La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/04/2024 | FRANCE | N°22/01658

France | France, Tribunal judiciaire de Versailles, Troisième chambre, 11 avril 2024, 22/01658


Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
11 AVRIL 2024


N° RG 22/01658 - N° Portalis DB22-W-B7G-QMLS
Code NAC : 30Z




DEMANDERESSE :

La société AUBERGENVILLE (Nom commercial : LES JARDINS MÉDICIS), société par actions simplifiée dont le siège social est situé [Adresse 3], prise en la personne de son Président domicilié audit siège,

représentée par Maître Nicolas DHUIN de l’AARPI D’ORNANO DHUIN représentée par la SELARLU NHDA, avocat plaidant au barreau de PARIS et par Maître Sop

hie POULAIN, avocat postulant au barreau de VERSAILLES.



DÉFENDEURS :

1/ Monsieur [W] [B]
demeurant [Adresse 2],

2/ Monsie...

Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
11 AVRIL 2024

N° RG 22/01658 - N° Portalis DB22-W-B7G-QMLS
Code NAC : 30Z

DEMANDERESSE :

La société AUBERGENVILLE (Nom commercial : LES JARDINS MÉDICIS), société par actions simplifiée dont le siège social est situé [Adresse 3], prise en la personne de son Président domicilié audit siège,

représentée par Maître Nicolas DHUIN de l’AARPI D’ORNANO DHUIN représentée par la SELARLU NHDA, avocat plaidant au barreau de PARIS et par Maître Sophie POULAIN, avocat postulant au barreau de VERSAILLES.

DÉFENDEURS :

1/ Monsieur [W] [B]
demeurant [Adresse 2],

2/ Monsieur [V] [M]
demeurant [Adresse 1],

3/ Madame [H] [L] épouse [M]
demeurant [Adresse 1]

représentés par la SELARL CHOISEZ & ASSOCIES, avocats plaidants au barreau de PARIS et par Maître Martine DUPUIS de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES.

ACTE INITIAL du 15 Mars 2022 reçu au greffe le 23 Mars 2022.

DÉBATS : A l'audience publique tenue le 07 Mars 2024, Madame GARDE, Juge, siégeant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du Code de Procédure Civile, assistée de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, a indiqué que l’affaire sera mise en délibéré au 11 Avril 2024.

* * * * * *

EXPOSE DU LITIGE

En 2004, la société GDP Vendôme Promotion (pour les biens et droits immobiliers) et la société Aubergenville (pour les biens mobiliers) ont vendu à la société Sirele les lots n° 33 et 34 dépendant d'un ensemble immobilier soumis au statut de la copropriété situé [Adresse 3] (78), correspondant à un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes dénommé "Les Jardins de Médicis".

Par acte sous seing privé des 13 juillet et 15 novembre 2004, la société Sirele a donné à bail commercial à la société Aubergenville les mêmes lots, pour l'exploitation d'une résidence pour personnes âgées dépendantes, valides et semi-valides, consistant en la sous-location meublée desdits locaux, à usage exclusif d'habitation, pour des périodes de temps déterminées, avec la fourniture de différents services à la clientèle, pour une durée de neuf années à compter de la signature définitive de l'acte de vente notarié, moyennant un loyer annuel de 8.453,66 euros par lot, TVA comprise.

Le contrat contient un article "Loyer et indexation" dont le quatrième alinéa est libellé dans les termes suivants :

"Ce loyer sera, à compter de la deuxième année entière suivant la prise d'effet du bail, révisé annuellement en appliquant une garantie de 50 % de l'augmentation annuelle autorisée du prix des prestations d'hébergement des personnes âgées, publié par le Ministère de l'économie et des finances, avec une garantie de 1,5 % par an."

M. [W] [B] d'une part et M. [V] [M] et Mme [H] [L], son épouse, d'autre part, se sont portés acquéreurs des lots n° 33 et 34 de l'ensemble immobilier suivant actes notariés régularisés le 24 octobre 2019 pour le premier et le 10 juin 2020 pour les seconds.

Le 24 juin 2020, dans un courrier intitulé "Information relative à la résidence Les Jardins Médicis et à votre contrat de bail", la société Aubergenville a informé ses bailleurs de l'illicéité de la clause dite "d'indexation" figurant dans les contrats, de l'application, tant pour l'avenir que pour le passé, et dans la limite de la prescription quinquennale, du montant du loyer initial, ainsi que de l'étalement du remboursement des trop-perçus sur huit trimestrialités courant à compter du mois de septembre 2020.

