Minute n°
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Quatrième Chambre
JUGEMENT
29 MARS 2024
N° RG 20/06864 - N° Portalis DB22-W-B7E-PYJA
Code NAC : 54Z
DEMANDEUR :
Monsieur [F] [N] [P]
né le 21 Mai 1945 à [Localité 5] (92)
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Maître Jérôme NALET de la SELARL LYVEAS AVOCATS, avocats au barreau de VERSAILLES, avocats plaidant/postulant
DEFENDEUR :
Monsieur [X] [C]
exerçant sous l’enseigne BF COUVERTURE N° SIRET 512208943
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Dan ZERHAT, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat postulant
Copie exécutoire à Maître Jérôme NALET,
Copie certifiée conforme à l’origninal à Me Dan ZERHAT
délivrée le
ACTE INITIAL du 27 Novembre 2020 reçu au greffe le 24 Décembre 2020.
DÉBATS : A l'audience publique tenue le 12 Janvier 2024 Mme DUMENY, Vice Présidente, siégeant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du Code de Procédure Civile, assistée de Madame GAVACHE, Greffier, a indiqué que l’affaire sera mise en délibéré au 29 Mars 2024.
PROCÉDURE
Vu l’assignation délivrée le 27 novembre 2020 par M. [P] et ses dernières conclusions du 1er décembre 2022,
Vu la réplique notifiée par M. [C], artisan exerçant sous l’enseigne BF couverture, le 8 novembre 2022,
Vu l’ordonnance du juge de la mise en état en date du 15 avril 2022 écartant les fins de non recevoir et déclarant l’action recevable,
Vu la clôture de l’instruction le 3 janvier 2023 et les débats à l’audience tenue le
12 janvier 2024 à laquelle le magistrat a mis sa décision en délibéré ce jour,
Vu l’article 455 du code de procédure civile,
MOTIFS DE LA DÉCISION
- sur la procédure
Si M. [C] excipe l’irrecevabilité des demandes dans le dispositif de ses écritures, il ne développe pas ce moyen et son adversaire rappelle que le juge de la mise en état a déclaré son action recevable.
Effectivement le juge de la mise en état a statué sur les deux fins de non recevoir excipées en défense et aucune fin de non recevoir ne peut être soulevée devant le tribunal en vertu de l’article 789 du code de procédure civile.
Par suite le tribunal ne peut que rappeler que les demandes de M. [P] ont été déclarées recevables.
- sur la responsabilité de M. [C], artisan
M. [P] expose que ses parents, aux droits desquels il vient, ont fait réaliser par
M. [C], artisan exerçant sous l’enseigne BONNE FOI Couverture, des travaux dans leur maison située [Adresse 1], en avril 2010. La toiture était en ardoises naturelles posée en 1972 et M. [C] y a appliqué une peinture non adaptée, comme cela ressort de deux expertises amiables et d’une ordonnée par le juge des référés. Il considère que le professionnel a manqué à son obligation de résultat et engagé sa responsabilité contractuelle et il fonde son action sur les articles 1231-1, 1240, 1792, 724 et 2239 du code civil.
M. [C] propose de retenir le devis de l’entreprise Dumont qu’il communique pour diminuer les sommes mises à sa charge.
Le tribunal constate que le demandeur vise des textes relatifs à plusieurs fondements mais se contente de développer la responsabilité contractuelle qui sera donc seule examinée.
L’article 1147 du code civil, dans sa version applicable en 2010 lors de la conclusion des contrats, dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
Les pièces communiquées démontrent que par devis signé le 9 avril 2010 les consorts [P] ont mandaté M. [C] pour le changement d’ardoises défectueuses, le remagnage d’autres, le remplacement de celles coupées au niveau des chiens assis et le nettoyage des gouttières, pour un prix forfaitaire de 6.000 € TTC.
Dans celui accepté le 16 avril suivant ils ont convenu de l’application d’un primaire d’accrochage, d’une résine d’étanchéité et d’un hydrofuge liquide sur toute la surface de la toiture ainsi que de la pose d’un mastic d’étanchéité sur le côté gauche et droit du chien assis, au prix de 6.000 € TTC.
