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11/04/2024 | FRANCE | N°20/01008

France | France, Tribunal judiciaire de Versailles, Troisième chambre, 11 avril 2024, 20/01008


Minute n°




TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
11 AVRIL 2024



N° RG 20/01008 - N° Portalis DB22-W-B7E-PIWF
Code NAC : 30E




DEMANDERESSES :

1/ La société M.B S., société à responsabilité limitée ayant fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce rendu le 20 Septembre 2018 convertie en liquidation judiciaire par arrêt de la Cour d'Appel de Versailles rendu le 27 Septembre 2022, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAI

LLES sous le numéro 333 245 579 dont le siège social est situé [Adresse 3], représentée par Maître [I] [S] de la SELARL JSA...

Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
11 AVRIL 2024

N° RG 20/01008 - N° Portalis DB22-W-B7E-PIWF
Code NAC : 30E

DEMANDERESSES :

1/ La société M.B S., société à responsabilité limitée ayant fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce rendu le 20 Septembre 2018 convertie en liquidation judiciaire par arrêt de la Cour d'Appel de Versailles rendu le 27 Septembre 2022, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES sous le numéro 333 245 579 dont le siège social est situé [Adresse 3], représentée par Maître [I] [S] de la SELARL JSA en sa qualité de Liquidateur Judiciaire désignée le 27 Septembre 2022,

2/ La SELARL AJASSOCIES, prise en la personne de Maître [V] [N] ès-qualités de Commissaire à l’exécution du plan de la société M.B.S., nommé à cette fonction par jugement du Tribunal de Commerce de Versailles le 30 avril 2020 sis [Adresse 1],

représentées par Maître Frédéric WIZMANE de la SELARL W - AVOCATS AVOCATS, avocat plaidant au barreau de PARIS et par Maître Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES.

DÉFENDERESSES :

1/ La société SNC KERPARLY, société en nom collectif immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de RENNES sous le numéro 418 713 681 dont le siège social est [Adresse 4], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Isabelle DONNET de la SELARL FIDU-JURIS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES et par Maître Morgan JAMET de la SELARL ARST AVOCATS représentée par la SELEURL MJ AVOCAT, avocat plaidant au barreau de PARIS.

2/ La SELARL JSA, prise en la personne de Maître [I] [S], société d’exercice libéral à responsabilité limitée immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES sous le numéro 419 488 655 ayant son siège social sis [Adresse 2], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société M.B.S. et désignée à ces fonctions par arrêt de la Cour d’Appel de Versailles rendu le 27 Septembre 2022,

défaillante, n’ayant pas constitué avocat.

* * * * * *

ACTE INITIAL du 20 Janvier 2020 reçu au greffe le 17 Février 2020.

DÉBATS : A l'audience publique tenue le 07 Mars 2024, Madame GARDE, Juge, siégeant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du Code de Procédure Civile, assistée de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, a indiqué que l’affaire sera mise en délibéré au 11 Avril 2024.

* * * * * *

EXPOSE DU LITIGE

Aux termes d’un acte sous seing privé en date du 1er novembre 2012, la société Kerparly a donné à bail commercial à la société First Wendy, à laquelle s’est substituée la société Matana par avenant du 18 juillet 2013, le local n° B3 situé au 1er niveau de la galerie marchande du centre commercial [Adresse 3] (78), à destination de vente de prêt-à-porter de moyen et haut de gamme hommes-femmes-enfants, chaussures, maroquinerie et accessoires, pour une durée de dix années, moyennant un loyer de base de 126.000 € outre le paiement d’un loyer variable additionnel correspondant à la différence entre le loyer de base et 8 % hors taxes du chiffre d’affaires hors taxes réalisé par le preneur, payables à terme d’avance le premier jour de chaque trimestre civil.

La société Matana a ensuite cédé son fonds de commerce à la société MBS à effet du 1er mai 2016.