Dans une décision rendue le 19 février 2021, le juge des référés de Versailles a ordonné à la société Aubergenville de reprendre, à compter du paiement dû au titre du troisième trimestre 2020, le paiement intégral du loyer tel qu'acquitté au titre du premier trimestre 2020 et prononcé la condamnation de cette même société au paiement de diverses provisions.

C'est dans ces conditions que, par exploit introductif d'instance délivré les 15 et 18 mars 2022, la société Aubergenville a fait assigner M. [W] [B],
M. [V] [M] et Mme [H] [L], son épouse, devant le tribunal judiciaire de Versailles afin, d'une part, que la clause d'indexation litigieuse soit réputée non écrite et, d'autre part, que les défendeurs soient condamnés à lui rembourser le trop-perçu de loyer avec intérêts légaux à compter de l'exploit introductif d'instance.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées au greffe par voie électronique le 9 novembre 2023, la société Aubergenville demande au tribunal de :

- Réputer non écrite la clause d'indexation de chaque bail liant la société Aubergenville aux défendeurs,
- Débouter les défendeurs de l'ensemble de leurs demandes,

En conséquence,

- Condamner M. [W] [B] au paiement de la somme de 9.280,24 € arrêtée au 31 décembre 2023, et subsidiairement au paiement de la somme de
4.519,38 € - majorée des intérêts légaux à compter de l'exploit introductif d'instance sur la somme de 3.213,65 € et à compter du 30 juin 2023 pour
le surplus,
- Condamner solidairement M. [V] [M] et Mme [H] [M] au paiement de la somme de 7.899,87 € arrêtée au 31 décembre 2023 - et subsidiairement au paiement de la somme de 3.775,79 € - majorée des intérêts légaux à compter de l'exploit introductif d'instance sur la somme de 4.430,33 €, et à compter du
30 juin 2023 pour le surplus,
- Condamner solidairement les défendeurs au paiement de la somme de
3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner solidairement les défendeurs aux dépens qui pourront être recouvrés directement par Maître Sophie Poulain, conformément à l'article 699 du même code.

La société Aubergenville soutient, au visa de l'article L. 112-1, alinéa 1, du code monétaire et financier, que l'indexation automatique des prix de biens ou de services est interdite. Elle ajoute, sur le fondement de l'alinéa 2 du même article, qu'est réputée non écrite toute clause d'un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d'une période de variation de l'indice supérieure à la durée s'écoulant entre chaque révision.

Elle relève, en l'espèce, que la clause d'indexation prévoit une révision annuelle du loyer en appliquant 50 % de l'augmentation annuelle de l'indice du prix des prestations d'hébergement des personnes âgées (PPH) avec une garantie de 1,5 % net par an, de sorte que l'indice PPH ne trouve à s'appliquer que si la variation entre les deux indices est supérieure à 3 %, la majoration de 1,5 % s'appliquant dans tous les autres cas. Elle en déduit une entrave au libre jeu de l'indice, dont elle écarte purement et simplement l'application aussitôt qu'elle aboutit à une variation du loyer inférieure à 1,5 % et, partant, une distorsion entre la période de variation de l'indice des prix et la durée s'écoulant entre chaque révision.

Elle réplique que ni DomusVi ni elle ne sont à l'origine de la rédaction de la clause d'indexation. Elle ajoute que c'est avant tout à elle que l'illicéité de la clause a nui, la répétition de l'indu étant soumise à une prescription quinquennale.

Elle observe que le statut des baux commerciaux exclut tout mécanisme de revalorisation annuelle automatique et à la hausse du loyer, seules la révision triennale de l'article L. 145-38 du code de commerce et la clause d'échelle mobile de l'article L. 145-39 du même code étant admises. Elle rappelle, en outre, que la clause de "bail à paliers" n'a pas pour objet la revalorisation et/ou révision du loyer, mais la détermination de celui-ci. Elle réplique que le prix des prestations d'hébergement des personnes âgées, composé de six indices, tous susceptibles de varier à la hausse comme à la baisse, revêt bien la qualification d'indice puisqu'il permet la variation du loyer selon sa propre évolution.

Elle réfute le caractère divisible de la clause d'indexation compte tenu, d'une part, de l'imbrication entre l'application de l'indice et la garantie d'augmentation, le tout étant rédigé dans un unique alinéa et, d'autre part, de la position des défendeurs qui en exigent l'application pleine et entière.

Elle sollicite, à titre subsidiaire, la reconstitution du loyer sur la base du prix du bail indexé à hauteur de 50 % du prix des prestations d'hébergement des personnes âgées et ce, depuis la conclusion du bail, le taux d'augmentation garanti, réputé non-écrit, ne pouvant trouver application.

Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées au greffe par voie électronique le 7 novembre 2023, M. [W] [B], M. [V] [M] et Mme [H] [L], son épouse, demandent au tribunal de :

- Débouter la société d'Aubergenville de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- Rejeter toutes fins, moyens et conclusions contraires,
- Juger ladite clause d'augmentation forfaitaire licite,
- Rejeter la sanction de ce que la clause litigieuse serait non-écrite,

A titre principal

- Juger que ladite clause n'est pas une clause d'indexation mais une clause d'augmentation forfaitaire,
- Rejeter la demande de la société d'Aubergenville visant à faire condamner les bailleurs au remboursement du trop-perçu dans la limite de cinq ans,
- Ordonner la poursuite du bail dans les termes contractuellement prévus,

A titre subsidiaire

- Juger que la clause de révision ne peut être réputée non écrite en son entier et que seul le taux d'augmentation de 1,5 % stipulé par les parties est réputé non écrit,
- Rejeter la demande de la société d'Aubergenville visant à faire condamner les bailleurs au remboursement du trop-perçu dans la limite de cinq ans,
- Ordonner la poursuite du bail dans les termes contractuellement prévus,

En tout état de cause

- Condamner la société d'Aubergenville à payer à chacun des demandeurs une somme de 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société d'Aubergenville aux entiers dépens de l'instance.

Les défendeurs soutiennent, au visa des articles 1102 et 1188 du code civil, que la clause d'augmentation forfaitaire du loyer, qui prévoit une révision du loyer à la hausse en fonction d'un taux forfaitaire, ne contrevient pas aux dispositions relatives à la révision du loyer et à l'indexation prévues par le code de commerce et le code monétaire et financier.

Ils prétendent que la clause litigieuse, bien qu'intitulée "Indexation", n'est pas une clause d'indexation puisque l'augmentation du loyer, forfaitaire (1,5 % chaque année, sans référence à un quelconque indice), est consentie selon des modalités de calcul consensuelles, empruntes d'une réciprocité certaine entre les parties. Ils soulignent que le prix des prestations d'hébergement des personnes âgées exclut, par nature, toute réciprocité de variation et qu'il y est uniquement fait référence pour assurer une cohérence économique au taux d'augmentation contractuellement prévu. Ils considèrent que les modalités d'exécution du bail témoignent de la volonté des parties d'assurer au loyer une augmentation forfaitaire de 1,5 % par an, indépendamment de toute variation indiciaire.

Ils soutiennent encore que la société Aubergenville est à l'origine de son propre préjudice (rédaction du contrat de bail, application spontanée de l'augmentation du loyer, etc.) et que la déloyauté dont elle a fait preuve justifie, au regard du principe de l'estoppel, l'irrecevabilité de ses demandes pécuniaires.

Ils considèrent, à titre subsidiaire, que le caractère réputé non écrit doit être limité à la seule stipulation prohibée, c'est-à-dire à l'application d'une augmentation annuelle du loyer de 1,5 % en lieu et place d'une augmentation égale à 50 % du prix des prestations d'hébergement des personnes âgées, la preuve du caractère indivisible de la clause n'étant pas rapportée.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 novembre 2023.

A l'issue de l'audience de plaidoiries qui s'est tenue le 7 mars 2024, le tribunal a demandé la production sous quinzaine, par voie de note en délibéré notifiée par RPVA, des titres de propriété des défendeurs. Par note en réponse, adressée le 8 mars 2024, le conseil de la société Aubergenville a produit deux attestations notariées portant sur les lots n° 33 et 34. Le conseil des défendeurs ne s'est pas manifesté.

MOTIFS

Les dispositions issues de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations étant applicables aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, il sera fait référence, dans le présent jugement, à l'ancienne numérotation du code civil.

Sur la qualification de la clause litigieuse

Selon l'article 1134 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles doivent être négociées, formées et exécutées de bonne foi.

Aucune disposition du statut des baux commerciaux n'encadre les modalités de fixation initiale du prix du bail. Celle-ci est donc libre, dans sa méthode comme dans son montant, pourvu que le montant du loyer, à défaut d'être déterminé, reste déterminable.

