A] souhaitait modifier sa clause bénéficiaire. À cette demande étaient jointes, une lettre manuscrite rédigée et signée par Madame [Y] [A], datée du
23 décembre 2014 et un formulaire de changement de clause bénéficiaire, daté, signé et rempli manuscritement par Mme [Y] [A], aux termes duquel cette dernière désignait sa fille [L] [A] comme bénéficiaire.

Par courrier en date du 3 mars 2015, le CABINET NOCAUDIE ASSURANCES s'est de nouveau rapproché du GIE AFER pour lui faire savoir que Mme [Y] [A] souhaitait compléter sa clause bénéficiaire. Il était adressé au GIE une nouvelle copie du courrier du 23 décembre 2014, sur laquelle Madame [A] avait ajouté le 28 février 2015 qu'en cas de décès de sa fille [L] [A], ses héritiers, [E] et [S] [K] devraient bénéficier de cet argent.

Enfin, par courrier du 27 mars 2015, Mme [Y] [A] a réitéré auprès de la compagnie d'assurance les termes de ses correspondances des 23 décembre 2014 et 28 février 2015, en y joignant une demande de modification de la clause bénéficiaire sur papier libre indiquant :

« Je soussignée [Y] [A] titulaire de l'adhésion n°02655876 désigne comme nouveaux bénéficiaires ma fille [L] née le [Date naissance 8]/1959 à [Localité 17] portant le nom de [L] [A].
A défaut mes petits-enfants par part égale entre eux :
[E] [K] né le [Date naissance 11]/1989 à [Localité 16]
[S] [K] né le [Date naissance 5]/1994 à [Localité 19]
A défaut mes héritiers selon dévolution successorale »

Un testament olographe daté du 7 juin 2016 a été enregistré chez un notaire.

Mme [Y] [A] a été placée sous tutelle par décision du juge des tutelles de St-Germain-en-Laye en date du 24 octobre 2018.

A la suite du décès de Mme [Y] [P] veuve [A] le [Date décès 10] 2020, ses héritiers ont désigné Maître [F], Notaire à [Localité 18] (78), pour procéder amiablement aux opérations de compte, liquidation et partage de la succession de feu Monsieur [M] [A] et de feue Madame [Y] [P] veuve [A].

Au vu des dissensions apparues entre les frères et soeurs aucun partage amiable n'a pu aboutir.

Le 23 décembre 2020, M. [Z] [A], M. [H] [A], et Mme [O] [A] (ci-après les consorts [A]) ont fait délivrer une assignation à leur soeur Mme [L] [A], sollicitant à titre principal la nullité du testament olographe pour insanité d'esprit et défaut de consentement en raison de manoeuvres dolosives et violence commises par Mme [L] [A], de voir constater que Mme [L] [A] a commis un recel successoral et de la condamner à le réintégrer à l'actif successoral outre des dommages-intérêts.

Cette affaire est actuellement pendante devant la 1ère chambre de ce tribunal.
Ayant appris le changement de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie et estimant que celui-ci était intervenu alors que leur mère n'était pas en capacité de comprendre ce qu'elle faisait et que leur soeur avait fait preuve de violence pour arriver à ses fins, les consorts [A] ont par exploit du 6 novembre 2020, assigné Mme [L] [A], la société NOCAUDIE- LE SOUEF et le Groupement d'intérêt économique AFER (ci-après le GIE AFER), devant la troisième chambre de ce tribunal,en vue principalement de voir annuler l'avenant par lequel Mme [Y] [A] a modifié la clause bénéficiaire de son contrat d'assurance-vie et d'obtenir outre des dommages-intérêts.

Aux termes d'une ordonnance rendue le 21 avril 2022, le juge de la mise en état a ordonné le séquestre entre les mains du GIE AFER des capitaux décès relatifs au contrat d'assurance-vie souscrit par Mme [A] jusqu'à ce qu'une décision exécutoire ait statué sur le sort desdits capitaux.

Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 25 mai 2023, M. [Z] [A], M. [H] [A], Mme [O] [A] demandent au tribunal de :

Vu notamment les articles 1360 et 1364 du Code de procédure Civile,
Vu l'article 778 du code civil,
Vu l'article 779 du code général des impôts,
Vu les articles 843 et suivants du code civil,
Vu les pièces versées aux débats,
Vu les articles 328 et 329 du code de procédure civile,

Vu l'article 789 du code de procédure civile,
Vu les articles 132 et suivants du code de procédure civile,
Vu l'article L132-22 du code des assurances,
Vu l'article 1128 du code civil,
Vu l'article 1129 du code civil,
Vu l'article 414-1 du code civil,
Vu les articles 1130 et suivants du code civil,
Vu l'article L132-4-1 du code des assurances,

JUGER RECEVABLE les demandes formulées par les concluants,

DECLARER nulles les modifications de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie (n° contrat 02655876) intervenues par lettre du 23 décembre 2014, du 28 février 2015 et du 27 mars 2015 émanant de Madame [Y] [A],