Reprochant à la société MBS de ne pas s’acquitter du prix du bail aux termes convenus, la société Kerparly lui a fait signifier de nombreux commandements de payer visant la clause résolutoire entre le 15 février 2017 et le 26 avril 2018, lesquels sont restés partiellement ou totalement infructueux.

Par jugement du 20 septembre 2018, le tribunal de commerce de Versailles a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société MBS et a désigné la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [I] [S], ès qualités de mandataire judiciaire et la SELARL AJ Associés, prise en la personne de Maître [V] [N], ès qualités d’administrateur judiciaire de la société.

La société Kerparly a procédé à une déclaration de créance d’un montant de 80.552,79 € entre les mains des organes de la procédure collective, laquelle a été admise en son intégralité. S’en sont ensuivis un plan de cession partielle des actifs et un plan de redressement, par jugements respectivement rendus les
28 novembre 2019 et 30 avril 2020.

La société Kerparly a alors fait signifier à la société MBS de nouveaux commandements de payer :
- le premier, délivré le 23 décembre 2019, pour un montant en principal
de 113.120,68 € selon décompte arrêté au 18 décembre 2019, outre la
somme de 566,84 € au titre des frais afférents, auquel la société MBS a
formé opposition par assignation du 20 janvier 2020, enrôlée sous le numéro
de RG n° 20/01008 ;
- le second, délivré les 4 et 6 août 2020, pour un montant en principal de 85.496,12 € correspondant à l’échéance des deuxième et troisième trimestres 2020, outre la somme de 418,55 € au titre des frais afférents, auquel la société MBS a formé opposition par assignation du 4 septembre 2020, enrôlée sous le numéro de RG n° 20/04860.

Ces deux affaires ont été jointes par décision du juge de la mise en état rendue le 2 décembre 2020.

Aux termes d’une ordonnance rendue le 8 mars 2022, le juge de la mise en état a rejeté l’exception de litispendance et la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée soulevés par la société MBS.

Puis, dans un arrêt rendu le 27 septembre 2022, la cour d’appel de Versailles a prononcé la résolution du plan de redressement arrêté et ouvert une procédure de liquidation judiciaire.

La société Kerparly a alors procédé à une nouvelle déclaration de créance d’un montant de 433.752,52 € entre les mains des organes de la procédure collective. Elle a, en parallèle, fait assigner en intervention forcée la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [I] [S], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MBS. L’affaire a été enrôlée sous le numéro de
RG n° 23/00411 et jointe aux deux précédentes, sous le numéro de RG unique n° 20/01008.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées au greffe par voie électronique le 25 avril 2022, la société MBS, assistée de la SELARL AJ Associés, prise en la personne de Maître [V] [N], ès qualités de commissaire à l’exécution du plan, demande au tribunal de :

Dire et juger la société MBS recevable et bien fondé en ses demandes, fins et conclusions

I. Sur les demandes faites au titre du commandement de payer du 20 décembre 2019

A titre principal,

- Juger nul et de nul effet le commandement de payer délivré le 20 décembre 2019,
- Juger en tant que de besoin que la société Kerparly a agi de mauvaise foi lors de la délivrance du commandement de payer,
- Juger en tout cas que le commandement de payer du 20 décembre 2019 ne pourra produire aucun effet,
- Débouter la société Kerparly de sa demande d’acquisition de la clause résolutoire,

A titre subsidiaire,

- Accorder un délai de 24 mois à la société MBS pour s’acquitter des sommes qui seraient dues et ce à compter de l’expiration d’un délai de 15 jours de la signification par acte extrajudiciaire du jugement à intervenir et suspendre pendant le cours des délais les effets de la clause résolutoire,

II. Sur la demande reconventionnelle de condamnation au titre des commandements de payer des 4 et 6 août 2020 et de l’actualisation de la créance à la date du 1er juillet 2021