Les baux à paliers sont des contrats dans lesquels une augmentation du prix est prévue par avance quant à son montant, et quant à la date à laquelle elle se produira, indépendamment des évolutions liées à l'indexation ou à la révision.

Les clauses d'échelle mobile sont celles qui ont notamment pour objet de maintenir au prix du bail initialement fixé le pouvoir d'achat qu'il avait à l'origine.

En l'espèce, les baux comprennent un article intitulé "Loyer et indexation" libellé dans les termes suivants :

"LOYER ET INDEXATION

Le présent bail est consenti moyennant un loyer assujetti à la TVA, au taux en vigueur par l'option du bailleur en conformité de l'article 293 F du Code général des Impôts. Le bailleur déclare expressément opter pour l'assujettissement à la TVA et renoncer à la franchise en base.

En cas de modification du taux de la TVA, les loyers ci-après exprimés TVA incluse seraient modifiés en conséquence.

Le loyer annuel dont le montant TVA incluse est indiqué ci-après est payable trimestriellement, à terme échu, dans le mois qui suit le trimestre civil. Le bailleur devra établir, à cette fin, une facture détaillant le montant du loyer et la TVA y afférent.

Ce loyer sera, à compter de la deuxième année entière suivant la prise d'effet du bail, révisé annuellement en appliquant une garantie de 50 % de l'augmentation annuelle autorisée du prix des prestations d'hébergement des personnes âgées, publié par le Ministère de l'économie et des finances, avec une garantie de 1,5 % par an.

Le présent est fixé comme suit pour un lot :

* quote-part du loyer annuel représentative des locaux d'habitation et de leurs dépendances immédiates et nécessaires :
- loyer toutes taxes comprises : 8.453,66 €,
- loyer hors taxe : 8.012,95 €,
- taxe sur la valeur ajoutée au taux de 5,5 % : 440,71 €.

Le loyer garanti par le groupe GDP Vendôme est payable trimestriellement, à terme échu, et dans le mois qui suit le trimestre civil.

Il est précisé que le taux de TVA actuellement applicable est le suivant :
* locaux d'habitation et dépendances : 5,5 %.

Le bailleur devra établir une facture détaillant le montant du loyer et la TVA y afférent, en opérant la ventilation du taux précité."

Les alinéas 5 et suivants de l'article, consacrés à la méthode de calcul et au montant du loyer, dont les termes sont clairs, précis et univoques, fixent le montant annuel du loyer à la somme de 8.012,95 €, TVA en sus. Ne sont évoqués ni le principe d'un bail à paliers ni, le cas échéant, ses modalités concrètes (nombre de paliers, montant des paliers, indexation éventuelle).

L'alinéa 4 acte, à compter de la deuxième année entière suivant la prise d'effet du bail, une révision annuelle du loyer en appliquant une garantie de 50 % de l'augmentation annuelle autorisée du prix des prestations d'hébergement des personnes âgées, publié par le Ministère de l'économie et des finances, avec une garantie de 1,5 % par an.

Le terme de "révision", qui peut être défini comme l'action d'examiner de nouveau, de mettre à jour ou de modifier, s'inscrit dans une logique d'adaptation du prix du bail initialement fixé au cours de l'exécution du contrat et non de définition de ses modalités de fixation initiale (comme le supposerait un bail à paliers). En d'autres termes, c'est le prix du bail initial, sur lequel les parties se sont clairement accordées (8.012,95 €, TVA en sus, par lot), qui est majoré, chaque année, d'un pourcentage égal à 50 % de l'augmentation annuelle autorisée du prix des prestations d'hébergement des personnes âgées et, a minima, de 1,5 %.

Si les défendeurs prétendent que l'augmentation forfaitaire de 1,5 % est indépendante de l'augmentation annuelle du prix des prestations d'hébergement des personnes âgées, il convient d'observer que, si le taux publié devait être supérieur à 3 %, la garantie de 1,5 % serait exclue au profit d'une application égale à 50 % dudit taux. La révision opérée est dès lors bien dépendante du prix des prestations d'hébergement des personnes âgées.