Le premier rapport technique établi de manière unilatérale par M. [D] le 15 juin 2017 met en lumière l’application d‘une peinture sur des ardoises non prévues à cet effet et sans préparation appropriée, aggravée par l’application d’une deuxième couche sur un support poussiéreux.
Le second rapport du cabinet CLG Expertises constate, dans son écrit du 28/12/2017, que la résine se délite de manière importante sur le côté nord-ouest de la couverture en ardoises et que la peinture se décape naturellement. Il confirme que la peinture posée, de type acrylique pour rénovation et imperméabilisation des toitures, n’est pas conçue pour être posée sur de l’ardoise comme indiqué dans la fiche technique “Ne pas appliquer sur une toiture en ardoise naturelle” et il s’interroge sur un défaut d’application ; il considère qu’il s’agit d’un dommage esthétique en l’absence d’infiltrations en couverture.
Enfin l’expert judiciaire note, lors de son accedit du 6 novembre 2018, que la peinture appliquée se décolle de son support de manière importante sur plus de 50% de la surface, que des coulures importantes sont présentes aux jonctions d’ardoises, collées entre elles et empêchant toute dilatation possible des ouvrages. Il fait la même lecture de la fiche technique contre-indiquant l’utilisation du produit appliqué sur une toiture en ardoise naturelle ; il impute les désordres à M. [C].
Ces éléments techniques démontrent suffisamment que le professionnel de la couverture a manqué à son obligation de conseil en utilisant un produit de peinture qui était expressément contre-indiqué pour être posé sur des ardoises naturelles. De plus des malfaçons dans la pose sont relevées et non contestées, caractérisant une autre inexécution contractuelle, de nature à engager la responsabilité de M. [C], pris en sa qualité d’artisan.
- sur l’indemnisation des préjudices de M. [F] [P]
Pour procéder aux travaux réparatoires M. [P] sollicite l’octroi de la somme de 65.267,13 €, selon devis actualisé de l’entreprise Levray couverture, répondant que les devis produits en défense prévoient l’utilisant d’un décapant non référencé, avec des aléas et sont de complaisance. Il demande l’actualisation sur l’indice Insee au jour du jugement.
M. [C] considère ce montant excessif et propose de fixer l’indemnisation à celui de l’entreprise Dumont de 10.650 € TTC.
L’ancien article 1149 du code civil prévoit que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé.
Le premier expert soutient que compte tenu de l’état de la couverture il n’est pas possible de procéder au décapage et au nettoyage des ardoises gravement endommagées et que leur remplacement est inévitable, avec traitement particulier des rives, faîtage et arêtiers, réfection des éléments maçonnés aux pieds des chiens assis, des pignons et reprise des solins, pour un tarif évalué entre 49.500 et 60.500 € TTC.
L’expert judiciaire préconise la réparation complète de la couverture, les ardoises étant clouées de sorte que leur dépose sans dégradation des voliges supports n’est pas envisageable.
S’agissant du devis de nettoyage haute pression puis décapage sur les parties les plus adhérentes et pose d’un anti-mousse, communiqué par le couvreur, l’expert judiciaire répond que le produit visé ne semble pas référencé chez le fabricant, que le devis ne prévoit pas la récupération des produits chimiques ni la protection des parties ne devant pas être touchées par le produit ; surtout il doute de l’efficacité du décapage sur les importantes sur épaisseurs se trouvant en pieds d’ardoises et ne comprend pas le processus chimique sur une ardoise poreuse par nature, si bien qu’il choisit de ne pas prendre en compte ce devis.
Le défendeur communique un nouveau devis du 27/6/2020, émanant d’une entreprise distincte de la première, l’artisan Dumont, répondant aux exigences de l’expert judiciaire quant à la protection des lucarnes par de la toile étanche et de la récupération des liquides ; il propose deux passages d’un nettoyeur haute pression à eau chaude avant application d’un décapant et d’un anti-mousse, au prix de 10.650 € TTC. Ainsi ce professionnel préconise le même produit chimique que celui sur lequel l’expert judiciaire a émis des réserves en l’absence de référencement et le tribunal note que la fiche technique de ce produit n’est pas versée au débat pour s’assurer qu’il peut être effectivement utilisé sur de l’ardoise naturelle ; de plus ce devis est forfaitaire, n’indique aucune dimension ni quantité ni taux de TVA ni assurance et peut interroger sur son caractère adapté à la situation présente.