A. Concernant la période du confinement et de fermeture de la boutique du preneur soit du 15 mars 2020 au 31 mai 2020, puis du 31 octobre 2020 au 15 décembre 2020 et du 15 janvier 2021 au 19 mai 2021

- Juger que le commandement de payer visant la clause résolutoire du 6 août 2020 délivré à la requête de la société Kerparly est dépourvu de tout effet,

A titre principal,

- Juger que le commandement de payer susvisé est dépourvu de toute cause ayant été délivré
de mauvaise foi et ne saurait produire aucun effet,

A titre subsidiaire, sur l’exception d’inexécution

- Juger que la société Kerparly a manqué à son obligation de délivrance et que c’est à bon droit que la société MBS se prévaut de l’exception d’inexécution,

A titre très subsidiaire, sur la force majeure,

- Juger que la pandémie de Covid-19 et les mesures de fermeture et de confinement prises par le Gouvernement sont constitutifs d’un événement de force majeure,
- Juger que les effets du bail commercial du 18 juillet 2013 ont été suspendus pour les mois d’avril et mai 2020 ainsi que du 17 au 31 mars 2020 et du 31 octobre 2020 au 15 décembre 2020 puis du 31 janvier 2021 au 19 mai 2021,

A titre encore plus subsidiaire, sur le fait du prince,

- Juger que les mesures réglementaires et législatives et notamment, les arrêtés des 15 et 16 mars 2020 et la loi décrétant l’état d’urgence sanitaire, constituent un fait du prince, dans la mesure où elles ont conduit à la fermeture autoritaire de l’établissement de la société MBS,

En tout état de cause,

- Juger que la demande reconventionnelle ne produit pas effet dès lors qu’elle a été formée moins d’un moins après la délivrance du commandement,

En conséquence,

- Juger que la société MBS n’est redevable d’aucune dette de loyers envers la société Kerparly au titre du bail pour la période du 15 au 31 mars 2020, les mois d’avril et mai 2020, du 30 octobre 2020 au 15 décembre 2021 et du 31 janvier 2021 au 19 mai 2021,
- Condamner la société Kerparly à restituer la somme de 6 284,90 € versée par la société
Kerparly au titre de la période du 15 au 31 mars 2020,

A titre infiniment subsidiaire,

- Accorder à la société MBS un délai de 24 mois pour le règlement de de toutes sommes qui pourraient être allouées à la défenderesse et ce à compter de l’expiration d’un délai de 15 jours de la signification par acte extrajudiciaire du jugement à intervenir,

- Juger que les effets de la clause résolutoire seront suspendus pendant l’échéancier de
paiement,
- Juger qu’en conséquence la clause résolutoire ne jouera pas dans le cas où la société MBS
s’acquitte effectivement du solde des sommes dans des conditions fixées par le jugement à intervenir,

B. Concernant le loyer dû pour le mois de juin 2020, la période allant du 1er juillet 2021 au 30 octobre 2020

- Juger que le commandement de payer susvisé est dépourvu de tout effet ayant été délivré de mauvaise foi du fait du manquement du bailleur à son obligation d’assurer un environnement commercial

C. A titre très subsidiaire, sur la demande de diminution du prix,

- Juger que l’impossibilité juridique survenue en cours de bail, résultant de l’interdiction des pouvoirs publics d’exploiter le local de la société MBS exige que le prix du loyer soit diminué de 100 % pour la période du 16 mars 21 au 1er Juin 2020, du 30 octobre 2020 au 15 décembre 2020, et du 31 janvier 2021 au 19 mai 2021,
- Juger que l’obligation de bonne foi inhérente à l’exécution d’un contrat oblige à ce que le prix du loyer soit négocié au vu de la crise sanitaire sans précédent,
- Juger que les mesures sanitaires ne permettent pas à la société MBS de jouir de l’intégralité de ses locaux par application des règles sanitaires ce qui justifie une diminution du prix du loyer de 50 % pour la période du 1er juin au 30 octobre 2020, du 15 décembre 2020 au 31 janvier 2021 et du 19 mai 2021 au 1er juillet 2021,

