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05/04/2024 | FRANCE | N°20/05018

France | France, Tribunal judiciaire de Versailles, Troisième chambre, 05 avril 2024, 20/05018


Minute n°





TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
05 AVRIL 2024



N° RG 20/05018 - N° Portalis DB22-W-B7E-PTLY
Code NAC : 62B
S.V-L.



DEMANDEURS :

1/ Madame [D], [X] [J]
née le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 26],
demeurant [Adresse 12],

2/ Monsieur [Z], [R] [M]
né le [Date naissance 7] 1975,
demeurant [Adresse 12],

3/ Madame [F] [I] veuve [A]
née le [Date naissance 11] 1950 à [Localité 24] (ALGÉRIE),
demeurant [Adresse 13],

4/ Monsieur [Y]

[L]
né le [Date naissance 8] 1962 à [Localité 29],
demeurant [Adresse 10],

représentés par Maître Jérôme NALET de la SELARL FEUGAS AVOCATS, avocat plaidant/...

Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
05 AVRIL 2024

N° RG 20/05018 - N° Portalis DB22-W-B7E-PTLY
Code NAC : 62B
S.V-L.


DEMANDEURS :

1/ Madame [D], [X] [J]
née le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 26],
demeurant [Adresse 12],

2/ Monsieur [Z], [R] [M]
né le [Date naissance 7] 1975,
demeurant [Adresse 12],

3/ Madame [F] [I] veuve [A]
née le [Date naissance 11] 1950 à [Localité 24] (ALGÉRIE),
demeurant [Adresse 13],

4/ Monsieur [Y] [L]
né le [Date naissance 8] 1962 à [Localité 29],
demeurant [Adresse 10],

représentés par Maître Jérôme NALET de la SELARL FEUGAS AVOCATS, avocat plaidant/postulant au barreau de VERSAILLES.

DÉFENDERESSES :

1/ La société VILOGIA SOCIETE ANONYME D’HLM, société anonyme à directoire et conseil de surveillance immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LILLE MÉTROPOLE sous le numéro 475 680 815 dont le siège social est situé [Adresse 16], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l’ASSOCIATION AVOCALYS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES et par Maître Rachel HARZIC, avocat plaidant au barreau de PARIS.

2/ La société SNC LNC DELTA PROMOTION, société en nom collectif immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de NANTERRE sous le numéro 813 178 837 dont le siège social est situé [Adresse 14], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Fabrice LEPEU de l’AARPI CABINET KLP AVOCATS, avocat plaidant au barreau de PARIS et par Maître Lalia MIR, avocat postulant au barreau de VERSAILLES.

PARTIES INTERVENANTES :

1/ Monsieur [K] [A] venant aux droits de Monsieur [T] [A], décédé le [Date décès 9] 2022,
né le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 28] (ALGÉRIE),
demeurant [Adresse 5],

2/ Monsieur [H] [P] [A], venant aux droits de Monsieur [T] [A], décédé le [Date décès 9] 2022,
né le [Date naissance 6] 1972 à [Localité 28] (ALGÉRIE),
demeurant [Adresse 15],

3/ Madame [X] [W] [A] épouse [B], venant aux droits de Monsieur [T] [A], décédé le [Date décès 9] 2022,
née le [Date naissance 3] 1970 à [Localité 28] (ALGÉRIE),
demeurant [Adresse 18]

représentés par Maître Jérôme NALET de la SELARL FEUGAS AVOCATS, avocat plaidant/postulant au barreau de VERSAILLES.

ACTE INITIAL du 24 Août 2020 reçu au greffe le 06 Octobre 2020.

DÉBATS : A l'audience publique tenue le 16 Janvier 2024, après le rapport de Madame VERNERET-LAMOUR, Juge désigné par le Président de la Chambre, l’affaire a été mise en délibéré au 14 Mars 2024 prorogé au 05 Avril 2024 pour surcharge magistrat.

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
M. JOLY, Vice-Président
Madame GARDE, Juge
Madame VERNERET-LAMOUR, Juge placé

GREFFIER : Madame LOPES DOS SANTOS

* * * * * *

EXPOSE DU LITIGE

M. [Y] [L], M. [Z] [M] et Mme [D] [J] (ci-après les consorts [M]-[J]), M.[T] [A] et Mme [F] [I] épouse [A], (ci-après les époux [A]) demandeurs à la présente instance, sont propriétaires de maisons d’habitation situées respectivement au 22 (parcelle cadastrée [Cadastre 21]), 23 (parcelle cadastrée [Cadastre 20]) et
24 (parcelle cadastrée [Cadastre 19]) [Adresse 27].

Suivant l’obtention d’un permis de construire délivré par le maire de [Localité 25] le 10 février 2017, la SNC LNC DELTA PROMOTION a fait réaliser, sous sa maîtrise d’ouvrage, en lieu et place d’un entrepôt, un ensemble immobilier de 170 logements sur la parcelle attenante à celle des demandeurs, cadastrée section [Cadastre 22]. Les 170 logements sont répartis sur plusieurs bâtiments et quelques maisons individuelles.

Par courrier du 18 juin 2019, les demandeurs, se fondant sur un avis établi par M. [C] [V], expert, ont sollicité à l’amiable auprès de la SNC LNC DELTA PROMOTION une indemnisation comprise, selon les pavillons, entre 75.000 € et 90.000 € et correspondant à l’estimation de la perte de valeur vénale de leurs biens due à la construction notamment d’un bâtiment comprenant plusieurs étages en limite de propriété.

La SNC LNC DELTA PROMOTION n’a pas donné suite à ce courrier.

C’est dans ce contexte que M. [Y] [L], les consorts [M]-[J] et les époux [A] ont assigné la SNC LNC DELTA PROMOTION devant ce tribunal, par acte du 24 août 2020, aux fins d’obtenir l’indemnisation de leur préjudice.

L’affaire a été enregistrée sous le numéro RG 20/05018.

Après avoir recueilli l’accord des parties, le juge de la mise en état a ordonné une mesure de médiation par ordonnance du 3 février 2021, laquelle n’a cependant pas permis de mettre fin au différend opposant les parties.

Par exploit du 22 juillet 2021, M. [Y] [L], les consorts
[M]-[J] et les époux [A] ont assigné en intervention forcée la société VILOGIA SOCIETE ANONYME D’HLM, nouvelle propriétaire de l’immeuble, aux fins de la voir condamner, in solidum avec la société SNC LNC DELTA PROMOTION à les indemniser des préjudices subis (RG n°21/04374).

