Minute n°
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Deuxième Chambre
JUGEMENT du 29 MARS 2024
N° RG 20/04253 - N° Portalis DB22-W-B7E-PRO6
DEMANDERESSE :
La Société dénommée SCI DU MOULIN PAR LE HAUT, Société civile au capital de 76 224,51 Euros, dont le siège social est situé [Adresse 6], immatriculée au RCS d’Evry sous le numéro 385 176 276, prise en la personne de son représentant légal en exercice y domicilié audit siège en cette qualité,
représentée par Maître Hélène ROBERT de la SELEURL HELENE ROBERT AVOCAT, avocats au barreau de VERSAILLES, avocats postulant, Maître René SPADOLA avocat associé de la SELARL HAUSSMANN-PARADIS, société d’Avocats inscrite au Barreau de MARSEILLE
DEFENDEURS :
La SARL B IMMO INVEST, Immatriculée au RCS de Versailles n°801 941493 Siège social [Adresse 5], prise en la personne de son représentant légal domicilié au dit siège,
représentée par Me Julia AZRIA, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, avocat plaidant/postulant
La SCI DU STADE, Siège social [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié au dit siège,
représentée par Me Julia AZRIA, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, avocat plaidant/postulant
Monsieur [N] [U] né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 8], demeurant chez La SCI du STADE SCI dont le siège social est situé [Adresse 2],
représenté par Me Julia AZRIA, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, avocat plaidant/postulant
ACTE INITIAL du 07 Juillet 2020 reçu au greffe le 01 Septembre 2020.
DÉBATS : A l'audience publique tenue le 12 Septembre 2023, les avocats en la cause ont été entendus en leurs plaidoiries par Madame RODRIGUES, Vice-Présidente, siégeant en qualité de juge rapporteur avec l’accord des parties en application de l‘article 805 du Code de procédure civile, assistée de Madame SOUMAHORO Greffier, puis l’affaire a été mise en délibéré au 24 Novembre 2023, prorogé au 30 janvier 2024, puis au 08 mars 2024 et au 29 Mars 2024.
MAGISTRATS AYANT DÉLIBÉRÉ :
Madame LUNVEN, Vice-Présidente
Madame RODRIGUES, Vice-Présidente
Madame ANDRIEUX, Juge
EXPOSE DU LITIGE
La société civile immobilière DU STADE (SCI DU STADE) a été créée selon acte sous seing privé en date du 10 juin 1986, avec pour objet social « l’acquisition d’un immeuble sis à [Adresse 10], Cadastré Section [Cadastre 7] [Cadastre 3] et [Cadastre 4] ainsi que tous biens & droits pouvant constituer l’accessoire dudit immeuble ; la propriété, la gestion, l’administration, l’entretien et l’exploitation par Bail ou autrement dudit immeuble (…) ».
Le capital social de la société, d’un montant de 2.000 euros, était divisé en 100 parts sociales, réparties à concurrence de 99 parts pour la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT et d'une part pour la société par actions simplifiée la SOCIETE NOUVELLE D’EXPLOITATION DES ETABLISSEMENTS VENTIL GAINE (ci-après « la SNVG »).
Par acte sous seing privé en date du 21 juin 2018, la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT et la SNVG ont cédé à la société B IMMO INVEST la totalité des parts sociales détenues dans la société SCI du STADE moyennant le prix de 50.000 euros.
Par ailleurs, le même jour, la SARL B IMMO INVEST a, par acte sous seing privé, cédé à Monsieur [N] [U] une part sociale de la SCI DU STADE moyennant le prix de 500 euros.
Enfin, ce même jour, en l’étude du notaire Maître [G], était établi un procès-verbal d’assemblée générale extraordinaire de « la SCI DU STADE » ainsi qu’un bail entre la société B IMMO INVEST en sa qualité de bailleur et la société SNVG représentée à l’époque par Monsieur [C] [K] portant sur la location d’un immeuble à usage industriel sis à [Adresse 2] pour le prix de 90.000 euros HT annuel soit en 12 termes égaux de 7.500 euros HT mensuels.