A titre infiniment subsidiaire,

- Accorder à la société MBS un délai de 24 mois pour le règlement de toutes sommes qui pourraient être allouées à la défenderesse et, ce à compter de l’expiration d’un délai de 15 jours de la signification par acte extrajudiciaire du jugement à intervenir,

En tout état de cause,

- Débouter la société Kerparly de sa demande en résolution du bail commercial et/ou de sa
demande de condamnation aux pénalités et intérêts de retard,
- Juger que la reconnaissance par la société Kerparly de ses erreurs constitue un aveu judiciaire,
- Condamner la société Kerparly à payer à la société MBS la somme de
10.000 euros à titre de dommages – intérêts en réparation de son préjudice moral,
- Condamner la société Kerparly au paiement d’une indemnité de 6.000 euros en application de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens,
- Dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

La société MBS relève que le commandement de payer délivré le 20 décembre 2019 est nul en ce qu’il vise, du moins en partie, des créances antérieures à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire qui auraient dû faire l’objet d’une déclaration de créances auprès des organes de la procédure collective (loyers et solde de la taxe foncière 2018). Elle ajoute que la facturation de la somme de 8.227,51 € n’est pas justifiée. Elle fait grief à la société Kerparly d’avoir délivré ce commandement de mauvaise foi, aux fins de contourner la procédure collective et la règle de l’arrêt des poursuites individuelles. Elle sollicite, à titre subsidiaire, l’octroi de délais de paiement qu’elle motive par sa bonne foi, l’apurement partiel des causes du commandement (à hauteur de 10.465,98 €) et les circonstances économiques exceptionnelles auxquelles elle a été confrontée (procédure collective et confinements).

Elle souligne, s’agissant du commandement de payer délivré les 4 et 6 août 2020, les effets de l’épidémie de Covid-19 sur son activité et l’abus du bailleur dans la mise en oeuvre de ses prérogatives contractuelles. Elle considère qu’à défaut de jouissance paisible de son local, elle est en droit de se prévaloir d’une exception d’inexécution pour le paiement des loyers sur la période courant du
31 octobre 2020 au 15 décembre 2020 puis du 31 janvier 2021 au 19 mai 2021. Elle sollicite, en outre, la restitution de la somme de 6.284,90 € au titre des sommes versées pour la période courant du 15 au 31 mars 2020. Elle invoque aussi, au soutien des mêmes prétentions, la force majeure et le fait du prince. Pour les périodes qui ne sont pas concernées par les mesures de confinement, elle explique que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance en ne lui assurant pas un environnement commercial favorable (cellules vides). A titre subsidiaire, elle se prévaut, en vertu de l’article 1722 du code civil, d’une diminution du prix. Elle demande, à défaut, l’octroi de délais de paiement, tout en soulignant que la demande en justice formée n’a pas respecté le délai d’un mois suivant la délivrance du commandement (demande du 26 août 2020) et que les intérêts et pénalités de retard ne sont pas dus, conformément aux dispositions de l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020.

Elle argue, au soutien de sa demande de dommages et intérêts, des fautes d’appréciation commises par la société Kerparly quant aux sommes susceptibles d’être recouvrées, du nombre de commandements de payer délivrés et de l’acharnement du bailleur pour tenter de l’évincer des locaux donnés à bail.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées au greffe par voie électronique le 12 juillet 2023 et signifiées à partie défaillante le 15 novembre 2023, la société Kerparly demande au tribunal de :

- Débouter la société MBS et la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [I] [S], de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
- Recevoir la société SNC Kerparly en l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

