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05/04/2024 | FRANCE | N°22/01237

France | France, Tribunal judiciaire de Versailles, Ctx protection sociale, 05 avril 2024, 22/01237


Pôle Social - N° RG 22/01237 - N° Portalis DB22-W-B7G-Q54C

Copies certifiées conformes et exécutoires délivrées,
le :
à :
- MSA ILE DE FRANCE

Copies certifiées conformes délivrées, le :
à :
- [J] [N] [Y]
- Me Gildas LE FRIEC
- [W] [E] [H] [V] [Z],
- CAF DES YVELINES
N° de minute :

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
POLE SOCIAL

CONTENTIEUX AGRICOLE



JUGEMENT RENDU LE VENDREDI 05 AVRIL 2024



N° RG 22/01237 - N° Portalis DB22-W-B7G-Q54C

Code NAC : 88B

DEMANDEUR :

MSA ILE DE

FRANCE
[Adresse 8]
[Localité 6]
14
représentée par Mme [O] [L] muni d’un pouvoir spécial



DÉFENDEUR :

M. [J] [N] [Y]
domicilié : chez CCAS
[Adresse 2]
[Lo...

Pôle Social - N° RG 22/01237 - N° Portalis DB22-W-B7G-Q54C

Copies certifiées conformes et exécutoires délivrées,
le :
à :
- MSA ILE DE FRANCE

Copies certifiées conformes délivrées, le :
à :
- [J] [N] [Y]
- Me Gildas LE FRIEC
- [W] [E] [H] [V] [Z],
- CAF DES YVELINES
N° de minute :

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
POLE SOCIAL

CONTENTIEUX AGRICOLE

JUGEMENT RENDU LE VENDREDI 05 AVRIL 2024

N° RG 22/01237 - N° Portalis DB22-W-B7G-Q54C

Code NAC : 88B

DEMANDEUR :

MSA ILE DE FRANCE
[Adresse 8]
[Localité 6]
14
représentée par Mme [O] [L] muni d’un pouvoir spécial

DÉFENDEUR :

M. [J] [N] [Y]
domicilié : chez CCAS
[Adresse 2]
[Localité 9]

comparant en personne

PARTIES INTERVENANTES :

Mme [W] [E] [H] [V] [Z]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 9]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro du 20/09/2023 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Versailles)
représentée par Me Gildas LE FRIEC, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat plaidant

CAF DES YVELINES
Service Juridique
[Adresse 5]
[Localité 7]

représentée par Mme [R] [B] muni d’un pouvoir régulier

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Madame Béatrice LE BIDEAU, Vice Présidente statuant à juge unique après avoir reçu l’accord des parties présentes dûment informées de la possibilité de renvoyer l’affaire à une audience ultérieure, en application des dispositions de l’article l. 218-1 du code de l’organisation judiciaire.

Madame Laura CARBONI, Greffière
En présence de Madame Désirée, WORRA BERRE, greffière stagiaire

DEBATS : A l’audience publique tenue le 08 Février 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 05 Avril 2024.
Pôle Social - N° RG 22/01237 - N° Portalis DB22-W-B7G-Q54C

FAITS ET PROCÉDURE :