Les procédures ont été jointes par ordonnance du juge de la mise en état en date du 28 septembre 2021 sous le seul numéro de RG 20/05018.

M. [Y] [L], les consorts [M]-[J] et les époux [A] ont notifié, le 24 février 2022, des conclusions d’incident aux fins de voir désigner un expert en vue de déterminer si la nouvelle construction créait un trouble anormal de voisinage.

Le juge de la mise en état, par ordonnance du 15 mars 2022, a débouté les requérants de leur demande d’expertise estimant qu’ au regard des demandes dont était saisi le tribunal, des contestations formulées par la SNC LNC DELTA PROMOTION dans ses conclusions au fond, et des pièces versées aux débats par les requérants, à savoir les expertises de valeur vénale réalisées par
M. [V] et le procès-verbal de constat en date du 1er juin 2022, l’utilité de la mesure d’expertise, à ce stade de la procédure, était contestable.

M. [T] [A] est décédé le [Date décès 9] 2022. Ses enfants, M. [K] [A], M.[H] [A] et Mme [X] [A] épouse [B] sont intervenus volontairement à l’instance.

Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 24 août 2023, M. [Y] [L], Mme [D] [J], M. [Z] [M], Mme [F] [I] veuve [A], M. [K] [A], M.[H] [A] et Mme [X] [A] épouse [B] (ci-après les consorts [A]) demandent au tribunal de :

Vu les articles 143, 144 et 232 du Code de Procédure Civile,
Vu les articles 370 et 373 du Code de Procédure Civile,
Vu les articles 544 et 545 du Code civil,
Vu l’article 1240 du Code Civil,
Vu la théorie du trouble anormal de voisinage,

A TITRE LIMINAIRE

JUGER Monsieur [K] [A], Monsieur [H] [A] et Madame [X] [A] épouse [B] recevables en leur intervention volontaire.

CONSTATER la reprise de l’instance par Monsieur [K] [A], Monsieur [H] [A] et Madame [X] [A] épouse [B], en leurs qualité d’héritiers de Monsieur [T] [A], demandeur à l’instance et décédé le [Date décès 9] 2022.

JUGER Monsieur [L], Madame [J] et Monsieur [M] ainsi que les consorts [A] recevables et bien fondés en l’ensemble de leurs fins et prétentions.

JUGER que l’édification de l’immeuble construit par la SNC LNC DELTA PROMOTION et dont la SA VILOGIA SOCIETE ANONYME D'HLM est actuellement propriétaire, à proximité immédiate de la limite de propriété des requérants, crée un trouble anormal de voisinage ;

DEBOUTER la SNC LNC DELTA PROMOTION et la Société VILOGIA de l’ensemble de leurs demandes.

ET :

A TITRE PRINCIPAL

Sur le préjudice matériel

CONDAMNER in solidum la SNC LNC DELTA PROMOTION et la SA VILOGIA SOCIETE ANONYME D'HLM à verser à Monsieur [L] la somme de 75.300 € sauf à parfaire en indemnisation du préjudice par lui, subi au titre de la dévalorisation de sa propriété du fait de la construction du programme immobilier de 170 logements sur une parcelle attenante à celles des requérants, sise [Adresse 4].

CONDAMNER in solidum la SNC LNC DELTA PROMOTION et la SA VILOGIA SOCIETE ANONYME D'HLM à verser à Madame [J] et Monsieur [M] la somme de 89.700 € sauf à parfaire en indemnisation du préjudice par eux subi au titre de la dévalorisation de leur propriété du fait de la construction du programme immobilier de 170 logements sur une parcelle attenante à celles des requérants, sise [Adresse 4].

CONDAMNER in solidum la SNC LNC DELTA PROMOTION et la SA VILOGIA SOCIETE ANONYME D'HLM à verser à Madame [F] [I] épouse [A], Monsieur [K] [A], Monsieur [H] [A] et Madame [X] [A] épouse [B] la somme de 82.200 € sauf à parfaire en indemnisation du préjudice par eux subi au titre de la dévalorisation de leur propriété du fait de la construction du programme immobilier de 170 logements sur une parcelle attenante à celles des requérants, sise [Adresse 4].

Sur le préjudice moral

CONDAMNER in solidum la SNC LNC DELTA PROMOTION et la SA VILOGIA SOCIETE ANONYME D'HLM à verser à Monsieur [L] la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral

CONDAMNER in solidum la SNC LNC DELTA PROMOTION et la SA VILOGIA SOCIETE ANONYME D'HLM à verser à Madame [J] et Monsieur [M] la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral

CONDAMNER in solidum la SNC LNC DELTA PROMOTION et la SA VILOGIA SOCIETE ANONYME D'HLM à verser à Madame [F] [I] épouse [A], Monsieur [K] [A], Monsieur [H] [A] et Madame [X] [A] épouse [B] la somme 10.000 euros de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral

Sur le préjudice quant aux nuisances sonores et la demande de cessation du trouble

DESIGNER tel Expert qu’il plaira, avec mission de, les parties présentes ou dûment et préalablement convoquées :
- Se rendre sur place, 22, 23 et 24 [Adresse 27], également sur la parcelle attenante, sise [Adresse 23], cadastrée section [Cadastre 22], [Localité 17] autant de fois que nécessaire,
- Se faire communiquer tous documents et pièces que l’Expert estimera utile à l’accomplissement de sa mission,
- Visiter les lieux en détail et les décrire précisément,
- Examiner les préjudices allégués par Monsieur [L], Madame [J] et Monsieur [M] ainsi que les consorts [A], relatifs aux nuisances acoustiques qu’ils indiquent subir du fait de la construction nouvellement édifiée sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 22] ;
- Les décrire en précisant leur nature, en rechercher l’origine et les causes,
- Proposer, le cas échéant, les travaux propres à remédier aux nuisances acoustiques, en chiffrer le coût ainsi que la durée,
- Fournir les éléments techniques et de fait permettant d’apprécier les préjudices subis par Monsieur [L], Madame [J] et Monsieur [M] ainsi que les consorts [A], au vu des nuisances acoustiques qu’ils indiquent subir du fait de la construction nouvellement édifiée sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 22] ;
- Faire toutes constatations utiles,
- Etablir puis diffuser une note de synthèse et laisser aux parties un délai d’un mois pour faire valoir leurs observations,
- Répondre à tout dire et entendre tout sachant,
- Du tout dresser rapport afin qu’il soit le cas échéant statué au fond.

A TITRE SUBSIDIAIRE,

SUR LA DEMANDE D’EXPERTISE POUR L'EVALUATION DE L’ENSEMBLE DES PRÉJUDICES SUBIS

DESIGNER avant dire droit tel Expert qu’il plaira au Juge de la Mise en Etat, avec mission de, les parties présentes ou dûment et préalablement
convoquées :

- Se rendre sur place, 22, 23 et 24 [Adresse 27], également sur la parcelle attenante, sise [Adresse 23], cadastrée section [Cadastre 22], [Localité 17] autant de fois que nécessaire,
- Se faire communiquer tous documents et pièces que l’Expert estimera utile à l’accomplissement de sa mission,
- Visiter les lieux en détail et les décrire précisément,
- Examiner les préjudices allégués par Monsieur [L], Madame [J] et Monsieur [M] ainsi que les consorts [A] dans les présentes conclusions, que ce soit relativement à la dévalorisation de leurs propriétés respectives, à leur préjudice moral ou aux nuisances acoustiques qu’ils indiquent subir du fait de la construction nouvellement édifiée sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 22] ;
- Les décrire en précisant leur nature, en rechercher l’origine et les causes,
- Proposer, le cas échéant, les travaux propres à remédier aux nuisances acoustiques, en chiffrer le coût ainsi que la durée,
- Fournir les éléments techniques et de fait permettant d’apprécier les préjudices subis par Monsieur [L], Madame [J] et Monsieur [M] ainsi que les consorts [A], y compris, le cas échéant, au regard de dévalorisation de leurs propriétés respectives, à leur préjudice moral ou aux nuisances acoustiques qu’ils indiquent subir du fait de la construction nouvellement édifiée sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 22]
- Faire toutes constatations utiles,
- Etablir puis diffuser une note de synthèse et laisser aux parties un délai d’un mois pour faire valoir leurs observations,
- Répondre à tout dire et entendre tout sachant,
- Du tout dresser rapport afin qu’il soit le cas échéant statué au fond. STATUER ce qu’il appartiendra sur la consignation destinée à l’Expert Judiciaire.

SURSEOIR à statuer jusqu’au dépôt du rapport de l’Expert Judiciaire.

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

CONDAMNER in solidum la SNC LNC DELTA PROMOTION et la SA VILOGIA SOCIETE ANONYME D'HLM à verser à [L] à la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

CONDAMNER in solidum la SNC LNC DELTA PROMOTION et la SA VILOGIA SOCIETE ANONYME D'HLM à verser à Madame [J] et Monsieur [M] à la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

CONDAMNER in solidum la SNC LNC DELTA PROMOTION et la SA VILOGIA SOCIETE ANONYME D'HLM à verser à Madame [F] [I] épouse [A], Monsieur [K] [A], Monsieur [H] [A] et Madame [X] [A] épouse [B] à la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

CONDAMNER la SNC LNC DELTA PROMOTION aux entiers dépens de la présente instance, dont distraction au profit de la SELARL LYVEAS AVOCATS conformément à l’article 699 du Code de Procédure Civile.

Les demandeurs fondent leur demande d’indemnisation sur la théorie jurisprudentielle du trouble anormal de voisinage rappelant que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ». Ils précisent que l’action fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extra contractuelle sans faute où le propriétaire de l’immeuble à l’origine du trouble est responsable de plein droit.

Ils font valoir que depuis la construction par la SNC LNC DELTA PROMOTION d’un ensemble immobilier en lieu et place de l’entrepôt commercial initial, un trouble anormal est largement constitué du fait de la construction d’un immeuble de type R+3 édifié à la limite de leurs propriétés leur créant ainsi divers préjudices et notamment une perte d’ensoleillement, des vues directes des occupants du nouvel immeuble sur leurs jardins et leurs parties privatives, les privant ainsi de toute vie privée et intimité, des nuisances sonores provenant des appartements mais également en provenance du parking souterrain de l’immeuble, puisque la rampe d’accès a été placée au niveau de leurs propriétés. Ils déplorent enfin des nuisances olfactives (gaz d’échappement) provenant des véhicules accédant au parking.

Ils rétorquent qu’ils rapportent suffisamment la preuve de l’existence d’un trouble anormal de voisinage en produisant l’avis de M. [C] [V] expert immobilier, qui s’est rendu sur place pour apprécier la valeur vénale de leurs biens respectifs et qui a attesté « d’une perte de jouissance paisible du jardin, sans oublier une perte du calme des lieux par la présence d’un édifice en limite de propriété », celui-ci ayant ajouté qu’il n’avait jamais vu un tel vis-à-vis et une telle proximité d’une construction neuve”.

Ils indiquent produire également un constat d’un huissier en date du
1er juin 2022 ainsi que de nombreuses attestations de témoins.

S’agissant de leurs différents préjudices, ils font valoir que leur préjudice matériel est certain puisque l’expert a chiffré la perte de la valeur vénale de leurs biens respectifs à un taux de 30%.

Ils justifient leur demande au titre d’un préjudice moral  en faisant valoir la perte d’intimité, ce dont témoignent plusieur personnes de leur entourage.

Ils estiment que le lien de causalité entre le trouble anormal de voisinage et leur préjudice est incontestable.

Au soutien de leur demande d’expertise, ils exposent subir des nuisances sonores importantes en raison de l’emplacement de la rampe de parking de l’immeuble située en limite de propriété et que seule une expertise judiciaire pourra évaluer ce préjudice, et surtout préciser les travaux propres à remédier à ces nuisances, en chiffrer le coût ainsi que la durée.

Au soutien de leur demande subsidiaire visant à obtenir la nomination d’un expert pour évaluer l’ensemble de leurs préjudices, ils font valoir au visa des articles 143, 144 et 232 du code de procédure civile que celle-ci est nécessaire en raison des contestations émises par les défenderesses à l’encontre du rapport d’expertise amiable et à l’encontre du constat du commissaire de Justice dressés au cours de la procédure.

Ils rétorquent que l’emprise de la nouvelle construction est totalement différente de celle existante lorsqu’ils ont acquis leurs biens puisque les locaux de l’entreprise JC DECAUX étaient plus éloignés de la limite séparative, que le bâtiment était deux fois moins grand que les immeubles d’habitation, objet du présent litige, et ne disposant que de quelques fenêtres comparé à la nouvelle construction qui compte environ cinquante fenêtres, des terrasses avec vue plongeante chez eux. Ils ajoutent que les locaux de l’entreprise JC DECAUX n’étaient occupés qu’aux horaires de bureau.

Ils contestent se prévaloir uniquement d’une perte d’ensoleillement ou d’une perte de vue et précisent qu’il s’agit pour eux d’une perte totale d’intimité au sein de leur parties privatives.

Les demandeurs contestent également les références jurisprudentielles dont se prévalent les défenderesses pour s’opposer à leur demande d’expertise, indiquant que la décision de la cour d’appel de Riom est inopérante puisqu’elle concerne la diminution de l’ensoleillement et qu’il s’agit de l’extension d’une construction et non pas, comme dans le cas d’espèce, d’une nouvelle construction.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 11 juillet 2023, la SNC LNC DELTA PROMOTION demande au tribunal de :

Débouter les consorts [J]-[M], Monsieur [L] et Madame [A] et les 3 héritiers de Monsieur [A] de l’intégralité de leurs demandes de dommages et intérêts tant au titre de leur préjudice matériel, que de leur préjudice moral ;

Débouter les consorts [J]-[M], Monsieur [L] et Madame [A] et les 3 héritiers de Monsieur [A] de leurs demandes d’expertise judiciaire, celles-ci n’étant aucunement justifiées ;

Condamner les consorts [J]-[M], Monsieur [L] et Madame et Monsieur [A] à payer la somme de 3.000 euros à la SNC LNC DELTA PROMOTION sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

Condamner les consorts [J]-[M], Monsieur [L] et Madame et Monsieur [A] aux entiers dépens.

Pour s’opposer aux demandes des requérants, la SNC LNC DELTA PROMOTION expose en premier lieu qu’aucun recours contre le permis de construire n’a été effectué par les demandeurs et qu’ils sont défaillants à rapporter la preuve de l’existence d’un trouble de voisinage, et de son anormalité.

Elle considère que l’expertise de M. [V] ne lui est pas opposable car non contradictoire.

Elle fait valoir qu’il existait, avant la construction de l’immeuble litigieux, un entrepôt de la société JC DECAUX situé en limite de propriété et que la jouissance de leurs maisons et jardins respectifs était déjà troublée par la présence de cet imposant entrepôt indiquant que de nombreuses vues s’exerçaient déjà sur leurs fonds depuis les bureaux de cet entrepôt.

Elle ajoute que les demandeurs devaient également subir le passage de poids lourds qui étaient amenés à faire tour de cet entrepôt.

Elle soutient que les demandeurs savaient, au moment de leur acquisition en 2004, que le quartier faisait l’objet d’une requalification et que l’entrepôt de la société JC DECAUX situé juste au fond de leurs jardins allait être remplacé par des habitations puisqu’il devenait de fait le dernier local d’activité de la zone.

Elle prétend que les demandeurs ont eux-mêmes participé à la densification urbaine de cette zone en achetant auprès d’un promoteur immobilier et qu’ils ne pouvaient ignorer que cette urbanisation allait se poursuivre.

Elle fait valoir, au visa de la jurisprudence que nul n’a droit en zone urbaine ou péri-urbaine à une vue sur l’horizon ou un ensoleillement, ou encore un environnement pérenne notamment lorsque, comme au cas d’espèce, la faible superficie des parcelles expose chaque occupant à une promiscuité inéluctable avec ses voisins de part et d’autre.

S’agissant des demandes de dommages-intérêts, elle fait remarquer que l’expert a indiqué qu’il était très difficile de calculer la dévalorisation du bien, utilisant le conditionnel. Elle ajoute qu’un rapport de plus de quatre ans ne peut servir de base à une indemnisation.

Elle conteste l’existence d’un lien de causalité certain entre une éventuelle dévalorisation des biens des demandeurs et l’opération dont elle a été le maître d’ouvrage.

En tout état de cause, elle estime que le préjudice allégué des demandeurs né de la perte d’intimité, et qui entraînerait selon eux des répercussions dans leur vie quotidienne et dans la jouissance de leur bien ne peut s’analyser que comme un trouble de jouissance mais non comme une perte de la valeur vénale de leur bien.

Pour s’opposer à la demande d’expertise relative aux nuisances sonores, elle soutient qu’il serait nécessaire qu’il existe un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse.

Elle estime qu’il n’y a pas de motif légitime à autoriser une expertise avant même que le trouble anormal de voisinage ne soit retenu par le tribunal.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique 12 juillet 2023, la société VILOGIA SOCIETE ANONYME D’HLM, demande au tribunal de :

Vu l’article 789 du Code de procédure civile,
Vu l’article 146 du Code de procédure civile,
Vu l’article 6 du Code de procédure civile,
Vu l’article 9 du Code de procédure civile,
Vu l’article 15 du Code de procédure civile,
Vu l’article 1353 du Code civil,
Vu l’article 31-1 du Code de procédure civile,

SE DECLARER INCOMPETENT pour ordonner une expertise judiciaire.

DECLARER IRRECEVABLE l’action et les demandes formées par Madame [J], Monsieur [M], les Consorts [A] et Monsieur [L].

DEBOUTER Madame [J], Monsieur [M], les Consorts [A] et Monsieur [L] de l’ensemble de leurs demandes fin et conclusions.

CONDAMNER in solidum Madame [J], Monsieur [M], les Consorts [A] et Monsieur [L] à verser à la Société VILOGIA la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Vu l’article 699 du Code de procédure civile,

Vu l’article 700 du Code de procédure civile

CONDAMNER in solidum Madame [J], Monsieur [M], les Consorts [A] et Monsieur [L] à verser à la Société VILOGIA la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

CONDAMNER in solidum Madame [J], Monsieur [M], les Consorts [A] et Monsieur [L] aux entiers dépens.

La SA VILOGIA SOCIETE ANONYME D’HLM s’oppose à toute demande d’expertise au motif que le juge de la mise en état a déjà statué sur cette question et que les demandeurs ne donnent pas de fondements à leurs demandes, rappelant que l’expertise n’a pas vocation à pallier la carence des demandeurs.

Elle prétend au visa des articles 9 et 15 du code de procédure civile que le demandeur en justice doit présenter des prétentions fondées en droit et en fait et qu’en l’espèce les demandeurs ne démontrent pas la recevabilité de leur action, et ne proposent aucune qualification juridique justifiant du bien-fondé de leurs prétentions.

Elle soutient que les demandeurs n’ont versé aux débats aucun élément de preuve ou commencement de preuve de nature à justifier les préjudices qu’ils allèguent, qu’il s’agisse du préjudice de jouissance, des nuisances acoustiques, de la perte de valeur vénale de leurs propriétés ou encore d’un préjudice moral.

Elle fait valoir que les requérants n’apportent aucune explication sur le
bien-fondé tenant à l’application de tel ou tel régime juridique par rapport à tel ou tel « préjudice».

Elle rappelle qu’une action en responsabilité fondée sur l’article 1240 du code civil suppose, pour prospérer, de rapporter la preuve d’une faute de celui dont on recherche la responsabilité, d’un préjudice et d’un lien de causalité, ce que ne font pas les demandeurs et qu’une action fondée sur la théorie des troubles anormaux de voisinage suppose la démonstration de la matérialité d’un trouble qui excéderait les inconvénients normaux de voisinage, le trouble, quel qu’il soit, devant impérativement revêtir un caractère anormal ou excessif.

Elle estime que l’anormalité qui doit être caractérisée est celle du trouble, et non celle du dommage invoqué, car c'est le trouble anormal qui constitue le fait générateur de la responsabilité. Elle fait valoir que le trouble n’est anormal qu’à la condition de dépasser un certain degré de nuisance et que le trouble invoqué doit revêtir une intensité certaine, laquelle s'apprécie en fonction des circonstances de moment et de lieu.

Elle rappelle que l’édification d’une résidence dans une zone urbaine d’habitations ne peut pas constituer un trouble anormal de voisinage.

Elle estime que les réclamations pécuniaires des requérants ne sont justifiées ni dans leur principe ni dans leur quantum.

Pour s’opposer à la demande de condamnation “ in solidum” elle rappelle au visa de l’article 1310 du code civil que la solidarité ne se présume pas. Elle fait valoir qu’elle n’est pas maître d’ouvrage de l’ensemble immobilier litigieux et qu’elle n’a commis aucune faute et plus particulièrement aucune faute ayant concouru à la survenance des préjudices allégués.

Elle justifie sa demande reconventionnelle au visa de l’article 32-1 du code de procédure civile, faisant valoir que l’attitude des requérants caractérise une véritable intention de nuire à son encontre, en tentant d’obtenir de sa part des sommes qui ne leurs sont pas dues.

Elle fait valoir que la présente procédure porte atteinte à son image et lui cause un préjudice important.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 6 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de condamnation in solidum de la SNC LNC DELTA PROMOTION et de la société VILOGIA SOCIETE ANONYME D’HLM à indemniser les demandeurs

Sur l’existence d’un trouble anormal du voisinage
Le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi et les règlements, est limité par l’obligation qu’il a de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.

Les juges du fond apprécient souverainement en fonction des circonstances de temps et de lieu, la limite de la normalité des troubles du voisinage.

La responsabilité en résultant est une responsabilité sans faute, objective.

En l’espèce, il convient de rappeler que les demandeurs ont tous acquis leurs biens en 2004 et qu’avant la construction du projet immobilier litigieux comprenant plusieurs immeubles à usage d’habitation et des pavillons correspondants à 170 logements, se trouvait un entrepôt de la société JC DECAUX.

Pour démontrer que la réalisation de ce projet immobilier a crée à leur détriment un trouble anormal de voisinage, les demandeurs versent chacun aux débats un “rapport d’expertise valeur vénale” établi par M. [C] [V], expert immobilier comportant outre des informations relatives à l’estimation de la valeur de leurs biens, différentes photographies de l’immeuble en construction ainsi que quelques commentaires de l’expert. S’il n’est pas contesté que ces rapports n’ont pas été établis contradictoirement, ainsi que le souligne la S.N.C. LNC DELTA PROMOTION, il n’en demeure pas moins qu’ils ont tous été versés aux débats et librement discutés par les parties au cours de l’instance.
L’expert immobilier aboutit à la même conclusion pour les trois biens à savoir, qu’après la construction, il y aura une perte de jouissance paisible du jardin, sans oublier une perte du calme des lieux par la présence d'un édifice en limite de propriété.” Il note la proximité immédiate de l’immeuble et le peu d’espace qui sépare Ies constructions. Il précise n’avoir “jamais vu un tel vis-à-vis et une telle proximité d'une construction neuve”.

Les demandeurs produisent également un constat établi par Maître [O], commissaire de Justice en date du 1er juin 2022, une fois l’immeuble définitivement construit et occupé, qui contient également de nombreuses photographies outre les constatations de l’officier public et ministériel.

S’agissant du bien des consorts [A], le rapport de M. [V] établi le 20 mars 2019 contient des photographies prises depuis la maison qui permettent de constater que l’immeuble litigieux a été érigé de manière très proche de la limite séparative des deux fonds et comporte trois étages en plus du rez-de-chaussée. On peut voir les futures fenêtres, terrasses et balcons toujours en cours de construction au moment où les photographies sont effectuées.

Le commissaire de Justice note dans son constat du 1er juin 2022, lorsqu’il se trouve en façade arrière de la maison des consorts [A] :

“Je constate qu’une terrasse est implantée au pied de la façade arrière, de même qu’une pelouse et un petit jardinet.
(...)” je remarque, en face de la façade arrière de la maison des époux [A], qu’un treillage en métal est édifié. sous ce treillage en métal je constate qu’une rampe d’accès est aménagée, laquelle jouxte les jardins arrière de M. Et Mme [A] au numéro 24 et également le jardin au numéro [Adresse 12].
Il m’est précisé que cette rampe d’accès permet l’entrée et la sortie des véhicules des 12 pavillons, lesquels sont implantés [Adresse 23]. Je constate que cet immeuble dispose de quatre niveaux de hauteur : rez-de chaussée, premier étage, deuxième étage et troisième étage.
Je constate que, pour les premier, deuxième et troisième étages, les fenêtres percées sur la façade de cet immeuble disposent d’une vue plongeante sur le jardin arrière de la maison de M. Et Mme [A], de même que sur l’ensemble de la façade de la maison et ainsi sur ses fenêtres et ses portes-fenêtres. Je précise que dans l’axe du jardin arrière de la maison de M. Et Mme [A], en plus des fenêtres et portes-fenêtres percées sur la façade de l’immeuble, deux balcons sont également édifiés au premier et au deuxième étage et une terrasse au troisième étage. Je précise néanmoins que cette terrasse du troisième étage est équipée de brise-vue.(...) De la fenêtre de cette chambre (chambre d’enfant au 1er étage) la vue est entièrement obstruée par l’immeuble lui faisant face.
Depuis l’intérieur de la pièce (salle à manger) la vue de l’ensemble de ces baies vitrées est entièrement obstruée par l’immeuble voisin.
(...) Je constate que lorsqu’un véhicule passe dans la rampe d’accès, le bruit se fait parfaitement entendre dans le jardin arrière de la maison des requérants.
Me tenant à nouveau dans le jardin arrière de la maison, je constate que cet immeuble surplombe de plusieurs mètres la maison de M. Et Mme [A].
Il décrit le bruit comme un “bruit d’une intensité identique à celle d’une conversations menée de vive voix face à face”.

Les consorts [A] versent également aux débats plusieurs attestations de témoins au soutien de l’existence d’un trouble anormal de voisinage dont celle de Mme [G] [U] épouse [A] qui déclare : “depuis la construction des bâtiments derrière le jardin de mes beaux-parents, j’ai constaté une perte considérable de l’ensoleillement, du bruit de voitures et des cris d’enfant jouant sur la rampe d’accès au garage souterrain qui est une caisse de résonnance. Ce n’est plus agréable de se réunir aux beaux jours à cause de ces nuisances. Nous sommes souvent obligés d’aller coté nord donc non ensoleillé pour pouvoir échapper aux bruits. (...) Le vis à vis est également très gênant, les fenêtres donnant directement sur le jardin et sur le salon de la maison”.

Mme [S] [B] note que “le jardin qui autrefois était un lieu relaxant pour la famille pendant les jours d’été pour un bain de soleil n’est maintenant plus utilisé à cause du vis-à-vis avec l’immeuble d’en face. L’impression d’être observée est constamment présente ce qui nous pousse à éviter cette partie du jardin pendant les week-ends.”

Mme [E] [A] atteste que “la sensation d’être observée est omniprésente, que ce soit à l’intérieur (dans la salle à manger) ou dans le jardin. De plus, par beau temps, lorsque les voisins qui logent dans ce même bâtiment ouvrent leurs fenêtres, nous pouvons entendre leurs conversations et certainement qu’eux aussi assistent aux nôtres. A cause de tout cela, nos moments de partage et de détente dans le jardin se font rares.”

Est également versée aux débats l’attestation de M. [H] [A] dont la valeur probante est à relativiser compte tenu du fait qu’il est partie à la présente procédure. Celui-ci indique toutefois que “depuis la construction de la résidence, le bruit des voisins est très présent. Des véhicules vont et viennent notamment aux heures de pointe, leurs bruits et les odeurs d’échappement envahissent parfois le jardin côté sud, là où nous avions pour habitude de déjeuner ou de dîner le week-end en famille. (...) Mes parents ont acheté cette maison en 2005 voisine directe d’une petite bâtisse qui accueille des retraitées seules, étant ainsi persuadés que l’endroit serait propice au calme et à la tranquillité ; ils se trouvent aujourd’hui face à un immeuble de près de 15 mètres de hauteur qui réduit considérablement la clarté dans le salon et la cuisine les beaux-jours; qui les oblige à maintenir les fenêtres fermées l’été à cause des bruits des voisins (cris d’enfants, télé, etc...)très présents ; des odeurs d’essence dues à une rampe d’accès garage que les véhicules empruntent en fond de 2ème pour monter la pente ; et l’impression permanente d’être observés par les fenêtres et balcons qui ont une vue plongeante dans le jardin côté sud.”

S’agissant de la propriété des consorts [M]-[J], le rapport de l’expert immobilier a été établi le 30 novembre 2018, alors que l’immeuble litigieux ne comportait qu’un seul étage en plus du rez-de-chaussée. La clôture sur la partie gauche de leur jardin qui prolonge celle des époux [A] est dénuée de toute plantation jusqu’au milieu de leur terrain. Le restant de la clôture qui rejoint ensuite le fonds de M. [L] est bordée par les mêmes arbres que ceux présents sur le fonds de ce dernier.

Le commissaire de Justice constate en juin 2022 que “ce jardin arrière est ceint d'une clôture en métal ajouré ouvrant directement: (me tenant dos à la façade) en partie gauche sur l'extrémité de Ia rampe d'accès permettant l'entrée et la sortie des véhicules des propriétaires des 12 pavillons implantés [Adresse 23], et pour l'essentiel, en partie droite, sur le jardin de l’appartement en rez-de-jardin de l'immeuble voisin.
L'immeuble implanté sur le terrain attenant à celui des requérants est d'une hauteur de quatre niveaux, qui surplombe la maison des requérants et dispose d'une vue directe sur Ie jardin arrière de la maison, sur l'ensemble des fenêtres et portes-fenêtres et sur la façade arriere de Ia maison.
Je précise que Ia vue, depuis Ies deux portes-fenêtres de Ia pièce salle à manger est entièrement obstruée par l’immeuble voisin.
Je fais la même constatation pour Ia fenêtre double battant ouvrant sur l'espace cuisine. L'immeuble faisant face à la maison des requérants dispose également de deux balcons au premier et au deuxième étage, ouvrant directement sur Ia maison et Ie jardin arrière des requérants.
Je précise que le balcon au deuxième étage dispose d'une vue plongeante sur la maison, ses fenêtres et portes-fenêtres et son jardin.
Je précise néanmoins qu'une haie de thuyas est implantée, occultant pour partie la vue sur Ia partie basse de la maison et une partie également du jardin arrière.
Je me transporte à l'étage de Ia maison. Je me rends dans la chambre de la fille des requérants, Iaquelle dispose d'une fenêtre double battant ouvrant sur la façade arrière de la maison et ouvrant directement sur I'immeuble mitoyen.
Je constate, depuis la fenêtre ouverte, que la vue de cette fenêtre est entièrement obstruée par l’immeuble voisin. Je photographie cette vue depuis la chambre.
Je constate que le balcon du deuxième étage de l’immeub|e se trouve dans |'axe (légèrement surélevé)de la fenêtre de cette chambre. Je constate, depuis cette fenêtre de toit, que l'immeuble lui faisant face obstrue entièrement Ia vue de cette fenêtre de toit.
Je constate que, lorsqu'un véhicule passe dans Ia rampe d'accès, Ie bruit se fait également parfaitement entendre dans le jardin arrière de Ia maison des requérants. Je précise que ce bruit est d'une intensité identique à celle d'une conversation menée de vive voix en face à face”.

Les consorts [M]-[J] versent également aux débats une attestation de témoin dans laquelle M. [R] [M], père de M. [Z] [M], indique “qu’auparavant son fils et sa belle-fille pouvaient profiter d’un petit jardin au calme protégé par de grands arbres. Sur la parcelle voisine le flanc d’un hangar JC Decaux faisait face à ce jardin et je n’y ai jamais constaté de bruit ou de vis à vis dérangeant lors de mes venues. Depuis la construction du projet immobilier une partie des arbres a été arrachée et l’entrée d’un parking souterrain a pris place à la limite séparative de leur jardin. Un immeuble de trois étages situé à une dizaine de mètres de la maison de mon fils lui fait face provoquant une perte totale d’intimité dans son jardin, son salon et dans la chambre de ma petite-fille du fait de nombreuses ouvertures et balcons en vis à vis direct. De plus, j’ai pu constater une augmentation importante du bruit provoqué par les habitants de ces nouveaux logements ainsi que du passage des véhicules dans la rampe du parking souterrain. Le vis à vis direct oblige mon fils à fermer les volets de sa maison pour garder son intimité. Fenêtres fermées il est possible d’entendre les discussions dans les jardins et sur les balcons du bâtiment.”

S’agissant de la propriété de M. [L], le rapport de l’expert immobilier a été réalisé le 20 mars 2019. Contrairement au fonds des époux [A], on peut voir qu’une haie de thuyas longe l’ensemble de la clôture séparative entre le fonds de M. [L] et le fonds sur lequel a été érigée la nouvelle construction.

Le commissaire de Justice indique en juin 2022 :

(...) “Je précise qu’est implantée dans ce jardin, à l’arrière de la clôture en métal entièrement ajouré, une haie de thuyas, identique à celle de ses voisins au numéro 23.
Depuis mon point de vue, dans Ie jardin arrière de la maison du requérant, seule la partie haute de l'immeub|e est visible. Les fenêtres, portes-fenêtres, balcons de cet immeuble, disposent d'une vue directe du coté de la maison du requérant, vue actuellement obstruée partiellement par Ia haie de thuyas.
Le requérant me signale qu'il subit les nuisances sonores en provenance du jardin aménagé au pied de l’appartement en rez-de-jardin de l'immeuble voisin de sa maison.
Et je constate d'ailleurs au travers de Ia haie ajourée, que sont implantés, dans ce jardin, un trampoline et une piscine.
L’immeuble voisin de la maison du requérant, dans sa partie droite, dispose, au dernier
niveau, de balcons qui disposent d'une vue sur Ia façade arrière de la maison du requérant et également sur son jardin” (...)

Après s’être transporté à l’étage dans une chambre dont la fenêtre ouvre sur la façade arrière de la maison, le commissaire de Justice constate que “depuis cette fenêtre, la vue est entièrement obstruée par |'immeuble voisin, dont les fenêtres et Ie balcon du deuxième étage disposent d'une vue directe sur la fenêtre de Ia pièce ou je me trouve. (...). le requérant me signale que même fenêtre et porte-fenêtre fermées, dans sa pièce salle à manger et cuisine, il entend les voisins disposant d’un jardin en rez-de-jardin, dans i’immeuble voisin”.

L’examen par le tribunal des photographies extraites d’une part du rapport de
M. [V], et d’autre part du constat du commissaire de Justice confirme qu’ont été réalisées sur la façade du bâtiment litigieux qui longe la totalité des fonds respectifs des demandeurs, plusieurs fenêtres, porte-fenêtres et terrasses, ayant ainsi pour conséquence la création de vues plongeantes sur le fonds des consorts [A] et dans une moindre mesure sur celui des consorts [M]-[J], vues n’étant obstruées, s’agissant du fonds des consorts [A] ni par des pare-vues (sauf au 3ème étage de l’immeuble), ni par des éléments naturels, la haie de thuyas qui manifestement existait avant la construction selon les attestations de témoins et les photographies, ayant été vraisemblablement arrachée pour la construction de la rampe de parking.

Il convient néanmoins de relever, s’agissant du fonds des consorts [M]-[J] et ainsi que le note le commissaire de Justice, qu'une haie de thuyas est restée implantée sur une partie de la clôture, occultant ainsi pour partie, la vue sur Ia partie basse de la maison et une partie également du jardin arrière.

Les photographies et les constatations du commissaire de Justice permettent ainsi de constater une perte d’intimité particulièrement importante pour les consorts [A] qui est parfaitement décrite dans les attestations de témoins qui indiquent avoir le sentiment d’être observés, d’entendre les conversations des occupants de l’immeuble les conduisant à devoir fermer les fenêtres, leurs volets et à finalement ne plus utiliser leur jardin.

La perte d’intimité est également caractérisée mais dans une moindre mesure pour les consorts [M]-[J], du fait de l’existence de la haie de thuyas protégeant une partie de leur propriété des vues crées par l’immeuble litigieux.

Par ailleurs, il n’est pas contestable, au vu des photographies et des attestations de témoins versées par les consorts [A] et [M]-[J] que ces derniers subissent d’importantes nuisances sonores du fait de l’extrême proximité de la rampe d’accès des véhicules au parking souterrain auquel ont accès les occupants de douze pavillons.

Ainsi, la preuve est suffisamment rapportée pour les consorts [A] et [M]-[J] de ce que la construction érigée sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 22] engendre pour eux un trouble dépassant les inconvénients normaux du voisinage.

En revanche, force est de constater que M. [L], est défaillant à rapporter suffisamment la preuve qu’il fait face à des nuisances aussi importantes que celles subies par ses voisins puisqu’il est constant que sa propriété n’est pas longée par la rampe d’accès au parking et que, par ailleurs, il ressort des photographies extraites du constat du commissaire de Justice que la haie de thuyas existe toujours tout le long de sa clôture et qu’ainsi, ces plantations permettent d’obstruer naturellement et en grande partie les vues potentielles depuis le nouvel immeuble. Les troubles qu’il dit subir en raison du bruit que feraient ses voisins de l’autre côté de son jardin ne sont corroborés par aucun témoignage et ne sauraient en tout état de cause être suffisants à caractériser un trouble anormal de voisinage.

La SNC LNC DELTA PROMOTION ne saurait arguer, pour faire obstacle à la reconnaissance du trouble anormal de voisinage subi par les consorts [A] et [M]-[J] de ce qu’il existait auparavant l’entrepôt de la société JC DECAUX. En effet, il ressort des photographies versées aux débats que cet entrepôt était d’une hauteur moindre que l’immeuble nouvellement construit et il apparaît que ce dernier ne disposait que de fenêtres d’une largeur et d’une hauteur beaucoup moins importante que celles crées sur la façade de la nouvelle construction.

Par ailleurs, ainsi que le relèvent les demandeurs, le passage de poids lourds les jours de semaine ne peut être comparé aux nuisances engendrées par la création d’une rampe d’accès à un parking souterrain jouxtant la clôture des demandeurs.

Enfin, les défenderesses sont défaillantes à rapporter la preuve de ce que les demandeurs auraient eu connaissance au moment où ils ont acheté leurs biens de la transformation à venir de leur quartier, étant rappelé que les demandeurs ont acquis leur bien en 2004. Le trouble anormal de voisinage ne résulte pas tant de la densification de la zone que des conditions dans lesquelles cette densification s’est en l’occurrence exercée et de l’incidence directe qu’elle a eue sur les conditions d’existence des consorts [A] et [M]-[J].

Sur le préjudice indemnisable
Il convient de rappeler que les demandeurs sollicitent des dommages-intérêts en réparation d’un préjudice matériel résultant de la perte de la valeur vénale de leur bien et en réparation d’un préjudice moral du fait de la perte d’intimité subie.

Pour autant, et ainsi que le relève la SNC LNC DELTA PROMOTION, le tribunal considère que le trouble anormal de voisinage né de la perte d'intimité et des nuisances sonores et olfactives entraîne des répercussions dans la vie quotidienne des occupants et dans la jouissance paisible de leur bien.

Ce préjudice ne peut donc pas s'analyser en perte de valeur du bien, ni en préjudice moral mais doit l'être comme un trouble à la jouissance du bien.

Au regard des éléments produits, notamment les photographies extraites du constat du commissaire de Justice permettant de mesurer l'importance des vues offertes depuis l'immeuble bâti sur la propriété des consorts [M]-[J] et des consorts [A], mais également tel que cela ressort des différentes attestations de témoins versées aux débats, le tribunal estime que le préjudice subi sera intégralement réparé par l'allocation d'une somme de 40.000 euros pour les consorts [A] et une somme de 30.000 euros pour les consorts [M]-[J].

En l’absence de trouble anormal de voisinage établi à l’égard de M. [L], celui-ci ne peut prétendre à aucune indemnisation.

sur la condamnation in solidum de la SNC LNC DELTA PROMOTION et de la société VILOGIA SOCIETE ANONYME D’HLM
Le propriétaire actuel de l’immeuble à l’origine du trouble anormal de voisinage et le maître d’ouvrage des travaux réalisés sont responsables in solidum
des troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage (Cass Civ 3ème 11 janvier 2023).

En l’espèce, il n’est pas contesté que la société VILOGIA SOCIETE ANONYME D’HLM est la propriétaire actuelle de l’immeuble à l’origine du trouble anormal de voisinage et que la SNC LNC DELTA PROMOTION en a été le maître d’ouvrage.

Elles seront donc condamnées in solidum à payer aux consorts [A]
la somme de 40.000 euros et aux consorts [M]-[J], la somme de 30.000 euros en réparation du trouble anormal de voisinage.

En l’absence de trouble anormal de voisinage établi pour M. [L], celui-ci sera débouté de sa demande indemnitaire.

Sur la demande d’expertise

Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande d’expertise sollicitée par les demandeurs, compte tenu du fait que la réparation accordée aux consorts [A] et aux consorts [M]-[J] inclut la réparation des nuisance sonores dont l’existence a été suffisamment démontrée par les demandeurs.

Sur la demande reconventionnelle de la société VILOGIA SOCIETE ANONYME D’HLM visant à voir condamner les demandeurs à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L'abus de droit est le fait pour une personne de commettre une faute par le dépassement des limites d'exercice d'un droit qui lui est conféré, soit en le détournant de sa finalité, soit dans le but de nuire à autrui.

En l’espèce, cette demande doit nécessairement être rejetée dès lors que la demande des consorts [A] et [M]-[J] a été accueillie. Il ne peut donc être considéré que leur action revêt un caractère abusif.

Sur les autres demandes

Sur les dépens

Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En vertu de l'article 699 du même code, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.

La société VILOGIA SOCIETE ANONYME D’HLM et la SNC LNC DELTA PROMOTION , qui perdent leur procès, seront condamnés in solidum aux dépens de l'instance avec distraction profit de la SELARL LYVEAS AVOCATS.

Sur les frais irrépétibles

Selon l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.
Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent.

La société VILOGIA SOCIETE ANONYME D’HLM et la SNC LNC DELTA PROMOTION parties tenues aux dépens, seront condamnées in solidum à payer aux consorts [A] la somme de 2.000 euros et aux consorts [M]-[J], la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.

La demande formée par M. [L], qui succombe en ses demandes, sera en revanche rejetée.

Sur l’exécution provisoire

En application de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la décision rendue n’en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,

CONDAMNE in solidum la société VILOGIA SOCIETE ANONYME D’HLM et la SNC LNC DELTA PROMOTION à payer à Mme [F] [I] veuve [A], M. [K] [A], M. [H] [A] et Mme [X] [A] épouse [B], la somme de 40.000 euros au titre du trouble anormal de voisinage subi,

CONDAMNE in solidum la société VILOGIA SOCIETE ANONYME D’HLM et la SNC LNC DELTA PROMOTION à payer à M. [Z] [M] et à Mme [D] [J], la somme de 30.000 euros, au titre du trouble anormal de voisinage subi,

DEBOUTE M. [Y] [L] de l’ensemble de ses demandes,

DEBOUTE la société VILOGIA SOCIETE ANONYME D’HLM de sa demande reconventionnelle,

CONDAMNE in solidum la société VILOGIA SOCIETE ANONYME D’HLM et la SNC LNC DELTA PROMOTION à payer à Mme [F] [I] veuve [A], M. [K] [A], M. [H] [A] et Mme [X] [A] épouse [B] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum la société VILOGIA SOCIETE ANONYME D’HLM et la SNC LNC DELTA PROMOTION à payer à M. [Z] [M] et à Mme [D] [J], la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum la société VILOGIA SOCIETE ANONYME D’HLM et la SNC LNC DELTA PROMOTION à payer les dépens de l'instance avec distraction au profit de la SELARL LYVEAS AVOCATS,

DEBOUTE les parties de toutes demandes plus amples ou contraires,

RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 AVRIL 2024 par M. JOLY, Vice-Président, assisté de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, lesquels ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT
Carla LOPES DOS SANTOS Eric JOLY


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Versailles
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 20/05018
Date de la décision : 05/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-05;20.05018 ?
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