A titre reconventionnel,

- Fixer au passif de la société MBS, représentée par la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [I] [S], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société MBS, la créance antérieure privilégiée dont est titulaire le bailleur à hauteur de la somme de 433.752,52 euros correspondant aux loyers et charges dues au bailleur à la date du jugement d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire au profit de la société MBS,
- Fixer au passif de la société MBS, représentée par la Selarl JSA, prise en la personne de Maître [I] [S], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société MBS, la créance postérieure privilégiée dont est titulaire le bailleur à hauteur de la somme de 76.270,18 euros correspondant aux loyers et charges dues au bailleur postérieurement au jugement d’ouverture et jusqu’à la date de restitution des clés du local en cause,

En tout état de cause,

- Fixer au passif de la société MBS, représentée par la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [I] [S], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société MBS, la somme de 10.000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- Fixer au passif de la société MBS, représentée par la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [I] [S], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société MBS, les entiers dépens qui comprendront notamment les frais de commandement et de signification,
- Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

La société Kerparly reconnaît, s’agissant du commandement délivré le 23 décembre 2019, que certaines créances étaient antérieures à l’ouverture de la procédure collective et ne pouvaient valablement faire l’objet de poursuites individuelles. Elle considère, en revanche, que le commandement reste valable pour le surplus et que ses causes n’ont pas été réglées dans le délai imparti. Elle précise que le solde de la taxe foncière a été appelé postérieurement à la date d’ouverture de la procédure collective et que les sommes visées sont conformes aux stipulations contractuelles. Elle réfute toute mauvaise foi dans l’exercice de ses prérogatives contractuelles, les impayés de la société MBS étant récurrents et nécessitant, à chaque fois, la délivrance d’un commandement.

Elle explique, pour le deuxième commandement de payer, que les mesures de police administrative prises pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 n’ont pas eu pour effet de remettre en cause l’exigibilité des loyers, comme l’a précisément rappelé la Cour de cassation dans ses arrêts pilotes du 30 juin 2022 rendus sur le fondement de la force majeure, la perte de la chose louée et l’exception d’inexécution. Elle ajoute que la théorie du fait du prince n’est pas plus pertinente, la force majeure alléguée pouvant être invoquée de part et d’autre. Elle fait encore grief à la société MBS, qui se prévaut de certains dispositifs de protection, de ne pas démontrer qu’elle y est éligible. Pour le surplus, elle rappelle que la résiliation de plein droit du bail n’est pas poursuivie, ce qui rend sans objet un certain nombre de développements. Elle rétorque, sur la question de l’obligation de délivrance, qu’en l’absence de stipulation particulière, le bailleur d’un centre commercial n’est pas tenu d’en assurer la bonne commercialité.

Elle souligne, enfin, qu’en raison de la procédure de liquidation judiciaire, aucun délai de paiement ne peut être accordé à la société MBS.

Elle s’oppose à la demande de dommages et intérêts formée, considérant que la présente procédure a été rendue nécessaire par les manquements répétés de la société MBS à ses obligations contractuelles.

En ce qui concerne, plus précisément, le montant de sa créance, elle se prévaut des dispositions des articles 1103, 1104 et 1728 du code civil, L. 641-13, L. 622-16 du code de commerce ainsi que des stipulations contractuelles.

*

Alors que la procédure de liquidation judiciaire a entraîné le dessaisissement de la société MBS, la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [I] [S], n’a pas constitué avocat pour poursuivre l’instance engagée, ce qui rend sans objet les dernières conclusions notifiées par le demandeur le 25 avril 2022. La société Kerparly a néanmoins maintenu ses demandes reconventionnelles qui seront, par conséquent, les seules examinées dans le cadre du présent jugement.

En l’absence de constitution en défense des organes de la procédure collective, le jugement sera qualifié de réputé contradictoire.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 janvier 2024.

MOTIFS

Aux termes de l’article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.

Les dispositions issues de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations étant applicables aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, il sera fait référence, dans le présent jugement, à l’ancienne numérotation du code civil.