Par jugement avant dire droit en date du 13 juillet 2023 auquel il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige et de la procédure, le pôle social du Tribunal de judiciaire de Versailles, statuant en matière de régime agricole, saisi par monsieur [J] [N] [Y] d’une opposition à l'exécution de deux contraintes émises par la Caisse de Mutualité sociale agricole (MSA) Ile de France le 11 octobre 2022, a notamment :
- ordonné la reprise des débats à l'audience du jeudi 12 octobre 2023 à 14 heures ;
- dit que la MSA Ile de France devra conclure sur la deuxième contrainte émise le 11 octobre 2022 pour avoir paiement de la somme de 1.361,88 euros correspondant au solde d'un indu de prestations familiales portant sur la période du 01/04/2020 au 30/09/2020 ;
- ordonné la mise en cause de madame [W] [E] [H] [V] [Z] à qui le jugement devra être notifié ;
- ordonné la mise en cause de la CAF des Yvelines à qui le jugement devra être notifié ;
- dit que monsieur [J] [N] [Y] devra, dans le respect du principe du contradictoire, apporter au tribunal tous les éléments permettant de justifier que les enfants et madame [W] [E] [H] [V] [Z] étaient toujours à sa charge au moment où les prestations lui ont été servies par la MSA (2020 et 2021) ;
- dit que la MSA Ile de France devra transmettre ses conclusions aux parties adverses et mises en cause pour le 08 septembre 2023 ;
- dit que la CAF des Yvelines devra conclure pour le 1er octobre 2023 et en particulier communiquer la situation de l'allocataire madame [W] [E] [H] [V] [Z] afin de permettre au tribunal de déterminer qui était en droit de percevoir les prestations familiales pour les enfants [D] [C] [V] [Z] [F], [S] [K] [V] [Z] [F], [T] [A] [V] [Z] [F], [G] [X] [V] [P] et [U] [I] [V] [M] pendant les périodes litigieuses (01/04/2020 au 30/09/2020 et 01/11/2020 au 30/05/2021) ;
- rappelé que les parties devront se communiquer mutuellement les éléments requis par le tribunal ainsi que tout élément qu'elles estimeraient utile et nécessaire à la solution du litige et autorisé les échanges d'écritures en vue de l'audience jusqu'au lundi 09 octobre 2023 afin de respecter le principe du contradictoire.

À l’audience du 12 octobre 2023, l’affaire a été renvoyée à l’audience du 08 février 2024 au motif que la MSA devait encore conclure sur l’une des deux contraintes et que le conseil de madame [H] [V] [Z] venait de recevoir les conclusions de la CAF et souhaitait y répondre.

À cette audience, le tribunal statue à juge unique après avoir reçu l'accord des parties présentes dûment informées de la possibilité de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure, en application des dispositions de l'article L. 218-1 du code de l'organisation judiciaire. Les parties sont toutes présentes ou représentées.

La MSA Ile de France, représentée par son mandataire, développe oralement ses conclusions n°2 demandant au tribunal de valider :
- la contrainte CT 22 003 du 11/10/2022 d’un montant de 6.204,07 euros correspondant à un indu “allocations familiales et complément familial” portant sur la période du 01/11/2020 au 30/04/2021 ;
- la contrainte CT 22 004 du 11/10/2022 d’un montant de 1.361,88 euros correspondant à un indu “allocation logement” pour la période du 01/04/2020 au 30/09/2020, et de condamner monsieur [N] [Y] au paiement des frais de notification par lettres recommandées (deux fois 5,36 euros).

En substance, la MSA expose que la somme de 1.361,88 euros correspond à un solde de créance de la CAF qui lui a été transmise selon bordereau de créance d’un montant de 2.766,00 euros, dès lors que la CAF avait ouvert des droits à compter du mois d’avril 2020 à la famille, suite à une demande de madame [H] [V], le compte étant créé au nom de monsieur [N] [Y], et ce, avant de prendre attache avec la MSA pour obtenir un certificat de mutation ou de non paiement et d’apprendre que monsieur [N] [Y] était toujours salarié agricole et qu’il percevait des prestations familiales de la part de la MSA, de sorte que la famille ne pouvait percevoir de prestations de la part de la CAF.

Sur la contrainte de 6.204,07 euros, la MSA expose qu’il s’agit d’un indu de prestations familiales versées à monsieur [N] [Y] entre le 1er novembre 2020 et le 30 avril 2021 alors que le couple était séparé, celui-ci n’ayant signalé la séparation qu’en mai 2021 et la CAF ayant informé la MSA qu’en réalité, la séparation datait du 1er novembre 2020.

Monsieur [J] [N] [Y] a comparu à l’audience mais du fait de son statut de mal-entendant, a eu du mal à se faire comprendre. Dans son courrier d’opposition, il demandait une remise gracieuse en raison de sa bonne foi, indiquant avoir déclaré à la MSA sa conjointe et ses 5 enfants qui vivaient avec lui depuis leur arrivée en France en 2019. Il indiquait alors que sa compagne et ses enfants vivaient toujours à son domicile, qu’elle était sur le bail avec lui et qu’il payait les charges du foyer. Il ajoutait qu’il avait découvert qu’elle avait formé une demande des mêmes prestations à la CAF ainsi qu’une demande de logement pour elle et ses enfants. Il produisait la preuve d’un virement de 1.000,00 euros de son compte en faveur du compte de sa compagne le 21 décembre 2021 et un contrat de location à son nom et à celui de madame [H] signé le 15 juillet 2021.

