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14/03/2024 | FRANCE | N°22/02889

France | France, Tribunal judiciaire de Versailles, Quatrième chambre, 14 mars 2024, 22/02889


Minute n°




TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Quatrième Chambre
JUGEMENT
14 MARS 2024



N° RG 22/02889 - N° Portalis DB22-W-B7G-QSOZ
Code NAC : 54C

DEMANDERESSE :

S.A.S. GROUPE MLB CONCEPT,
immatriculée au RCS de VERSAILLES Sous le n° 788 459 543, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Me Aurélie DEVAUX, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat plaidant/postulant


DEFENDERESSE :

S.C.I. L

A ROMANDERIE,
immatriculée au RCS de VERSAILLES sous le numéro 903 016 400,
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Marc LENOTRE de la...

Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Quatrième Chambre
JUGEMENT
14 MARS 2024

N° RG 22/02889 - N° Portalis DB22-W-B7G-QSOZ
Code NAC : 54C

DEMANDERESSE :

S.A.S. GROUPE MLB CONCEPT,
immatriculée au RCS de VERSAILLES Sous le n° 788 459 543, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Me Aurélie DEVAUX, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat plaidant/postulant

DEFENDERESSE :

S.C.I. LA ROMANDERIE,
immatriculée au RCS de VERSAILLES sous le numéro 903 016 400,
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Marc LENOTRE de la SELARL CABINET FOURNIER LA TOURAILLE, avocats au barreau de VERSAILLES, avocats postulant, Maître Nicolas MAHASSEN de l’AARPI HAISSENS, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant

Copie exécutoire à Me Aurélie DEVAUX
Copie certifiée conforme à l’origninal à Maître Marc LENOTRE,
délivrée le

ACTE INITIAL du 22 Avril 2022 reçu au greffe le 06 Mai 2022.

DÉBATS : A l'audience publique tenue le 11 Janvier 2024, après le rapport de Madame DUMENY, Vice présidente de la Chambre, l’affaire a été mise en délibéré au 14 Mars 2024.

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Mme DUMENY, Vice Présidente
Monsieur BRIDIER, Vice-Président
Madame BARONNET, Juge

GREFFIER :
Madame GAVACHE

PROCÉDURE

La SAS GROUPE MLB concept est une entreprise de conception de projet et de travaux de rénovation et de décoration, tous corps d’état.

Le 9 septembre 2021, Monsieur [W], en sa qualité de gérant de la SCI La romanderie en cours d’immatriculation, lui a demandé l’établissement d’un devis pour la rénovation et la décoration de la maison individuelle récemment acquise par cette SCI, et située [Adresse 1] dans les Yvelines. Le lendemain il lui a adressé les plans de la maison avec une esquisse de son projet et les plans de géomètre.
Dans le cadre de l’étude du projet, le 6 octobre 2021, MLB concept a établi un premier devis pour un montant de 753.000 € HT, certains lots restant en attente de chiffrage.

Le 6 décembre 2021, la société MLB concept a présenté un second devis pour les travaux projetés sur la maison avec un devis complémentaire pour la réalisation d’une piscine pour un montant total de 1.086.000 € HT soit 1.290.736,33 € TTC.
Un troisième devis était adressé le 8 décembre 2021 à hauteur de 1.707.300 € HT, soit 1.900.000 € TTC, prévoyant la rénovation complète du court de tennis existant, à titre gratuit, honoraires de MLB concept inclus.
Le lendemain la société a informé le client qu’elle lançait l’étude de sol et l’étude structurelle pour la réalisation de la piscine et lui a adressé la facture du premier acompte de travaux de 20%.
Le 13 décembre 2021, la société MLB concept a donné les coordonnées de Monsieur [W] à son architecte, Monsieur [E], et le 21 décembre suivant elle a établi une nouvelle version du devis.

Aucun devis n’a été signé par la SCI.

Puis Monsieur [W] a annoncé à la société MLB concept qu’il ne souhaitait plus lui confier le projet. Le 2 février 2022 la société lui a adressé pour règlement :
- la facture d’honoraires n° FA 2022-00002750 pour la conception de l’avant-projet
- et la facture n° FA 2022-00002751 de fourniture de la porte de garage.

Le 7 février 2022, Monsieur [W] a notifié son refus de régler ces deux factures, à la suite de quoi la société l’a mis en demeure par courrier en date du 1 er mars 2022, en vain.

La SAS Groupe MLB concept a ensuite délivré assignation à la SCI La romanderie le 22 avril 2022 aux fins d’indemnisation des conséquences de la rupture des pourparlers.

Le 3 février 2023, la SAS Groupe MLB concept notifie ses dernières conclusions par lesquelles elle demande au tribunal de faire application des articles 1112, 1382 et suivants du code civil et de :
- la juger recevable et bien fondée en ses demandes,
- juger le comportement de Monsieur [W], agissant en sa qualité de gérant de la SCI
La romanderie fautif pour avoir rompu les pourparlers de manière brutale ;
- condamner la SCI à lui payer à titre d’indemnisation des préjudices résultant des frais engagés, à savoir les dépenses inutiles causées par la négociation et les mesures qu’elle a nécessitées, les sommes de 15.950 € TTC et de 22.132 € TTC
- la condamner à lui payer la somme de 10.000 € en réparation du préjudice résultant du temps mobilisé en pure perte et de la perte d’occasion de réaliser d’autres chantiers,
- la condamner à lui payer la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
- rappeler que l’exécution provisoire de la décision à intervenir est de droit,
- la condamner aux entiers dépens

La SCI La romanderie conclut, le 20 février 2023, au visa des articles 1104 et 1112 du Code civil, comme suit :
- débouter la société Groupe MLB concept de l’ensemble de ses demandes dirigées à son encontre
- la condamner à lui payer 10.000 euros à titre de procédure abusive et 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens ;
- rappeler que le jugement à intervenir sera de plein droit assorti de l’exécution provisoire.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 4 avril 2023 et le dossier a été examiné à l’audience tenue le 11 janvier 2024 par la formation collégiale qui a mis sa décision en délibéré ce jour.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- sur la rupture fautive des pourparlers

La SAS Groupe MLB concept reproche au gérant de la SCI, M. [W], un comportement de mauvaise foi dans le cadre de la rupture des pourparlers. Elle soutient notamment, au vu du dernier devis du 21 décembre 2021 d’un montant proche de 2 millions d’euros, que les parties sont arrivées à un tel niveau de détail qu’il est déplacé et mensonger de prétendre que les négociations entre elles étaient peu avancées ; elle ajoute avoir passé plusieurs jours consécutifs à le chiffrer et à intégrer des matériaux choisis par le client. Si elle reconnaît que celui-ci n’a pas signé le devis, elle répond qu’il connaissait parfaitement le coût des prestations qu’il a sollicitées et qu‘il ne peut prétendre n’avoir donné aucun accord au fur et à mesure de l’avancée des pourparlers. La société affirme qu’il n’était pas question de faire réaliser des démarches coûteuses par l’intermédiaire de l’architecte pour obtenir un permis de construire ou une déclaration préalable sans qu’aucun devis n’ait été signé.

La société met en avant le caractère brutal de la rupture des pourparlers, par téléphone auprès de son gérant M. [U] le 1er février 2022, jour où elle lui a ensuite adressé les 2 factures à régler, soit plusieurs mois après le début des négociations et quelques jours après avoir demandé un devis très précis. Elle affirme que le client ne peut pas prouver qu’il a manifesté une quelconque désapprobation sur son travail et ses tarifs entre octobre et fin décembre 2021 mais au contraire toute son attitude prouve qu’il a donné son accord, notamment lors de la journée du 7 décembre suite à l’établissement de la première évaluation budgétaire. Monsieur [W] a même demandé un devis plus détaillé avec une piscine et un tennis mais après l’émission du dernier devis il n’a pas donné suite, sans même tenter de discuter pour revoir certains tarifs à la baisse, ce qui démontre la brutalité sans équivoque de sa décision.
Ensuite la SAS se prévaut de la personnalité de son client qui n’est pas intègre ni de bonne foi et dont la fortune lui permet de dépenser des sommes considérables dans les travaux de rénovation et décoration de sa maison ; elle affirme ne pas comprendre que ce client vienne ensuite soutenir qu’il n’a pas commandé le portail ou qu’il n’a pas donné son accord sur les tarifs proposés alors qu’il s’est dirigé vers une société spécialisée dans la rénovation et décoration très haut de gamme.

La SAS plaide encore le comportement déloyal et de mauvaise foi du gérant de la SCI qui lui a donné son accord verbal au fur et à mesure des négociations, sans avoir eu l’honnêteté de confirmer par écrit ses engagements. Elle souligne des incohérences dans son comportement, à savoir lui avoir confié les plans de géomètre et les clés de la maison pour faire établir des études et sondages, lui avoir demandé plusieurs devis détaillés sans contester le tarif précédemment indiqué, ne pas avoir contesté le montant du dernier devis très précis. Elle répond sur l’augmentation du coût du dernier devis qu’il concernait en plus de la maison l’atelier, le pool house, la terrasse extérieure et la construction d’une piscine avec l’ajout de nombreuses prestations et de matériaux très chers. La société conteste avoir eu connaissance d’un budget limité et affirme que la relation n’est devenue litigieuse qu’à partir du moment où le client y a mis fin brutalement sans explication, si ce n’est l’excuse d’un devis trop onéreux, et lorsqu’il a refusé de payer les prestations effectuées a minima ; de plus il a tenté de se rapprocher de l’architecte pour passer outre la mission du décorateur.

La demanderesse conteste toute surévaluation s’agissant de l’évaluation des surfaces de toiture et du volume des gravats incluse dans son devis V4.
Relativement à la porte de garage, elle indique que cette prestation figure dans les devis des 6 et 21 décembre 2021 pour la somme de 16.310,70 €.

La société reproche encore à son adversaire d’avoir laissé perdurer les pourparlers dans le temps, en lui demandant régulièrement de nouvelles prestations jusqu’en décembre 2021, soit durant plus de 4 mois, donnant lieu à la formalisation d’un troisième et d’un quatrième devis incluant des prestations complémentaires pour la construction d’une piscine et la rénovation d’un terrain de tennis.
Elle forme également le grief d’avoir prolongé artificiellement les pourparlers sans réelle intention de contracter puisqu’entre le premier et le quatrième devis il n’a manifesté aucune critique au sujet du coût des prestations alors que celui-ci n’a augmenté qu’en raison du chiffrage de postes supplémentaires comme l’établit son économiste ; pourtant le client lui a adressé son K-bis le 23 décembre.
Enfin la demanderesse se demande si son client n’a pas eu l’intention de profiter par la suite des études et de la conception de son projet pour faire réaliser les prestations par un autre entrepreneur puisqu’il a contacté directement l’architecte en charge du projet, Monsieur [E], pour lui demander de travailler sans avoir recours à la société Groupe MLB concept.

La SAS affirme qu’en l’absence de tout lien contractuel elle peut légitimement demander le paiement des frais engagés et de la perte d’autres contrats, sur le fondement de la responsabilité délictuelle de l’article 1382 du Code civil.

La SCI La romanderie conteste tout abus dans la rupture. Elle expose avoir souhaité faire établir un devis de travaux de rénovation en prenant contact avec la société MLB concept, lui avoir adressé les plans des intérieurs, des coupes et des façades en élévation ainsi qu’une esquisse de son projet, lui avoir permis de réaliser des sondages au niveau du plancher du rez-de-chaussée, du mur du garage et de celui séparant le salon de la future cuisine pour vérifier la faisabilité des travaux et établir un véritable devis et non une simple estimation budgétaire. Elle note que les 2 premiers devis ne comprenaient pas de détails des différents travaux, qu’elle ne les a pas signés et qu’elle n’a donc pas donné son accord pour le commencement des travaux le
15 décembre 2021 ni pour la facture d’acompte de 20 %.
Elle affirme n’avoir donné aucune autorisation ni accord sur le coût des études structurelles concernant la maison et l’étude de sol relative à la piscine et elle conteste avoir donné instruction à l’entreprise pour être mise en relation avec l’architecte Monsieur [E].
Elle relève que seul le troisième devis émis le 21 décembre 2021 précisait les quantités et le détail des prestations proposées mais qu’elle ne l’a ni signé ni approuvé.
Le 6 janvier suivant son gérant a tenté de joindre la société de décoration par téléphone puis a téléphoné à l’architecte M. [E] pour lui annoncer qu’il ne donnerait pas suite au projet après l’analyse du devis détaillé car les quantités et prix unitaires étaient sans rapport avec la réalité et inacceptables.
La SCI relève des incohérences dans le devis quant à la surface du toit, quant au volume et au coût des gravats à évacuer ; elle note une augmentation significative de plusieurs postes du devis alors que les travaux chiffrés n’ont pas fondamentalement évolué, tels que le poste menuiseries extérieures. Elle conteste avoir reçu les
2 factures avant le 7 février puisque le mail qui est produit ne lui était pas destiné et surtout elle affirme que les études facturées, pas plus que la porte de garage n’ont jamais été commandées par ses soins ni réalisées. Si son gérant reconnaît avoir accepté le 7 février 2022 le paiement des études de BET et des sondages, c’était à la condition d’obtenir les rapports qui ne lui ont jamais été transmis.
La SCI conteste le montant des honoraires de conception de l’avant-projet et le montant de la facture de la porte du garage qu’elle considère comme étant exorbitants vue la prestation. Elle relève que la société ne lui a jamais proposé de convenir d’une facturation des études préalables menées ou des devis établis avant de la mettre en demeure pour des factures qui ne lui avaient pas été transmises.

La société défenderesse relève que la rupture des pourparlers allégués n’est pas datée et qu’elle n’est surtout pas fautive au sens de l’article 1112 du Code civil. Elle affirme avoir fait preuve de bonne foi à l’occasion de ces pourparlers, dès leur début, en mettant à disposition de son partenaire des plans, des esquisses et en laissant réaliser des sondages pour établir un devis sans prise de risque pour lui. La société estime que son gérant a adopté une attitude normale et collaborative notamment en demandant à plusieurs reprises l’établissement d’un devis détaillé, demande légitime, qui ne lui a été transmis qu’au 3e devis. Elle conteste avoir indiqué dès le premier devis qu’elle considérait les prestations trop onéreuses puisque celles-ci ont vu leur prix augmenter considérablement comme le poste de curage du gros œuvre. Elle affirme que c’est en raison de l’évolution à la hausse de la tarification des prestations et des surévaluations considérables des surfaces et des volumes qu’elle a fait le choix de ne pas signer le dernier devis proposé et de ne pas conclure avec la société MLB concept, son gérant ne pouvant lui accorder sa confiance.
La défenderesse rappelle que le client a le droit de renoncer à un projet qui évolue au fur et à mesure de la réflexion. Elle conteste avoir profité des études et de la conception du projet élaborés par la demanderesse pour faire réaliser les prestations par un autre entrepreneur ; elle considère que c’est au contraire la SAS qui s’est appropriée les plans établis par géomètre expert en y apposant son cartouche pour se faire passer pour l’auteur des esquisses et des plans dans le cadre de la présente procédure.
La société civile soutient que son adversaire n’établit aucunement sa mauvaise foi ou son absence d’intention sérieuse de contracter alors qu’elle affirme s’être comportée de manière loyale et avec bonne foi dans le déroulé desdits pourparlers. Elle rappelle que le professionnel avait toute latitude pour ne pas engager d’études ou de frais préalablement à l’obtention de son accord et pouvait naturellement mettre un terme aux pourparlers si le temps consacré lui apparaissait anormalement long, ce qu’il n’a pas fait. Elle affirme que la société avait la parfaite maîtrise des pourparlers et a manifestement décidé d’augmenter régulièrement les prix proposés de sorte qu’elle ne peut se plaindre de la durée, de la fin ou des conditions de rupture des pourparlers ni en rejeter la responsabilité sur son client.

la SCI La romanderie tient à préciser que les pourparlers étaient peu avancés lorsqu’elle a mis fin aux échanges après quatre mois, comme le démontre l’absence de déclaration préalable ou de demande de permis de construire ; pour elle le projet était encore au stade de la réflexion sur les travaux à réaliser et les quatre mois de réflexion n’étaient pas très longs au vu de l’ampleur du projet. Elle plaide qu’en qualité de professionnel la SAS savait qu’elle courait le risque de voir le projet ne pas se concrétiser et qu’elle l’a accepté en connaissance de cause, sans conséquence particulière ou anormale pour elle, si ce n’est l’établissement de plusieurs devis successifs ; ce risque de non-réalisation s’est accru du fait de l’établissement d’un devis comprenant de grossières exagérations budgétaires.

La société civile note que son adversaire ne démontre pas en quoi la fin des pourparlers aurait été brutale ou infondée : elle a renoncé à confier à la société les travaux de rénovation après le dernier devis contenant des abus manifestes sur les superficies, volumes et montants. Elle s’estime donc légitime à ne pas avoir donné suite à cette dernière proposition.

En l’absence de faute ou d’abus commis par son gérant, elle s’oppose à toute condamnation à une indemnité. Elle relève que les attestations produites émanent des salariés de la demanderesse, comportent des incohérences notamment sur la date prétendue du début du chantier et ne peuvent donc être retenues comme éléments de preuve.

****

L’article 1112 du Code Civil dispose que l'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.
Les pourparlers doivent ainsi être menés de bonne foi et respecter le principe de loyauté.
En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages.

Le principe est donc celui de la libre rupture des pourparlers.
La responsabilité qui sert de fondement à la caractérisation d'un abus est de nature délictuelle fondée sur les articles 1240 et suivants du Code civil.

Pour engager la responsabilité de la société civile cliente, il importe de caractériser un manquement au principe de bonne foi et de loyauté à l’origine de la rupture des pourparlers, pour y déceler un éventuel abus sans rechercher les motifs de la rupture ; cette attitude fautive doit avoir causé à la société commerciale un préjudice autre que la perte d’avantages attendus ou la perte de chance d’obtenir ces avantages.

Il est exact que dès le lendemain d’une approche téléphonique en date du 9 septembre 2021 la SCI la romanderie a envoyé à la SAS Groupe MLB concept les plans des intérieurs de la maison ainsi qu’une esquisse de ce qu’elle voudrait ( indiquant grossièrement la destination des pièces et la dimension de quelques meubles), précisant dans son courriel « un seul niveau au rez-de-chaussée avec un chauffage au sol et deux chambres à l’étage ».
Sur cette base la société a élaboré le 6 octobre 2021 un budget estimatif des travaux, sans agencement ni étude technique, au montant de 753.000 € hors-taxes pour les postes de rénovation curage/gros œuvre, menuiseries extérieures, plâtrerie/cloisons/doublages, menuiseries intérieures, agencement menuiseries intérieures/ électroménager, métallerie/escalier intérieur, revêtements durs, parquets, peintures, électricité, ventilation/plomberie sanitaire et climatisation.

Ce n’est qu’un mois après, le 9 novembre, que l’équipe de la SAS s’est déplacée sur les lieux avec un bureau d’études pour la réalisation d’études et de sondages.

Le 29 novembre la société de décoration a établi avec le cabinet Aeffect un plan d’affectation des pièces de chaque niveau.

C’est le 6 décembre que le premier devis a été élaboré pour la « rénovation et la décoration de la maison individuelle » incluant, outre les postes listés dans l’estimation, la charpente/couverture, les ravalements de façades, la cheminée du salon au rez-de-chaussée, la petite serrurerie, pour un coût chiffré à 1 086 000 € hors-taxes. Pouvaient s’ajouter en option les terrasses du rez-de-chaussée et d’autres prestations pour

l’agencement des menuiseries intérieures, les revêtements durs et la ventilation/plomberie sanitaire.
N’étaient pas chiffrés les lots espaces verts et aménagement paysager, charpentes maîtresses, ravalement de façade, piano et hotte, stores, occultations. Il était renvoyé à un autre devis pour les équipements de piscine extérieure, lequel n’a pas été versé au dossier.

Il est notable que ce devis présenté comme étant la version n° 2 ne comprend qu’un montant pour chaque lot sans aucun détail de quantité, de volume ni de prix unitaire et qu’il inclut pour la première fois des honoraires de 8 % du montant hors-taxes de ces travaux pour « conception, plans d’exécution et de décoration, planches matériaux/matériels, suivi architectural, gestion et suivi de chantier ». Ainsi la SAS était la titulaire du marché et la maître d’oeuvre.

Ce devis ne porte aucune signature ni bon pour accord du client.

Le lendemain les plans et esquisses ont été communiqués avec des visuels en 3D.

Le jour d’après, 8 décembre, la SAS a établi un devis n° 3 pour la « rénovation et décoration d’une maison individuelle création d’une piscine et d’un court de tennis extérieurs » portant sur un montant hors-taxes de travaux de 1 707 300 €, avec la mention que le cours de tennis était une prestation offerte (sans détail des modalités) et que n’étaient pas chiffrés les espaces verts et aménagements paysagers.
Ce nouveau devis ne porte plus d’options et ne renvoie pas à un autre qui viendrait le compléter. Toutefois il est fait état de démolitions et de reprises structurelles et de travaux électriques « selon études BET », de la création d’un nouveau bassin de piscine extérieure conditionnée à des études structurelles hors étude de sol, d’un budget provisionnel en attente d’une étude énergétique pour le poste climatisation, d’appareils électriques en quantités « estimatives en attente de mise au point projet » ou bien encore d’une « enveloppe provisionnelle à recaler en fonction des plans définitifs des choix de matériaux » pour l’agencement de menuiseries intérieures.

Les honoraires ne sont plus chiffrés mais sont indiqués comme étant inclus ; le total TTC de 1.901.330 € est ramené commercialement à 1.900.000 € avec la mention nouvelle du règlement du premier acompte de 20 % à la signature du devis puis sur situations mensuelles à l’avancement.

Il n’est pas contesté que ce devis n’a pas non plus été validé et signé par le maître d’ouvrage.

Pourtant dès le lendemain la société Groupe MLB concept a établi une facture d’acompte de 20 % et informé la SCI qu’elle allait lancer des études de sol par rapport à la piscine et à la structure de la maison et elle lui a proposé le début des travaux de curage la semaine suivante; elle ne démontre pas avoir reçu de réponse orale ou écrite de la cliente sur tous ces points ni le versement de l’acompte.

Ce n’est que le 21 décembre 2021 que la SAS a établi un devis de travaux détaillant le prix unitaire, les quantités de chacune des prestations, aux coûts indiqués dans le devis n° 3 et sans changement.

Certes la SCI lui a adressé son K-bis dans les 2 jours suivants mais, suite à son message de relance du 5 janvier, il n’est pas prouvé de contact entre les 2 gérants ni d’acceptation orale ou écrite des termes de ce devis.

M. [B] [E], architecte co-gérant du cabinet Aeffect, atteste avoir rencontré
M. [W] le 7 décembre 2021 après avoir visité le site et échangé avec l’ingénieur structure ; il affirme que la semaine du 13 décembre 2021 il a envoyé des plans de purge à la société MLB et échangé par mail avec le maître d’ouvrage pour obtenir des informations en préparation du dépôt de la déclaration préalable pour la modification des façades puis début janvier 2022 l’entreprise MLB lui a demandé d’arrêter les études dans l’attente de la signature du devis. Il confirme que le 6 janvier 2022 il a eu un échange téléphonique avec Monsieur [W] qui lui a demandé son avis sur le devis de MLB qu’il trouvait trop cher et s’il pouvait travailler sur son projet sans cette société.

Les professionnels qui ont été chargés par la société Groupe MLB concept d’établir les sondages, M. [I], et les études, M. [V], attestent ne pas avoir eu de contact avec le maître d’ouvrage et seul le premier indique avoir procédé à des sondages permettant d’établir un devis d’études de structure. Il n’est pas démontré que celui-ci a été communiqué à la SCI ni que les autres études techniques dont dépendait le complément du devis ont été pratiquées.

La société demanderesse ne verse au débat aucun élément permettant de dater l’arrêt des pourparlers mais dans courrier du 1/3/2022 son gérant M. [U] indique
« vous nous avez notifié le 31 décembre 2021, soit quatre mois après le début de nos échanges votre décision de ne plus nous confier la réalisation du projet et votre refus le 7 février 2022 de régler notre facture d’honoraires pour la conception de l’avant-projet et la facture de réalisation de la porte de garage ».

Ainsi la rupture des pourparlers a eu lieu dans le mois suivant la réception du devis détaillant pour la première fois l’ensemble des prestations, dans leur ampleur et leur coût, qui est la première étape des négociations. Ceci ne permet pas de caractériser une rupture brutale des négociations qui ne peuvent être considérées comme très engagées, et ce d’autant que les études n’avaient pas été toutes mises en oeuvre, que la facture d’acompte n’avait pas été signée, qu’aucun contrat avec l’architecte n’a été élaboré pour la déclaration préalable de travaux sur les façades ou encore le projet de permis de construire s’il en fallait un.
De même la SAS ne démontre pas que son client l’a entretenue dans la certitude d’un accord puisqu’il n’y a eu aucun échange direct entre eux, de quelque manière que ce soit, suite à la réception du devis, lequel ne mentionnait aucun délai de validité.

S’agissant des circonstances de la rupture des relations précontractuelles, le professionnel indique dans son courrier du 1/3/2022 que c’est en raison du coût trop élevé des prestations, ce qui est un motif légitime, sans avoir à prendre en considération l’éventuel patrimoine du gérant de la SCI cliente.

Contrairement à ce que soutient la demanderesse, il ne peut être reproché à la société cliente d’avoir délibérément et artificiellement prolongé les pourparlers sans réelle volonté de contracter. Elle n’a fait qu’user de la faculté de résilier à tout moment les

négociations, sans manquement aux règles de bonne foi dans les relations commerciales.
De même il ne peut être jugé que la SCI a fait croire à la société de décoration qu’elle était sur le point de conclure pour l'inciter à certaines dépenses.

Dès lors, aucun abus n’est caractérisé pour faire droit à la demande qui sera donc rejetée.

- sur la procédure abusive

La société défenderesse prétend obtenir une indemnité de 10 000 € en raison du caractère fantaisiste et juridiquement infondé de la demande, en produisant des attestations de ses employés ainsi que un document mensonger destiné à tromper le tribunal et pouvant caractériser une tentative d’escroquerie au jugement.

Son adversaire ne réplique pas à cette prétention.

Si le tribunal a effectivement débouté la société demanderesse de ses prétentions, son adversaire ne caractérise pas un abus dans le droit d’agir en justice et verra sa demande indemnitaire écartée.

- sur les dépens et frais irrépétibles

La SAS groupe MLB concept qui succombe sera condamnée aux dépens de l’instance et à allouer à son adversaire une indemnité de procédure équitablement arrêtée à la somme de 5.000 € ; elle sera corrélativement déboutée de ce chef.

Enfin aucun élément ne s’oppose à l’exécution provisoire de plein droit de la présente décision.

PAR CES MOTIFS

le tribunal, statuant publiquement par décision contradictoire et susceptible d’appel,

Déboute la SAS Groupe MLB concept de l’intégralité de ses demandes,

Rejette la demande indemnitaire présentée par la SCI La romanderie,

Condamne la SAS Groupe MLB concept aux dépens de l’instance et à allouer à son adversaire une indemnité de procédure de 5.000 €,

Rappelle l’exécution provisoire de plein droit de la présente décision.

Prononcé pa r mise à disposition au greffe le 14 MARS 2024 par Mme DUMENY, Vice Présidente, assistée de Madame GAVACHE, greffier, lesquelles ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Versailles
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 22/02889
Date de la décision : 14/03/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-14;22.02889 ?
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