Sur la recevabilité des demandes

Selon l’article 76 du code de procédure civile, sauf application de l'article 82-1, l'incompétence peut être prononcée d'office en cas de violation d'une règle de compétence d'attribution lorsque cette règle est d'ordre public ou lorsque le défendeur ne comparaît pas. Elle ne peut l'être qu'en ces cas.

En vertu de l’article 125 du code de procédure civile, les fins de non-recevoir doivent être relevées d'office lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public, notamment lorsqu'elles résultent de l'inobservation des délais dans lesquels doivent être exercées les voies de recours ou de l'absence d'ouverture d'une voie de recours.

Le juge peut relever d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée.

En l’espèce, les demandes présentées devant le tribunal sont en tous points recevables.

Sur les demandes de fixation au passif

L’article L. 626-27 du code de commerce, alinéas 3 et 4, dispose que lorsque la cessation des paiements du débiteur est constatée au cours de l’exécution du plan, le tribunal qui a arrêté ce dernier décide, après avis du ministère public, sa résolution et ouvre une procédure de redressement judiciaire ou, si le redressement est manifestement impossible, une procédure de liquidation judiciaire. Le jugement qui prononce la résolution du plan met fin aux opérations et à la procédure lorsque celle-ci est toujours en cours. Sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 626-19, il fait recouvrer aux créanciers l’intégralité de leurs créances et sûretés, déduction faite des sommes perçues, et emporte déchéance de tout délai de paiement accordé.

Le III de ce même article indique qu’après résolution du plan et ouverture d’une nouvelle procédure par le même jugement ou par une décision ultérieure constatant que cette résolution a provoqué l’état de cessation des paiements, les créanciers soumis à ce plan ou admis au passif de la première procédure sont dispensés de déclarer leurs créances et sûretés. Les créances inscrites à ce plan sont admises de plein droit, déduction faite des sommes déjà perçues.

Il s’infère de ces dispositions que doivent être qualifiées d’antérieures toutes les créances du bailleur nées antérieurement à l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 27 septembre 2022 ayant prononcé l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire au bénéfice de la société MBS, y compris celles qui sont nées postérieurement au jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire ayant donné lieu à l’adoption du plan.

Sur la demande de fixation de la créance antérieure privilégiée

L’article 1315 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En vertu de l’article 1134 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Selon l’article 1728 du code civil, le preneur est tenu de payer le prix du bail aux termes convenus.

L’article L. 641-13 du code de commerce dispose qu’en cas de prononcé de la liquidation judiciaire, les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire mentionnées au I de l’article L. 622-17, c’est-à-dire les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance ou par privilège, conformément à l’ordre prévu par l’article L. 643-8.

En outre, l’article L. 622-16 du code de commerce, applicable à la procédure de liquidation judiciaire par renvoi à l’article L. 641-12 du même code, prévoit que le bailleur n’a privilège que pour les deux dernières années de loyers avant le jugement d’ouverture de la procédure.

En l’espèce, le bail a été consenti et accepté moyennant un loyer annuel de base de 126.000 €, indexé chaque année sur l’indice des loyers commerciaux, payable à terme d’avance le premier jour de chaque trimestre civil. Les parties sont par ailleurs convenues que le bail serait considéré comme net de toutes charges pour le bailleur.

Au soutien de sa demande en fixation à hauteur de 433.752,52 € sur la période courant du 1er avril 2020 au 26 septembre 2022 inclus, la société Kerparly verse aux débats deux décomptes locatifs arrêtés au 1er juillet 2022 et 12 juillet 2023 avec des factures portant sur :
* les loyers et charges du 2ème trimestre 2020, 3ème trimestre 2020, 4ème trimestre 2020, 1er trimestre 2021, 2ème trimestre 2021, 3ème trimestre 2021, 4ème trimestre 2021,1er trimestre 2022, 2ème trimestre 2022 et 3ème trimestre 2022,
* la régularisation de charges 2019,
* les taxes foncières 2020 et 2022.

Aucune autre facture n’est versée aux débats.