Par exploit d'huissier en date du 7 juillet 2020, la SNVG et la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT ont fait assigner la SARL B IMMO, la SCI DU STADE et Monsieur [N] [U] aux fins, à titre principal, d’annulation de la cession intervenue entre la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT et la SNVG d’une part et la société B IMMO INVEST d’autre part, ainsi que d'annulation la cession subséquente intervenue entre cette dernière et Monsieur [N] [U], et de condamnation de la société B IMMO INVEST à payer la somme de 216.000 euros depuis juin 2018 à mai 2020 outre celle de 9.000 euros par mois du 1er juin 2020 jusqu’à la date souhaitée par eux, d’annulation de la cession.
A titre subsidiaire, pour le cas où l’annulation ne serait pas possible, ils réclamaient la condamnation solidaire de la société B IMMO INVEST et de Monsieur [N] [U] au paiement de la somme de 1.299.256 euros.
Par conclusions notifiées par le RPVA le 2 octobre 2022, la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT demande au tribunal de :
Vu les dispositions des articles 1591, 1178, 2224 du Code Civil
Vu les dispositions des 1352 et suivants du Code Civil
Vu les dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile
Vu l’ensemble des pièces versées aux débats,
JUGER la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT, recevable et bien fondée en toutes ses demandes,
DEBOUTER la SCI DU STADE, la SARL B IMMO INVEST et Monsieur [N] [U] de l’ensemble de leurs demandes,
EN CONSEQUENCE
PRONONCER l’annulation de la cession de parts intervenue entre la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT, cédant et la société B IMMO INVEST ainsi que celle subséquente réalisée de mauvaise foi entre cette dernière et Monsieur [N] [U] ;
JUGER que les parts sociales de la SCI DU STADE, société civile au capital de 2.000 euros, dont le siège social est sis [Adresse 2], immatriculée au RCS de Versailles sous le numéro 339 247 066 sont la propriété de la société SCI DU MOULIN PAR LE HAUT, Société civile au capital de 76 224,51 Euros, dont le siège social est situé [Adresse 6], immatriculée au RCS d’Evry sous le numéro 385 176 276, s’agissant de celles numérotées de 1 à 99 ;
JUGER que le jugement à intervenir constituera le titre permettant de procéder au dépôt auprès du greffe du tribunal de commerce de Versailles (RCS) de l’annulation de la cession visée ci-avant et de l’inscription comme associée de la SCI DU STADE de la société SCI DUMOULIN PAR LE HAUT en lieu et place de la société B IMMO INVEST.
CONDAMNER la société B.IMMO INVEST au paiement d’une somme de 216.000 euros (de juin 2018 à mai 2020, soit 24 mois à 9.000 euros) arrêtée à la date du 31 mai 2020 outre celle de 9.000 euros par mois à compter du 1er juin 2020 jusqu’à la date de la signification de la décision d’annulation de la cession des parts à intervenir, au bénéfice de la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT à hauteur de 99% avec intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 22 juin 2020.
A titre subsidiaire, pour le cas où la restitution en nature ne serait pas possible, CONDAMNER solidairement la société B IMMO INVEST et Monsieur [N] [U] au paiement de la somme de 1 286 164 Euros avec intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 22 juin 2020.
En tout état de cause
CONDAMNER la société B IMMO INVEST et Monsieur [N] [U] solidairement à payer à la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT la somme globale de 10 000 € au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
CONDAMNER la société B IMMO INVEST et Monsieur [N] [U] à payer solidairement à la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT, la somme globale de 10 000 € par application de dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et les entiers dépens de l’instance.
ORDONNER l’exécution provisoire de droit de la décision à intervenir, celle-ci étant de droit.
Aux termes de conclusions notifiées par voie électronique le 16 janvier 2023, la SARL B IMMO, la SCI du Stade et Monsieur [N] [U] demandent au tribunal de :
- Prendre acte du désistement de la société SNVG qui n’a jamais mandaté Me SPADOLA,
- Prendre acte de l’acceptation de ce désistement par les défenderesses et de leur renoncement à solliciter à son encontre une demande reconventionnelle,
- Constater que le prix de cession n’est pas dérisoire compte tenu des prêts et avances de trésorerie reconnus par les sociétés demanderesses à savoir 780 000 € payé par compensation,
- Relever la commune intention initiale des parties d’établir une compensation conventionnelle afin d’offrir une garantie compte tenu des prêts et avances de trésorerie importante consentis,
- Dire que la défenderesse ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude ayant fixé selon elle un prix de cession dérisoire pour lui permettre d’échapper à toute revendication fiscale de plus-value,
- Constater que le rédacteur de l’acte, Me [G], Notaire, pourtant spécifié à la fin de l’acte du 21 Juin 2018 a refusé d’apposer la signature de son étude ; l’entendre si besoin,
- Compte tenu de la plainte pénale déposée, il serait intéressant d’attendre l’issue de celle-ci pour constater les malversations et la mauvaise foi de Monsieur [K],
- Débouter de toutes ses demandes la société demanderesse,
- Condamner la société demanderesse La SCI DU MOULIN PAR LE HAUT à la somme de 20 000 euros au titre de dommages-intérêts pour procédure abusive. (Art 1140 et Art 32 -1 CPC),
- Condamner la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT à payer la somme de 15 000 € au titre de l’article 700 CPC,
Aux termes d'une ordonnance du 13 mars 2023, le juge de la mise en état a déclaré parfait le désistement d'instance de la SNVG, constaté l’extinction de l'instance et le dessaisissement partiel du tribunal judiciaire.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties susvisées quant à l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens respectifs.
La clôture est intervenue le 15 mai 2023. L’affaire a été fixée à l’audience du 12 septembre 2023, et mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 24 novembre 2023, prorogé au 3 janvier 2024, puis au 08 mars 2024 et au 29 mars 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre préliminaire, il est rappelé que :
- d’une part, en vertu de l’article 768 du Code de procédure civile, le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion,
- d’autre part, les demandes tendant à voir « constater » ou « dire et juger », lorsqu'elles développent en réalité des moyens, ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 de ce même code.
Sur la nullité de la cession pour vileté du prix
Se fondant sur les dispositions des articles 1591, 1169 et 1178 du code civil, la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT réclame la nullité de la cession des parts sociales intervenue le 21 juin 2018 en raison d'un prix de vente déraisonnable.
Elle soutient ainsi que la totalité des parts sociales composant le capital de la SCI DU STADE a été vendue moyennant le prix total de 50.000 euros, non payé, alors que le bien immobilier, propriété de la SCI DU STADE, a été estimé le 28 janvier 2020 par la société LAMY Expertise à la somme de 1.395.000 euros ; qu'il résulte de la déclaration des revenus de 2017 de la SCI DU STADE, que l'immeuble propriété de celle-ci générait un revenu annuel de 108.000 euros ; qu'ainsi, il apparaît clairement que les cessions de parts de la SCI DU STADE ont été consenties moyennant un prix complètement dérisoire aussi bien au regard des revenus annuels que rapporte l’immeuble, propriété de la SCI, qu’au regard de la valeur vénale des parts sociales.
En réplique aux arguments des défendeurs qui allèguent qu'il y a eu une compensation entre le prix de cession des parts de la SCI DU STADE et la créance que les membres de la famille [U] détenaient sur les membres de la famille [K] à concurrence de 780.000 euros, elle rappelle que la compensation conventionnelle ne peut être opérée que sur la base d’obligations réciproques, alors qu'en l'espèce, l’acte litigieux ne fait nullement état d’une quelconque compensation opérée et qu'en tout état de cause, pour qu’une compensation ait pu être opérée, il eut fallu que la société DU MOULIN PAR LE HAUT ou la SNVG soient débitrices d’une certaine somme à l’égard de la société B IMMO INVEST, ce qui n’était pas le cas.
Elle souligne, de surcroît, que si une telle compensation était intervenue, il y aurait nécessairement eu extinction de la créance, ce qui n'a pas été le cas puisque postérieurement à l’introduction de la présente instance, suite au décès de Monsieur [E] [K], le conseil des consorts [U] a formé opposition, le 13 octobre 2020, entre les mains du notaire en charge de la succession de Monsieur [E] [K], pour un montant de 400.000 euros, aux fins que cette somme soit inscrite au passif de la succession.