D'ailleurs, les défendeurs indiquent eux-mêmes que la référence à l'augmentation annuelle du prix des prestations d'hébergement des personnes âgées a une vocation contextuelle, pour assurer la rationalité économique du taux d'augmentation retenu. Le prix des prestations d'hébergement des personnes âgées, qui est en lien direct avec l'objet de la convention, a en effet pour particularité de plafonner, chaque année, le prix du socle des prestations et des autres prestations d'hébergement des personnes âgées par les établissements spécialisés.

En prévoyant une révision annuelle du loyer à hauteur de 50 % du prix des prestations d'hébergement des personnes âgées avec une garantie de 1,5 %, les parties sont donc convenues d'assurer aux bailleurs une certaine adaptation de l'économie du contrat au fil de son exécution et ce, eu égard à la spécificité de l'activité concernée et des prix qui y sont pratiqués.

Enfin, si le choix d'une révision annuelle et automatique par rapport à l'augmentation annuelle du prix des prestations d'hébergement des personnes âgées diffère d'une indexation classique (ILC, ICC, etc.), cette seule circonstance ne peut suffire à exclure la qualification de clause d'indexation, laquelle se déduit de l'automaticité de la réévaluation opérée chaque année.

La clause litigieuse sera, par conséquent, qualifiée de clause d'indexation.

Sur la licéité de la clause litigieuse

L'article L. 112-1, alinéa 1, du code monétaire et financier dispose que sous réserve des dispositions du premier alinéa de l'article L. 112-2 et des articles
L. 112-3, L. 112-3-1 et L. 112-4, l'indexation automatique des prix de biens ou de services est interdite.

L'article L. 112-2, alinéa 1, du code monétaire et financier prévoit que dans les dispositions statutaires ou conventionnelles, est interdite toute clause prévoyant des indexations fondées sur le salaire minimum de croissance, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services n'ayant pas de relation directe avec l'objet du statut ou de la convention ou avec l'activité de l'une des parties.

En l'espèce, le contrat prévoit une période de variation de l'indice et une durée s'écoulant entre chaque révision d'une année.

Toutefois, la durée s'écoulant entre chaque révision est soumise à la publication annuelle, par le Ministère de l'économie et des finances, d'un pourcentage d'augmentation autorisée des prix supérieur ou égal à 3 %. En effet, si ce pourcentage était inférieur à 3 %, et par exemple de 2 %, le loyer devrait être révisé, conformément aux termes de la clause, à hauteur de 1 % (c'est-à-dire
50 % du pourcentage publié par le Ministère). Or, les parties sont convenues, lors de la rédaction du bail, d'une indexation plancher de 1,5 % net chaque année. Dès lors, à chaque fois que la clause d'indexation aboutit à une révision annuelle du loyer inférieure à 1,5 % net, le mécanisme de l'indexation est écarté au profit de la garantie énoncée, ce qui engendre une distorsion entre la période de variation de l'indice et la durée s'écoulant entre chaque révision.
La garantie de 1,5 % s'inscrit, par conséquent, en violation des dispositions du code monétaire et financier.

Contrairement à ce qu'affirme la société Aubergenville, la manière dont la clause est libellée permet d'isoler la garantie de 1,5 % net par an à l'origine de la distorsion et ce, sans que la cohérence du reste de la clause ne soit atteinte. De plus, il n'est pas établi que cette garantie ait été déterminante dans la volonté des parties de soumettre le loyer à une indexation.

Par conséquent, seule la stipulation créant la distorsion prohibée sera réputée non-écrite, la clause d'indexation liant les parties restant valable pour le surplus.

Sur les demandes en répétition de l'indu

Sur le principe de l'estoppel

Le principe de l'estoppel peut être défini comme le comportement procédural constitutif d'un changement de position de nature à induire son adversaire en erreur sur ses intentions.

Il est sanctionné par une fin de non-recevoir.

En l'espèce, les défendeurs ne saisissent le tribunal d'aucune fin de non-recevoir tirée de la violation du principe de l'estoppel. De plus, ils ne démontrent pas de changement de position du demandeur au cours de la présente instance de nature à les induire en erreur sur ses intentions.

Le moyen présenté sera donc rejeté.

Sur le bien-fondé des demandes

Selon l'article 1235 du code civil, tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition.
La répétition n'est pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées.

En application de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Il s'en infère que la créance de restitution ne peut être calculée sur la base du loyer initial mais doit l'être sur celle du loyer acquitté à la date du point de départ de la prescription, indexation litigieuse et garantie de 1,5 % par an incluses.

La société Aubergenville ne justifie d'aucune cause d'interruption de la prescription antérieure à la date de délivrance de l'exploit introductif d'instance.

Dès lors, le loyer de base servant de calcul pour la restitution doit être reconstitué à compter de celui dû au jour du point de départ du délai de prescription, soit le 18 mars 2018 (pour M. [W] [B]) et le 15 mars 2018 (pour M. [V] [M] et Mme [H] [L]), indexation contractuelle et garantie de 1,5 % incluses.

Une fois ce montant déterminé, il appartient aux parties d'y appliquer l'indexation contractuelle, hors garantie de 1,5 %, et de calculer la différence existante avec le montant du loyer acquitté, que les défendeurs seront condamnés à payer à la société Aubergenville.

En application de l'article 1153 du code civil, dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement.
Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.
Ils ne sont dus que du jour de la sommation de payer, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit.

Les demandes en paiement formées en justice étant assimilées à des mises en demeure, les intérêts au taux légal seront dus à compter de la délivrance des exploits introductifs d'instance pour la somme de 3.213,65 € pour M. [W] [B] ou 4.430,33 € pour M. [V] [M] et Mme [H] [L], son épouse, et à compter du jugement pour l'éventuel surplus, la date du 30 juin 2023 visée par la société Aubergenville n'étant pas justifiée.

Enfin, la solidarité étant légale ou conventionnelle mais ne se présumant pas, les condamnations prononcées à l'endroit de plusieurs défendeurs le seront in solidum et non solidairement.

Sur les autres demandes

Sur les dépens

Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En vertu de l'article 699 du code de procédure civile, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.

Les défendeurs, qui succombent en leurs demandes, seront condamnés in solidum aux dépens de l'instance, avec droit de recouvrement au profit de Maître Sophie Poulain en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

Les défendeurs, tenus aux dépens, seront condamnés in solidum à payer à la société Aubergenville la somme qu'il est équitable de fixer, eu égard aux situations économiques respectives des parties, à la somme de 2.500 €.

Sur l'exécution provisoire

En application de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la décision rendue n'en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,

QUALIFIE le quatrième alinéa de l'article "Loyer et indexation" stipulé aux baux liant les parties de clause d'indexation,

CONSTATE le caractère réputé non-écrit partiel de cette clause d'indexation en ce qu'elle instaure une garantie de 1,5 % net lors de l'indexation annuelle du loyer,

CONSTATE la validité de la clause d'indexation pour le surplus,

CONDAMNE M. [W] [B] à restituer à la société Aubergenville le trop-perçu de loyer pour le lot n° 33 dépendant de l'immeuble situé [Adresse 3] (78) tiré de la différence entre
le montant du loyer effectivement acquitté sur la période courant du
21 octobre 2019 au 31 décembre 2023 et le montant du loyer contractuellement dû après indexation (exclusion faite de la garantie de 1,5 %) du loyer de base appelé au 18 mars 2018, avec intérêts au taux légal à compter du 18 mars 2023 sur la somme de 3.213,65 € et à compter du présent jugement pour le surplus,

CONDAMNE in solidum M. [V] [M] et Mme [H] [L] épouse [M], à restituer à la société Aubergenville le trop-perçu de loyer pour le lot n° 34 dépendant de l'immeuble situé [Adresse 3] (78) tiré de la différence entre le montant du loyer effectivement acquitté sur la période courant du 10 juin 2020 au 31 décembre 2023 et le montant du loyer contractuellement dû après indexation (exclusion faite de la garantie de 1,5 %) du loyer de base appelé au 15 mars 2018, avec intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2023 sur la somme de 4.430,33 € et à compter du présent jugement pour le surplus,

DIT qu'il appartiendra aux parties de faire leurs comptes,

CONDAMNE in solidum M. [W] [B], M. [V] [M] et Mme [H] [L] épouse [M] à payer à la société Aubergenville la somme qu'il est équitable de fixer à 2.500 € au titre des frais irrépétibles exposés pour la défense de ses droits,

CONDAMNE in solidum M. [W] [B], M. [V] [M] et Mme [H] [L] épouse [M] aux dépens de l'instance avec droit de recouvrement au profit de Maître Sophie Poulain,

REJETTE les autres demandes des parties,

RAPPELLE que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 AVRIL 2024 par Madame GARDE, Juge, assistée de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, lesquelles ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT
Carla LOPES DOS SANTOS Angéline GARDE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Versailles
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 22/01658
Date de la décision : 11/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-11;22.01658 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award