Il n’a pas produit d’autre élément à l’audience, se contentant de dire que madame [H] lui avait pris l’argent qui était viré sur son compte et qu’il habitait désormais dans une cabane, son adresse postale étant celle du CCAS.

La CAF des Yvelines, représentée par son mandataire, a développé oralement ses conclusions datées du 31 janvier 2024 demandant au tribunal, à titre principal, de condamner solidairement monsieur [N] [Y] et madame [H] [V] [Z] à lui rembourser la somme de 7.503,85 euros et, à titre subsidiaire, de condamner uniquement madame [H] [V] [Z] à lui payer cette somme.

Elle expose avoir été sollicitée par madame [H] [V] en avril 2020 pour bénéficier de l’allocation logement, déclarant alors être célibataire avec 5 enfants à charge, puis, à partir de mai 2020, indiquant vivre maritalement avec monsieur [N] [Y] depuis septembre 2019 qui ne percevait aucune prestation familiale d’un autre organisme et qui était salarié du régime général depuis le 26 avril 2020. La CAF précise avoir consulté le Répertoire National Commun de Protection Sociale, constaté que monsieur [N] [Y] était affilié à la MSA de janvier 2010 au 11 mars 2020 et avoir ouvert des droits pour la famille, le compte étant crée au nom de monsieur dès lors que madame ne remplissait pas les conditions de droit au séjour mais les sommes étant virées sur le compte bancaire de madame. Elle ajoute que lorsqu’elle a demandé le certificat de mutation à la MSA, elle a été informée que monsieur [N] [Y] y était toujours affilié, de sorte qu’en réalité, c’est elle qui a régularisé un certificat de mutation au profit de la MSA tout en établissant deux indus :
- un indu de 2.766,00 euros d’allocation logement familiale d’avril à septembre 2020,
- un indu de 7.503,85 euros d’allocations familiales, allocation de base, complément familial et allocation de rentrée scolaire d’avril à septembre 2020.

Elle soutient que les indus ont été notifiés le 09 novembre 2020 et que les bordereaux de créance ont été adressés à la MSA. Elle ajoute qu’en l’absence de retour sur leur prise en charge, les indus ont été repris sur le dossier de madame [H] [V] lorsqu’elle a été réaffiliée auprès d’elle en mai 2021, ajoutant que madame [H] [V] a reconnu les dettes et demandé à procéder à leur remboursement par retenues sur prestations. Toutefois, elle souligne qu’elle restait dans l’attente de la MSA sur la prise en charge des bordereaux pour mettre en place les retenues demandées et que lorsque la MSA l’a informée qu’elle reprenait l’indu d’allocation logement, elle a annulé cet indu de son dossier. Elle précise également que suite à une erreur de la caisse, l’indu de prestations familiales a été annulé en février 2022 et que les retenues ont été reversées à madame [H] [V]. C’est la raison pour laquelle elle formule cette demande en paiement de l’indu de 7.503,85 euros.

Elle s’oppose à la demande reconventionnelle de madame [H] [V] en versement de prestations familiales sur la période de novembre 2020 à mai 2021 au motif que le couple s’est séparé en mai 2021, que madame n’a rien réclamé sur la période antérieure, et qu’il y a désormais prescription. Elle souligne que le couple a eu la même adresse jusqu’en octobre 2023.

Madame [W] [H] [V] [Z], représentée par son conseil, développe oralement ses conclusions visées à l’audience par le greffe demandant au tribunal de :
- juger que les créances de la MSA ne constituent pas des dettes de ménage,
- juger que le jugement ne lui sera pas opposable pour ce qui concerne les demandes de la MSA,
- juger la CAF irrecevable en ses demandes pour cause de prescription et absence de mise en demeure et contrainte préalable, subsidiairement mal fondée,
- débouter la CAF de l’intégralité de ses demandes,
à titre reconventionnel,
- condamner la CAF à lui verser les allocations logement familial, allocations familiales, allocation de base, complément familial entre novembre 2020 et avril 2021,
- ordonner à la CAF de liquider ses droits sous un mois à compter de la notification de la décision à intervenir,
- condamner la CAF à lui verser la somme de 1.000,00 euros sur le fondement de l’article 700 alinéa 2 du code de procédure civile.