Elle rappelle, enfin, qu'en tout état de cause, le litige ne concerne ni la personne de Monsieur [E] [K] (décédé en date du 6 septembre 2020) ni celle de Monsieur [C] [K], qui ne sont pas parties à la procédure, mais exclusivement la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT, demanderesse d'une part et la SCI DU STADE, la Société B IMMO INVEST et Monsieur [N] [U] d'autre part ; que les personnes morales ont une existence distincte des membres qui en sont les associés alors que la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT n’était débitrice d’aucune somme tant à l’égard des défendeurs que des consorts [U].
En défense, la SCI DU STADE, la Société B IMMO INVEST et Monsieur [N] [U] font valoir qu'il convient de se référer à la commune intention des parties, établie tant par les reconnaissances de dettes des consorts [K] que par les différents témoignages, liée à l’historique d’endettement des consorts [K] et de la SNVG vis-à-vis des consorts [U] ; qu'ainsi, la commune intention des parties était, conformément aux dispositions de l’article 1348–2 du code civil, de leur permettre d’opérer une compensation entre les dettes dues et reconnues par les consorts [K] à [N] [U] et la cession des parts de la SCI DU STADE.
Ils affirment qu'en effet, la société SNVG, [C] [K] et son fils devaient beaucoup d'argent à Monsieur [U] mais n’étaient pas solvables de telle sorte que la seule garantie, ainsi que Monsieur [K] le reconnaît lui-même devant les services de police, consistait dans la cession de la SCI DU STADE qui seule était solvable et que c’est de manière conventionnelle que cette cession de parts de la SCI DU STADE a été proposée en garantie du remboursement de leurs dettes, et acceptée par Monsieur [U] qui n’avait pas d’autre choix que d'accepter.
Ils soutiennent, ainsi, que le prix de vente ne reflétait pas la réalité, dans la mesure où Monsieur [N] [U] s’engageait irrévocablement à revendre la totalité des parts sociales de la SCI DU STADE à Monsieur [K] ou à tout autre personne morale au bénéfice de laquelle Monsieur [K] entendait se substituer sous la réserve qu’il en soit l’associé ou l’actionnaire principal, au prix initialement convenu à savoir 100.000 euros en principal qui avait été acquis pour 50.000 euros, plus 365 000 euros soit au total : 465.000 euros, et ce avant le 31 décembre 2019, délai qui avait été expressément convenu par les parties ; qu'ainsi, c’est donc en réalité par compensation avec les sommes empruntées à la société B IMMO INVEST que cette transaction a eu lieu.
Ils expliquent, encore, que le prêt de 150.000 euros octroyé en novembre 2017, les avances de trésorerie d’un montant de 365.000 euros, ainsi que les 50.000 euros d’achat des parts dont il avait été convenu qu’elles devaient être rachetées 100.000 euros, n’ayant pas été remboursés au 31 décembre 2019, il a été annexé à l’acte de cession daté du 21 juin 2018 un avenant qui avait été préalablement enregistré au SIE de [Localité 11] sud, le 8 juillet 2020 auprès du service départemental de l’enregistrement de [Localité 11] pour la somme de 780 000 euros ; que ledit avenant consistait à préciser que le cessionnaire reconnaissait avoir versé au titre de la cession des parts sociales la somme de 50.000 euros plus 730.000 euros, soit au total 780.000 euros, le cessionnaire s’engageant à verser, en ce qui concerne les frais d’enregistrement, la somme de 39.000 euros en application des dispositions prévues par l’article 726–1 du code général des impôts.
Ils soulignent qu'il était, par ailleurs, convenu qu’à défaut de remboursement dudit prêt et des avances avant le 31 décembre 2019 et du versement d’un montant de 100 000 euros au titre des parts sociales de la SCI DU STADE, Monsieur [U] conserverait de manière définitive et irrémédiable la totalité des parts sociales de « la SCI DU STADE » directement ou indirectement.
Ils affirment qu'en tout état de cause, en matière de cession de droits sociaux, le principe est que le prix est librement fixé par les parties, si bien que la cession des droits sociaux consentis moyennant un prix qui serait inférieur à la valeur vénale ne pourrait pas être annulée, ni même donner lieu à l’attribution d’un complément de prix au profit du vendeur.
Ils soutiennent, enfin, que le prêt de 365 000 euros octroyé en novembre 2017 et les avances de trésorerie d’un montant de 365 000 euros n’ayant pas été remboursés au 31 décembre 2019, il a été annexé à l’acte de cession datée du 21 juin 2018, un avenant consistant à préciser que le cessionnaire reconnaissait avoir versé au titre de la cession des parts sociales la somme de 50 000 euros plus 730 000 euros, soit au total 780 000 euros.
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En application des articles 1103 et 1104 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et elles doivent être exécutées de bonne foi.
Par ailleurs, l'article 1188 du code civil dispose que le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes et que lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation, tandis qu'aux termes de l'article 1189, toutes les clauses d'un contrat s’interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier et que lorsque, dans l'intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle–ci.
Enfin, l'article 1169 énonce qu'un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire, le prix dérisoire étant assimilé à l'absence de prix
Il résulte ainsi de l'ensemble de ces textes que si la cession de droits sociaux consentie moyennant un prix inférieur à la valeur des titres ne peut, en principe, pas être annulée à la demande du cédant ou donner lieu à l'attribution en sa faveur d'un complément de prix, le prix librement consenti et accepté s'imposant aux parties en application de l'article 1103 du code civil, il n'en va pas de même en présence d'un prix dérisoire, marquant l'absence d'un élément essentiel à la formation du contrat.
Pour apprécier si le prix est dérisoire, il faut rechercher quel était l'ordre de grandeur de la valeur des parts sociales au jour de la vente, étant précisé qu'une vente à un prix très faible peut être valable lorsqu'il existe une contrepartie autre que le paiement d'une somme d'argent.
En l'espèce, le caractère dérisoire du prix de cession des parts sociales de la SCI DU PARC n'est pas réellement contesté par les défendeurs qui soutiennent que la cession de part intervenue le 21 juin 2018 s'inscrit dans un ensemble contractuel intéressant les consorts [K] et la SNVG d'une part et Monsieur [U] d'autre part, les premiers étant débiteurs de sommes d'argent très importantes à l'égard du dernier.
Pour autant, force est de constater que, s'il ressort des éléments du dossier qu'effectivement l'existence d'une dette entre les consorts [K] et Monsieur [U] apparaît probable, l'acte de cession qui stipule un prix de 50.000 euros, n'évoque à aucun moment l'existence d'une « compensation » entre les dettes des consorts [K] et le réel prix de cession des parts sociales de la SCI DU PARC.
L'acte de cession ne mentionne pas davantage une dette de la SNVG au profit de Monsieur [U], alors même qu'au demeurant elle n'est plus partie à la présente instance.
De la même façon, les défendeurs ne procèdent que par affirmation lorsqu'ils soutiennent que la cession des parts de la SCI DU PARC était envisagée par les parties comme une garantie de la dette des consorts [K].
Ainsi « l'avenant », dont ils font état, « établi pour permettre de refléter la réalité de l'opération à la date du 31 décembre 2019 » qui a été enregistré au service départemental de l'enregistrement le 8 juillet 2020, ne constitue nullement un avenant et n'a aucune valeur probante en ce qu'il s'agit d'un simple acte unilatéral signé par Monsieur [P] [U] pour la société B IMMO INVEST et en ce qu'il a été opportunément enregistré le lendemain de la date à laquelle a été introduite la présente instance selon assignation délivrée le 7 juillet 2020.
De surcroît, il convient de rappeler que le capital social de la SCI DU PARC était détenu à 99 % par la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT, et non par les consorts [K], de telle sorte qu'en tout état de cause, compte tenu de l'indépendance des patrimoines, aucune compensation n'aurait pu intervenir entre la potentielle créance que détenait Monsieur [U] à l'encontre de Messieurs [K] et la cession, au profit de la société B IMMO INVEST, des parts de la SCI DU PARC dont la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT était propriétaire.
Par ailleurs, il est constant que la SCI DU PARC est propriétaire d'un immeuble évalué, en 2020 à la somme de 1 395 000 euros (selon avis de valeur de LAMY Expertise réalisé le 28 janvier 2020) alors qu'il n'est pas fait état de charges d'emprunt.
Certes, cette évaluation est postérieure de deux ans à la cession litigieuse, dans une conjoncture de marché immobilier très porteur et en croissance.
Pour autant, même en retenant que la valeur de cet immeuble n'a pu que progresser entre 2018 et 2020, la disproportion considérable existant entre le prix de vente des parts sociales et la valeur de cet immeuble demeure flagrante.
Au surplus, cette évaluation est confirmée par la pièce 13 produite par la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT établie, le 28 mai 2020, par Monsieur [R] expert-comptable du cabinet ASE qui atteste que la valeur de la SCI DU PARC était comprise au 31 juin 2018 dans une fourchette entre 1.235.000 euros et 1.410.000 euros
En outre, la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT justifie que la société B IMMO INVEST et la SVVG ont signé, le 21 juin 2018, un bail commercial portant sur les locaux dont la SCI DU PARC est propriétaire au [Adresse 2] pour 9 années, soit du 1er juillet 2018 au 30 juin 2027 moyennant un loyer annuel de 90.000 euros, soit 7 500 euros par mois.
Ainsi, force est de constater que le prix de vente correspondant à une valeur de 500 euros par part sociale est, à l'évidence, sans commune mesure avec la valeur de la SCI DU STADE et doit être assimilé au prix dérisoire envisagé par l'article 1169 sus-évoqué.
La sanction d'un prix dérisoire étant l'annulation du contrat, il y a lieu d'ordonner l'annulation de la cession, intervenue entre la société SCI DU MOULIN PAR LE HAUT et la société B IMMO INVEST, des parts sociales de la SCI DU STADE ainsi que celle subséquente intervenue entre la société B IMMO INVEST et Monsieur [N] [U].
En outre, il convient, en conséquence de l'annulation de ces cessions de juger que les parts sociales de la SCI DU STADE numérotées de 1 à 99 sont la propriété de la société SCI DU MOULIN PAR LE HAUT, et de dire que le jugement présent, constitue le titre permettant de procéder au dépôt auprès du greffe du tribunal de commerce de Versailles (RCS) de l’annulation de la cession et de l’inscription comme associée de la SCI DU STADE de la société SCI DU MOULIN PAR LE HAUT en lieu et place de la société B IMMO INVEST.
Sur les conséquences de l'annulation de la cession :
La SCI DU MOULIN PAR LE HAUT fait valoir qu'outre la restitution en nature, lorsque la valeur des parts sociales a augmenté entre la date de la cession et celle de la restitution, la plus-value revient en totalité au cédant qui n’est tenu de restituer que le prix reçu ; que l’acquéreur, dépossédé des droits sociaux, ne peut prétendre qu’au remboursement des dépenses nécessaires à la conservation de ces droits et de celles qui en ont augmenté la valeur ; qu'en revanche, la moins-value subie par les titres est à la charge du cédant sauf si l’acquéreur est de mauvaise foi et si la moins-value a été causée par la faute de ce dernier.
Elle souligne, encore, que la restitution des parts sociales intervienne en nature ou en valeur, elle inclut les fruits, à savoir les dividendes qui ont pu être distribués entre la cession et la restitution, l’acquéreur de mauvaise foi les devant à compter de leur date de versement.
Elle soutient, qu'en l'espèce, la cession de l’ensemble des parts de la SCI DU STADE a été réalisée moyennant le prix global de 50.000 euros, lequel n'a pas été réglé ; que s’agissant des fruits, préalablement à la cession, la SCI DU STADE encaissait un montant de loyers de 108.000 euros pour la location des biens immobiliers lui appartenant ; que si la cession n'était pas intervenue, elle aurait dû continuer à percevoir ces loyers, soit 9.000 euros par mois depuis le mois de juin 2018.
Elle considère ainsi être fondée à solliciter la condamnation de la société B.IMMO INVEST au paiement d’une somme de 216.000 euros (de juin 2018 à mai 2020, soit 24 mois à 9.000 euros) arrêtée à la date du 31 mai 2020 outre celle de 9.000 euros par mois à compter du 1er juin 2020 jusqu’à la date de la signification de la décision d’annulation de la cession des parts à intervenir, la répartition s’effectuant à hauteur de 99% pour la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT, la société SNVG ayant renoncé à récupérer ses 1%.
La SARL B IMMO, la SCI DU STADE et Monsieur [N] [U] ne font valoir aucun moyen de défense portant en particulier sur cette demande.
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Aux termes des articles 1352 et suivants du code civil, la restitution d'une chose autre qu'une somme d'argent a lieu en nature ou, lorsque cela est impossible, en valeur, estimée au jour de la restitution.
Celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu'il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute, tandis que la restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée.
Sauf stipulation contraire, la restitution des fruits, s'ils ne se retrouvent pas en nature, a lieu selon une valeur estimée à la date du remboursement, suivant l'état de la chose au jour du paiement de l'obligation.
Par ailleurs, il résulte ds dispositions de l'article 1352-5 du même code que pour fixer le montant des restitutions, il est tenu compte à celui qui doit restituer des dépenses nécessaires à la conservation de la chose et de celles qui en ont augmenté la valeur, dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution.
Enfin, selon l'article 1352-7, celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu'il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu'à compter du jour de la demande.
Ainsi, l'anéantissement rétroactif d'un contrat a pour effet de remettre les parties dans l'état où elles se trouvaient antérieurement à l'exécution du contrat : chaque partie doit restituer à l'autre ce qu'elle a reçu.
L'effet de l'annulation de la cession des parts sociales de la SCI DU STADE impliquant que les parties sont replacées dans l'état de leur patrimoine précédant l'acte annulé, les fruits perçus par le cessionnaire doivent être restitués au cédant en application du mécanisme de l'annulation qui entraîne l'anéantissement rétroactif du contrat.
Il résulte de ces textes que le possesseur, qui succombe devant la revendication du propriétaire, est fondé à conserver les fruits obtenus antérieurement au litige dans la mesure où il est de bonne foi.
En effet, le possesseur de bonne foi, qui est celui qui ignore le défaut de droit de son titre, peut légitimement réclamer la protection de la loi et possède comme propriétaire, en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices.
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En application de l'ensemble de ces articles, la société B IMMO INVEST est tenue de restituer à la la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT 99 actions de la SCI DU STADE.
S'agissant du prix de vente, dont la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT soutient qu'il n'aurait pas été versé et sur lequel la société B IMMO INVEST ne s'explique pas, il n'y a pas lieu d'en ordonner la restitution sauf pour cette dernière à justifier du paiement.
A compter du 21 juin 2018, la société B IMMO INVEST et Monsieur [U] ont été possesseurs de bonne foi des parts sociales de la SCI DU STADE dont ils ont régulièrement assuré la gestion puisqu'ils ignoraient le vice de droit dont était affecté leur titre de propriété.
Toutefois, ils ont perdu cette bonne foi, et donc le droit aux fruits, le jour où la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT et la SNVG ont exercé contre eux l'action en annulation de la cession de parts sociales, soit le 7 juillet 2020, date à laquelle l'assignation a été délivrée.
Dès qu'ils ont été informés de cette demande portée devant un juge en vue de contester leur droit sur les parts sociales, ils doivent être considérés comme possesseur de mauvaise foi et doivent dès lors restitution des fruits.
En conséquence, la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT qui détient 99 % du capital social de la SCI DU STADE est fondée à obtenir la restitution de 99% des fruits produits par cette dernière sur la période allant du 7 juillet 2020 à la date à laquelle est prononcée l'annulation de la cession des parts sociales de ladite société, soit le 29 mars 2024.
Il est justifié de ce que selon bail commercial en date du 21 juin 2018, les locaux dont la SCI DU PARC est propriétaire au [Adresse 2] produisaient un loyer annuel de 90.000 euros soit 7.500 euros par mois.
Il en résulte que sur la période allant du 7 juillet 2020 à la date à laquelle est prononcée l'annulation de la cession des parts sociales de ladite société, soit 44 mois, la SCI DU PARC a eu vocation à percevoir un loyer de 330.000 euros (7.500 x 44 mois).
Les défendeurs ne font pas état d'impayés ni de dépenses engagées dans l'intérêt de l'immeuble propriété de la SCI DU STADE.
En conséquence, conformément à la demande de la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT, il convient de condamner la société B IMMO INVEST à payer à celle-ci la somme de 326.700 euros (330.000 euros x 99%) assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 2020, date de l'assignation.
