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21/03/2024 | FRANCE | N°21/04720

France | France, Tribunal judiciaire de Versailles, Troisième chambre, 21 mars 2024, 21/04720


Minute n°



TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
21 MARS 2024


N° RG 21/04720 - N° Portalis DB22-W-B7F-QDLY
Code NAC : 30B




DEMANDERESSES :

1/ Madame [B], [K] [Y] veuve [S]
née le 17 Avril 1937 à [Localité 8],
décédée le 17 Décembre 2023 selon acte de décès [Numéro identifiant 7] établi par l’Officier de l’Etat Civil de la Mairie de [Localité 9],
demeurant en son vivant [Adresse 1],
[Adresse 1],

2/ Madame [R], [B], [N] [F] épouse [O]
née le 27 Novembre 1964 à [Loc

alité 10],
demeurant [Adresse 2],

représentées par Maître Edith COGNY de la SCP BERTHAULT - COGNY, avocat plaidant/postulant au barreau de VERSA...

Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
21 MARS 2024

N° RG 21/04720 - N° Portalis DB22-W-B7F-QDLY
Code NAC : 30B

DEMANDERESSES :

1/ Madame [B], [K] [Y] veuve [S]
née le 17 Avril 1937 à [Localité 8],
décédée le 17 Décembre 2023 selon acte de décès [Numéro identifiant 7] établi par l’Officier de l’Etat Civil de la Mairie de [Localité 9],
demeurant en son vivant [Adresse 1],
[Adresse 1],

2/ Madame [R], [B], [N] [F] épouse [O]
née le 27 Novembre 1964 à [Localité 10],
demeurant [Adresse 2],

représentées par Maître Edith COGNY de la SCP BERTHAULT - COGNY, avocat plaidant/postulant au barreau de VERSAILLES.

DÉFENDERESSE :

La société MAM DEPENDANCE, société par actions simplifiée immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES sous le numéro 514 393 032 dont le siège social est situé [Adresse 4], prise en la personne de son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Stéphanie BRILLET, avocat plaidant/postulant au barreau de VERSAILLES.

PARTIES INTERVENANTES :

1/ Madame [M] [S] épouse [Z]
née le 10 Février 1961 à [Localité 11],
demeurant [Adresse 3],

2/ Madame [A] [T] [P] [S] épouse [J]
née le 09 Mars 1960 à [Localité 11],
demeurant [Adresse 6],

représentées par Maître Edith COGNY de la SCP BERTHAULT - COGNY, avocat plaidant/postulant au barreau de VERSAILLES.

* * * * * *

ACTE INITIAL du 29 Juillet 2021 reçu au greffe le 30 Août 2021.

DÉBATS : A l'audience publique tenue le 08 Février 2024, Madame GARDE, Juge, siégeant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions
de l’article 812 du Code de Procédure Civile, assistée de Madame LOPES
DOS SANTOS, Greffier, a indiqué que l’affaire sera mise en délibéré au
21 Mars 2024.

* * * * * *

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte sous seing privé en date du 24 juin 2009, Madame [T] [Y], aux droits de laquelle viennent Mesdames [K] [Y] épouse [S] et Madame [R] [F] épouse [O], a donné à bail à la société Mieux à la maison, désormais dénommée Mam Dépendance, un local situé [Adresse 5] d’une superficie d’environ
360 m2, à destination de bureaux et de dépôt de tous produits manufacturés, pour une durée de neuf années à compter du 1er juillet 2009, moyennant un loyer annuel de 13.740 €.

Aux termes d’un avenant régularisé le 13 juillet 2010, les parties sont convenues d’inclure dans l’assiette du bail, à compter du 1er août 2010, une pièce supplémentaire de 66 m2 environ située [Adresse 5], moyennant un loyer annuel réévalué à la somme de 17.940 €.

Se plaignant d’un défaut de paiement des loyers depuis le 1er juillet 2018, Mesdames [Y] et [F] ont fait délivrer à la société Mam Dépendance un commandement visant la clause résolutoire d’avoir à régler les sommes dues, ce qui a été fait dans le délai imparti.

Puis, reprochant à la société Mam Dépendance de ne plus acquitter ses loyers depuis le mois d’octobre 2019 et de violer délibérément la clause de destination du bail, Mesdames [Y] et [F] l’ont fait assigner, par exploit introductif d’instance en date du 29 juillet 2021, devant le tribunal judiciaire de Versailles en résiliation judiciaire du contrat de bail et paiement des sommes dues.

Une première ordonnance de clôture a été rendue le 25 octobre 2022.

A l’issue de l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 2 février 2023, le tribunal a demandé aux parties, en application de l’article 442 du code de procédure civile, de lui produire une note en délibéré notifiée par voie électronique portant exclusivement sur sa compétence pour statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande en remboursement des travaux effectués. Si les parties ont produit des notes en délibéré notifiées par voie électronique les
16 et 17 février 2023, ces notes ne répondaient pas à la question posée par le tribunal. Leurs développements ont donc été écartés des débats.

Par jugement rendu le 9 mars 2023, le tribunal a ordonné la réouverture des débats pour que les parties fassent valoir leurs observations quant aux effets du congé avec offre de renouvellement délivré par acte du 14 décembre 2017, au renouvellement éventuel du bail arrivé à échéance le 30 juin 2018, aux modalités éventuelles de ce renouvellement et à son incidence sur l’objet du litige.

Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées au greffe par voie électronique le 10 novembre 2023, Mesdames [K] [Y] et Madame [R] [F] demandent au tribunal de :

- Juger Mesdames [K] [S] et [R] [O] recevables et bien fondées,

En conséquence,
- Prononcer la résiliation judiciaire du bail commercial du 24 juin 2009 complété par avenant du 13 juillet 2010, et renouvelé à effet du 1er juillet 2018,

Ce faisant,
- Ordonner, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les 15 jours de la signification du jugement à intervenir, l’expulsion de la société Mam Dépendance ainsi que celles de tous occupants de son chef des lieux par toute voie de droit avec si besoin est l’assistance et le concours de la force publique, ainsi que d’un serrurier et ce, dès la première tentative d’exécution, ceci à défaut de libération volontaire des lieux dans un nouveau délai de 15 jours suivant la délivrance d’un commandement de quitter les lieux,

- Autoriser le cas échéant, le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers gamissant les lieux dans un garde-meubles, aux frais et risques de la société Mam Dépendance,
- Rappeler que le sort des meubles est réglé conformément aux dispositions de l’article R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles et d’exécution,
- Condamner la société Mam Dépendance à payer à Mesdames [K] [S] et [R] [O] les sommes de :
* 84.547 € au titre des loyers impayés du 1er octobre 2019 au 10 novembre 2023, sauf à parfaire, avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation introductive délivrée le 29 juillet 2021,
* 1.095 € en remboursement des taxes d’ordures ménagères de 2019 à 2021,
* une indemnité d’occupation mensuelle de 3.380 €, charges et taxes en sus, depuis la date de résiliation à intervenir et jusqu’à libération complète des lieux, avec remise des clés,
* 10.000 € à titre de dommages et intérêts,
- Juger prescrite la demande en remboursement de travaux formée par la société Mam Dépendance,
- Subsidiairement, l’en débouter,
- Par ailleurs, débouter la société Mam Dépendance de ses demandes, fins et conclusions,

En tout état de cause,
- Condamner la société Mam Dépendance à payer à Mesdames [K] [S] et [R] [O] la somme de 5.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance,
- Rappeler que l’exécution provisoire de la décision à intervenir est de droit.

Elles admettent que le bail a été renouvelé à effet du 1er juillet 2018 mais expliquent que les conditions de ce renouvellement n’ont jamais pu être arrêtées en raison du contentieux existant entre les parties.

Au soutien de leur demande en résiliation judiciaire du contrat de bail, elles se prévalent, au visa des articles 1103, 1104, 1217, 1224, 1728 et 1729 du code civil, de la violation par la société Mam Dépendance de son obligation de règlement des loyers. Elles expliquent que, depuis le mois d’octobre 2019, le preneur ne s’acquitte d’aucun loyer, ce qui constitue un manquement grave et répété à ses obligations contractuelles. Elles reconnaissent que des discussions ont été engagées pour la vente du bien litigieux mais soulignent qu’elles n’ont pas été suivies d’effet.

Elles invoquent, par ailleurs, la violation de la clause de destination des locaux donnés à bail. Elles expliquent qu’après avoir fait procéder à d’importants travaux sans leur autorisation, la société Mam Dépendance a transformé les lieux loués en locaux à usage d’habitation.

Elles soutiennent, enfin, qu’une partie des emplacements de stationnement situés dans l’assiette des locaux loués est sous-louée à des régisseurs de cinéma alors même que la convention liant les parties proscrit toute sous-location. Elles considèrent que ces violations répétées et caractérisées du bail commercial sont suffisamment graves pour que sa résiliation soit prononcée aux torts de la société Mam Dépendance et que le preneur soit condamné au paiement des sommes dues.

Elles répliquent que ni les troubles de jouissance ni la consignation des loyers allégués ne sont démontrés.

Elles ajoutent que la demande en paiement des travaux est soumise à la prescription quinquennale, qu’elles n’ont jamais autorisé la réalisation de ces travaux qui, pour la plupart, ont été diligentés par de précédents locataires et que le bail prévoit une clause d’accession en fin de jouissance à leur profit. Elles soulignent que le tribunal n’a pas à suppléer la carence probatoire d’une partie en ordonnant une mesure d’expertise, la charge de la preuve incombant à la société Mam Dépendance.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées au greffe par voie électronique le 13 novembre 2023, la société Mam Dépendance demande au tribunal de :

Vu les articles 1103, 1104 et suivants du code civil,
Vu les articles 1728, 1729 et suivants du code civil,
Vu les articles 1217, 1224 et suivants du code civil,
Vu les articles L. 145-6-1 et L. 145-46-1 du code du commerce,
Vu les pièces versées aux débats,

- Débouter Mesdames [K] [S] et [R] [O] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- Recevoir la société Mam Dépendance en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- Condamner Mesdames [K] [S] et [R] [O] à verser à la société Mam Dépendance la somme de 50.000 € en réparation du préjudice subi du fait du trouble de jouissance subi par cette dernière,
- Juger abusive la clause figurant au sein du contrat de bail selon laquelle :
« Tous travaux d’embellissements, décors et améliorations quelconques qui seraient faits par le preneur même avec l’autorisation du bailleur resteront, en fin de jouissance, la propriété de ce dernier, sans indemnité ni remboursement quelconque à moins que le bailleur ne demande le rétablissement des lieux dans leur état primitif », la déclarer nulle et de nul effet,
- Condamner à titre principal Mesdames [K] [S] et [R] [O] à verser à la société Mam Dépendance la somme de 216.000 € en remboursement des travaux réalisés au sein des locaux principaux et annexes, et, à titre subsidiaire, désigner tel expert qu’il plaira au tribunal avec pour mission de :
* Se rendre sur place en présence des parties et leurs conseils ou du moins après convocation régulière,
* Se faire communiquer par les parties et par tout tiers tous documents et pièces qu’il estimera utiles à l’accomplissement de sa mission,
* Visiter les lieux, examiner l’immeuble en cause et chiffrer les travaux réalisés par la société locataire dans les lieux loués, en comparaison de l’état au moment de l’entrée dans les lieux avec l’état actuel,
* Fournir tous éléments de nature à permettre à la juridiction saisie de déterminer le montant de travaux réalisés par la locataire,
* D’une manière générale, faire toutes constatations et toutes observations utiles à la juridiction saisie,

Et en tout état de cause,
- Condamner Mesdames [K] [S] et [R] [O] à verser à la société Mam Dépendance la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
- Condamner Mesdames [K] [S] et [R] [O] aux entiers dépens.

Elle confirme que le bail a été renouvelé à effet du 1er juillet 2018. Elle fait grief aux bailleresses d’être à l’origine de l’échec de la vente et, plus globalement, d’adopter une posture empreinte de mauvaise foi.

Elle soutient que le défaut de paiement des loyers et charges dus est lié aux troubles de jouissance qu’elle a subis et qui l’ont contrainte, pour la mise en conformité des lieux et la poursuite de son activité, à faire réaliser de nombreux travaux incombant, en principe, au bailleur. Elle considère qu’il ne s’agit pas de simples travaux d’embellissement, décors ou améliorations quelconques susceptibles d’entrer dans le champ d’application de la clause d’accession en fin de jouissance, mais de travaux liés à l’obligation de délivrance des bailleresses (le bail initial portant sur une grange). Elle ajoute que ces travaux étaient connus et acceptés d’elles.

Elle réfute toute occupation des lieux à usage d’habitation et explique que les loyers dus ont été, pendant un certain temps, consignés sur un compte spécifique dans l’attente d’une réaction des bailleresses aux plaintes émises. Elle reconnaît néanmoins que, n’occupant plus l’annexe, elle a finalement cessé de consigner les sommes dues.

Elle admet avoir sous-loué, de manière épisodique, quelques emplacements de stationnements à des sociétés de tournage. Elle relève cependant que ces sous-locations sont désormais anciennes et que les bailleresses, bien qu’informées de cette pratique, ne s’y sont pas opposées.

Considérant qu’elle a pallié l’inertie de son bailleur en procédant aux travaux nécessaires, elle demande le remboursement des sommes exposées ou, à défaut, la désignation d’un expert judiciaire pour déterminer le montant des travaux effectués.

Une seconde ordonnance de clôture a été rendue le 14 novembre 2023.

Le 26 janvier 2024, le conseil des demandeurs a fait part du décès de Madame [K] [Y] épouse [S] intervenu le 17 décembre 2023 et a notifié des conclusions aux fins de rabat de l’ordonnance de clôture pour admettre les interventions volontaires de Madame [M] [S] épouse [Z] et Madame [A] [S] épouse [J], ès qualités d’ayants droit de Madame [K] [Y] selon acte de notoriété établi par Maître [I] [U], notaire à [Localité 9], le 23 janvier 2024.

La société Mam Dépendance, après avoir pris connaissance des conclusions aux fins de rabat de l’ordonnance de clôture, a indiqué, le 2 février 2024, ne pas avoir d’observations complémentaires à formuler.

A l’audience du 8 février 2024, le juge de la mise en état a révoqué l’ordonnance de clôture, admis les interventions volontaires de Mesdames [M] [S] épouse [Z] et [A] [S] épouse [J] ès qualités d’ayants droit (avec modification des conclusions en ce sens) et prononcé la clôture de l’instruction avant l’ouverture des débats.

MOTIFS

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de bail

Sur le paiement du prix du bail aux termes convenus

En application de l’article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :

1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant,
2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée,
3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.

Aux termes de l’article 1728 du code civil, le preneur est tenu de payer le prix du bail aux termes convenus.

En vertu de l’article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté ou l'a été imparfaitement peut provoquer la résolution du contrat.

Selon l’article 1219 du code civil, une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

Enfin, l’article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En l’espèce, les locaux ont été donnés à bail moyennant le paiement d’un loyer annuel de 17.940 € (exigible mensuellement et par avance) révisé, depuis le
1er juillet 2015, à hauteur de 20.281,68 € par an (soit 1.690,94 € par mois). Les parties sont également convenues du règlement, par le preneur, des taxes locatives et différentes prestations et fournitures que le bailleur est en droit de récupérer sur les locataires, dont la taxe sur les ordures ménagères.

Il est constant que, depuis le mois d’octobre 2019 - soit près de quatre ans et demi au jour où le tribunal statue, la société Mam Dépendance ne s’acquitte plus du prix du bail pour les locaux accessoires et annexes situés [Adresse 4].

Au soutien de son exception d’inexécution, la société Mam Dépendance produit de très nombreuses pièces, parmi lesquelles :

- les baux conclus en 2000, 2005 et 2006 avec de précédentes sociétés (Distri et Imagine Diffusion),
- plusieurs procès-verbaux de constat imprimés en noir et blanc (donc difficilement exploitables),
- une sommation de faire adressée aux bailleresses le 24 septembre 2019,
- un diagnostic amiante,
- diverses photographies en noir et blanc qui ne sont ni datées, ni utilement exploitables,
- des courriers.

Les éléments versés aux débats ainsi que les explications des parties établissent que, si plusieurs sociétés se sont succédé ès qualités de preneur à bail des locaux depuis le mois d’octobre 2000, les gérants de ces sociétés sont restés les mêmes, à savoir Monsieur et Madame [D]. Il est aussi démontré que, depuis l’origine, de nombreux travaux ont été réalisés dans les locaux donnés à bail, qu’il s’agisse des locaux principaux ou des locaux accessoires.

Cela étant, l’exception d’inexécution soulevée suppose, de la part de la société Mam Dépendance, la preuve d’un manquement des bailleresses à leur obligation de délivrance depuis la prise d’effet du renouvellement, au 1er juillet 2018. En effet, la société Mam Dépendance ne peut se prévaloir du fait que, par le passé, les sociétés Distri et Imagine Diffusion, personnes morales distinctes, aient pu diligenter des travaux d’importance en lieu et place du bailleur pour asseoir une exception d’inexécution quant au paiement des loyers dus depuis le mois d’octobre 2019. Or, les courriers, procès-verbaux de constat et photographies versés aux débats démontrent que les travaux diligentés l’ont été au cours des baux expirés (cf. notamment procès-verbal du 1er juin 2005 pour les locaux principaux).

S’agissant des éléments les plus récents (cf. procès-verbal de constat du
20 septembre 2019, sommation de faire du 24 septembre 2019), l’origine des désordres (fissures sur le pignon droit du pavillon, tâches de moisissures sur le mur de l’entrepôt, défaut de stabilité d’une poutre, jours dans la toiture) n’est pas connue. Or, les bailleresses ne sont tenues que des grosses réparations, au sens de l’article 606 du code civil. Pour l’amiante, le diagnostic ne préconise qu’une simple évaluation périodique eu égard au risque de “dégradation faible ou à terme” des panneaux collés ou vissés dépendant de la toiture de l’abri / du bureau. De plus, la société Mam Dépendance, à laquelle incombe la charge de la preuve, ne prouve pas que ces désordres, par leur ampleur éventuelle, l’aient empêchée en tout ou partie de jouir de ses locaux commerciaux, à destination de bureaux et de stockage. Elle n’établit pas davantage le défaut de conformité allégué.

L’exception d’inexécution soulevée, qui n’est pas étayée, sera donc rejetée.

Corrélativement, la société Mam Dépendance sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour trouble de jouissance et sera condamnée à payer à Mesdames [R] [F], [M] [S] et [A] [S] la somme de 84.547 € TTC (50 x 1.690,94 €) au titre des loyers impayés selon décompte courant du 1er octobre 2019 au 30 novembre 2023 outre 719 €
(276 + 89 + 268 + 86) au titre des taxes sur l’enlèvement des ordures ménagères 2019 et 2020.

En revanche, Mesdames [F] et [S] seront déboutées de leur demande en paiement de la taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères 2021, aucun justificatif n’étant versé aux débats.

Les intérêts au taux légal seront dus, en application de l’article 1231-6 du code civil, à compter de l’exploit introductif d’instance pour la somme de 37.200,68 € et du présent jugement pour le surplus.

Sur la clause de destination du bail

En application de l’article R. 145-5 du code de commerce, la destination des lieux est celle autorisée par le bail et ses avenants ou par le tribunal dans les cas prévus aux articles L. 145-47 à L. 145-55 et L. 642-7.

En l’espèce, les locaux ont été donnés à bail à usage de bureaux et de stockage de produits manufacturés. Si la société Mam Dépendance ne produit aucun élément actualisé quant aux conditions dans lesquelles elle exerce, à ce jour, son activité (nombre de salariés, chiffre d’affaires, clientèle, etc.), il résulte des déclarations effectuées auprès de la DIRECCTE en 2013 et 2014 que ses interventions s’effectuent en terrain extérieur (au domicile des personnes âgées / familles), ce qui est d’ailleurs cohérent avec la clause de destination du bail.

Or, il résulte du procès-verbal de constat établi le 25 septembre 2019 que les locaux donnés à bail comportent, en sus des rayonnages et bureaux, une cuisine équipée (four, micro-ondes, hotte), un salon aménagé et décoré, des salles d’eau (dont une avec douche), plusieurs canapés, divers écrans et une machine de sport.

Si la société Mam Dépendance réfute toute modification de l’usage des lieux, elle n’apporte aucun élément probant sur les conditions exactes dans lesquelles son activité est actuellement déployée (prise en charge des enfants et/ou personnes âgées, etc.) Si des locaux à usage de bureaux peuvent inclure, à titre accessoire, des locaux sociaux, force est de constater que l’aménagement des locaux à usage d’habitation prime, en l’occurrence, sur celui à usage de bureaux et de stockage. Ce constat, objectif, est indépendant de la jouissance, par
M. [D], d’autres logements à usage d’habitation.

La violation de la clause de destination du bail est donc avérée.

*

Aussi bien le défaut de paiement de tout loyer depuis le mois d’octobre 2019 que la violation délibérée de la clause de destination du bail constituent des manquements graves et réitérés à l’exécution du contrat de bail. Dès lors, et sans qu’il ne soit besoin de revenir en détail sur les autres moyens soulevés, la résiliation du contrat de bail sera prononcée et l’expulsion de la société Mam Dépendance sera ordonnée dans les conditions fixées au dispositif.

Sur l’indemnité d’occupation

Selon l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Compte tenu de la résiliation judiciaire du contrat de bail, la société Mam Dépendance est désormais occupante sans droit ni titre des locaux litigieux. Elle est ainsi redevable d’une indemnité d’occupation de droit commun qui vise tant à compenser la perte de loyers qu’à indemniser le bailleur, privé de la libre disposition de son bien.

En l’espèce, la demande tendant à fixer le montant de l’indemnité d’occupation au double du montant du loyer du bail résilié n’est pas justifiée.

L’indemnité d’occupation sera donc fixée, à défaut de toute estimation de la valeur locative des locaux, à la somme de 1.700 € par mois (montant du loyer arrondi à la centaine supérieure), charges en plus, étant précisé que l’indemnité d’occupation n’est pas soumise à la taxe sur la valeur ajoutée. La société Mam Dépendance sera condamnée à s’en acquitter à compter du 22 mars 2024 et jusqu’à la libération des lieux, marquée par la remise des clés.

Sur la demande de dommages et intérêts

En vertu de l’article 1231-6 du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.
Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.
Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.

En l’espèce, Mesdames [F] et [S] ne démontrent pas avoir subi, en raison de la mauvaise foi de la société Mam Dépendance, un préjudice indépendant du retard dans le paiement des loyers et charges dus.

La demande présentée sera, par conséquent, rejetée.

Sur les demandes reconventionnelles

Sur la demande en paiement des travaux

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

En vertu de l’article 789 du code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les fins de non-recevoir.

En l’espèce, la fin de non-recevoir soulevée ne l’a pas été en temps utile devant le juge de la mise en état.

Elle est donc irrecevable devant le tribunal.

Sur le bien-fondé de la demande

Ainsi que cela a été précédemment indiqué, les pièces versées aux débats ne permettent pas d’établir la nature, l’ampleur et la date d’exécution des travaux allégués. Elles ne permettent pas davantage de prouver que c’est la société Mam Dépendance, et non les précédents preneurs, qui les ont financés.

En outre, il s’infère des dispositions de l’article 146 du code de procédure civile que l’expertise judiciaire n’a pas vocation à pallier la carence probatoire des parties.

Dans ces conditions, la société Mam Dépendance ne pourra qu’être déboutée de ses demandes.

Sur la validité de la clause d’accession en fin de jouissance

En application de l’article 768, alinéa 2, du code de procédure civile, le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

En l’espèce, la société Mam Dépendance ne développe aucun moyen de fait ou de droit au soutien du caractère abusif de la clause d’accession en fin de jouissance stipulée au bail.

Cette demande sera, par conséquent, rejetée.

Sur les autres demandes

Sur les dépens

Conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

La société Mam Dépendance, qui perd son procès, sera condamnée aux dépens de l’instance.

Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

La société Mam Dépendance, partie tenue aux dépens, sera condamnée à payer à Madame [F] et Mesdames [S] la somme qu’il est équitable de fixer à 4.000 € au titre des frais irrépétibles exposés pour la défense de leurs droits.

Sur l’exécution provisoire

En application de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la décision rendue n’en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,

DECLARE irrecevable la fin de non-recevoir tirée de la prescription,

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de bail renouvelé à effet du
1er juillet 2018 liant Madame [R] [F] épouse [O], Madame [M] [S] épouse [Z] et Madame [A] [S] épouse [J] d’une part et la société Mam Dépendance d’autre part pour les locaux principaux et accessoires situés [Adresse 5],

ORDONNE à la société Mam Dépendance de libérer de sa personne et de ses biens ainsi que de tous occupants de son chef les lieux qu’elle occupe au [Adresse 4] (78) dans un délai d’un mois à compter de la signification du présent jugement,

DIT que, faute pour la société Mam Dépendance de libérer les lieux dans le délai d’un mois à compter de la signification du présent jugement, Madame [R] [F] épouse [O], Madame [M] [S] épouse [Z] et Madame [A] [S] épouse [J] pourront faire procéder à son expulsion et/ou à celle de tous occupants de son chef avec l’assistance de la force publique et d’un serrurier si besoin est,

RAPPELLE que le sort des meubles trouvés dans les lieux sera régi par les articles L. 433-1 et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution,

FIXE l’indemnité d’occupation due par la société Mam Dépendance à Madame [R] [F] épouse [O], Madame [M] [S] épouse [Z] et Madame [A] [S] épouse [J] à la somme de 1.700 €, charges en plus, par mois,

CONDAMNE la société Mam Dépendance à payer à Madame [R] [F] épouse [O], Madame [M] [S] épouse [Z] et Madame [A] [S] épouse [J] une indemnité d’occupation de 1.700 €, charges en plus, par mois à compter du 22 mars 2024 et jusqu’à parfaite libération des lieux avec remise des clés,

CONDAMNE la société Mam Dépendance à payer à Madame [R] [F] épouse [O], Madame [M] [S] épouse [Z] et Madame [A] [S] épouse [J] les sommes de :

- 84.547 € TTC au titre des loyers impayés selon décompte courant du
1er octobre 2019 au 30 novembre 2023, avec intérêts au taux légal à compter de l’exploit introductif d’instance pour la somme de 37.200,68 € et du présent jugement pour le surplus,

- 719 € au titre des taxes sur l’enlèvement des ordures ménagères 2019 et 2020,

- 4.000 € au titre des frais irrépétibles exposés pour la défense de leurs droits,

CONDAMNE la société Mam Dépendance aux dépens de l’instance,

REJETTE les autres demandes des parties,

RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 MARS 2024 par Madame GARDE, Juge, assistée de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, lesquelles ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT
Carla LOPES DOS SANTOSAngéline GARDE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Versailles
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 21/04720
Date de la décision : 21/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-21;21.04720 ?
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