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22/03/2024 | FRANCE | N°21/00362

France | France, Tribunal judiciaire de Versailles, Ctx protection sociale, 22 mars 2024, 21/00362


Pôle social - N° RG 21/00362 - N° Portalis DB22-W-B7F-P5S2

Copies certifiées conformes délivrées,
le :

à :
- Société [6]
- CPAM DES YVELINES
- Me Elise VATINEL
- Me Claire COLLEONY

N° de minute :


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
PÔLE SOCIAL

CONTENTIEUX GENERAL DE SECURITE SOCIALE



JUGEMENT RENDU LE VENDREDI 22 MARS 2024



N° RG 21/00362 - N° Portalis DB22-W-B7F-P5S2
Code NAC : 89E

DEMANDEUR :

Société [6]
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Me Elise VATI

NEL, avocat au barreau de ROUEN, substitué par Me Laurine HARNISCH, avocat au barreau de ROUEN



DÉFENDEUR :

CPAM DES YVELINES
Département juridique
[Adresse 4]
[Loca...

Pôle social - N° RG 21/00362 - N° Portalis DB22-W-B7F-P5S2

Copies certifiées conformes délivrées,
le :

à :
- Société [6]
- CPAM DES YVELINES
- Me Elise VATINEL
- Me Claire COLLEONY

N° de minute :

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
PÔLE SOCIAL

CONTENTIEUX GENERAL DE SECURITE SOCIALE

JUGEMENT RENDU LE VENDREDI 22 MARS 2024

N° RG 21/00362 - N° Portalis DB22-W-B7F-P5S2
Code NAC : 89E

DEMANDEUR :

Société [6]
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Me Elise VATINEL, avocat au barreau de ROUEN, substitué par Me Laurine HARNISCH, avocat au barreau de ROUEN

DÉFENDEUR :

CPAM DES YVELINES
Département juridique
[Adresse 4]
[Localité 3]

représentée par Me Claire COLLEONY, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Madame Sophie COUPET, Vice-Présidente statuant à juge unique après avoir reçu l’accord des parties présentes dûment informées de la possibilité de renvoyer l’affaire à une audience ultérieure, en application des dispositions de l’article L. 218-1 du code de l’organisation judiciaire.

Madame Laura CARBONI, Greffière

DEBATS : A l’audience publique tenue le 26 Janvier 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 22 Mars 2024.
Pôle social - N° RG 21/00362 - N° Portalis DB22-W-B7F-P5S2

EXPOSE DU LITIGE :

Monsieur [L] [C], né le 07 juin 1994, était salarié de la société [5] ([7]) depuis le 13 novembre 2017 et occupait, en dernier lieu, le poste d’assistant de projet.

Le 22 novembre 2019, la société [5] a établi une déclaration d’accident du travail concernant ce salarié mentionnant :
“date : 20 novembre 2019 à 16 heures,
lieu: société [5] [Adresse 1] [Localité 2] FRANCE
activité de la victime : notre collaborateur s’est isolé seul dans un local à archives
nature de l’accident : tentative de suicide sur son lieu de travail,
objet dont le contact a blessé la victime : néant à notre connaissance
éventuelles réserves motivées : le geste de notre collaborateur est manifestement issu de pensées d’ordre privé
siège des lésions : néant à notre connaissance,
nature des lésions : néant à notre connaissance,
la victime a été transportée par les pompiers”.

Le 1er octobre 2020, la Caisse primaire d'assurance maladie des YVELINES (ci-après la caisse), après enquête administrative, a notifié à la société [5] la prise en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, de l’accident du travail déclaré par monsieur [L] [C].

Contestant cette décision, la société [5], par l'intermédiaire de son conseil, a saisi la commission de recours amiable, qui a accusé réception de la contestation le 10 décembre 2020.

Par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 30 mars 2021, la société [5] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de VERSAILLES, afin de contester la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable.

A défaut de conciliation possible entre les parties et après plusieurs renvois, l’affaire a été appelée à l’audience du 26 janvier 2024, le tribunal statue à juge unique après avoir reçu l’accord des parties présentes dûment informées de la possibilité de renvoyer l’affaire à une audience ultérieure en application des dispositions de l’article L. 218-1 du code de l’organisation judiciaire.

A cette audience, la société [5], par l'intermédiaire de son conseil, se rapporte à ses dernières conclusions et sollicite qu’il soit dit que l’accident de monsieur [L] [C] n’a pas d’origine professionnelle. Pour ce faire, elle demande que soit ordonnée une mesure d’expertise médicale sur pièces, afin de déterminer si l’état dépressif était préexistant à la relation contractuelle et s’il existe un lien direct et essentiel entre l’accident du travail et les conditions de travail habituelles de monsieur [L] [C].
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que l’employeur, qui n’a pas accès à l’expertise technique de l’article L.141-1 du code de la sécurité sociale, est en droit de solliciter une mesure d’expertise judiciaire, pour que le secret médical qui lui est opposable soit levé et pour établir que l’accident n’a pas d’origine professionnelle. Elle souligne qu’elle produit de nombreux éléments permettant d’établir que l’état dépressif de son salarié préexistait.
Sur le fond, la société [5] indique que le mal-être de monsieur [L] [C] était préexistant et sans lien avec le travail; elle note que, dans la lettre laissée sur l’ordinateur avant son geste, il met en cause un enseignant de l’école nationale d’architecture ainsi que le corps médical qui l’a interné en hôpital psychiatrique. Elle indique qu’elle produit de nombreuses attestations de collègues de travail qui soulignent que le geste de monsieur [L] [C] est sans lien avec son travail et que son mal-être était préexistant.
La société [5] rappelle qu’elle a toujours veillé à la charge de travail de son salarié et qu’elle lui a octroyé une réduction de son temps de travail à des conditions financières avantageuses pour lui permettre de poursuivre ses études. Elle note d’ailleurs que le conseil des prud’hommes a jugé que le salarié n’avait jamais subi de surcharge de travail chronique. Elle remet en cause l’attestation de monsieur [N], dont l’objectivité semble incertaine. De même, elle estime que le rapport établi par le salarié lui-même et dont la caisse ne produit que des extraits n’est pas probant.
Elle rappelle que la caisse verse aux débats les mêmes documents que le salarié a versé dans le cadre de l’instance prud’homale, qui a abouti à un débouté, tant en ce qui concerne le harcèlement morale que la surcharge de travail chronique.

En défense, la caisse des YVELINES, représentée par son conseil, conclut au débouté de toutes les demandes, à la confirmation de la décision prenant en charge l’accident et à l’opposabilité de cette décision à l’égard de la société [5].
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que la matérialité de l’accident est objectivée et non contestée. La caisse précise que l’enquête qu’elle a menée permet de conclure que l’accident a été causé par le travail. Elle souligne que les déclarations de monsieur [L] [C] sur la cause de son geste sont corroborées par des éléments objectifs et notamment par l’attestation de monsieur [N] et par les constatations de l’inspectrice du travail (qui décrit une ambiance très pesante).
La caisse estime que l’expertise médicale n’est pas justifiée, puisque l’employeur ne produit aucun élément médical de nature à remettre en cause les constatations faites par la caisse.

A l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré au 22 mars 2024 par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Il convient de rappeler qu’en raison de l’indépendance des rapports caisse/employeur et caisse/salarié, la décision de prise en charge de l’accident reste définitivement acquise à monsieur [L] [C], quelle que soit l’issue de la présente décision. La décision de prise en charge ne pourra donc ni être annulée, ni être confirmée, elle ne pourra qu’être déclarée opposable ou inopposable à l’employeur.

Sur la présomption d’imputabilité :

Il résulte de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale qu’est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne mentionnée à l'article L. 311-2, c’est-à-dire toute personne affiliée au régime général.

Il en résulte que toute lésion survenue au temps et sur le lieu de travail bénéficie d'une présomption d'imputabilité au travail. En application de cette présomption, dans le cadre d’une procédure en inopposabilité, il appartient seulement à la caisse de prouver, autrement que par les seules affirmations de l’assuré :
- la matérialité du fait accidentel, au temps et au lieu de travail,
- l’existence des lésions,
- le lien de causalité entre le fait accidentel et les lésions.

Il s’agit d’une présomption simple que l’employeur peut renverser en rapportant la preuve que l’accident est dû à une cause totalement étrangère au travail.

Il ressort des éléments de la déclaration d’accident du travail que l’accident de monsieur [L] [C] est survenu le 20 novembre 2019; il a été retrouvé isolé dans un local à archives, semi-conscient avec un sac plastique sur la tête, dans un état ayant nécessité l’intervention des pompiers. La matérialité du fait accidentel, au temps et au lieu de travail, découle de la déclaration d’accident du travail et n’est pas contestée.
Le certificat médical, établi le jour même de l’accident, décrit un “fléchissement thymique, tentative de suicide par asphyxie”. La lésion est donc médicalement constatée.
Par ailleurs, dans la mesure où monsieur [L] [C] a été emmené par les pompiers à partir de son lieu de travail et jusqu’à l’hôpital qui a établi le certificat médical et au regard de la brièveté du délai entre la survenance de l’accident et la constatation de la lésion, il sera considéré que le lien de causalité entre le fait accidentel et les lésions est établi.
En conséquence, les conditions sont réunies pour faire jouer la présomption d’imputabilité.

Dès lors, il appartient à l’employeur de justifier que l’accident est sans aucun lien avec le travail, en démontrant l’existence d’une cause étrangère exclusive.
Pour ce faire, la société [5] produit les attestations :
- de monsieur [O] [U] : le témoin indique qu’il ne voit pas de cause au sein de l’agence pouvant expliquer une tentative de suicide, qu’il met sur le compte d’une “vie privée compliquée” sans préciser la source de cette information.
- de monsieur [M] [D] : ce dernier note que les relations avec monsieur [L] [C] étaient difficiles à établir, que ce dernier n’a pas apprécié les blagues qu’il a pu faire pour le mettre à l’aise et que sa tentative de suicide sur le lieu de travail est sans doute à expliquer par le fait qu’il était entouré, lui laissant ainsi une chance que son absence soit rapidement repérée,
- de madame [W] [Z] : elle expose que monsieur [L] [C] est était une personne isolée, qui avait des sautes d’humeur et des difficultés à se sociabiliser. Elle précise que, sur son lieu de travail, ses collègues avaient adapté leur langage, car il ne comprenait pas leur humour, et que ses horaires de travail avaient été adaptés pour lui permettre de suivre ses cours à l’étude d’architecture, activité qui l’a beaucoup fatigué. Elle explique qu’il lui a envoyé un message, quelques jours après sa tentative de suicide, pour s’excuser, en précisant qu’il ne voulait du mal qu’à lui-même.
Les deux autres attestations produites, non conformes à l’article 202 du code de procédure civile, ne seront pas retenues.
Ces attestations permettent de mettre en évidence que l’accident de monsieur [L] [C] s’est produit, alors qu’il traversait une période difficile dans sa vie. Une tentative de suicide est toujours multifactorielle.
Toutefois, pour écarter la présomption d’imputabilité, dans la cadre d’un accident du travail, il appartient à l’employeur de prouver que le travail n’a joué aucun rôle dans l’accident. Il sera ici rappelé que l’appréciation du caractère professionnel de l’accident est différent de celle de la maladie; en effet, la maladie hors tableau d’anxio-dépression ne peut être reconnue d’origine professionnelle que si, après avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, il est établi qu’elle a un lien direct et essentiel avec les conditions de travail. Pour l’accident de travail, le raisonnement est inversé puisque la tentative de suicide sur le lieu de travail est présumée être un accident du travail et cette présomption ne sera écartée que s’il est démontré que la cause de cet accident est totalement étrangère au travail, c’est-à-dire que le travail n’a joué aucun rôle dans l’accident.
Ici, les attestations sont insuffisantes pour établir que le travail n’a joué aucun rôle dans l’accident, puisqu’elles ne permettent pas de déterminer, avec certitude, la cause de la tentative de suicide, elles n’offrent que des pistes de réflexion.
De son côté, la caisse produit l’attestation de monsieur [N], ancien collègue de travail, qui évoque une surcharge de travail et l’audition de madame [S], inspectrice du travail, qui évoque une ambiance pesante sur le lieu de travail. Ces attestations sont en faveur d’une cause, au moins en partie, en lien avec le travail. Par ailleurs, monsieur [L] [C] invoque lui-même un lien entre son geste et le contexte professionnel.

Aussi, il sera considéré que la société [5] échoue à rapporter la preuve d’une cause totalement étrangère au travail. Il convient donc de retenir le caractère professionnel de l’accident du travail.

Sur la demande d’expertise :

Aux termes de l’article 144 du code de procédure civile, les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer.
L’expertise est demandée par la société [5] pour tenter d’établir un état anxio-dépressif pré-existant et/ou pour établir l’absence de lien direct et essentiel entre l’accident et les conditions de travail. Toutefois, comme indiqué plus haut, même à considérer qu’une expertise puisse établir ces points, ce serait insuffisant pour démontrer que le travail n’a joué aucun rôle dans la tentative de suicide. Aussi, la mesure d’expertise n’apparaît pas nécessaire.
La demande sur ce point sera écartée.

Sur les dépens :

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
La société [5], succombant à l’instance, sera condamnée aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal, statuant après débats en audience publique, en premier ressort et par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe le 22 mars 2024 :

DÉCLARE OPPOSABLE à la société [5] la décision en date du 1er octobre 2020 de la caisse primaire d’assurance maladie des YVELINES reconnaissant le caractère professionnel de l’accident de monsieur [L] [C] ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes contraires ou plus amples ;

CONDAMNE la société [5] aux entiers dépens.

La GreffièreLa Présidente

Madame Laura CARBONIMadame Sophie COUPET


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Versailles
Formation : Ctx protection sociale
Numéro d'arrêt : 21/00362
Date de la décision : 22/03/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-22;21.00362 ?
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