Sur les demandes de dommages et intérêts :
La SCI DU MOULIN PAR LE HAUT soutient que la société B IMMO INVEST et Monsieur [N] [U] ont, en raison des irrégularités qui leur sont imputables, engagé leur responsabilité et sollicite, en conséquence, réparation du préjudice moral qu'elle subit résultant de la violence par laquelle les défendeurs l'ont dépossédée de ses titres et des stratagèmes utilisés à cette fin.
De leur côté, les défendeurs présentent également une demande reconventionnelle de dommages et intérêts en faisant valoir que « les demandeurs ont bénéficié pendant des années des largesses d’[N] [U] et de toute sa famille,(...) mais par la présente procédure, ils se comportent de manière déloyale feignant d’oublier toutes les avances de trésorerie et les prêts accordés. »
Ils invoquent des pressions et des menaces commises par les associés de la famille [K] et précisent qu'une plainte a été déposée par Monsieur [X] [U] à ce titre devant le commissariat de police de [Localité 9].
Ils soulignent, encore, Monsieur [K], après avoir fait constater par huissier qu’il y avait des infiltrations d’eau par la terrasse des murs de l’usine, a mis en demeure, en avril 2020, la société B IMMO de réaliser tous les travaux de réparation, de telle sorte qu'il apparaît qu'à cette date, la qualité de propriétaire de celle-ci était pleinement reconnue.
Ils considèrent que ces éléments justifient la condamnation de la demanderesse à payer à titre de dommages intérêts la somme de 20.000 euros pour procédure abusive.
***
L'article 1240 du code civil énonce que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il incombe à celui qui entend engager la responsabilité d'autrui, d'apporter la preuve d'un manquement contractuel ou d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute ou le manquement.
A cet égard, force est de constater que la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT ne procède que par voie d'affirmation et se contente d'invoquer l'existence d'un préjudice moral sans le caractériser.
Dès lors, elle échoue à rapporter la preuve qui lui incombe de sorte qu'elle doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
La SARL B IMMO et Monsieur [N] [U] sont mal fondés en leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive dès lors qu'il a été fait droit à la demande d'annulation de la cession de parts sociales.
Ils en seront déboutés.
Sur les autres demandes :
Il y a lieu de condamner la société B IMMO INVEST et Monsieur [N] [U], qui succombent, aux dépens.
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
La société B IMMO INVEST et Monsieur [N] [U], condamnés aux dépens, devront verser à la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT la somme de 3.000 euros.
Enfin, il convient de rappeler que selon les dispositions de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
Le présent jugement est donc assorti de l'exécution provisoire de plein droit.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, en premier ressort par mise à disposition au greffe,
PRONONCE l’annulation de la cession de parts intervenue le 21 juin 2018 entre la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT et la société à responsabilité limitée B IMMO INVEST ainsi que celle subséquente réalisée le même jour entre la société à responsabilité limitée B IMMO INVEST et Monsieur [N] [U] ;
ORDONNE la restitution à la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT des parts sociales de la SCI DU STADE, dont le siège social est sis [Adresse 2], immatriculée au RCS de Versailles sous le numéro 339 247 066, numérotées de 1 à 99 ;
DIT que le présent jugement constituera le titre permettant de procéder au dépôt auprès du greffe du tribunal de commerce de Versailles (RCS) de l’annulation de la cession visée ci-avant et de l’inscription comme associée de la SCI DU STADE de la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT en lieu et place de la société à responsabilité limitée B IMMO INVEST ;
DIT n'y avoir lieu à restitution du prix de vente sauf pour la société B IMMO INVEST de justifier du paiement ;
CONDAMNE la société B IMMO INVEST, au titre de la restitution des fruits sur la période allant du 7 juillet 2020 à la date du prononcé du présent jugement, au paiement de la somme de 326.700 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 2020 ;
REJETTE les demandes de dommages et intérêts présentées par les parties ;
CONDAMNE la société B IMMO INVEST et Monsieur [N] [U] aux dépens ;
CONDAMNE la société B IMMO INVEST et Monsieur [N] [U], à verser à la SCI DU MOULIN PAR LE HAUT la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit ;
REJETTE toutes autres demandes plus amples ou contraires.
Prononcé par Madame LUNVEN, Vice-Présidente, assistée de Madame SOUMAHORO greffier, lesquelles ont signé la minute du présent jugement.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT