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08/03/2024 | FRANCE | N°22/00715

France | France, Tribunal judiciaire de Versailles, Deuxième chambre, 08 mars 2024, 22/00715


Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Deuxième Chambre
JUGEMENT du 08 MARS 2024

N° RG 22/00715 - N° Portalis DB22-W-B7G-QMMO


DEMANDERESSE :

ETA BENOIT HOUARD Entreprise de travaux agricole immatriculée au RCS de PONTOISE sous le numéro 508 892 536, dont le siège social est situé [Adresse 2], pris en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège,
représentée par Me Nelly LEROUX-BOSTYN, avocat au barreau d’EURE, avocat plaidant, Me Florence MULLER-TAILLEFER, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat

postulant


DEFENDERESSE :

La SCEA ROSENTRITT, inscrite au RCS de VERSAILLES sous le numéro 341 214...

Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Deuxième Chambre
JUGEMENT du 08 MARS 2024

N° RG 22/00715 - N° Portalis DB22-W-B7G-QMMO


DEMANDERESSE :

ETA BENOIT HOUARD Entreprise de travaux agricole immatriculée au RCS de PONTOISE sous le numéro 508 892 536, dont le siège social est situé [Adresse 2], pris en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège,
représentée par Me Nelly LEROUX-BOSTYN, avocat au barreau d’EURE, avocat plaidant, Me Florence MULLER-TAILLEFER, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat postulant

DEFENDERESSE :

La SCEA ROSENTRITT, inscrite au RCS de VERSAILLES sous le numéro 341 214 856,dont le siège est sis [Adresse 4], prise en la personne de son gérant domicilié audit siège,
représentée par Me Audrey LE CUNFF, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat plaidant/postulant

ACTE INITIAL du 21 Janvier 2022 reçu au greffe le 07 Février 2022.

DÉBATS : A l'audience publique tenue le 10 Octobre 2023, les avocats en la cause ont été entendus en leurs plaidoiries par Madame RODRIGUES, Vice-Présidente, siégeant en qualité de juge rapporteur avec l’accord des parties en application de l‘article 805 du Code de procédure civile, assistée de Madame SOUMAHORO Greffier, puis l’affaire a été mise en délibéré au 08 Décembre 2023, prorogé au 30 Janvier 2024, puis au 08 Mars 2024.

MAGISTRATS AYANT DÉLIBÉRÉ :
Madame LUNVEN, Vice-Présidente
Madame RODRIGUES, Vice-Présidente
Madame ANDRIEUX, Juge

EXPOSE DU LITIGE :

L’EARL ROSENTRITT, devenue la SCEA ROSENTRITT (ci-après « la société ROSENTRITT ») s'est adressée à l’Entreprise de travaux agricole (ETA) BENOIT HOUARD, prestataire de travaux agricoles, à compter du mois d'août 2018, pour que celle-ci intervienne sur les terres dont elle est exploitante pour l’année culturale 2018/2019.

L’ETA BENOIT HOUARD a accepté cette mission mais aucun contrat de prestation de services n'a été établi, les parties rejetant l'une sur l'autre la responsabilité de cette absence d'instrumentum.

Plusieurs factures émises en 2018, 2019 et 2020 ont été réglées, à l'exception de celle en date du 10 janvier 2020, d’un montant de 28.680 euros TTC.

En effet, les parties s'opposent sur la qualité des travaux réalisés par l’ETA BENOIT HOUARD, la société ROSENTRITT soutenant, principalement, que celle-ci n'a pas effectuée une prestation conforme à ce qu'elle en attendait et qu'elle a subi, de ce fait, un préjudice résultant de mauvaises récoltes.

C’est dans ce contexte que l’ETA HOUARD BENOIT a, vainement, adressé à la société ROSENTRITT une lettre recommandée avec avis de réception le 15 mai 2020 la mettant en demeure de lui régler la somme de 28.680 euros TTC au titre de la facture du 10 janvier 2019.

Mise en demeure à laquelle la société ROSENTRITT a répondu le 17 juin 2020 en faisant valoir l'existence d'un préjudice à naître pour l’année culturale 2020 en raison de la réalisation tardive et dans de mauvaises conditions de nombreux travaux.

Les parties ont alors saisi leur assureur respectif, l’ETA BENOIT HOUARD étant assistée par Monsieur [L] et la société ROSENTRITT étant assistée par Monsieur [J] et une visite contradictoire des lieux a été effectuée le 29 juin 2020.

Par courrier officiel de son avocat du 1er décembre 2020, l’ETA HOUARD a réclamé à la société ROSENTRITT le règlement de la facture d’un montant de 23.900 euros HT dans un délai de dix jours à compter de la présente.

Par courrier officiel du 23 décembre 2020, le conseil de la société ROSENTRITT a maintenu son refus de règlement ainsi que ses contestations, lui adressant le rapport établi entre temps par Monsieur [O] [J], expert foncier agricole, le 11 juin 2020, lequel a estimé le préjudice de la société ROSENTRITT à la somme de 31.800 euros HT, soit 38.160 euros TTC.

C'est dans ces conditions que, par acte délivré le 21 janvier 2022, l’ETA HOUARD a fait assigner la société ROSENTRITT en paiement devant le tribunal judiciaire de Versailles.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par le RPVA le 6 avril 2023, l'ETA BENOIT HOUARD sollicite de voir :

Vu les articles 1101 et suivants du Code civil,
Vu l’article 1231-1 du Code Civil,

Débouter l’EARL ROSENTRITT de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

Condamner l’EARL ROSENTRITT à régler la somme de 28.680 € TTC soit 23.900 € HT outre la TVA à 20 %, à l’ETA Benoit HOUARD, avec intérêts aux taux légal à compter de la première lettre recommandée avec avis de réception de mise en demeure, soit à compter du 15 mai 2020,

Condamner l’EARL ROSENTRITT à régler la somme de 5.000 € de dommages et intérêts à l’ETA HOUARD,

Ordonner l’exécution provisoire de droit du jugement à intervenir,

Condamner l’EARL ROSENTRITT à régler la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

Condamner l’EARL ROSENTRITT aux entiers dépens de l’instance.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 4 décembre 2022, la société ROSENTRITT demande au tribunal de :

Vu les articles 1101 et suivants du Code Civil,
DECLARER recevable mais mal fondée l’ETA HOUARD en l’ensemble de ses demandes,

Par conséquent,
L’en DEBOUTER purement et simplement,
RECEVOIR l’EARL ROSENTRITT en ses demandes reconventionnelles,

Par conséquent,
CONDAMNER l’ETA HOUARD à lui verser les sommes suivantes :
- 13.671,20 € HT au titre des sommes trop versées en règlement des factures des 31 décembre 2018, 1er juillet 2019 et 9 octobre 2019,
- 544, 80 € HT au titre de la franchise que reconnaît devoir l’ETA BENOIT HOUARD (page 9 de l’assignation),
- 31.800 € au titre du préjudice de perte de récolte
Soit un total de 46.016 € HT soit 55.219,20 € TTC.

A titre subsidiaire,
Et pour le cas où le Tribunal s’estimerait insuffisamment éclairé,
L’EARL ROSENTRITT sollicite du Tribunal de Céans d’ordonner une consultation écrite confiée à un expert agricole près la Cour d’Appel de VERSAILLES qui aura pour mission de :
- Décrire l’ensemble des prestations réalisées par l’ETA HOUARD sur les terres exploitées par l’EARL ROSENTRITT devenue SCEA ROSENTRITT
- Se faire remettre tous documents utiles,
- Examiner les prestations réalisées par l’ETA HOUARD et ainsi que les périodes de réalisation,
- Donner son avis sur l’opportunité des travaux réalisés et les conséquences sur la future récolte,
- Chiffrer le préjudice lié aux pertes de récoltes subies par l’EARL ROSENTRITT,
- Entendre le cas échéant tous sachants.
En tout état de cause,
CONDAMNER l’ETA HOUARD à verser à l’EARL ROSENTRITT la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile outre les dépens dont distraction au profit de Maître Audrey LE CUNFF.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties susvisées quant à l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens respectifs.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 juin 2023. L'affaire a été plaidée le 10 octobre 2023 et mise en délibéré au 8 décembre 2023, prorogé au 30 janvier 2024, puis au 08 mars 2024 par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre préliminaire, il est rappelé qu'en vertu de l’article 768 du Code de procédure civile, le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

Sur l'exécution du contrat :

L’ETA Benoit HOUARD expose que les relations qu'elle a entretenues avec la société ROSENTRITT sont contractuelles, les parties s'étant accordées pour qu'elle réalise les travaux agricoles commandés par la société ROSENTRITT ; que l'ensemble des travaux commandés ont été réalisés tant pour l’année culturale 2018/2019 que pour l’année culturale 2019/2020.
Elle fait valoir que, si les travaux n'avaient pas été conformes comme l'affirme la société ROSENTRITT, celle-ci n’aurait pas poursuivi la relation contractuelle sur plusieurs années culturales.

Elle rappelle, encore, que le prestataire de service (ETA BENOIT HOUARD) agit sous les ordres de son client (la société ROSENTRITT) lequel conserve la maitrise totale de son exploitation ; que cette dernière ne précise ni quelles étaient les difficultés d’exécution des prestations, ni quelles sont les directives qu'elle aurait données et qui n’auraient pas été suivies ; que d'ailleurs la société ROSENTRITT n’a pas délégué l’ensemble des prestations puisqu’elle avait notamment tout le matériel pour exécuter certaines d'entre elles, de telle sorte que c’est au fur et à mesure du déroulement de l’année culturale que la société ROSENTRITT lui demandait d’effectuer certaines prestations.

Elle affirme, concernant le détail de la facture relatif au temps du matériel et au temps de la main d’œuvre que la tarification correspond à un forfait par prestation réalisée à l’hectare si bien qu'il n'est pas utile de différencier le temps matériel et le temps main d’œuvre ; qu'elle verse aux débats le cahier de plaine, lequel comporte toutes les interventions réalisées sur chaque parcelle ; que la société ROSENTRITT, qui prétend que la facturation serait supérieure à celle pratiquée usuellement, ne verse aucun barème ; que, d'ailleurs, le prix est librement fixé entre les parties ; que la bonne tenue d’un cahier de plaine est une obligation légale en matière de traçabilité, de fertilisation et de traitements phytosanitaires et qu'il est établi à partir du logiciel GEOFOLIA, lequel est en relation directe avec la gestion des stocks de la société ROSENTRITT.

Concernant le défaut d’épandage et la perte de récolte, elle rappelle que la difficulté a été évoquée entre les parties et que Monsieur [D] [B], Expert, mandaté par GROUPAMA, a évalué le préjudice à concurrence de 4.993,20 euros ; qu'elle devait verser à la société ROSENTRITT le montant de la franchise soit 554,80 euros, préjudice ayant été pris en charge par son assureur mais que celle-ci ayant refusé de régler la facture de prestations, le règlement a été mis en suspens.

S'agissant de l’ensemencement tardif du blé pour l’année culturale 2019/2020, elle soutient qu'en réalité c'est la société ROSENTRITT qui a souhaité, comme bon nombre d’agriculteurs, différer l’ensemencement au regard de l'interdiction du “GAUCHO”, qui rendent plus compliqués et plus onéreux les traitements phytosanitaires ; que la consigne de semer très tôt n'a jamais été donnée puisque les organismes agricoles conseillaient plutôt de retarder les semis compte tenu de la suppression du “GAUCHO ; que d'ailleurs, la société ROSENTRITT ne justifie pas de cet ordre.

Elle souligne, s'agissant du refus d’épandre un insecticide, que lorsqu'elle a proposé à la société ROSENTRITT de pratiquer l’insecticide les 8 et 9 novembre 2019, la société ROSENTRITT a donné pour instruction de différer ce traitement et que, par la suite, elle ne l'a pas mandatée à cet effet et l'a rendue responsable du préjudice, lorsque les dégâts provoqués par les pucerons ont été visibles, alors que propriétaire d'un pulvérisateur, elle avait la possibilité d’entreprendre le traitement ; qu'en tout état de cause, concernant la campagne 2019/2020, les pertes imputables à la jaunisse nanisante de l’orge (JNO) sont difficiles à estimer car elles ont pu être plus ou moins amplifiées par les conditions agronomiques.

Concernant le semis tardif de janvier 2020, l’ETA Benoit HOUARD affirme que les conditions climatiques se sont dégradées à la mi-octobre 2019, la pluviométrie ayant été excédentaire en octobre et novembre de l’ordre de plus de 60 %, que la société ROSENTRITT a pris l’initiative de faire un déchaumage très profond, contrairement à ce qui est conseillé, de sorte qu’il a fallu attendre que les parcelles évacuent le trop d’eau afin de pouvoir travailler la terre ; que la société ROSENTRITT n’a pas suivi son conseil de réaliser une culture d’orge de printemps dont les semis sont plus tardifs et a exigé que les semis d’automne soient terminés.


Elle rappelle que ces différents reproches ont déjà fait l’objet d’un débat car les parties ont saisi leur assureur respectif ; que le rapport de Monsieur [L], établi à la suite de la réunion en présence de chacune des parties et de leur expert, a été contresigné par les deux parties et leur expert ; que la note de Monsieur [J], expert de la société ROSENTRITT, n’est pas exacte car elle fait une synthèse de la pluviométrie différente des données publiques, ne fait pas état des déchaumages profonds réalisés par la société ROSENTRITT et fait suite à une visite non contradictoire au début du mois de juin 2020, si bien que ce rapport doit être écarté, faute d'avoir été établi contradictoirement.

Sur la demande présentée à titre subsidiaire, par la société ROSENTRITT de voir désigner un expert, l’ETA Benoit HOUARD rétorque que le rapport de Monsieur [L] a été établi contradictoirement et que la société ROSENTRITT n’apporte aucun élément supplémentaire susceptible de justifier que le tribunal judiciaire ordonne une mesure d’instruction.

En défense, la société ROSENTRITT fait valoir que bien que l’ETA HOUARD avance que la tarification correspond à un forfait par prestation réalisée à l’hectare, aucun barème ne lui a jamais été communiqué alors qu'un cahier de plaine, justifiant les prétendues interventions réalisées, ne constitue qu'un document unilatéral qu'elle n’a jamais vérifié ; qu'au surplus, le cahier de plaine ne suffit pas à justifier la réalité de factures non détaillées et ne permet pas au client de vérifier le prix de la prestation facturée ; que si l’activité de prestation de service ne fait pas l’objet d’un barème, des fourchettes de prix peuvent être retenues et le tarif de la prestation doit être en corrélation avec le service rendu de telle sorte qu'en sa qualité de professionnel en matière de travaux agricoles, l’ETA BENOIT HOUARD se devait d’être parfaitement transparente en expliquant le prix pratiqué et les différentes prestations réalisées.

Elle soutient, sur le défaut d’épandage, que dès 2019, l’ETA HOUARD a commis des manquements qu’elle a manifestement reconnus puisque Monsieur [D] [B] expert mandaté par GROUPAMA, avait évalué son préjudice à la somme de 4.993,20 euros et que ces manquements ont perduré en 2020 ; que, contrairement à ce que la demanderesse affirme, elle n'a jamais souhaité différer les semis dans la mesure où les parcelles, principalement exploitées en cultures céréalières, sont libérées très vite passée la récolte des mois de juillet et d’août ; qu'un semis précoce est d’ailleurs recommandé par la Chambre d’Agriculture, ce qui permet d’utiliser moins de semences mais impose une pulvérisation d’insecticide toutes les trois semaines, ce qui a été fait par l’ETA HOUARD en 2018 mais pas en 2019.

Elle souligne que les conclusions de Monsieur [O] [J] sont très claires : « La mauvaise réalisation des semis sur les 3 ilots a fragilisé la culture. L’effet sécheresse du printemps conduit à réduire le rendement attendu (...) », et que l'expert a relevé « un retard trop important dans les semis, le recours à des techniques et matériels inappropriés aux conditions climatiques et le refusd’appliquer un traitement insecticide. »

Elle rappelle que l'ETA HOUARD avait pour mission d’effectuer l’ensemble des travaux agricoles jusqu’à la récolte, et si elle-même était intervenue pour effectuer des prestations et spécialement utiliser son pulvérisateur, l’ETA HOUARD n’aurait pas manqué de lui reprocher et de soutenir que le dommage résultait de son intervention.

Elle considère que l’ETA BENOIT HOUARD, qui connaissait ses instructions, aurait dû, après avoir procédé à un déchaumage profond, emblaver les parcelles dès que possible afin d’éviter de subir les aléas climatiques à l’automne.

Elle souligne que l’ETA BENOIT HOUARD reconnait d’ailleurs son retard puisqu’elle a proposé de procéder à un semis de culture de printemps.

Elle note, enfin, que l’ETA BENOIT HOUARD réfute les observations qui ont été établies par Monsieur [J], expert, qui l'assistait et se réfère à un rapport établi par Monsieur [L], expert mandaté par GROUPAMA, l’assureur de l’ETA BENOIT HOUARD alors que son rapport n’a nullement été accepté par les deux parties, de telle sorte qu'elle sollicite la désignation d’un expert afin qu’il puisse établir une consultation écrite compte tenu de l’antériorité des faits.

***

L'article 1101 du code civil dispose que le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations.

Aux termes des article 1103 et 1104 du même code, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Cette disposition est d'ordre public.

Par ailleurs, selon l'article 1217, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;
- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;
- obtenir une réduction du prix ;
- provoquer la résolution du contrat ;
- demander réparation des conséquences de l'inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées, des dommages et intérêts pouvant toujours s'y ajouter.

L'article 1231 du code civil prévoit, encore, que « Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.

Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.
Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire ».

Toutefois, il convient de préciser qu'en application des dispositions de l'article 6 du code de procédure civile, à l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder.

En application de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

L'article 1359 du code civil énonce enfin que l'acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique.
Il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, même si la somme ou la valeur n'excède pas ce montant, que par un autre écrit sous signature privée ou authentique.

Cependant, l'article 1360 du code civil prévoit que les règles prévues à l'article précédent reçoivent exception en cas d'impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s'il est d'usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l'écrit a été perdu par force majeure.

***

Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que la charge de la preuve du contrat et de son contenu incombe à l’ETA Benoit HOUARD, qui est en demande.

Or, si la réalité de la relation contractuelle entre les parties au présent litige n'est pas contestée par la société ROSENTRITT, les parties sont clairement en opposition sur le contenu de la prestation qui incombait à l’ETA Benoit HOUARD.

Il convient à ce stade de préciser qu'aux termes d'un contrat de prestation de travaux agricoles, le prestataire s'engage, moyennant rémunération, à exécuter de manière indépendante au profit de son client un travail déterminé et défini avec précision.

Le prix de la prestation de services est généralement fixé en fonction de la nature des travaux et non pas des heures de travail.

En l'espèce, la société ROSENTRITT conteste à la fois le mode de facturation forfaitaire et la qualité des prestations effectuées.

S'agissant de la preuve du contenu, si les factures établies unilatéralement par l’ETA Benoit HOUARD ne suffisent pas à cette démonstration, leur lecture permet de constater certains faits non contestés par la société ROSENTRITT.

Ainsi, de manière générale, la société ROSENTRITT ne justifie pas d'une quelconque réclamation auprès de l’ETA Benoit HOUARD, notamment concernant le mode de rémunération forfaitaire de cette dernière, après l'émission des premières factures les 31 décembre 2018 pour 33.400 euros, 1er juillet 2019 pour 16.560 euros et 9 octobre 2019 pour 28.320 euros, alors même que celles-ci intitulées “acompte pour travaux récolte” et “solde travaux récolte” ne détaillaient ni les prestations réalisées ni le nombre d'heures effectuées.

Sa première contestation n'a été émise que par lettre recommandée du 17 juin 2020 dans laquelle elle indique qu'elle ne conteste pas avoir fait appel à l’ETA Benoit HOUARD mais lui reproche de ne détailler ni les travaux réalisés ni le nombre d'heures effectuées et surtout, fait état d'une perte de récolte résultant d'un défaut d'épandage d'engrais et d'insecticides.

Si, en application de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, l'article 10 du même code prévoit que le juge dispose, quant à lui, du pouvoir d'ordonner d'office toutes mesures d'instruction légalement admissibles.

Il résulte des dispositions de l'article 143 du même code, que les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d'office, être l'objet de toute mesure d'instruction légalement admissible.

Par ailleurs, l'article 232 du code de procédure civile dispose que le juge peut commettre toute personne de son choix pour l'éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien.

En l'espèce, compte tenu de la complexité des éléments du dossier, il apparaît nécessaire d'ordonner une expertise judiciaire afin de permettre d'apprécier la cohérence du prix mentionné dans la facture du 10 janvier 2020 au regard des trois factures dont la société ROSENTRITT s'est acquittée au cours de l'année 2019, d'examiner les travaux d'automne effectuée à la fin de l'année 2019 et de donner son avis sur la qualité de ceux-ci et, le cas échéant, sur les préjudices pouvant résulter d'une exécution défectueuse des travaux.

La provision des frais d'expertise doit être mis par moitié à la charge de chacune des parties à la présente instance.

Dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise, il convient de surseoir à statuer sur l'ensemble des demandes et de réserver les dépens de l'instance.

Enfin, il y a lieu de rappeler que selon les dispositions de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

Le présent jugement est donc assorti de l'exécution provisoire de plein droit.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant par mise à disposition au greffe, publiquement, par jugement contradictoire avant dire droit,

- SURSOIT à statuer sur l'ensemble des demandes jusqu’au dépôt du rapport d’expertise ;

- ORDONNE une expertise confiée à Monsieur [G] [X], expert près la cour d'appel de VERSAILLES, demeurant [Adresse 3] ; Port. : [XXXXXXXX01] ; Mèl : [Courriel 5] qui aura pour mission de :

- convoquer les parties et prendre connaissance des pièces du dossier,

- procéder au contradictoire des parties à une visite détaillée des lieux,

- se faire remettre tous documents utiles,

- déterminer l'étendue et le contenu de la mission confiée à l’ETA HOUARD par l’EARL ROSENTRITT devenue SCEA ROSENTRITT,

- décrire l’ensemble des prestations réalisées par l’ETA HOUARD sur les terres exploitées par l’EARL ROSENTRITT devenue SCEA ROSENTRITT, ainsi que les périodes de réalisation,

- donner son avis sur la cohérence du prix mentionné dans la facture du 10 janvier 2020 au regard des trois factures émises le 31 décembre 2018 pour la somme de 33.400 euros, 1er juillet 2019 pour la somme de 16.560 euros et 9 octobre 2019 pour la somme de 28.320 euros,

- donner son avis sur l’opportunité des travaux réalisés et les conséquences éventuelles sur la future récolte,

- chiffrer, le cas échéant, le préjudice lié aux pertes de récoltes subies par l’EARL ROSENTRITT,

- entendre le cas échéant tous sachants,

- Faire toutes observations ou précisions qu'il jugerait utiles à la solution du présent litige, et notamment fournir tous éléments techniques et de fait de nature à déterminer les responsabilités encourues et évaluer les préjudices subis,

- Adresser aux parties un pré-rapport en les invitant à formuler leurs dires et observations dans un délai raisonnable, et y répondre expressément dans son rapport définitif,

- Dresser un rapport définitif de ses opérations,

- FIXE à la somme de 2.000 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, que l’EARL ROSENTRITT, devenue la SCEA ROSENTRITT et l’Entreprise de travaux agricole (ETA) BENOIT HOUARD, devront consigner, chacune par moitié, à la Régie du Tribunal Judiciaire de Versailles avant le 15 mars 2024 à peine de caducité de la désignation de l'expert;

- DIT que l'expert devra adresser aux parties un document de synthèse de ses opérations, leur impartir un délai pour lui adresser leurs dires, y répondre et déposer au greffe de ce tribunal son rapport écrit, accompagné de sa demande de rémunération, et ce, dans les huit mois de sa saisine ;

- DIT que l’expert devra adresser à chacune des parties, par tout moyen permettant d’en établir la réception, un exemplaire de son rapport accompagné de sa demande de rémunération ;

- DIT que dans le délai de quinze jours suivant la réception de la demande de rémunération, les parties pourront adresser à l’expert et au juge chargé de contrôler l’exécution des mesures d’instruction leurs observations écrites aux fins de fixation de la rémunération de l’expert ;

- DIT qu’en cas d’observations écrites sur sa demande de rémunération, l’expert disposera d’un délai de quinze jours à compter de la réception de celles-ci pour formuler contradictoirement ses observations en réponse ;

- DIT que les opérations d’expertise seront exécutées sous le contrôle du juge chargé de contrôler l’exécution des mesures d’instruction, désigné conformément aux dispositions de l’article 155-1 du code de procédure civile ;

- SURSOIT à statuer sur le surplus des demandes jusqu'au dépôt du rapport d'expertise au greffe,

- ORDONNE le retrait du rôle ;

- RÉSERVE les dépens ;

Prononcé par Madame LUNVEN, Vice-Présidente, assistée de Madame SOUMAHORO greffier, lesquelles ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Versailles
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 22/00715
Date de la décision : 08/03/2024
Sens de l'arrêt : Désigne un expert ou un autre technicien

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-08;22.00715 ?
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