Dans ces conditions, toutes les sommes qui ne sont pas justifiées seront défalquées du solde restant dû, ce qui inclut :
- la somme de 4.331,96 € au titre de la taxe foncière 2021,
- la somme de 1.455,65 € au titre de la régularisation de charges 2021.

S’agissant du caractère privilégié de la créance, il résulte tant de la nature des sommes dues que du choix des organes successifs des procédures collectives d’opter pour la continuation du bail, jusqu’au courrier de résiliation adressé le
8 décembre 2022 et la remise des clés, effective le 21 février 2023.

La créance antérieure privilégiée de la société Kerparly s’élève ainsi, selon décompte arrêté au 26 septembre 2022 inclus, à la somme de 422.583,93 € (428.371,54 € - 4.331,96 - 1.455,65).

Sur la demande de fixation de la créance postérieure privilégiée

Les pièces versées aux débats justifient des sommes dues au titre des loyers appelés (au prorata s’agissant du 1er trimestre 2023) et du reliquat de la taxe foncière.

Elles témoignent aussi, à l’instar des développements précédents, du caractère privilégié de la créance.

La créance postérieure privilégiée de la société Kerparly s’élève ainsi, selon décompte arrêté au 21 février 2023 inclus, date de la remise des clés des locaux, à la somme de 76.270,18 €.

Sur les autres demandes

Sur les dépens

Conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En vertu de l’article 699 du code de procédure civile, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.

Les dépens, dont la liste est limitativement énumérée à l’article 695 du code de procédure civile, comprennent les frais de signification du jugement mais non les frais de commandement de payer, lesquels ne sont pas le support nécessaire à l’introduction de la présente instance.

Bien que la créance des dépens soit née postérieurement au jugement d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, elle ne répond pas aux critères fixés par l’article L. 622-17,I, du code de commerce pour bénéficier du régime de paiement à échéance avec privilège.

Dans ces conditions, cette créance fera l’objet d’une fixation au passif de la procédure collective.

Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

A l’instar des développements consacrés aux dépens, la créance des frais irrépétibles ne relève pas des dispositions de l’article L. 622-17, I, du code de commerce.

Dès lors, eu égard à la durée de la présente procédure, aux frais exposés et aux situations économiques respectives des parties, la créance de frais irrépétibles fixée au passif de la procédure collective de la société MBS au bénéfice de la société Kerparly sera évaluée à hauteur de 4.000 €.

Sur l’exécution provisoire

En application de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la décision rendue n’en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire, rendu en premier ressort,

DECLARE recevables les demandes formées par la société Kerparly,

FIXE au passif de la procédure collective de la société MBS, représentée par la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [I] [S], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MBS, la créance antérieure privilégiée dont est titulaire le bailleur à hauteur de la somme de 422.583,93 euros correspondant aux loyers et charges dus au bailleur sur la période courant du 1er avril 2020 au 26 septembre 2022 inclus, date de l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire au bénéfice de la société MBS,

FIXE au passif de la procédure collective de la société MBS, représentée par la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [I] [S], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MBS, la créance postérieure privilégiée dont est titulaire le bailleur à hauteur de la somme de 76.270,18 euros correspondant aux loyers et charges dus au bailleur sur la période courant du 27 septembre 2022 au 21 février 2023 inclus, soit postérieurement au jugement d’ouverture et jusqu’à la date de restitution des clés du local en cause,

FIXE au passif de la procédure collective de la société MBS, représentée par la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [I] [S], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MBS, la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

FIXE au passif de la procédure collective de la société MBS, représentée par la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [I] [S], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MBS, les entiers dépens qui comprendront notamment les frais de signification du présent jugement,

REJETTE les autres demandes,

RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 AVRIL 2024 par Madame GARDE, Juge, assistée de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, lesquelles ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT
Carla LOPES DOS SANTOS Angéline GARDE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Versailles
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 20/01008
Date de la décision : 11/04/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-11;20.01008 ?
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