Au contraire le devis validé par l’expert judiciaire, émis par l’ entreprise Levray Philippe précise le modèle des ardoises, des clous, des descentes d’eaux pluviales et des autres ouvrages qu’il constate, ce qui démontre qu’il s’est déplacé sur les lieux. Il précise chaque quantité et prix unitaire des prestations, à savoir non le nettoyage mais la dépose de la couverture avec l’arrachage des bois, la mise au propre du support, le voligeage, la réfection de la couverture en ardoise clouée, de la chatière, de l’arêtier, du faîtage et des encourages de souche et lucarne. Il précise sa police d’assurance et le taux de TVA.
Au vu des exigences posées par les experts techniques et du sérieux du devis de l’entreprise Levray Philippe validé par l’expert judiciaire, il sera jugé que seules les prestations incluses dans celui-ci sont de nature à réparer efficacement les fautes contractuelles.
M. [P] produit un devis de ce professionnel, actualisé en janvier 2022 au montant de 65. 267,13 € TTC, contenant les mêmes prestations, au paiement duquel le défendeur sera condamné, avec l’actualisation selon l’indice BT01 applicable, et non l’indice Insee, entre janvier 2022 et mars 2024, date de la présente décision.
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M. [P] demande également règlement de la somme de 3.420 € au titre des frais d’avocat engagés avant la présente instance, prétention sur laquelle M. [C] ne prend pas position.
Au soutien il communique trois factures acquittées à son avocat pour le courrier recommandé, l’instance en référé et la réunion d’expertise pour un montant total de 3.420 € et le juge des référés ne lui a accordé aucune somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Ces dépenses étant la conséquence des inexécutions contractuelles et de l’absence de réponse de M. [C] aux demandes de M. [P] de les réparer, elles seront mises à sa charge.
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M. [C] prétend obtenir 24 mois de délais de paiement, se disant touché de plein fouet par la crise économique actuelle tandis que son adversaire s’y oppose en l’absence de justificatifs.
Si l’article 1343-5 du code civil permet au juge de reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues, il ne trouve pas à s‘appliquer à des dommages-intérêts et ne peut être accordé que compte tenu de la situation du débiteur qui n’est aucunement justifiée.
Par suite cette demande sera rejetée.
Il est décidé que les intérêts légaux sur ces indemnités courront à compter de la présente décision et non de l’assignation, en vertu de l’article 1231-7 du code civil, et l’anatocisme sera ordonné aux conditions légales.
- sur les prétentions accessoires
M. [C] qui succombe sera condamné aux dépens et la distraction de ceux-ci sera ordonnée au bénéfice de la SELARL Feulas Avocats.
M. [C] sera condamné à allouer à M. [P] une indemnité de procédure équitablement fixée à la somme de 3.000 euros et sera corrélativement débouté de ce chef.
Enfin aucun motif ne conduit à écarter l’exécution provisoire de droit de la présente décision.
PAR CES MOTIFS
le tribunal, statuant publiquement, par décision contradictoire et susceptible d’appel,
Rappelle que les demandes de M. [F] [P] ont été déclarées recevables
Condamne M. [X] [C], artisan exerçant sous l’enseigne BF Couverture, à verser à M. [F] [P] les indemnités de 65. 267,13 € TTC, avec actualisation selon l’indice BT01 entre janvier 2022 et mars 2024, en réparation de son préjudice matériel et de 3.420 € pour les frais d’avocat,
Dit que ces sommes produiront intérêts légaux à compter de la présente décision,
Ordonne la capitalisation des intérêts aux conditions légales,
Déboute M. [C] de sa demande de délais de paiement,
Condamne M. [X] [C], artisan exerçant sous l’enseigne BF Couverture, aux dépens et ordonne leur distraction au bénéfice de la SELARL Feulas Avocats,
Condamne M. [X] [C], artisan exerçant sous l’enseigne BF Couverture, à allouer à M. [F] [P] une indemnité de procédure de 3.000 euros et le déboute de ce chef,
Rappelle l’exécution provisoire de droit de la présente décision.
Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 MARS 2024 par Mme DUMENY, Vice Présidente, assistée de Madame GAVACHE, greffier, lesquelles ont signé la minute du présent jugement.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT