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05/04/2024 | FRANCE | N°22/00702

France | France, Tribunal judiciaire de Versailles, Troisième chambre, 05 avril 2024, 22/00702


Minute n°





TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
05 AVRIL 2024


N° RG 22/00702 - N° Portalis DB22-W-B7G-QM4B
Code NAC : 30B



DEMANDERESSE :

La société PARIMALL - [5], société par actions simplifiée immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro
403 036 692 dont le siège social est situé [Adresse 3], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Samuel GUILLAUME de

la SCP BLATTER SEYNAEVE ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS et par Maître Stéphanie BRAUD, avocat postulant au barreau de ...

Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
05 AVRIL 2024

N° RG 22/00702 - N° Portalis DB22-W-B7G-QM4B
Code NAC : 30B

DEMANDERESSE :

La société PARIMALL - [5], société par actions simplifiée immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro
403 036 692 dont le siège social est situé [Adresse 3], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Samuel GUILLAUME de la SCP BLATTER SEYNAEVE ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS et par Maître Stéphanie BRAUD, avocat postulant au barreau de VERSAILLES.

DÉFENDERESSE :

La société RIVES, société par actions simplifiée immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 542 102 751 dont le siège social est situé [Adresse 1], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, avocat postulant au barreau de VERSAILLES et par Maître Béatrice GEISSMANN-ACHILLE, avocat plaidant au barreau de PARIS.

ACTE INITIAL du 28 Janvier 2022 reçu au greffe le 02 Février 2022.

DÉBATS : A l'audience publique tenue le 14 Décembre 2023, M. JOLY, Vice-Président, siégeant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du Code de Procédure Civile, assistée de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, a indiqué que l’affaire sera mise en délibéré
au 08 Février 2024, prorogé au 14 mars 2024 pour surcharge magistrat, puis au 27 Mars 2024 et 05 Avril 2024 pour les mêmes motifs.

* * * * * *

EXPOSE DU LITIGE

La société PARIMALL [5], est propriétaire indivis du centre commercial [7] [5] situé [Adresse 2] à [Localité 6] (78).

Par acte sous seing privé en date du 6 février 2009, la société PARIMALL [5] a consenti à la société RIVES un bail commercial portant sur un local n°205 d'une surface de 135 m² environ, situé au sein du centre commercial [5] à l’effet d’exploiter une activité « à titre principal de vente d’articles de maroquinerie et de bagagerie et à titre accessoire de vente d’accessoires de mode et de bijouterie fantaisie »

Le bail a été consenti pour une durée de dix années à compter du
31 janvier 2009 pour expirer le 30 janvier 2019, moyennant un loyer de
base de 141.750 euros hors taxes et hors charges par an.

Par acte extrajudiciaire en date du 19 avril 2018, la société PARIMALL
[5] a fait signifier à la société RIVES un congé comportant offre de renouvellement pour une nouvelle durée de dix années à compter du
31 janvier 2019 moyennant un loyer annuel de 270.000 euros hors charges et hors taxes, toutes les autres clauses et conditions du Bail demeurant inchangées.

Par acte du 19 juillet 2018, le preneur a accepté le principe du renouvellement du bail mais les parties ne se sont pas accordées sur le montant du bail renouvelé.

Conformément au bail (Art. 26.3 et 26.4.2 du Titre III du Bail), la société PARIMALL [5] et la société RIVES ont recouru à la médiation en désignant Monsieur [C] [V] en qualité de médiateur. Les parties ne sont pas parvenues à trouver une solution amiable.

Le bail stipule qu'"à défaut d'accord des Parties à l'issue de cette médiation, l'arbitrage sera requis" dans les conditions prévues par cet article
(art. 26.4.2 -p.33).

C’est dans ces conditions que le tribunal arbitral, composé de M. [W], de M. [X] et de M. [Y] a été constitué et qu’une ordonnance de procédure n°1 a été rendue le 17 juillet 2021.

Déplorant un paiement très irrégulier des loyers et charges dues par le preneur générant une importante dette locative, le bailleur a, par acte du 28 janvier 2022 fait assigner la société RIVES afin, notamment, de la voir condamnée au paiement de la somme de 95.934,24 euros TTC correspondant à l’arriéré de loyers et accessoires dus arrêté à la date du 14 décembre 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 12 juin 2020, la société PARIMALL [5] demande au Tribunal de :

- débouter la société RIVES de toutes ses demandes,

- condamner la société RIVES à payer à la société PARIMALL-[5] la somme de 60.087,54 euros TTC (SOIXANTE MILLE QUATRE VINGT SEPT EUROS ET CINQUANTE QUATRE CENTIMES) à parfaire, correspondant à l’arriéré de loyers et accessoires arrêté au 12 juin 2023 dus au titre du Bail du 6 février 2009, sous astreinte d’un montant de 100 (cent) euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

- se réserver le pouvoir de liquider ladite astreinte,

- juger qu’il y a lieu d’enjoindre à la société RIVES de reprendre les paiements des loyers et charges, conformément aux stipulations du bail commercial du 6 février 2009,

- juger que la somme de 60.087,54 euros, à parfaire, due à la société PARIMALL-[5], sera augmentée d’un intérêt de retard soit au taux moyen mensuel de l’EONIA tel que calculé au jour le jour sous la supervision du Réseau Européen des Banques Centrales soit au taux d’intérêt légal, le plus haut des deux taux étant retenu, majoré de 400 points de base (soit 4,00%) l’an à compter de la date d’exigibilité de chaque somme concernée, prévue ci-dessus, et, s’ils sont dus au moins pour une année entière, ils porteront eux-mêmes intérêts conformément à l’ancien article 1154 du code civil.

- juger que la société RIVES sera condamnée à payer à la société
PARIMALL-[5] la somme de 36.801,13 euros TTC (TRENTE SIX MILLE HUIT CENT UN EUROS ET TREIZE CENTIMES), à parfaire, à titre de dommages et intérêts, en réparation du grave préjudice subi,

- condamner la société RIVES à payer à la société PARIMALL-[5], à titre d’indemnité forfaitaire une somme correspondant à 10 % du montant des sommes contractuellement dues, soit la somme de 6 008,75 euros, à parfaire,

- condamner la société RIVES à payer à la société PARIMALL-[5] les dépens, ainsi que la somme de 15 000 euros, à parfaire, par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- juger qu’il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit, exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 9 juin 2023, la société RIVES demande au Tribunal de :

- juger que la société RIVES est en droit de bénéficier d’une franchise de loyers
de 2 mois pour les 7 mois de fermeture supportés en 2020 et 2021

- lui accorder un délai de 24 mois pour s’acquitter du solde des loyers et charges restant dus

- juger que la société PARIMALL [5] manque à son obligation de délivrance en n’assurant pas à la société RIVES un environnement commercial favorable du fait des nombreuses fermetures de locaux et de la baisse de fréquentation du centre commercial, ce qui justifie de plus fort la demande de franchise de loyers de 2 mois et les délais de 24 mois sollicités.

- Débouter la société PARIMALL [5] de sa demande de condamnation de 119.204,07 euros TTC selon décompte du 25 janvier 2023 concernant un autre bailleur (CHESNAY PIERRE 2), un autre locataire (SAS RIVIERA WEBA AND RETAIL à enseigne NODUS) et un autre centre commercial ([4] et
non [5]).

- Juger que la société RIVES justifie avoir réglé la somme de 20.000 euros le 1er juin 2023 au titre de l’arriéré des loyers Covid

- Débouter la société PARIMALL – [5] de toutes ses demandes qui sont
constitutives de clause pénale et contreviennent à l’obligation de bonne foi dans le bail commercial

- condamner la société PARIMALL [5] à payer à la société RIVES la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du CPC, outre les entiers dépens dont distraction au profit de Maître Oriane DONTOT, avocat constituée.

Pour un exposé plus détaillé des moyens et prétentions des parties, il convient de renvoyer aux écritures déposées conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

La clôture a été prononcée le 10 octobre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Les dispositions issues de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations étant applicables aux contrats conclus à compter du 1 octobre 2016, il sera fait référence, dans le présent jugement, à la nouvelle numérotation du code civil en raison du renouvellement du bail.

Sur la demande en paiement de la société PARIMALL [5] au titre des loyers et accessoires

L’article 1719 du code civil dispose que le bailleur est obligé, par la nature du
contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au
preneur la chose louée, d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour
lequel elle a été louée et d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.

L’article 1728 du code civil indique que le preneur est tenu de payer le prix du bail aux termes convenus.

L’article 1103 du code civil souligne que les conventions légalement formées
tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Au soutien de ses prétentions, le bailleur rappelle au visa des articles 1103, 1134, 1104 et 1728 du code civil, que le locataire se doit d’exécuter ses obligations contractuelles parmi lesquelles figure au premier chef celle de payer le prix du bail aux termes convenus. Répondant aux moyens soulevés par le preneur en ce qui concerne les loyers contractuellement dus pendant la période d’interdiction temporaire d’accueil du public, le bailleur souligne que la troisième chambre civile de la Cour de Cassation, saisie de trois pourvois a statué le 30 juin 2022 sur la question de l’exigibilité du montant des loyers et charges dus pendant cette période et qu’aux termes de ces décisions de principe, la Haute juridiction a rejeté l’ensemble des fondements soulevés par les preneurs au titre de la perte de la chose louée, de l’exception d’inexécution ou encore de l’existence d’un cas de force majeure.

La société RIVES fait valoir que le bail doit s’exécuter de bonne foi entre les parties et que la jurisprudence a eu l’occasion de réaffirmer cette exigence de bonne foi du bailleur dans le cadre de la gestion de la crise du Covid 19. Elle argue que dans plusieurs décisions rendues au visa de l’article 1722 du Code civil, il a été jugé que l’impossibilité juridique d’exploiter les locaux loués résultant de la décision des pouvoirs publics était assimilable à la perte de la chose louée laquelle avait pour effet de libérer le preneur de l’obligation de payer le loyer ; elle ajoute que si la Cour de Cassation a adopté une position contraire dans ses arrêts rendus le 30 juin 2022, écartant les moyens pourtant pertinents retenus par la Cour d’appel de Versailles, aucun ne concerne des baux dans des centres commerciaux ni des bailleurs aussi importants que [7]. Elle soutient que le comportement du bailleur s’est révélé contraire à la bonne foi dès lors qu’il n’a pas fait droit à ses demandes de suspension des loyers et charges et de franchise.
Invoquant les conséquences financières directes des fermetures du centre sur son activité (chiffre d’affaires de 1.226.287 euros HT réalisé en 2019, réduit de 40 % en 2020: 731.032,30 euros HT et de 35 % en 2021 : 795.451,33 euros HT) le preneur sollicite une franchise de loyers équivalente à 2 mois et des délais de paiement de 24 mois pour s’acquitter du solde dans les conditions prévues à l’article L 1343-5 du Code civil. La société RIVES fait valoir au surplus que ces demandes sont d’autant plus justifiées par un manquement du bailleur à son obligation d’assurer au preneur un environnement commercial favorable. Elle souligne ainsi que depuis quelques mois, le centre commercial se désertifie avec la multiplication de locaux fermés ce dont la société PARIMALL
[5] est responsable en refusant à ses locataires, ayant subi 7
mois de fermeture, des abandons et remises de loyers et en formulant
des demandes de règlement abusives de sorte que de nombreux locataires
ont préféré quitter le centre commercial.

Ainsi que rappelé ci-dessus, en vertu de l’article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il ne soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée. La délivrance doit être, selon l'article 1720 du même code, celle d'une chose en bon état de réparation de toute espèce et apte à l'usage pour lequel elle a été louée.

La garantie de la jouissance paisible du bien loué emporte que le bailleur ne peut, par son fait personnel ou celui des personnes dont il a la charge et la responsabilité, par exemple un autre locataire, troubler la possession de son
preneur et l'usage convenu de la chose.

Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est
exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

L’article 1722 du code civil dispose que “si, pendant la durée du bail, la chose
louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle
n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander
ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas,
il n’y a lieu à aucun dédommagement.”

* Sur l’obligation de délivrance du bailleur et la perte de la chose louée

Aux termes de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour
faire face à l'épidémie de Covid-19, l'état d'urgence sanitaire a été déclaré sur
l'ensemble du territoire national. En application de l'article 3, I, 2°, du décret
n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires
pour faire face à l'épidémie de Covid-19 et du décret n° 2020-423 du 14 avril 2020 le complétant, jusqu'au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile a été interdit à l'exception des déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle
et des achats de première nécessité.
Edictée pour limiter la propagation du virus par une restriction des rapports interpersonnels, l'interdiction de recevoir du public a été décidée, selon les
catégories d'établissement recevant du public, aux seules fins de garantir la santé publique.

L’effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la
destination contractuelle du local loué, n’est pas imputable au bailleur. Elle n’est
pas davantage assimilable à une perte de la chose louée, au sens de l’article
1722 du code civil.

Les moyens tirés de l’obligation de délivrance du bailleur et de la perte de la chose louée seront, par conséquent, écartés.

* Sur l’obligation de bonne foi

Si la société RIVES reproche à la société PARIMALL [5] de ne pas lui avoir consenti de franchise ou de diminution de loyer et invoque les conséquences financières directes des fermetures du centre sur son activité, la bailleresse apparaît bien fondée à rappeler les aides dont sa locataire a pu bénéficier au titre du dispositif gouvernemental mis en place pendant la crise sanitaire. Elle argue aussi à bon droit que sa locataire s’est “de facto” octroyé à elle même d’importants délais de paiement.

En tout état de cause, les mesures de fermeture administrative n’ayant pas remis en cause l’exigibilité des loyers et charges, il ne peut être reproché à la société PARIMALL [5] d’avoir agi de mauvaise foi en poursuivant l’exécution du contrat.

* Sur l’obligation de maintien de la commercialité

Si le fonctionnement d’un centre commercial est spécifique, les obligations
légales du bailleur demeurent fondées sur l’article 1719 du code civil.

Il est admis que le bailleur d’un local situé dans un centre commercial, dont il est
propriétaire, est tenu d’entretenir les parties communes du centre, accessoires
nécessaires à l’usage de la chose louée. Le bailleur n’a cependant aucune obligation légale de maintenir un environnement commercial favorable.

L’installation dans un centre commercial implique, en effet, l’acceptation d’un risque commercial dans la mesure où l’accord des parties ne porte pas sur des
locaux à la commercialité éprouvée, mais seulement escomptée.

Dès lors, si la société RIVES produit des photographies de couloirs avec des devantures aux rideaux baissés, le bailleur ne peut en être tenu pour responsable, que ce soit sur le plan légal ou contractuel. Au surplus, les photographies produites sont insuffisantes à établir le défaut d’attractivité allégué par le preneur.

Le moyen tiré du manquement de la société PARIMALL [5] à son obligation de garantie de l’état de commercialité du centre sera donc écarté.

Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que les demandes de la société RIVES de bénéficier d’une franchise de loyer équivalente à 2 mois pour les sept mois de fermeture supportés en 2020 et 2021 est sans fondement.

* Sur les sommes dues par le preneur

La société PARIMALL [5] produit un relevé de compte locataire actualisé au 12 juin 2023 faisant état d’une dette locative de 60.087,54 euros. Ce décompte prend en compte le versement de 20.000 euros allégué par le preneur qui conteste être redevable du montant de 80.087,54 euros.

La société RIVES est ainsi redevable de la somme de 60.087,54 euros au titre
des loyers et charges dus selon décompte arrêté au 12 juin 2023 mais la demande de prononcé d’une astreinte de 100 euros par jour de retard n’est pas justifiée à ce stade. Il n’y a pas non plus lieu de faire droit à la demande de la bailleresse d’enjoindre la société RIVES de reprendre les paiements conformément aux stipulations du bail, laquelle demande ne constituant pas une prétention au sens de l’article 4 du code de procédure civile.

S’agissant de la majoration du taux de l’intérêt dont la société PARIMALL [5] demande l’application, l’article 7 du bail prévoit que “à défaut de paiement d’une somme éligible (loyers, charges, accessoires, dépôt de garantie, complément au dépôt de garantie, honoraires, etc) à sa date d’échéance,
celle-ci sera productive d’un intérêt :
- au taux moyen mensuel de l’EONIA (EUROPEAN OVERNIGHT INDEX AVERAGE, tel que calculé au jour le jour sous la supervision du Réseau Européen des Banques centrales majoré de 400 points de base (soit 4%) l’an (à titre d’exemple si le taux moyen mensuel est de 5%, le taux appliqué sera de 5% + 4% soit 9%).
- et ce passé le délai de 7 jours ouvrés suivant la date d’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception adressé au preneur et restée infructueuse de ce dernier en tout ou partie.”

Les parties sont convenues que si le taux de l’EONIA venait à disparaître, le taux intervenant en remplacement lui serait substitué.

Cette clause s’analyse en une clause pénale, régie par les dispositions de l’article 1231-5 du code civil, dont le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la peine si elle s’avère manifestement excessive ou dérisoire. L'excès manifeste est apprécié par les juges du fond au jour où la décision est rendue, par comparaison entre le montant de la peine et la valeur du préjudice.

En l’espèce, la condition tenant à l’envoi d’une lettre recommandée est vérifiée
par la délivrance de l’assignation puis par l’actualisation des conclusions en demande s’agissant du montant de la créance.

L’abstention de la société RIVES de s’acquitter des loyers dûs aux termes du bail qui la lie à la société PARIMALL [5] impacte nécessairement la trésorerie de la société bailleresse qui de son côté, reste tenue des charges exposées.

Le taux EONIA, remplacé par l’ESTER depuis le 1er janvier 2022, étant le taux
de change du marché interbancaire, et l’article 1231-6 du code civil prévoyant,
en principe, que dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine
somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, la majoration prévue par la clause pénale s’avère manifestement excessive et sera réduite à 150 points de base l’an.

La société RIVES sera donc condamnée à payer à la société PARIMALL [5] la somme de 60.087,54 euros au titre des loyers et charges dus selon décompte arrêté au 12 juin 2023 avec intérêts au taux ESTER majorés de 150 points de base l’an à compter de l’assignation étant précisé que ces intérêts seront capitalisés en application de l’article 1343-2 du code civil.

Il n’y a pas lieu de dire comme le demande la bailleresse que le taux d’intérêt légal sera retenu si il est plus élevé, une telle disposition ne résultant pas du bail conclu entre les parties.

La bailleresse demande encore l’application de la majoration de 10% des sommes dues par le preneur en cas de défaut de paiement à titre d’indemnité forfaitaire sur le fondement des dispositions du bail.

L’article 26.2.1 du contrat de bail prévoit qu’à défaut de paiement de toutes sommes dues par le preneur, et du seul fait de l’envoi par le bailleur d’une lettre
de rappel consécutive à cette défaillance, le montant des sommes dues sera majoré de plein droit de 10 % à titre d’indemnité forfaitaire et irrévocable, cette pénalité étant due indépendamment des intérêts de retard.

Cette clause s’analyse en une clause pénale régie par les dispositions de l’article 1231-5 du code civil.

La clause d’intérêts de retard et l’indemnité forfaitaire de 10 % stipulées au bail
indemnisent le même préjudice. Or, il a déjà été prévu que la condamnation en
paiement de la dette locative serait assortie des intérêts au taux moyen de l’ESTER, majorés de 150 points de base l’an. L’allocation d’une indemnité
forfaitaire supplémentaire de 10 % des sommes dues s’avère, en ce sens, manifestement excessive, d’autant plus que les décomptes locatifs montrent que l’engagement du preneur a été partiellement exécuté. Elle sera en conséquence réduite à hauteur de 3.000 euros.

Sur la demande de dommages-intérêts de la bailleresse
La bailleresse fait valoir qu’en dépit des aides du Gouvernement dont elle a pu bénéficier et des délais de paiement qu’elle a de facto imposés, la société RIVES persiste à ne pas payer les loyers ce qui génère un grave préjudice. Elle estime qu’un tel comportement doit être sévèrement sanctionné et réclame à ce titre sa condamnation à deux mois de loyers soit la somme de 36.801,13 euros.

Aux termes de l’article 1231-6 du Code civil, les dommages-intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure.

Ces dommages intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte.

Le créancier auquel son débiteur en retard a causé par sa mauvaise foi un préjudice indépendant de ce retard peut obtenir des dommages-intérêts distincts de l’intérêt moratoire.

En l’espèce, la bailleresse ne justifie ni de la mauvaise foi de sa locataire qui a pu se méprendre sur l’étendue de ses droits dans le contexte de la crise sanitaire, ni d’un préjudice distinct.

La société PARIMALL [5] sera donc déboutée de sa demande de dommages-intérêts.

Sur la demande de délais de paiement

L’article 1244-1 du code civil dispose que compte tenu de la situation du débiteur
et en considération des besoins du créancier, le juge peut, dans la limite de deux
années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues.

Il appartient au locataire de justifier, d’une part, des difficultés financières
rencontrées et, d’autre part, de sa capacité à s’acquitter des loyers courants,
outre l’arriéré.

En l’espèce, la société RIVES produit une attestation de son expert comptable justifiant d’une baisse de son chiffre d’affaires en 2020 et 2021 même si elle n’apporte aucune précision sur les aides éventuellement perçues par l’Etat pour s’acquitter de ses loyers et charges fixes.

En revanche, elle ne démontre pas avoir la capacité d’acquitter ses loyers
courants en sus de son important arriéré locatif dans le délai légal imparti. Dans ces conditions, il ne saurait être fait droit à sa demande de délais de paiement.

Sur les autres demandes

Sur les dépens

Conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la
partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision
motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En vertu de l’article 699 du code de procédure civile, les avocats peuvent, dans
les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la
partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.

La société RIVES qui succombe en ses demandes, sera condamnée aux
dépens de l’instance.

Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

La société RIVES, partie tenue aux dépens, sera condamnée à verser à la société PARIMALL [5], une somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés.

Sur l’exécution provisoire

En application de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la décision rendue n’en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire rendu en premier ressort :

CONDAMNE la société RIVES à payer à la société PARIMALL - [5] la somme de 60.087,54 euros au titre des loyers et charges dus selon décompte arrêté au 12 juin 2023, avec intérêts au taux ESTER majorés de 150 points de base l’an à compter du 28 janvier 2022 ;

DIT que les intérêts échus, dus pour une année au moins, seront capitalisés dans les conditions prévues par l’article 1343-2 du code civil ;

CONDAMNE la société RIVES à payer à la société PARIMALL - [5] une indemnité forfaitaire contractuelle de 3.000 euros ;

REJETTE la demande de délais de paiement de la société RIVES ;

CONDAMNE la société RIVES à payer à la société PARIMALL - [5] la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés ;

CONDAMNE la société RIVES aux entiers dépens de l’instance ;

REJETTE les autres demandes des parties ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 AVRIL 2024 par M. JOLY, Vice-Président, assisté de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, lesquels ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT
Carla LOPES DOS SANTOS Eric JOLY


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Versailles
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 22/00702
Date de la décision : 05/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-05;22.00702 ?
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