ORDONNER la mainlevée du séquestre entre les mains du GROUPEMENT D'INTERET ECONOMIQUE AFER, des capitaux décès relatifs à l'adhésion n° 02655876 de Madame [Y] [A],

ENJOINDRE au GROUPEMENT D'INTERET ECONOMIQUE AFER, de verser les capitaux décès relatifs à l'adhésion n° 02655876 aux enfants de Madame [Y] [A], à savoir Monsieur [Z] [A], Monsieur [H] [B] [A], Madame [O] [V] [A] épouse [R] et Madame [L] [A] et ce par parts égales,

CONDAMNER le GROUPEMENT D'INTERET ECONOMIQUE AFER à payer à Monsieur [Z] [A], Monsieur [H] [B] [A] et Madame [O] [V] [A] [R] la somme de 2.500,00 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

CONDAMNER le GROUPEMENT D'INTERET ECONOMIQUE AFER aux entiers dépens,

DEBOUTER le GROUPEMENT D'INTERET ECONOMIQUE AFER, la Société NOCAUDIE DEVELOPPEMENIT et Mme [L] [A] de l'ensemble de leurs
demandes,

RAPPELER que la présente décision est revêtue de l'exécution provisoire de droit.

Les consorts [A] rappellent que [O] [A] s'est occupée de la santé et du bien-être de leur mère depuis le décès de son mari en 2004 tandis que Mme [L] [A] a, quant à elle, pris la responsabilité des finances et des biens immobiliers.

Ils font valoir, comme premier moyen de nullité, au visa des articles 1129, 414-1 du code civil que les modifications de la clause bénéficiaire sont intervenues peu de temps avant le début de la période suspecte prévue par l'article L132-4-1 du code des assurances rappelant que le jugement de tutelle a été rendu le
24 octobre 2018 à la suite d'une requête reçue le 20 avril 2018.

Ils soutiennent que leur mère n'était pas saine d'esprit au moment de la modification de la clause bénéficiaire d'assurance-vie, et que cela ressort des pièces médicales qu'ils versent aux débats. Ils soutiennent qu'une telle modification est un acte complexe et qu'en 2014, leur mère avait été diagnostiquée comme étant atteinte d'un trouble mental exécutif ; qu'elle n'était pas en capacité selon eux de prendre une telle décision eu égard à ses lésions cérébrales apparaissant à l'IRM de 2011 et eu égard à l'important syndrome dysexécutif dont elle était atteinte, apparu dès la première consultation mémoire le 19 septembre 2014 . Ils soutiennent que la rédaction à plusieurs reprises de courriers aux fins de modification de la clause bénéficiaire d'assurance-vie est incompatible avec ce syndrome, tant au niveau du fond (quantité et précisions des informations fournies, qualité du raisonnement), que de la forme (maniement de tableaux Excel et Word).

Ils expliquent que les fonctions exécutives correspondent à l'ensemble des fonctions permettant de réaliser des tâches complexes, nouvelles, non automatiques et d'agir de façon organisée pour atteindre des objectifs. Le syndrome dysexécutif sévère est une altération de plusieurs processus exécutifs et entraîne des difficultés à classer, hiérarchiser, faire le tri dans les informations et les idées. Lors du bilan neuropsychologique effectué le 20 novembre 2015, ils font valoir que ce syndrome a été qualifié de sévère, montrant une altération des capacités de planification, de flexibilité mentale, de catégorisation et maintien des règles en mémoire. Un diagnostic a été posé le même jour par le Docteur [I] confirmant une "pathologie cérébrale de type sous cortico frontale vraisemblablement vasculaire au vu des antécédents médicaux, du mode évolutif et des anomalies cérébrales constatées à l'IRM de 2011." Le bilan neuropsychologique effectué le 31 janvier 2018 à l'hôpital de [Localité 21], dix mois avant la mise sous tutelle a confirmé l'évolution de la pathologie cérébrale vasculaire diagnostiquée déjà en 2015 en démence caractérisée au sens médical du terme (troubles de la mémoire, troubles exécutifs et retentissement sur l'autonomie).

Ils rétorquent que le Docteur [I] n'est pas le supérieur de Mme [O] [A] et qu'en tout état de cause, des praticiens hospitaliers de plusieurs hôpitaux ainsi que des psychologues différents ont corroboré le diagnostic. S'agissant de la consultation du Docteur [W] [C] dont se prévaut Mme [L] [A], ils font valoir que cette consultation est intervenue en dehors de tout cadre judiciaire à la demande du bénéficiaire du contrat d'assurance.

Ils indiquent que leur mère était sous l'emprise de leur soeur [L] qui créait des conflits familiaux en lien avec la régularisation des comptes bancaires détenus en Suisse. Ils rappellent que la mise sous tutelle de leur mère a été prononcée par jugement du 24 octobre 2018 en raison de l'altération des facultés cognitives de leur mère, mais aussi de l'existence d'importants conflits familiaux et que ce jugement a provoqué des accès de violence de la part de la défenderesse à l'égard de leur mère et de Mme [O] [A]. Ils expliquent que leur soeur [L], a fait subir des pressions à leur mère pour le changement de la clause.

Ils répliquent que leur mère n'était pas parfaitement autonome en 2011, que début 2015 son médecin avait diagnostiqué un cancer de la vessie engendrant une fatigue intense et que c'est, dans ce contexte, qu'elle a procédé à la rédaction des deux courriers à son assureur.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 août 2023 par voie électronique, Mme [L] [A] demande au tribunal de :

Débouter Monsieur [Z] [A], Monsieur [H] [A] et Madame [O] [A] épouse [R] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

Ordonner la mainlevée du séquestre ordonné entre les mains du GIE AFER, suivant ordonnance du juge de la mise en état en date du 21 avril 2022, des capitaux décès relatif à l'adhésion n°02655876 de Madame [Y] [A].

Autoriser le GIE AFER à verser les capitaux relatifs au contrat d'assurance-vie à son bénéficiaire, à savoir Madame [L] [A].

Condamner solidairement Monsieur [Z] [A], Monsieur [H] [A] et Madame [O] [A] épouse [R] à verser à Madame [L] [A] la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les condamner aux entiers dépens.

Mme [L] [A] fait valoir que le tableau informatique auquel font référence les demandeurs n'est qu'une copie d'un tableau établi par leur père. Elle réplique que les courriers visant à faire changer la clause bénéficiaire ont été établis de la main de sa mère, d'une écriture assurée et dans le respect des consignes données et ces courriers démontrent sa volonté claire persistante et non équivoque de la voir bénéficier de ce contrat d'assurance-vie. La défenderesse indique que cette volonté coïncide avec la période pendant laquelle les demandeurs n'ont eu de cesse d'harceler leur mère au sujet des avoirs présents sur les comptes suisses.

Elle rappelle que sa mère a été placée sous tutelle le 24 octobre 2018 et que les actes dont il est demandé l'annulation sont antérieurs de 4 ans à ce jugement. Il n'existe donc, selon elle, aucune période suspecte au sens du code des assurances étant précisé qu'aucune acceptation n'est intervenue du vivant de sa mère.

Elle fait valoir que les demandeurs ne produisent aucune pièce médicale datant de la période située entre le 19 septembre 2014, date de l'évaluation gérontologique concluant à un état général conservé et le 20 novembre 2015, date du bilan neuropsychologique faisant état d'un syndrome dysexécutif modéré.

Elle indique avoir soumis au Docteur [W] [C], neurologue et expert honoraire près la Cour d'appel de PARIS et agréé par la Cour de Cassation, les pièces issues du dossier médical de sa mère et communiquées aux débats, lequel a établi une consultation relative à l'évolution de l'état de santé de Mme [Y] [A] depuis 2011 et à ses capacités. Elle explique que cette expertise est en totale contradiction avec l'interprétation que donnent les demandeurs de l'état de santé de Mme [A]. Elle confirme que le Docteur [C] a eu accès à l'entier dossier. La défenderesse explique que si l'expert indique que ces résultats suggèrent bien un processus dégénératif débutant, il indique en revanche que les capacités de Mme [Y] [A] n'étaient nullement altérées, le Docteur [I] parlant en 2011 de « discret dysfonctionnement exécutif » et non de « processus neurodégénératif grave », comme le soutiennent les demandeurs. Elle fait valoir par ailleurs, que si l'IRM relève que certaines des lésions observées sont compatibles avec des lacunes ischémiques, le Docteur [U] précise qu'il n'y a « pas de lésion
récente ». Les examens cognitifs réalisés en 2011 aboutissent à des scores tout à fait satisfaisants, avec un score de 29/30 au MMS et un GIR évalué à 5. Elle fait valoir que le Docteur [G] [I], conclut alors que les troubles attentionnels sont causés par un syndrome dépressif et non par une altération des facultés intellectuelles de sa mère.

S'agissant de la consultation d'évaluation gérontologique réalisée le 19 septembre 2014 elle explique que les demandeurs omettent d'indiquer que leur mère avait obtenu un score de 27/30 au test MMS, soit un score parfaitement dans la norme, et le test des cinq mots aboutissait à un score de 10/10. Le Docteur [I] notait que l'examen était sans particularité sur le plan neurologique, et que Mme [Y] [A] était alors toujours autonome. Elle concluait à une « perte mnésique modérée mais surtout un syndrome dysexécutif dans un contexte de conflits familiaux importants et très mal vécu ». A cette date, selon la défenderesse, rien ne permettait de considérer que sa mère aurait eu des troubles du discernement la rendant incapable de prendre une décision ou de consentir valablement à un acte en connaissance de cause, ainsi qu'a pu le constater le Docteur [C].

Elle fait valoir que ni le Docteur [I], ni la psychologue Mme [D], ayant effectué le bilan, n'ont fait état de troubles cognitifs altérant les facultés actuelles de Mme [Y] [A], n'évoquant que de légers troubles de l'attention (uniquement lorsque « la charge cognitive augmente ») et sémantiques. Elle soutient que le syndrome dysexécutif sera qualifié de
« modéré » dans la cadre du bilan qui sera réalisé en janvier 2018, soit quatre années plus tard.

Elle fait valoir que le Docteur [C] indique qu'une personne peut avoir perdu la faculté de gérer ses biens et rester capable de dire comment elle souhaite que ceux-ci soient répartis après sa mort, ces activités et ces dispositions mettant en jeu des processus cognitifs différents.

Elle prétend que c'est en août et septembre 2014 que M. [H] [A] et Mme [O] [A] vont harceler leur mère par courriers recommandés afin de la questionner sur ses comptes suisses, démontrant, là encore, qu'ils l'estimaient en parfaite capacité de raisonner et de leur répondre, ce qu'elle fera d'ailleurs.

Elle explique que les demandeurs ne produisent aucun document médical entre la date du 20 novembre 2015 et le 31 janvier 2018, aucun médecin n'ayant estimé nécessaire de réaliser une nouvelle évaluation dans l'intervalle, évaluation qui en tout état de cause n'aurait présenté aucun intérêt au regard des débats en jeu, à défaut de concomitance

Elle souligne que les modifications de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie de la défunte, sont antérieures de trois ans à l'évaluation neurospsychologique faite par le centre hospitalier de [Localité 21] du 3 janvier 2018 qui si elle met en évidence un abaissement des performances cognitives par rapport à la précédente évaluation de 2015 avec un syndrome dysexécutif plus important, de même qu'un défaut d'accès au stock lexico-sémantique, le terme de « démence » n'est ni caractérisé, ni employé par les professionnels contrairement à ce qu'affirment les demandeurs.

Elle fait valoir que le docteur [C] note que les capacités intellectuelles de Mme [Y] [A] pouvaient être considérées comme proches de la normale le 23 décembre 2014 lors de son courrier sollicitant la modification de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance et qu'en aucun cas, le terme de
« démence » ne pouvait s'appliquer à sa situation.

Elle rétorque que l'article de la revue Neuropsychologie que les demandeurs produisent, conclut que l'évaluation de la prise de décision dans le vieillissement normal et pathologique donne lieu à des résultats contrastés, sinon parfois contradictoires.

S'agissant des manoeuvres dolosives et violences alléguées par les demandeurs, elle estime que ceux-ci échouent à en rapporter la preuve. Elle rappelle que sa mère passait alternativement ses dimanches chez chacune de ses filles et que si elle avait voulu la mainmise sur le patrimoine de sa mère, elle aurait demandé à être tutrice.

Elle prétend qu'aucune pièce ne vient attester de pressions qu'elle aurait exercées sur sa mère pour le changement de la clause. Elle indique que c'est elle qui a été victime des agressions de sa soeur [O] et, qu'en tout état de cause, les violences alléguées par les demandeurs datent de 2018.

Elle ajoute enfin que sa mère, dans le contexte de la régularisation des comptes détenus en Suisse, a de nouveau dû écrire à ses enfants, par courrier du
18 septembre 2014, dans le but d'une part, de leur rappeler qu'elle bénéficiait d'une donation au dernier vivant et, d'autre part, de les rassurer, Mme [Y] [A] leur confirmant que leur soeur ne détenait aucune somme sur son compte qui ne lui appartenait pas.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 1er mars 2023, le GIE AFER demande au tribunal :

- Vu l'article L 132-8 du Code des Assurances,

1. Sur la demande de nullité des modifications effectuées les 23 décembre 2014, 28 février 2015 et 27 mars 2015 de la clause bénéficiaire afférente a l'adhésion de Madame [Y] [A] (adhésion n "02655876) et sur la demande en paiement des capitaux décès :

STATUER ce que de droit.

2. En tout état de cause :

ORDONNER la mainlevée du séquestre et ENJOINDRE au GIE AFER de verser les capitaux décés afférents a l'adhésion n°02655876 de Madame [Y] [A] entre les mains du ou des bénéficiaires désignés par le Tribunal.

DIRE sur le quantum, que la somme due par le GIE AFER est égale au montant des capitaux décès - sous déduction des prélèvements sociaux et des droits fiscaux - correspondant au montant de la provision mathématique existant lors du désinvestissement du contrat, assorti de la revalorisation prévue par l'article L 132-5 du Code des Assurances.

DIRE que le GIE AFER n'est redevable d'aucun autre montant, notamment d'intérêts de quelle que nature qu'ils soient.

DIRE les requérants mal fondés en leurs demandes de condamnation formées e l'encontre du GIE AFER et les en débouter.

CONDAMNER les requérants aux dépens dont distraction au profit de Maitre Oriane DONTOT de la SELARL JRF & ASSOCIES, avocat, dans les termes de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

Le GIE AFER indique qu'il ne lui appartient pas d'émettre une appréciation quant au bénéficiaire de l'assurance-vie ; qu'il a respecté ses obligations et que les lettres de modifications ne révèlent aucun vice intrinsèque ou aucun indice de détérioration morphologique qui aurait pu l'alerter ; qu'il n'était pas tenu de mener des investigations à ce sujet et que de telles modification sont fréquentes à un âge avancé ; que l'adhésion au contrat est intervenue plus de deux ans avant le jugement de mise sous tutelle et n'a fait l'objet d'aucune acceptation du vivant de Mme [Y] [A].

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 mai 2023,la SARL NOCAUDIE-LE SOUEF demande au tribunal de :

Mettre hors de cause la SARL NOCAUDIE-LE SOUEF à l'encontre de laquelle aucune demande n'est formée,

Condamner, solidairement entre eux, Messieurs [Z] et [H] [A] ainsi que Madame [O] [A] épouse [R], à payer à la SARL NOCAUDIE-LE SOUEF la somme de 2 500€ par application de l'article 700 du code de procédure civile,

Les condamner également sous la même solidarité aux entiers dépens.

Elle fait valoir que les demandeurs ne formulant plus aucune demande à son encontre, elle doit être mise hors de cause.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande visant à voir déclarer nulle la clause de changement de bénéficiaire

pour insanité d'esprit

Aux termes de l'article 1129 du code civil, conformément à l'article 414-1, il faut être sain d'esprit pour consentir valablement à un contrat.

L'article 414-1 du code civil ajoute que c'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte.

L'appréciation des juges du fond est souveraine quant à l'existence d'un trouble et le trouble mental dont la preuve doit être rapportée doit exister au moment précis où l'acte attaqué a été fait.

En l'espèce, pour établir que Mme [Y] [A] n'était pas saine d'esprit au moment où elle a demandé la modification de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie, les demandeurs versent notamment aux débats plusieurs éléments médicaux et notamment, un compte-rendu d'IRM cérébrale du 30 septembre 2011, un compte-rendu d'une consultation mémoire auprès de Mme [D] [X], psychologue, en date du 19 septembre 2014, des comptes-rendus de consultations du Docteur [G] [I] en date des
26 septembre 2014, 20 novembre 2015, 28 février 2018 et 7 février 2020,
un compte-rendu d'évaluation neuropsychologique du 31 janvier 2018, un compte-rendu d'une consultation d'évaluation gérontologique du 16 février 2018, ainsi que plusieurs articles de littérature médicale.

Mme [L] [A] verse, quant à elle aux débats, une consultation d'expert à titre privé réalisée le 12 septembre 2022 par le Docteur [W] [C], neurologue, expert honoraire près la Cour de Cassation et près la Cour d'appel de Paris, à la demande de Mme [L] [A] et établi à partir des comptes-rendus de consultations d'évaluation gérontologique et consultations mémoire ayant eu lieu au Centre hospitalier de [Localité 22] les 23 novembre 2011,19 septembre 2014, 20 novembre 2015, 28 février 2018 et 31 janvier 2020, les comptes-rendu d'IRM cérébrales en date des 3 juin et 3 septembre 2011, les comptes-rendus de scanners cérébraux en date des 4 janvier 2018 et 7 janvier 2020, le compte-rendu d'évaluation neuropsychologique du 31 janvier 2018 du Centre hospitalier de [Localité 21], le compte-rendu hospitalier du 9 février 2018 du pôle gériatrique du centre hospitalier de [Localité 21], et le compte-rendu du 3 novembre 2017 de l'hôpital de [20] (cardiologie médicale).

Il convient de rappeler, à titre liminaire, que la modification de la clause bénéficiaire opérée par Mme [Y] [A] au profit de sa fille [L] a eu lieu à compter d'un courrier manuscrit en date du 23 décembre 2014. Mme [Y] [A] a ensuite confirmé et complété ce premier courrier par deux autres courriers du 3 mars 2015 et 27 mars 2015. Le jugement de tutelle a quant à lui été prononcé le 24 octobre 2018. La modification a donc eu lieu avant le début de la période suspecte telle qu'elle découle de l'article L132-4-1 du code des assurances, étant précisé que Mme [L] [A] n'a pas accepté du vivant de sa mère le bénéfice de l'assurance-vie.

Le trouble mental devant être apprécié au moment de l'acte litigieux, c'est bien au moment de la modification de la clause bénéficiaire de l'assurance-vie soit au 23 décembre 2014, 28 février 2015 et 27 mars 2015 qu'il convient d'apprécier l'état de santé dans lequel elle se trouvait.

Force est de constater que les comptes-rendus médicaux les plus pertinents pour apprécier cet état de santé sont le compte-rendu de consultation d'évaluation gérontologique et consultation-mémoire du 26 septembre 2014, intervenant trois mois avant le premier courrier de Mme [A], et dans une moindre mesure, celui du 20 novembre 2015, ce compte-rendu intervenant huit mois après le dernier acte litigieux.

Il ressort ainsi du rapport en date du 26 septembre 2014, du Docteur [G] [I], gérontologue qui suivait Mme [Y] [A] depuis 2011, que celle-ci avait alors un score MMS (mini mental state examination) de 27/30. Le test des cinq mots était à 10/10. Elle échouait au test de l'horloge et le BREF (batterie rapide d'efficience mentale) était à 8/18, ce score paraissant être en faveur d'un syndrome dysexécutif. Mme [D], psychologue, dont le rapport est annexé à celui du Docteur [I], notait que Mme [A] lui déclarait qu'elle devrait noter les choses pour contrer les effets défaillants de sa mémoire mais qu'elle n'oubliait néanmoins pas complètement. Mme [A] déclarait également ne pas avoir vécu pendant dix ans après la mort de son mari, qu'elle était très affectée par les problèmes familiaux et trouvait lamentable que ses enfants se disputent. Elle ajoutait détester la vieillesse et qu'à deux ce serait plus facile. Le Docteur [I] concluait que les difficultés cognitives de Mme [A] s'étaient majorées depuis la dernière consultation de 2011 avec une perte mnésique modérée et qu'il existait surtout un syndrome dysexécutif dans un contexte de conflits familiaux importants et très mal vécu.

Selon les articles de littérature médicale versés aux débats par les demandeurs, une personne atteinte d'un syndrome dysexécutif, rencontre des difficultés pour s'organiser dans ses activités, pour planifier et anticiper, pour résoudre des problèmes ; le jugement de la personne est appauvri dans le choix des actions à mettre en place, et il existe un déficit dans son raisonnement comparatif. Il convient de relever que ce syndrôme dysexécutif était naissant en septembre 2014 et qu'il allait continuer à évoluer au fil des années, le Docteur [I] notant dans son compte-rendu du 31 octobre 2018 que ce syndrome apparaissait plus important qu'en 2014 et qu'en 2015, ce qui démontre que contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, Mme [Y] [A] ne souffrait pas dès septembre 2014 d'un important syndrome dysexécutif. Les propos tenus par Mme [A] devant la psychologue, Mme [D], en septembre 2014, montrent qu'elle était tout à fait consciente de ce qui se passait autour d'elle, de son vieillissement mais également et surtout des conflits qui existaient entre ses enfants et qui l'attristaient.

S'il n'est pas contestable que ce syndrome dysexécutif a eu des conséquences sur les compétences de Mme [Y] [A] dans le cadre de sa vie quotidienne, la gériatre notant dans son compte-rendu du 20 novembre 2015 que Mme [A] avait délégué la gestion de son patrimoine à la défenderesse, force est de constater que la neuro-psycholoque, Mme [D], notait une "altération légère du fonctionnement cognitif", et ce quasiment un an après le premier courrier de modification de la clause adressé par Mme [A] à son assureur.

Le Docteur [C], au vu des différents comptes-rendus médicaux et résultats d'imageries qui lui ont été soumis par la défenderesse et qui correspondent aux documents versés aux débats par les demandeurs, indique que "l'évaluation du 23 décembre 2014 permet de constater que, moins de quatre mois avant la rédaction de l'acte contesté, il n'y avait aucun argument prouvant que Mme [A] avait des troubles du discernement la rendant incapable de prendre une telle décision en connaissance de cause".

Dans ses conclusions, il indique que Mme [A] "a présenté, sans doute, dès 2011, une affection dégénérative cérébrale associée à des lésions artérielles, altérant progressivement ses capacités intellectuelles. Ses capacités intellectuelles pouvaient être considérées proches de la normale le
23 décembre 2014 lors de son courrier sollicitant la modification de la clause bénéficiaire d'un contrat d'assurance.
Le 7 juin 2016, bien que ses capacités cognitives se soient altérées, Mme [A] restait apte à prendre des décisions conformes à ses souhaits. En aucun cas, le terme de "démence" ne pouvait s'appliquer à sa situation. Rappelons que la patiente, qui vivait seule, gardait une relative autonomie (en dépit de l'aide humaine, au demeurant restreinte, dont elle bénéficiait.).
Pour terminer, les professionnels de santé prenant en charge des patients souffrant d'altération cognitive comme celle dont Mme [A] souffrait, insistent sur le fait que ce serait une erreur de postuler qu'une personne ayant un trouble cognitif soit nécessairement incapable d'effectuer un acte juridique".

Les documents versés aux débats par les demandeurs qui correspondent à des articles de recherche médicale en neuropsychologie sont par définition des documents de nature générale dont les conclusions ne peuvent être transposables à un acte et à une personne en particulier. Par ailleurs, les premières lésions cérébrales de Mme [A], apparues à l'IRM de 2011 sont insuffisantes à conclure qu'elle n'aurait pas été en capacité de faire valoir sa volonté de changer le bénéficiaire du contrat d'assurance

En tout état de cause, on peut constater que la lettre écrite des mains de Mme [Y] [A] le 23 décembre 2014 en vue de changer la clause bénéficiaire est parfaitement rédigée. Elle est écrite de manière régulière sur papier à lettres. Elle a mentionné son adresse en haut à gauche, et a indiqué la date et le lieu de rédaction. Les mots employés sont précis et sans équivoque, Mme [A] précisant d'ailleurs, que cette lettre fait suite à une conversation téléphonique qu'elle a eue avec sa conseillère. Les lettres du 28 février et
27 mars 2015 en vue de voir ajouter comme bénéficiaires les enfants de
Mme [L] [A] en cas de décès de celles-ci, et venant compléter la première demande de modification, sont également parfaitement rédigées et démontrent une volonté logique et déterminée de faire en sorte que l'assureur prenne en compte sa volonté exprimée dès le premier courrier. La comparaison avec une lettre manuscrite adressée à son fils, [Z], et datant du 6 avril 2005 permet de constater la même écriture et la même façon de présenter le courrier en respectant les règles classiques d'adressage et le respect des marges. Cette lettre permet de constater par ailleurs, l'aisance de Mme [Y] [A] à gérer ses affaires, celle-ci indiquant alors à son fils [Z] qu'elle lui fait expédier la somme de 20.000 € depuis son compte AFER.

Il convient de relever par ailleurs que le 26 août 2014, soit quelques mois avant le changement de clause bénéficiaire, les demandeurs ont adressé un courrier LRAR à leur mère extrêmement précis au sujet de la procédure de régularisation des avoirs qu'elle détenait en Suisse, lui reprochant d'avoir mandaté un autre avocat que celui qu'ils avaient initialement choisi pour procéder à la régularisation liée au transfert des sommes en France. Ils lui posaient ensuite dans cette lettre des questions très détaillées sur les raisons pour lesquelles leur père avait ouvert deux comptes avant son décès (l'un au nom de Mme [Y] [A], l'autre au nom de [L] [A]), si le compte de [L] contenait aussi l'argent de leur père, si [L] [A] payait des impôts en France ou en Suisse, si celle-ci avait-elle-même engagé une procédure de régularisation et dans l'affirmative, si cette procédure était bien distincte de la sienne.

Puis de nouveau, dans un courrier LRAR en date du 8 septembre 2014, versé aux débats, [Z] et [H] [A] demandaient à leur mère une réponse à leur courrier du 26 août, terminant leur lettre en indiquant : "à réception de cette lettre, après un délai raisonnable qui te permettra de bien peser les conséquences de ton mutisme, les lettres partiront." Mme [Y] [A] répondait précisément à ses deux fils par une lettre manuscrite en date du
18 septembre 2014. Cet échange de courriers démontre à la fois que les demandeurs n'avaient aucun doute sur les capacités cognitives de leur mère au vu de la teneur des échanges et qu'elle était en capacité de répondre à leurs questions. Sa réponse du 18 septembre montre, d'une part, qu'elle comprenait les inquiétudes de ses fils pouvant se sentir lésés, et d'autre part qu'elle était encore très au fait de sa situation patrimoniale et notamment de la situation de ses avoirs se trouvant en Suisse.

Il convient de relever que contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, la décision de modifier la clause bénéficiaire d'une assurance-vie, c'est à dire de faire le choix de privilégier une personne par rapport à une autre, n'est pas en soi un acte que l'on peut qualifier de complexe et les demandeurs sont défaillants à rapporter la preuve que les difficultés cognitives naissantes et notamment le syndrome dyséxécutif diagnostiqué en septembre 2014 auraient empêché leur mère d'émettre une telle volonté et de rédiger une lettre en ce sens. Le Docteur [C] note d'ailleurs "qu'une personne peut avoir perdu la faculté de gérer ses biens et rester capable de dire comment elle souhaite que ses biens soient répartis après sa mort, ces activités et ces dispositions mettant en jeu des processus cognitifs différents". S'agissant des tableaux Excel et Word évoqués par les demandeurs, force est de constater que les courriers de Madame [Y] [A] en vue de modifier la clause bénéficiaire n'étaient accompagnés d'aucun tableau de ce type.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les consorts [A] sont défaillants à rapporter la preuve qui leur incombe que leur mère n'était pas saine d'esprit le 23 décembre 2014, le 28 février 2015 et le 27 mars 2015, au moment où elle a demandé la modification de la clause bénéficiaire de son contrat d'assurance-vie.

pour vices du consentement

L'article 1130 du code civil dispose que l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.

Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.

En l'espèce, les consorts [A] soutiennent à titre subsidiaire que le changement de la clause bénéficiaire aurait été obtenu grâce à l'emprise psychologique et aux pressions que leur soeur [L] aurait exercées sur Mme [Y] [A] et sur les violences qu'elle lui aurait fait subir.

S'agissant des violences, il convient de relever que sont versés de part et d'autre des mains courantes attestant essentiellement de violences entre les demandeurs et la défenderesse et non de la défenderesse à l'égard de sa mère.

Le courrier que les demandeurs versent aux débats en date du 8 mai 2014, en réponse au courrier de leur soeur en date du 25 avril 2014 dans lequel celle-ci explique les actions qu'elle a menées par rapport au patrimoine de leur mère, montre que ces derniers étaient plutôt satisfaits de ces actions puisqu'ils lui faisaient part de leurs remerciements.

Le seul fait que Mme [L] [A] ait eu procuration sur les comptes de sa mère et qu'elle ait géré son patrimoine pendant une période, ne saurait être un élément suffisant pour en déduire qu'elle aurait exercé une pression psychologique ou des manoeuvres dolosives sur sa mère qui aurait conduit celle-ci à lui faire modifier la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie à son profit et au profit de ses enfants.

Par ailleurs, il convient de relever que lors de ses entretiens avec la psychologue ou le gérontologue, Mme [Y] [A], ne fait à aucun moment part de violences ou de pressions qu'elle subirait de la part de sa fille [L] mais se plaint surtout de la mésentente entre ses enfants.

Enfin l'aide à domicile qui venait chez Mme [A] de 2012 à novembre 2017 n'évoque, dans son témoignage, ni pressions ni violences de la part de Mme [L] [A] sur sa mère.

Les demandeurs sont donc défaillants à rapporter la preuve qui leur incombe d'un vice du consentement susceptible de faire annuler la modification de la clause bénéficiaire.

Il résulte de l'ensemble des éléments qui précèdent que les consorts [A] seront déboutés de leur demande visant à voir prononcer la nullité de la modification de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie.

De fait, leur demande visant à ce que les capitaux-décès soient versé à parts égales entre les héritiers doit également être rejetée.

Sur la demande reconventionnelle de mainlevée du séquestre et de versement des capitaux à Mme [L] [A]

Aux termes de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

En l'espèce, il résulte de la présente décision que la modification de la clause bénéficiaire au profit de Mme [L] [A] est valable.

Il convient par conséquent d'ordonner la mainlevée du séquestre des capitaux décès détenus par le GIE AFER au titre du contrat d'assurance-vie n°02655876 souscrit par Mme [Y] [A] et d'autoriser le GIE AFER à verser les capitaux relatifs au contrat d'assurance-vie à Mme [L] [A], bénéficiaire.

La somme due par le GIE AFER est égale au montant des capitaux décès - sous déduction des prélèvements sociaux et des droits fiscaux - correspondant au montant de la provision mathématique existant lors du désinvestissement du contrat, assorti de la revalorisation prévue par l'article L 132-5 du Code des Assurances.

Le tribunal n'étant saisi d'aucune autre demande en paiement ou d'une demande au titre des intérêts, la demande du GIE AFER visant à voir dire qu'il n'est redevable d'aucun autre montant, notamment d'intérêts, doit être déclarée sans objet.

Sur les autres demandes

Il résulte de l'article 1310 du code civil que la solidarité est légale ou conventionnelle.

Les défendeurs ne rapportant pas la preuve d'une solidarité légale ou conventionnelle, la condamnation des demandeurs aux dépens et aux frais irrépétibles sera prononcée in solidum.

Sur les dépens

Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En vertu de l'article 699 du même code, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.

Les consorts [A], qui perdent leur procès, seront condamnés in solidum aux dépens de l'instance avec distraction profit de Maitre Oriane DONTOT de la SELARL JRF & ASSOCIES.

Sur les frais irrépétibles

Selon l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.
Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent.

Les consorts [A], parties tenues aux dépens, seront condamnées in solidum à payer à Mme [L] [A] la somme de 5.000 € et la somme de 2.000 € à la société NOCAUDIE-LE SOUEF, au titre des frais irrépétibles, étant précisé que le GIE AFER n'a pas formulé de demande à ce titre.

Sur l'exécution provisoire

En application de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la décision rendue n'en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,

DEBOUTE Monsieur [Z] [A], Monsieur [H] [A] et Madame [O] [A] de l'ensemble de leurs demandes,

ORDONNE la mainlevée du séquestre des capitaux décès détenus par le GIE AFER au titre du contrat d'assurance-vie n°02655876 souscrit par Madame [Y] [A] le 29 mars 1990,

ORDONNE au GIE AFER de verser les capitaux décès afférents au contrat d'assurance-vie n°02655876 souscrit par Madame [Y] [A] le
29 mars 1990 à Madame [L] [A], bénéficiaire,

DIT que la somme due par le GIE AFER est égale au montant des capitaux décès - sous déduction des prélèvements sociaux et des droits fiscaux - correspondant au montant de la provision mathématique existant lors du désinvestissement du contrat, assorti de la revalorisation prévue par l'article
L 132-5 du Code des Assurances,

PRONONCE la mise hors de cause de la SARL NOCAUDIE-LE SOUEF,

CONDAMNE in solidum Monsieur [Z] [A], Monsieur [H] [A] et Madame [O] [A] à payer à Madame [L] [A], la somme de
5.000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum Monsieur [Z] [A], Monsieur [H] [A] et Madame [O] [A] à payer à la société SARL NOCAUDIE-LE SOUEF , la somme de 2.000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE les parties de toutes demandes plus amples ou contraires,

RAPPELLE que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 MAI 2024 par M. JOLY, Vice-Président, assisté de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, lesquels ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT
Carla LOPES DOS SANTOS Eric JOLY


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Versailles
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 20/06118
Date de la décision : 02/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-02;20.06118 ?
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