Elle indique notamment que le couple est séparé depuis novembre 2020, monsieur étant reparti au Cap Vert, et qu’il y a eu cohabitation forcée jusqu’en octobre 2023 où, à la suite de faits de violence, monsieur a eu une interdiction de paraître au domicile de madame. Elle soutient que c’est monsieur qui a perçu toutes les allocations et les a détournées pour son usage personnel.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures et leurs observations orales conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

À l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré au 05 avril 2024 par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Il convient en préalable de rappeler qu'en formant opposition à contrainte, l'opposant a, devant le Tribunal judiciaire, la qualité de défendeur.

Il y a également lieu de rappeler que le tribunal n'est pas tenu de statuer sur les demandes de “constatations” ou de “dire et juger” qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques mais constituent en réalité des moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.

Sur les demandes de la MSA :

Sur la recevabilité de l'opposition aux contraintes :

Aux termes de l'article R. 725-9 du code rural et de la pêche maritime, le débiteur peut former opposition par inscription au secrétariat du tribunal compétent dans le ressort duquel il est domicilié ou pour les débiteurs domiciliés à l'étranger, au secrétariat du tribunal compétent dans le ressort de l'organisme créancier, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat dudit tribunal dans les quinze jours à compter de la notification ou de la signification.

Les éléments du dossier ne font pas apparaître d'irrégularité du recours formé dans les quinze jours suivant la notification des deux contraintes par lettres recommandées distribuées le 18 octobre 2022. L'opposition aux deux contrainte, par courrier recommandé expédié le 28 octobre 2022, sera en conséquence déclaré recevable.

Sur la contrainte CT 22 004 du 11/10/2022 d’un montant de 1.361,88 euros correspondant à un indu “allocation logement” pour la période du 01/04/2020 au 30/09/2020 :

- Sur la régularité de la procédure de recouvrement :

En application des dispositions des articles L. 244-2 du code de la sécurité sociale et R. 725-9 du code rural et de la pêche maritime, la contrainte doit être précédée d'une mise en demeure adressée au redevable par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La mise en demeure, qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d'avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti, et la contrainte délivrée à la suite de cette mise en demeure restée sans effet doivent permettre à l'intéressé d'avoir connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation : à cette fin, il importe qu'elles précisent, à peine de nullité, outre la nature, la cause et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elles se rapportent, sans que soit exigée la preuve d'un préjudice.

Il résulte des pièces versées aux débats par la MSA qu’une mise en demeure a été adressée par lettre recommandée à monsieur [N] [Y] préalablement à la contrainte, datée du 07 juin 2022, portant sur un indu d’allocation logement familiale pour la période du 1er avril 2020 au 1er septembre 2020 d’un montant de 2.766,00 euros ayant été compensé sur prestation à hauteur de 1.404,12 euros, de sorte qu’il reste dû la somme de 1.361,88 euros.

L'indu est ainsi motivé : "Nous venons d'être informés par la CAF des Yvelines que vous êtes redevable d'un indu d'un montant de 2.766,00 euros représentant un trop perçu d'allocation logement. Nous sommes chargés de procéder à sa récupération jusqu'à extinction de la dette."

Le courrier a été présenté le 15 juin 2022 et est retourné à l'expéditeur avec la mention "pli avisé et non réclamé".

Il est constant que la mise en demeure préalable, à la différence de la contrainte, n'est pas de nature contentieuse de sorte que les dispositions des articles 670 et suivants du code de procédure civile ne s'appliquent pas. Dans ces conditions, le défaut de réception effective par le débiteur de la mise en demeure qui lui a été adressée par lettre recommandée avec accusé de réception, n'affecte ni la validité de celle-ci, ni celle de la procédure de recouvrement.

Ainsi, le tribunal constate que la contrainte litigieuse a bien été précédée d'une mise en demeure régulièrement notifiée permettant au débiteur de connaître la nature, la cause et l'étendue de son obligation et qu'elle doit être déclarée valable.

- Sur le bien-fondé des sommes réclamées :

En application des dispositions de l'article L. 725-3-1 du Code rural et de la pêche maritime dans sa version applicable au litige, les organismes de la mutualité sociale agricole peuvent, pour le recouvrement des sommes indûment versées, engager une action en recouvrement dans les conditions prévues aux sixième à dixième alinéas de l'article L. 133-4 du code de la sécurité sociale ainsi qu'aux deux dernières phrases de l'avant-dernier alinéa de ce même article.

Il en résulte la possibilité d’agir, après avoir mis en demeure les redevables de régulariser leur situation, en utilisant la procédure de la contrainte qui comporte, à défaut d'opposition du débiteur devant la juridiction compétente, dans des délais et selon des conditions fixées par décret, tous les effets d'un jugement et qui confère notamment le bénéfice de l'hypothèque judiciaire.

Si l'opposant à une contrainte doit apporter la preuve du caractère infondé de la créance dont le recouvrement est poursuivi par l'organisme social en présentant des éléments ou pièces de nature à remettre en cause l'analyse, les calculs et le montant de la créance figurant sur la contrainte et/ou justifier s'être libéré de sa dette, il incombe à l'organisme social, considéré comme le demandeur dans le cadre d'une opposition à contrainte, l'assuré étant défendeur, de rapporter la preuve du principe et du montant de la créance pour laquelle il a délivré une contrainte à l'assuré.

En matière de prestations familiales, il appartient à la caisse qui réclame le remboursement d’allocations familiales indûment perçues d’établir que les enfants n’étaient pas à la charge effective et permanente du bénéficiaire de l’allocation.

En l’espèce, l’indu réclamé à monsieur monsieur [N] [Y] fait suite à un bordereau de créance de la CAF adressé à la MSA lorsque la CAF des Yvelines, qui avait ouvert des droits à la demande de madame [H] [V] [Z] à compter d’avril 2020, a interrogé la MSA et compris que monsieur [N] [Y] qui est salarié agricole relevait toujours de la MSA. La somme de 1.361,88 euros correspond à un solde de l’allocation logement familiale versée entre avril et novembre 2020 par la CAF, sur le compte de madame [H] [V] [Z], l’allocataire désigné par la CAF étant monsieur [N] [Y].

La MSA communique en pièce n°7 un courrier daté du 05 janvier 2021 adressé à monsieur [N] [Y] ayant pour objet : “information de récupération d’un indu”. Ce courrier indiquait que la caisse venait d’être informée par la CAF des Yvelines qu’il était redevable d’un indu d’un montant de 2.766,00 euros représentant un trop perçu d’allocation logement et l’informant que pour régulariser sa situation, le montant serait compensé par retenue sur prestation, ce qui a été fait jusqu’à la fermeture des droits de monsieur [N] [Y].

Monsieur [N] [Y] n’a jamais contesté cet indu qui a été en partie prélevé sur ses prestations. Il doit être considéré comme en ayant bénéficié puisque sur la période, il vivait sous le même toit que madame [H] [V], [Adresse 1], à [Localité 9].

À l’appui de son opposition, il indique simplement qu’il est de bonne foi et qu’il ignorait que sa compagne avait fait une demande de prestations à la CAF. Il demande une remise gracieuse.

Or, en application des dispositions de l’article L. 256-4 du code de la sécurité sociale, les caisses de sécurité sociale ont seules qualité pour réduire le montant de leurs créances, autres que les cotisations et majorations de retard, nées de l’application de la législation de sécurité sociale, en cas de précarité de la situation du débiteur. Il n’entre pas dans les pouvoirs du juge judiciaire de statuer sur une telle demande (2ème Civ., 10 mai 2012,5 pourvoi n°11- 11.278).

Il en résulte que ces éléments sont insuffisants à remettre en cause le bien-fondé de la somme réclamée par la MSA.

Dès lors, la contrainte sera validée en son entier montant et monsieur [N] [Y] sera tenu au paiement des frais de notification de la contrainte, soit 5,36 euros, conformément aux dispositions de l’article R.725-10 du Code rural et de la pêche maritime.

- Sur la demande de madame [H] [V] :

Madame [H] [V] demande au tribunal de juger que les créances de la MSA ne constituent pas des dettes de ménage et que le jugement ne lui sera pas opposable pour ce qui concerne les demandes de la MSA.

Même si l’indu d’allocation logement ne constitue pas une dette de ménage au sens de l’article 220 du code civil en l’absence de tout lien matrimonial, le jugement sera opposable à madame [H] [V] dès lors qu’elle a été mise en cause à la demande du tribunal et qu’elle est, de fait, partie à la procédure, étant souligné que c’est à sa propre demande que la CAF a ouvert des droits à monsieur [N] [Y], les prestations indues étant versées sur son compte bancaire à elle.

Sur la contrainte CT 22 003 du 11/10/2022 d'un montant de 6.204,07 euros correspondant à un indu "allocations familiales et complément familial" portant sur la période du 01/11/2020 au 30/04/2021 :

- Sur la régularité de la procédure de recouvrement :

Il résulte des pièces versées aux débats par la MSA qu’une mise en demeure a été adressée par lettre recommandée à monsieur [N] [Y] préalablement à la contrainte, datée du 07 juin 2022, portant sur un indu d’allocations familiales et de complément familial versé entre janvier et mai 2021 d’un montant de 6.204,07 euros.

L'indu est ainsi motivé : "La CAF des Yvelines nous a informé que vous n’aviez pas la charge des enfants [D], [S], [T], [G] et [U] depuis le 01/11/2020. De ce fait, votre droit a été révisé."

Le courrier a été présenté le 15 juin 2022 et est retourné à l'expéditeur avec la mention "pli avisé et non réclamé".

Pour les mêmes motifs que ceux indiqués pour la précédente contrainte, le tribunal constate que la contrainte litigieuse a bien été précédée d'une mise en demeure régulièrement notifiée permettant au débiteur de connaître la nature, la cause et l'étendue de son obligation et qu'elle doit être déclarée valable.

- Sur le bien-fondé des sommes réclamées :

Il y a lieu de rappeler qu’en matière de prestations familiales, il appartient à la caisse qui réclame le remboursement d’allocations familiales indûment perçues d’établir que les enfants n’étaient pas à la charge effective et permanente du bénéficiaire de l’allocation.

En l’espèce, la MSA a fondé sa demande en récupération d’indu sur les allégations de la CAF aux termes desquelles monsieur [N] [Y] et madame [H] [V] [Z] seraient séparés depuis le 1er novembre 2020, les enfants n’étant pas avec lui puisque ce sont ceux de madame (pièce n°9 de la MSA : courrier de la CAF adressé à la MSA le 17 août 2021).

Toutefois, cette date de séparation résulte des seules allégations de madame [H] [V] qui sont loin d’être fiables dès lors qu’elle n’hésitait pas, le 26 mars 2020, à remplir un formulaire de demande d’allocations destiné à la CAF dans lequel elle indiquait qu’elle était célibataire et vivait au [Adresse 1], avant de dire, dans un formulaire en ligne rempli le 19 mai 2020 qu’elle était en vie maritale avec monsieur [N] [Y] depuis le 16 septembre 2019, permettant ainsi à la CAF d’ouvrir un dossier avec monsieur comme allocataire. Elle ne peut sérieusement prétendre qu’elle n’est pas à l’origine de la demande dans la mesure où les allocations de la CAF étaient virées sur un compte bancaire ouvert à son seul nom, monsieur [N] [Y] n’ayant aucun intérêt à faire de telles démarches auprès de la CAF.

Madame [H] [V] fait valoir que le numéro de sécurité sociale figurant dans le formulaire de demande n’était pas le bon. En réalité, c’est uniquement parce qu’elle n’en disposait pas encore que celui qu’elle a indiqué est faux, composé des premiers chiffres liés à sa naissance puis de 9 (cf pièce 7 de la CAF : certificat de mutation envoyé à la MSA par la CAF dans lequel il est indiqué que le numéro NIR de madame qui prétend s’appeler [W] [N] [Y] n’a été obtenu que le 12 mai 2020).

Par ailleurs, au 29 juin 2021, alors que madame avait obtenu la réouverture de ses droits à la CAF sous le même numéro d’allocataire, la CAF lui écrivait toujours à l’adresse située [Adresse 1] à [Localité 9] (pièce n°13 de la CAF).

Madame [H] [V] répondait à la CAF le 07 juillet 2021 en se domiciliant à cette même adresse (pièces n°15).

À l’appui de son opposition à contraintes, monsieur [N] [Y] a communiqué un bail signé par lui et par madame [H] [V] le 15 juillet 2021.

Lorsque le tribunal a voulu mettre en cause madame [H] [V], l’adresse qui lui a été communiquée par la CAF était celle figurant sur ce contrat de bail, à savoir le [Adresse 4] à [Localité 9], où madame [H] [V] demeure toujours actuellement.

Si monsieur [N] [Y] a été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d’entrer en contact avec madame [H] [V], cela ne date que du 10 octobre 2023 et ne fait que confirmer que jusque-là, ils vivaient sous le même toit, à ces deux adresses successives.

La CAF produit certes en pièce 21 une attestation de séparation datée du 30 novembre 2020 dans laquelle madame certifie ne plus vivre avec monsieur [N] [Y] depuis le 11 novembre 2020 mais la caisse précise n’avoir reçu cette attestation qu’en avril 2021 et reconnaît n’avoir eu aucune demande de prestations familiales de la part de madame [H] [V] sur la période de novembre 2020 à avril 2021.

Ainsi, cette allégation de séparation dès le mois de novembre 2020 n’est corroborée par aucun élément objectif.

En mai 2021, monsieur déclare que les enfants sont encore avec lui et qu’ils vont quitter son foyer le 06 mai 2021. Il fait valoir le même argument lorsqu’il saisit le tribunal en octobre 2022.

Il résulte de ce qui précède que les éléments de la CAF et de la MSA sont insuffisants à établir que les enfants n’étaient plus à la charge de monsieur [N] [Y] depuis novembre 2020, dès lors que la séparation du couple à cette date n’est pas établie.

Il en résulte que la preuve du bien-fondé de l’indu n’est pas rapportée par la MSA.

La contrainte sera invalidée et la MSA gardera à sa charge les frais de notification.

Sur les demandes en paiement formulées par la CAF :

La CAF des Yvelines et madame [H] [V] ont été mises en cause pour éclairer le tribunal sur le bien-fondé des indus réclamés par la MSA.

La CAF, à cette occasion, demande au tribunal de condamner solidairement monsieur [N] [Y] et madame [H] [V] à rembourser un indu de prestations familiales versées à tort pour la période d’avril à septembre 2020, alors que monsieur [N] [Y] relevait de la MSA.

En préalable, il n’est pas établi que la MSA a versé à monsieur les prestations équivalentes sur la période. En outre, il convient de rappeler que la CAF a ouvert des droits au nom de monsieur [N] [Y] au motif que madame [H] [V] ne remplissait pas les conditions de droit au séjour tout en versant les prestations sur un compte bancaire ouvert au nom de madame [H] [V]. Il convient également de souligner que la somme qu’elle réclame était initialement contenue dans le bordereau de créance accepté par la MSA puis refusé après relance. Sa demande en paiement, comme souligné à l’audience, est une demande de pure opportunité.

Madame [H] [V] soulève qu’elle est irrecevable au motif que la dette est prescrite.

L’article L. 553-1 du code de la sécurité sociale dispose que l’action de l’allocataire pour le paiement des prestations se prescrit par deux ans.
Cette prescription est également applicable à l’action intentée par un organisme payeur en recouvrement des prestations indûment payées, sauf en cas de manoeuvre frauduleuse ou de fausse déclaration, l’action de l’organisme se prescrivant alors par cinq ans.

En défense, la CAF des Yvelines fait valoir que madame a reconnu et accepté de rembourser l’indu dont elle a été informée le 29 juin 2021 lorsque la caisse l’a réaffiliée, avec le numéro d’allocataire qui était auparavant attribué à monsieur [N] [Y], et qu’elle lui a alors communiqué un état de ses dettes comprenant la somme de 2.766,00 euros et celle de 7.503,85 euros dont elle demande à présent le remboursement.

Toutefois, le mail et le courrier de madame [H] [V] ne sauraient être considérés comme interruptif de prescription, à défaut pour la caisse de justifier d’une notification ou d’une mise en demeure par lettre recommandée. En effet, le seul envoi d’un document intitulé “mon dossier CAF - Relevé de compte” indiquant ce que l’allocataire doit à la CAF ne vaut pas demande en paiement.

Il en est autrement du courrier du 09 novembre 2020 adressé par la CAF à monsieur [N] [Y] intitulé “Relevé de droits et paiements” dans lequel il est écrit “VOUS NOUS DEVEZ 10.269,85 euros. Si vous ne pouvez pas nous rembourser immédiatement, des modalités de remboursement vous seront précisées ultérieurement.”, ce courrier ouvrant un délai de 2 mois pour contester la décision devant la commission de recours amiable. Toutefois, la CAF ne justifie pas de la date de réception de ce courrier et donc de la date à laquelle a commencé à courir le délai de recours.

Par ailleurs, il convient de souligner que la CAF n’a engagé aucune procédure de pénalité pour fraude, ce qui d’ailleurs, confirme le fait que monsieur [N] [Y] n’est pas à l’origine de la demande de prestations familiales en 2020.

Dès lors, la demande en paiement, exprimée tant à l’encontre de monsieur [N] [Y] que de madame [H] [V] pour la première fois dans les conclusions de la CAF du 12 octobre 2023 et dont il n’est d’ailleurs pas justifié de la date de communication aux parties concernées par la demande, est prescrite pour avoir été formée plus de deux ans après le versement des prestations indues.

La demande en paiement formée à titre principal contre monsieur [N] [Y] et madame [H] [V] et à titre subsidiaire contre madame [H] [V] qui a perçu les prestations familiales indues sera déclarée irrecevable.

Sur les demandes reconventionnelles de madame [H] [V] :

Madame [H] [V] demande à la CAF des Yvelines de lui verser des prestations familiales pour la période novembre 2020 à avril 2021.

Il y a lieu de rappeler les dispositions de l’article L. 553-1 du code de la sécurité sociale au terme desquelles l’action de l’allocataire pour le paiement des prestations se prescrit par deux ans et de déclarer irrecevable sa propre demande.

Sur les demandes accessoires :

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En l’espèce, au vu du sens de la présente décision, chacune des parties conservera la charge de ses dépens.

L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 .

La demande formée par madame [H] [V] au titre de l’article 700 2° du code de procédure civile sera rejetée pour les mêmes considérations.

Il sera rappelé que la décision du tribunal, statuant sur opposition, est exécutoire à titre provisoire conformément aux dispositions de l’article R. 133-3 du code de la sécurité sociale.

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe le 05 avril 2024 :

DÉCLARE l'opposition aux deux contraintes formée par monsieur [J] [N] [Y] recevable ;

VALIDE la contrainte CT 22 004 émise le 11 octobre 2023 par la caisse de Mutualité Sociale Agricole d'Île-de-France d’un montant de 1.361,88 euros correspondant à un indu “allocation logement” pour la période du 01/04/2020 au 30/09/2020, notifiée par lettre recommandée ;

CONDAMNE monsieur [J] [N] [Y] au paiement des frais de notification de cette contrainte, soit 5,36 euros, conformément aux dispositions de l’article R.725-10 du Code rural et de la pêche maritime ;

ANNULE la contrainte CT 22 003 émise le 11 octobre 2023 par la caisse de Mutualité Sociale Agricole d'Île-de-France d’un montant de 6.204,07 euros correspondant à un indu “allocations familiales et complément familial” portant sur la période du 01/11/2020 au 30/04/2021, notifiée par lettre recommandée ;

LAISSE à la charge de la Mutualité Sociale Agricole d'Île-de-France les frais de notification de cette contrainte, soit 5,36 euros, conformément aux dispositions de l’article R.725-10 du Code rural et de la pêche maritime ;

DÉCLARE prescrite la demande en remboursement de l’indu de 7.503,85 euros formée par la Caisse d’Allocations Familiales des Yvelines à l’encontre de monsieur [J] [N] [Y] et de madame [W] [H] [V] ;

DÉCLARE prescrite la demande de régularisation des prestations familiales formée par madame [W] [H] [V] à l’encontre de la Caisse d’Allocations Familiales des Yvelines ;

DIT n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 alinéa 2 du code de procédure civile;

LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;

Rappelle que la décision est exécutoire de droit à titre provisoire ;

Rappelle que le jugement est commun et opposable à toutes les parties mises en cause.

DIT que tout appel de la présente décision doit, à peine de forclusion, être interjeté dans le mois de la réception de la notification de la présente décision.

La GreffièreLa Présidente

Madame Laura CARBONIMadame Béatrice LE BIDEAU


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Versailles
Formation : Ctx protection sociale
Numéro d'arrêt : 22/01237
Date de la décision : 05/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-05;22.01237 ?
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