La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/05/2024 | FRANCE | N°20/02815

France | France, Tribunal judiciaire de Valenciennes, Première chambre, 16 mai 2024, 20/02815


N° RG 20/02815 - N° Portalis DBZT-W-B7E-FKVD



TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VALENCIENNES


PREMIERE CHAMBRE CIVILE
Affaire n° N° RG 20/02815 - N° Portalis DBZT-W-B7E-FKVD
N° minute : 24/92
Code NAC : 30B
JPO/NR/AFB


LE SEIZE MAI DEUX MIL VINGT QUATRE



DEMANDERESSE

SNC BF DEVELOPPEMENT, Société en nom collectif, dont le siège social est sis [Adresse 5], immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le n°498 858 166, agissant poursuites et diligences de son représentant légal
représentée par Maît

re Florence MAS de la SCP MARCHAL & ASSOCIES, avocats au barreau de LILLE, avocats plaidant


DÉFENDERESSE

EURODIF, Société par...

N° RG 20/02815 - N° Portalis DBZT-W-B7E-FKVD

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VALENCIENNES

PREMIERE CHAMBRE CIVILE
Affaire n° N° RG 20/02815 - N° Portalis DBZT-W-B7E-FKVD
N° minute : 24/92
Code NAC : 30B
JPO/NR/AFB

LE SEIZE MAI DEUX MIL VINGT QUATRE

DEMANDERESSE

SNC BF DEVELOPPEMENT, Société en nom collectif, dont le siège social est sis [Adresse 5], immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le n°498 858 166, agissant poursuites et diligences de son représentant légal
représentée par Maître Florence MAS de la SCP MARCHAL & ASSOCIES, avocats au barreau de LILLE, avocats plaidant

DÉFENDERESSE

EURODIF, Société par actions simplifiée immatriculée au Registre du Commerce et des Socétés de PARIS sous le n° B 408 772 101, dont le siège social est sis [Adresse 4], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
représentée par Maître Cédric BLIN de la SELARL BLIN, avocat au barreau de VALENCIENNES, avocats postulant, Maître Antoine HINFRAY de FORESTIER &HINFRAY SCP D’AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant

* * *

Jugement contradictoire, les parties étant avisées que le jugement sera prononcé le 23 Mars 2023 par mise à disposition au greffe puis prorogé à plusieurs reprises jusqu’à ce jour, et en premier ressort par Monsieur Jean-Philippe OTT, Vice-Président, assisté de Madame Anne Françoise BRASSART, Adjoint Administratif faisant fonction de Greffier.

Débats tenus à l'audience publique du 02 Février 2023 devant Monsieur Jean-Philippe OTT, Vice-Président statuant en Juge Unique, par application des articles 801 à 805 du Code de Procédure Civile, avis préalablement donné aux avocats, assisté de Madame Laure HASDENTEUFEL, Greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte authentique du 26 janvier 1956, M. [R] [Y] a donné à bail à M. [X] [L] une partie des locaux d’un immeuble situé à [Adresse 11], ainsi désignée :
« A. Parties à usage de commerce
Au sous-sol : le garage contigu à l’immeuble des consorts [A] et ayant sa sortie sur la cour commune de l’Ilôt.
Les deux caves bordant le fond des deux garages dépendant de l’immeuble de M. [Y].
Au rez-de-chaussée : le magasin.
Au premier étage : le local couvrant le magasin.
Etant précisé que les corridors et escaliers communs de l’immeuble ne pourront être utilisés pour l’accès du public et les déplacements de marchandises, les parties commerciales ci-dessus ayant leur accès indépendant.
B. Parties à usage d’habitation
L’appartement du quatrième étage (sous combles) comprenant trois pièces, cuisine et cabinet de toilette.
Au sous-sol : la cave de milieu donnant sur [Adresse 8]. »

Par actes authentiques des 30 juin et 7 juillet 1965, M. [L] a cédé à la société Douaisienne des Anciens Magasins Aux Fabriques Françaises son droit au bail pour la période restant à courir, soit du 1er juillet 1965 au 1er février 1968. Ce droit au bail était relatif aux parties commerciales.

Suivant acte sous-seing privé du 8 mai 1967, le bail du 26 janvier 1956 partiellement cédé à la société Douaisienne des Anciens Magasins Aux Fabriques Françaises, a été renouvelé pour une durée de neuf années à compter du 1er février 1968, moyennant un loyer de 13 800 francs par an.

Par actes sous-seing privés des 15 janvier et 26 février 1971, Madame [W] [Y] épouse de M. [R] [Y] a notamment autorisé la société Douaisienne des Anciens Magasins Aux Fabriques Françaises à percer les murs des locaux qu’elle occupe à [Localité 10] au [Adresse 3], en vue de les faire communiquer avec les locaux de l’immeuble voisin contigu au 15/17, aux seuls niveaux du rez-de-chaussée et 1er étage.
La société Douaisienne des Anciens Magasins Aux Fabriques Françaises s’est engagée à ce titre à payer au propriétaire une indemnité annuelle de 2 000 francs indexée triennalement.

Suivant un acte sous-seing privé du 27 décembre 2005, Mme [W] [Y], M. [B] [Y], M. [D] [Y], Mme [V] [N] et Mme [I] [N] («consorts [Y] et [N] ») ont signé avec la SAS Eurodif venant aux droits de la société Douaisienne des Anciens Magasins Aux Fabriques Françaises un avenant au renouvellement du bail.

Par cet avenant, les parties ont convenu que le bail du 26 janvier 1956 renouvelé à plusieurs reprises, était à nouveau renouvelé pour une période de neuf années ayant commencé à courir à compter du 1er janvier 2005 pour finir le 31 décembre 2013. Le loyer annuel était fixé à la somme de 22 978,37 euros HT à compter du 1er janvier 2005. Les autres clauses et conditions du bail du 26 janvier 1956 demeuraient inchangées.

Par acte authentique du 18 juillet 2007, les consorts [Y] et [N] ont vendu à la SNC BF Développement l’immeuble à usage de commerce et d’habitation situé à [Localité 10] aux [Adresse 2] comprenant au sous-sol 5 caves et 2 garages, à l’entresol et au premier étage un commerce, au 2ème étage un appartement, au 3ème étage un appartement, au 4ème étage un appartement, le tout cadastré section [Cadastre 7], lieudit « [Adresse 1] », outre la copropriété indivise à concurrence de 67/1000émes de la cour bordant en fond de l’immeuble vendu, ladite cour étant cadastrée section [Cadastre 6] [Adresse 9] ».

Par acte d’huissier du 21 juin 2013, la SNC BF Développement a délivré un congé avec offre de renouvellement à la SAS Eurodif à effet du 1er janvier 2014 moyennant un loyer annuel en principal de 100 000 euros.

La procédure en fixation du loyer de renouvellement

Le 2 mars 2016, la SNC BF Développement a attrait la SAS Eurodif devant le juge des loyers commerciaux près le tribunal de grande instance de Valenciennes aux fins notamment de voir fixer le loyer de renouvellement en principal à la somme de 100 000 euros HT.

Suivant jugement du 8 novembre 2016, le juge des loyers commerciaux a débouté la SNC BF Développement de ses demandes et fixé à la somme de 29 688,70 euros HT et hors charges le montant du loyer du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2014, les autres clauses et conditions du bail du 27 décembre 2005 demeurant inchangées.

La SNC BF Développement a interjeté appel de ce jugement.

Par un arrêt du 5 avril 2018, la Cour d’appel de Douai a infirmé le jugement, désigné M. [J] [P] en qualité d’expert avec pour mission notamment de donner son avis sur la valeur locative des lieux loués au sens de l’article L. 145-33 du code de commerce et a renvoyé l’affaire devant le juge des loyers près le tribunal de grande instance de Valenciennes.

Le 26 février 2019, M. [P] a déposé son rapport. L’expert a constaté une amélioration notable de la commercialité durant la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2013 et a considéré notamment que la valeur locative au 1er janvier 2014 était de 51 600 euros HT et hors charges par an, à laquelle s’ajoutait l’indemnité fixée par l’avenant autorisant le percement, valorisée en février 2007 à 1 229,75 euros.

Suivant un jugement du 25 février 2020 , le juge des loyers commerciaux près le tribunal judiciaire de Valenciennes a débouté la SNC BF Développement de l’ensemble de ses demandes et fixé à la somme de 29 688,70 euros HT et hors charges le montant annuel du loyer du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2014.

La SNC BF Développement a interjeté appel de ce jugement.

Par acte d’huissier du 29 juin 2021, la SAS Eurodif a exercé son droit d’option au visa de l’article L. 145-57 du code de commerce, renonçant ainsi à son droit au renouvellement du bail.

La SAS Eurodif a quitté les lieux loués au 15 juillet 2021.

Par un arrêt du 19 mai 2022, la Cour d’appel de Douai a :

Réformé le jugement entrepris et statuant à nouveau ; Constaté que l’option exercée par le preneur a mis fin à l’instance d’appel et a privé d’objet également la première instance ;Condamné la SAS Eurodif à l’ensemble des frais taxables et aux frais exposés par la SNC BF Développement pour sa défense en justice et non compris dans les dépens ;En conséquence,
Condamné la SAS Eurodif aux entiers dépens de première instance et d’appel en ce compris le coût du rapport d’expertise judiciaire ;Condamné la SAS Eurodif à rembourser intégralement à la SNC BF Développement, le montant du coût qu’elle a supporté pour l’obtention du rapport amiable de M. [S], ce coût devant être justifié par la facture acquittée émise par ce technicien ;Condamné la SAS Eurodif à rembourser intégralement à la SNC BF Développement, dans la limite de 15 000 euros, les frais d’avocat qu’elle a exposés en première instance et en appel et dit que ces frais d’avocat seront justifiés par la production des factures acquittées émises par les conseils qui les auront encaissés ;Rejeté les prétentions plus amples ou contraires des parties.
La situation de loyers impayés

Dans le cadre de la crise sanitaire liée au Covid 19, le gouvernement français a pris un ensemble de mesures à compter du 15 mars 2020 aux fins d’enrayer la pandémie. Il a notamment été décidé de la fermeture des commerces non essentiels à la vie de la Nation du 15 mars au 10 mai 2020.

Le magasin Eurodif est resté fermé dans ce cadre durant 57 jours.

La SAS Eurodif n’ayant pas réglé l’ensemble de ses loyers, la SNC BF Développement lui a enjoint le 23 avril 2020, de régulariser sa situation comptable.

Par courrier du 13 mai 2020, la SAS Eurodif a indiqué à la SNC BF Développement qu’elle suspendait le paiement des loyers pour la période du 16 mars au 10 mai 2020 compte tenu notamment de l’interdiction de recevoir du public dans son établissement.

La SNC BF Développement a mis en demeure la SAS Eurodif suivant courrier en recommandé parvenu à sa destinataire le 28 mai 2020, de régulariser sa situation impayée.

La procédure devant la juridiction de céans

Par acte d’huissier du 12 octobre 2020, la SNC BF Développement a attrait la SAS Eurodif devant le tribunal judiciaire de Valenciennes aux fins de voir, sur le fondement des articles 1104 et 1221 et suivants du code civil :

Déclarer la demande de la SNC BF Développement recevable et bien fondée, et, en conséquence ;Condamner la SAS Eurodif à lui payer la somme de 5 015,41 euros TTC en principal, assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2020, date d’exigibilité de ladite somme ;Condamner la SAS Eurodif à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;Condamner la SAS Eurodif à lui payer, en cas de recouvrement forcé des condamnations mises à sa charge par la décision à intervenir, le droit proportionnel de l’huissier en application de l’article A 444-32 du code de commerce ;Condamner la SAS Eurodif aux entiers dépens.
La SAS Eurodif a constitué avocat.

La SAS Eurodif ayant, au cours de la procédure initiée par le bailleur pour loyers impayés, exercé son droit d’option en renonçant à son droit au renouvellement au bail et ayant quitté les lieux loués le 15 juillet 2021, les demandes des parties ont évolué à ce titre.

Par conclusions en réplique n°3 signifiées par RPVA en date du 22 décembre 2022 et déposées par son conseil, auxquelles il est fait référence pour l'exposé et le détail de l'argumentation, la SNC BF Développement sollicite désormais de voir, sur le fondement des articles 1103 du code civil et L. 145-57 du code de commerce :

Déclarer la demande de la SNC BF Développement recevable et bien fondée ;Constater que la SAS Eurodif est occupante sans titre à compter du 1er janvier 2014 par l’effet du droit d’option exercé le 29 juin 2021 ;En conséquence,
A titre principal,
Condamner la SAS Eurodif à lui payer la somme de 663 451,88 euros TTC en principal en règlement des indemnités d’occupation sur la période du 1er janvier 2014 au 15 juillet 2021 ;
A titre subsidiaire,
Condamner la SAS Eurodif à lui payer la somme de 225 461,88 euros TTC en principal en règlement des indemnités d’occupation sur la période du 1er janvier 2014 au 15 juillet 2021 ;En toute hypothèse,
Condamner la SAS Eurodif à lui payer la somme de 9 646,30 euros TTC (sauf mémoire) au titre de la remise en état des locaux ;Condamner la SAS Eurodif à lui payer la somme de 14 547,73 euros en règlement des sommes dues au titre des périodes d’interdiction de recevoir du public de son établissement ;Condamner la SAS Eurodif à lui payer la somme de 11 553,66 euros en remboursement des frais de conseil dans la procédure en fixation du loyer de renouvellement ;Condamner la SAS Eurodif à lui payer la somme de 8 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;Condamner la SAS Eurodif à lui payer, en cas de recouvrement forcé des condamnations mises à sa charge par la décision à intervenir, le droit proportionnel de l’huissier en application de l’article A 444-32 du code de commerce ;Condamner la SAS Eurodif aux dépens.
La SNC BF Développement fait valoir que la défenderesse est redevable d’une indemnité d’occupation pour la période postérieure à la date d’expiration du bail à renouveler puisqu’elle a renoncé au renouvellement du bail en exerçant son droit d’option. Elle précise à ce titre que l’indemnité d’occupation n’est pas fixée à la valeur locative définie à l’article L. 145-33 du code de commerce puisque le droit d’option a été exercé par le preneur. Elle ajoute qu’en ce cas, l’indemnité d’occupation est fixée au prix du marché.

A titre principal, elle fait valoir que si le rapport de M. [P] permet de fixer le quantum de l’indemnité d’occupation, la pondération des surfaces et les prix couramment pratiqués dans le voisinage figurant au rapport doivent être remis en question. Elle indique sur ce point que l’examen du rapport d’expertise du 28 avril 2003 justifie qu’une surface pondérée des locaux de 211 m² soit retenue. Elle précise, s’agissant des prix couramment pratiqués dans le voisinage, que les conclusions de l’expert amiable, M. [S], comparées aux conclusions de M. [P] mettent en lumière une valeur locative médiane de 415 € HT et hors charges par m² et par an.
Elle fait valoir qu’il y a lieu de tenir compte pour la fixation de la valeur locative des locaux, de plusieurs dispositions figurant au bail qui bénéficient au preneur et qui ne figurent pas généralement dans les autres baux. Elle indique ainsi pour la répartition des charges, que celle-ci est en l’espèce conforme à la majorité des baux sur le secteur tout en soulignant que le locataire n’avait pas à charge le remboursement de l’assurance du bailleur. Elle précise que la destination du bail « tous commerces » constitue un réel avantage pour le preneur et que cela justifie un coefficient de revalorisation de 10 %. Elle expose par ailleurs que la clause de révision n’est pas automatique et n’est que triennale si bien que cela confère un avantage certain pour le preneur dont le loyer n’est révisé que tous les trois ans et à condition que le bailleur initie une telle procédure. Elle indique encore que le preneur bénéficie d’une autorisation de percement pour l’exploitation d’un seul magasin au sein de locaux appartenant à deux propriétaires différends et d’un avantage financier en découlant avec une seule indemnité spécifique à verser qui représente environ 5 % du loyer initial. Elle fait valoir que de l’ensemble de ces dispositions contractuelles, il y a lieu d’appliquer un coefficient de revalorisation minimal de 15 % à la valeur locative médiane découlant des rapports d’expertise.

A titre subsidiaire, elle indique que le rapport d’expertise du 26 février 2019 de M. [P] a fixé une valeur locative qu’il convient de retenir pour fixer le quantum de l’indemnité d’occupation.

Elle fait ensuite valoir que la SAS Eurodif est tenue de lui régler le différentiel entre l’indemnité d’occupation et le loyer acquitté puisqu’en sa qualité de preneur, elle est déchue rétroactivement de son titre d’occupation par l’effet de son droit d’option.

Elle expose ensuite qu’elle justifie par ailleurs que la SAS Eurodif n’était pas à jour de ses paiements à la date du droit d’option et que cette somme est due peu importe la fixation du montant de l’indemnité d’occupation. Elle précise que la défenderesse n’est pas fondée à lui opposer la force majeure et l’exception d’inexécution pour se soustraire à son obligation de paiement à la lumière notamment des arrêts de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation du 30 juin 2022. Elle indique ainsi que la crise sanitaire ne constitue pas un évènement de force majeure dispensatoire de paiement du loyer. Elle ajoute qu’en sa qualité de bailleur, elle n’a pas manqué à son obligation de délivrance et de jouissance paisible des locaux pendant la crise sanitaire. Elle fait encore valoir qu’il n’y a pas eu de destruction partielle définitive des locaux si bien que les dispositions de l’article 1722 du code civil sont inapplicables à l’interdiction de recevoir du public dans l’immeuble lié à la crise sanitaire.
Elle indique qu’en tout état de cause, les moyens ainsi soulevés par la SAS Eurodif ne sont pas applicables à une indemnité d’occupation puisqu’elle rappelle que la société défenderesse, rétroactivement déchue de son titre d’occupation, était occupante sans titre depuis le 1er janvier 2014.

S’agissant des frais, elle fait valoir ensuite qu’ayant exercé son droit d’option, la SAS Eurodif est redevable des frais engagés par le destinataire du droit d’option. Elle précise qu’il y a lieu de tenir compte du quantum de la condamnation aux frais irrépétibles prononcée par la Cour d’appel le 19 mai 2022.

S’agissant de sa demande au titre des frais de remise en état des locaux, elle indique enfin qu’elle justifie que plusieurs désordres ont été relevés à la suite de la libération des locaux par la SAS Eurodif.

Par conclusions signifiées par RPVA en date du 15 avril 2022 et déposées par son conseil à l’audience, auxquelles il est fait référence pour l'exposé et le détail de l'argumentation, la SAS Eurodif sollicite de voir :

La recevoir en ses demandes ;

Fixer l’indemnité d’occupation due par elle à compter du 1er janvier 2014 à la somme annuelle en principal de 42 336 euros HT, soit 50 803,20 euros TTC ou, à titre subsidiaire, à la somme annuelle en principal de 46 569 euros HT, soit 55 882,80 euros TTC ;Dire que pour la période du 1er janvier 2014 au 15 juillet 2021, la SAS Eurodif sera débitrice, au titre des compléments d’indemnité d’occupation, de la somme de 141 592,68 euros TTC ou encore, à titre subsidiaire, de celle de 179 901,33 euros ;Juger que la SAS Eurodif n’est pas débitrice des loyers/indemnités d’occupation et des charges pendant les périodes de fermeture administrative échues du 15 mars 2020 au 10 mai 2020 puis du 29 octobre au 28 novembre 2020 et enfin du 20 mars au 19 mai 2021 ;Donner acte à la SAS Eurodif qu’elle ne s’oppose pas aux demandes de la SNC BF Développement au titre des travaux de remise en état ;Accorder un délai de 24 mois à compter du jugement devenu définitif à la SAS Eurodif pour s’acquitter des sommes demeurant à sa charge ;Débouter la SNC BF Développement de toutes ses demandes ;Dire n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile et de l’article L. 145-57 du code de commerce.
La SAS Eurodif fait valoir en premier lieu que l’option prise par elle rétroagit à la date de l’expiration du bail et qu’elle est débitrice d’une indemnité d’occupation entre cette date et la date du droit d’option. Elle soutient que la fixation de cette indemnité est soumise aux règles statutaires si bien qu’elle doit correspondre à la valeur locative définie par l’article L. 145-33 du code de commerce.
Elle fait valoir que le rapport de M. [P] est applicable en l’espèce puisque l’expert judiciaire avait pour mission de rechercher la valeur locative au 1er janvier 2014, date d’expiration du précédent bail.
S’agissant du quantum de la surface pondérée, elle indique que le calcul effectué par M. [P] qui en avait la mission dans le cadre de son expertise judiciaire peut être retenu sans que ne puisse être opposé un précédent rapport ayant pour objet la fixation du loyer au 1er février 1995 puisqu’aucune autorité de chose jugée ne s’attache aux décisions antérieures en matière notamment de pondération des surfaces.
S’agissant de la valeur locative unitaire, elle fait valoir que l’exclusion de la référence au bail de Foot Locker par l’expert M. [P] est justifiée puisque le loyer de cette enseigne ne correspondait pas à un prix couramment pratiqué dans le voisinage.
Elle fait ensuite valoir que la majoration de 15 % complémentaire sollicitée par la SNC BF Développement n’est pas justifiée. Elle expose à ce titre que la révision triennale constitue la norme légale si bien qu’il ne peut s’agir d’un facteur de majoration de la valeur locative. Elle indique ensuite que l’autorisation de percement fait déjà l’objet d’une contrepartie financière spécifique de sorte qu’elle ne peut être valorisée une seconde fois. Elle soutient encore que l’éventuel avantage de la large destination contractuelle se compense avec des clauses exorbitantes pesant sur le preneur (impôt foncier, 3/5ème des charges de copropriété).

Elle souligne par ailleurs que l’expert amiable de la SNC BF Développement a retenu une valeur locative bien moindre que celle sollicitée par le bailleur. Elle précise en tout état de cause que l’expertise amiable ne revêt pas un caractère contradictoire et que les références prises par cet expert correspondent aux meilleures localisations sans avoir ensuite appliqué de correctif.
Elle soutient que le rapport de M. [P] comporte toutefois des références anciennes relatives à de nouvelles installations si bien qu’elles ne sont pas le reflet de la valeur locative au 1er janvier 2014. Elle précise que le rapport du conseil municipal de la ville met en exergue une forte dégradation de la commercialité. Elle fait valoir que M. [P] n’a pas pris en considération la liste des offres de commercialisation communiquée par ses soins alors que ce document permet d’illustrer que la valeur locative retenue par l’expert est élevée et éloignée de ces offres. Elle fait ainsi valoir que la méthode de fixation de la valeur unitaire doit prendre en considération ces offres.

S’agissant de la demande d’annulation des loyers et des charges pendant la période de confinement, elle fait valoir que les moyens relatifs à la force majeure, à l’exception d’inexécution et à la destruction partielle de la chose louée s’appliquent en l’espèce à l’indemnité d’occupation puisque l’option est légalement prévue par l’article L. 145-57 du code de commerce. Elle précise que l’occupation entre la date d’expiration du bail et l’exercice de l’option est légale si bien qu’elle ne peut être considérée comme étant sans droit ni titre.
Elle fait valoir que la période de fermeture administrative a constitué pour elle une destruction partielle et temporaire de la chose louée justifiant une diminution du loyer annuel. Elle indique ensuite que la fermeture administrative des commerces non essentiels à la vie de la Nation a empêché le bailleur de satisfaire à son obligation de jouissance paisible si bien que le loyer n’était pas dû pour cette période. Elle précise qu’elle n’a pas pu alors accueillir du public si bien qu’elle n’a pas été en mesure d’exploiter les locaux conformément à leur destination contractuelle. Elle indique par ailleurs qu’au regard de la théorie des risques, son obligation de payer est devenue sans cause puisque le bailleur n’a pas exécuté son obligation réciproque de jouissance paisible.
Elle fait encore valoir que la pandémie a constitué un évènement irrésistible constitutif de force majeure. Elle expose qu’il existe un lien de causalité entre l’impossibilité d’exploiter à raison de la fermeture administrative et le défaut de paiement des loyers. Elle précise encore que la force majeure ne peut être écarter pour les obligations de paiement puisque les dispositions légales ne prévoient pas une telle exclusion.

S’agissant des frais de remise en état des locaux, elle fait valoir qu’elle ne conteste pas la demande en paiement formulée par la demanderesse à ce titre.
S’agissant des frais d’instance, elle indique que la demanderesse ne justifie pas de ses demandes qu’elle a par ailleurs déjà formulées devant la Cour d’appel de Douai dont le délibéré est fixé au 5 mai 2022. Elle souligne l’attitude procédurière de la SNC BF Développement qui l’a conduite à exercer son option.

Au soutien de sa demande de délais de paiement, elle fait enfin valoir que sa situation économique est fragile depuis plusieurs années. Elle précise sur ce point qu’elle a été contrainte de procéder avant même la crise sanitaire à une restructuration financière conséquente. Elle expose qu’à la suite de la crise sanitaire et des difficultés rencontrées par le secteur de l’habillement, elle a été contrainte de fermer son magasin de [Localité 10].

La clôture de la procédure a été ordonnée le 26 janvier 2023.

L’affaire a été fixée pour être plaidée à juge unique à l'audience du 2 février 2023.

La décision a été mise en délibéré au 23 mars 2023 et prorogée à plusieurs reprises en raison de la charge de travail du magistrat ayant tenu l’audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

SUR LA RECEVABILITÉ DE LA DEMANDE EN PAIEMENT AU TITRE DES FRAIS DE CONSEIL EXPOSÉS DANS LA PROCÉDURE EN FIXATION DU LOYER DU RENOUVELLEMENT

Aux termes de l'article 125 alinéa 2 du code de procédure civile, le juge peut relever d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée.

L'article 1355 du code civil dispose que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

L’article L. 145-57 alinéa 2 du code de commerce prévoit notamment que dans le délai d'un mois qui suit la signification de la décision définitive, les parties dressent un nouveau bail dans les conditions fixées judiciairement, à moins que le locataire renonce au renouvellement ou que le bailleur refuse celui-ci, à charge de celle des parties qui a manifesté son désaccord de supporter tous les frais.

En l'espèce, l’arrêt de la Cour d’appel de Douai du 19 mai 2022 a notamment condamné la SAS Eurodif, compte tenu de sa renonciation du 29 juin 2021 :
Aux dépens de première instance et d’appel en ce qui compris le coût du rapport d’expertise judiciaire,Au remboursement intégral du montant supporté par le bailleur pour l’obtention du rapport amiable de M. [S], ce coût devant être justifié par la facture acquittée émise par ce technicien ;

Au remboursement intégral, dans la limite de 15 000 euros, des frais d’avocat exposés par le bailleur en première instance et en appel, précisant que ces frais d’avocat seront justifiés par la production des factures acquittées émises par les conseils qui les auront encaissés.
La SNC BF Développement qui justifie de factures d’honoraires d’avocat pour la période du 19 juin 2013 au 7 mars 2022 à hauteur d’une somme TTC totale de 26 553,66 euros, sollicite le règlement de la somme de 11 553,66 euros TTC au titre du différentiel entre la somme exposée par elle au titre des frais d’avocat et la somme accordée par la Cour d’appel à ce titre.

Toutefois, à l'examen de l’arrêt et en application du principe d'ordre public de l'autorité de la chose jugée, la SNC BF Développement est irrecevable en sa demande de paiement au titre des frais de conseil exposés dans la procédure en fixation du loyer de renouvellement.

SUR LA DEMANDE EN PAIEMENT AU TITRE DE L’INDEMNITÉ D’OCCUPATION

L’article L. 145-57 du code de commerce dispose que pendant la durée de l'instance relative à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, le locataire est tenu de continuer à payer les loyers échus au prix ancien ou, le cas échéant, au prix qui peut, en tout état de cause, être fixé à titre provisionnel par la juridiction saisie, sauf compte à faire entre le bailleur et le preneur, après fixation définitive du prix du loyer.
Dans le délai d'un mois qui suit la signification de la décision définitive, les parties dressent un nouveau bail dans les conditions fixées judiciairement, à moins que le locataire renonce au renouvellement ou que le bailleur refuse celui-ci, à charge de celle des parties qui a manifesté son désaccord de supporter tous les frais. Faute par le bailleur d'avoir envoyé dans ce délai à la signature du preneur le projet de bail conforme à la décision susvisée ou, faute d'accord dans le mois de cet envoi, l'ordonnance ou l'arrêt fixant le prix ou les conditions du nouveau bail vaut bail.

En l’espèce, la SAS Eurodif a signifié le 29 juin 2021 à la SNC BF Développement qu’elle renonçait au renouvellement du bail. La SAS Eurodif a par conséquent exercé son droit d’option conformément aux dispositions légales précitées.
Il n’est pas contesté que la SAS Eurodif a quitté les lieux le 15 juillet 2021.

Dans la mesure où la décision de se rétracter rétroagit, la SAS Eurodif, locataire, est devenue occupante des locaux sans titre à compter de la date d’expiration du bail et est ainsi redevable d’une indemnité d’occupation.

Il ressort de l’avenant signé le 27 décembre 2005 entre les consorts [Y], [N] et la SAS Eurodif que les parties ont entendu renouveler le bail initialement signé le 26 janvier 1956 pour une nouvelle période de neuf années ayant commencé à courir au 1er janvier 2005 pour se finir le 31 décembre 2013. Le loyer annuel était fixé à la somme de 22 978,37 euros HT à compter du 1er janvier 2005.
Il s’en déduit que la période relative à l’indemnité d’occupation court du 1er janvier 2014 au 15 juillet 2021.

Sur la fixation du quantum de l’indemnité d’occupation

Aux termes de l’article L. 145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.
À défaut d’accord, cette valeur est déterminée d’après :
Les caractéristiques du local considéré ;La destination des lieux ;Les obligations respectives des parties ;Les facteurs locaux de commercialité ;Les prix couramment pratiqués dans le voisinage ;Un décret en Conseil d’Etat précise la consistance de ces éléments.
L’indemnité d’occupation due par le locataire pour la période ayant précédé l’exercice de son droit d’option trouve son origine dans l’application de l’article L. 145-57 précité du code de commerce.
Il s’agit d’une indemnité d’occupation statutaire. A défaut de convention contraire, cette indemnité doit être fixée à la valeur locative déterminée selon les critères de l’article L. 145-33 du code de commerce.
Lorsque le locataire se maintient dans les lieux après l’exercice de son droit d’option, il est redevable d’une indemnité d’occupation de droit commun.
En l’espèce, il est communiqué un rapport d’expertise judiciaire de M. [C] qui s’inscrit dans le cadre d’une procédure antérieure initiée par le bailleur et pour laquelle le juge des loyers près le tribunal de grande instance de Valenciennes avait, suivant jugement du 30 mars 2010, ordonné une expertise aux fins, notamment, de donner son avis sur la valeur locative des lieux loués à la date du renouvellement du bail. L’expert a évalué la valeur unitaire locative à fin janvier 2008 à 335 euros par m² pour une surface pondérée de 138 m². Il était précisé que l’indemnité annuelle d’autorisation de percement de murs était à déduire.
La valeur proposée est toutefois relative à une période ancienne puisqu’elle concerne le début d’année 2008 soit 6 années avant la période pour laquelle l’indemnité d’occupation doit être fixée.
S’agissant du rapport de M. [S], expert amiable missionné par le bailleur, il est retenu une surface pondérée de 139 m². Cet expert après étude, a retenu une valeur unitaire locative au 1er janvier 2014 de 420 euros HT par m². M. [S] a majoré cette valeur unitaire de 1,15 % considérant :
Que la répartition des charges est conforme à la majorité des baux sur le secteur avec la taxe foncière remboursée par le locataire. En l’espèce, il n’y a pas de remboursement de l’assurance du bailleur ;La destination est tous commerces, ce qui représente un avantage ;La clause de révision est triennale et n’a pas de caractère automatique. M. [S] a précisé que la valeur comprenait l’indemnité pour autorisation de percement.
Si un tel rapport d'expertise amiable doit être effectivement pris en compte, dès lors qu'il a été régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties, le juge ne peut se fonder exclusivement sur une telle expertise non judiciaire, réalisée à la demande de l'une des parties.

Le rapport d’expertise judiciaire de M. [P] a fixé une valeur locative également à la date du 1er janvier 2014.
M. [P] a retenu une surface pondérée de 129 m². Après comparaison des locaux de surface pondérée voisine, l’expert a fixé à une moyenne générale de 410 euros le m² HT et hors charges. Compte tenu d’un écart de prix trop important du m² appliqué à l’enseigne Foot Loocker, il a écarté ce site et fixé en conséquence une valeur unitaire locative moyenne de 369 euros le m² HT et hors charges.
M. [P] a retenu une destination du bail en l’espèce plus favorable par rapport aux termes de comparaison qui étaient des baux spécialisés ou assimilés. Il a appliqué un correctif de 8 % pour retenir en conclusion une valeur locative unitaire de 400 euros le m² HT et hors charges au 1er janvier 2014.

Sur la fixation de la surface pondérée

La SNC BF Développement sollicite de voir fixer la surface pondérée à 211 m², superficie retenue lors d’un précédent rapport d’expertise du 28 avril 2003 et appliquée par la Cour d’appel de Douai dans un arrêt du 9 septembre 2004.

Les rapports de M. [C], M. [S] et M. [P] retiennent une surface pondérée bien moindre, entre 129 et 139 m².

Il ressort du rapport de M. [P] que « le rapport avec surface pondérée à 211 m² date de 2003 avec application de la méthode en cours à cette époque pour les locaux de ce type ; la charte de l’expertise immobilière a modifié la méthode de calcul en 2006 publication AJDI janvier 2007. Il y a donc lieu de se conformer à la nouvelle méthode tant pour les locaux concernés que pour les termes de comparaison utilisés. »
Le fait que les deux autres rapports de Mrs [C] et [S] fixent une surface pondérée approchant celle de M. [P] corrobore le changement de la méthode de calcul.

Il n’y a dès lors pas lieu de retenir la surface pondérée telle qu’évaluée en avril 2003.

Il convient de retenir la surface pondérée fixée par le dernier rapport d’expertise contradictoire, à savoir celui de M. [P].
Par conséquent, la surface pondérée sera fixée à 129 m².

Sur la fixation de la valeur unitaire locative

Au regard des éléments de comparaison employés par M. [P] dans son dernier rapport d’expertise, l’absence de prise en compte du site de Foot Loocker est fondée puisque l’écart entre son prix au m² (734 m²) et ceux des autres sites (entre 247 et 538 m²) est trop important.

M. [P] a fixé une valeur unitaire locative moyenne de 369 euros le m² HT et hors charges.
L’analyse du tableau de comparaison effectué par M. [P] fait apparaître que la valeur unitaire locative moyenne n’est pas de 369 euros mais de 360,71 euros soit 361 euros.

M. [P] a appliqué un correctif de 8 % au regard de la destination du bail plus favorable, fixant la valeur locative unitaire de 400 euros le m² HT et hors charges au 1er janvier 2014.
Si le fait que la destination soit tous commerces représente un réel avantage qui justifie l’application du coefficient de revalorisation, il y a lieu de prendre en considération l’obligation du preneur de supporter certaines charges. Or, sur ce point, il n’est pas contesté que la SAS Eurodif supportait les 3/5ème des charges de copropriété outre l’impôt foncier.
La majoration applicable au titre de la destination du bail sera dès lors ramenée à 4 %.

En revanche, il n’y a pas lieu de voir appliquer une majoration au regard du caractère triennal et non automatique de la révision, étant rappelé que la révision triennale est la norme.
S’agissant de l’autorisation de percement, pour exploiter un seul magasin, ce bénéfice au preneur a fait l’objet d’un accord spécifique avec le bailleur et du versement d’une indemnité en contrepartie. Il n’y a pas lieu à prendre en considération cet accord pour majorer la valeur locative.
Le fait que le preneur n’ait pas à rembourser l’assurance du bailleur ne justifie pas l’application d’un coefficient de majoration.

Si la SAS Eurodif communique une liste d’offres de commercialisation établie par le Cabinet Arthur Loyd à [Localité 10] pour soutenir que la valeur unitaire locative est nécessairement plus basse compte tenu des prix et localisations des biens, il résulte du rapport d’expertise de M. [P] que ce dernier a volontairement recherché une valeur pour 2014/2015 car il n’était pas envisageable de retenir un loyer fixé postérieurement. Or, les offres émises par le Cabinet Arthur Loyd, outre le fait qu’elles ne constituent pas des loyers, seraient des loyers pour les années 2018/2019.

Par conséquent, la valeur unitaire locative sera fixée à la somme de 375 euros HT et hors charges (soit 361 euros majorée de 4 %).

Sur le quantum de l’indemnité d’occupation

Le droit d’option a été exercé le 29 juin 2021 et les locaux libérés au 15 juillet 2021 de sorte que la période concernée s’établit à 7 années, 6 mois et 15 jours (soit 90,5 mois).

L’indemnité d’occupation annuelle au 1er janvier 2014 est établie à la somme suivante :
375 euros HT et hors charges x 129 m² soit 48 375 euros HT et hors charges.
Soit la somme TTC hors charges de 58 050 euros.

Il convient de prendre en considération les loyers versés par la SAS Eurodif durant toute cette période et qui doivent donc venir en déduction de l’indemnité d’occupation.

La SAS Eurodif sera dès lors condamnée à régler à la SNC BF Développement la somme suivante :
(58 050 – 32 028,48) / 12 mois x 90,5 mois = 196 245,63 euros TTC.

SUR LA DEMANDE EN PAIEMENT AU TITRE DES SOMMES IMPAYÉES DURANT LES PÉRIODES DE FERMETURE ADMINISTRATIVE DU MAGASIN DU PRENEUR

Aux termes de l’article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;
- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;
- obtenir une réduction du prix ;
- provoquer la résolution du contrat ;
- demander réparation des conséquences de l'inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.
L’article 1218 du même code prévoit par ailleurs qu’il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.
Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.
L’article 1219 du même code dispose encore qu’une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.
L’article 1722 du même code prévoit enfin que si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement.

En l’espèce, la SAS Eurodif reconnait ne pas avoir réglé les sommes suivantes au bailleur :
Loyer partiel du 2ème trimestre 2020 : 5 015,45 euros TTC,Loyer du mois de novembre 2020 : 2 669,04 euros TTC,Loyer partiel du 2ème trimestre 2021 : 6 863,24 euros TTC, Soit la somme totale de 14 547,73 euros TTC.

La SAS Eurodif soutient qu’elle a été dans l’impossibilité de jouir des locaux pendant les périodes de fermeture administrative liée à la pandémie de Covid, qu’elle a subi une perte partielle de la chose louée résultant de cette fermeture administrative et que le bailleur ne lui a pas permis de jouir pleinement des locaux. Elle invoque la force majeure qu’a constitué la pandémie qui l’a empêchée d’exécuter son obligation de paiement.

Si la SAS Eurodif est redevable, du fait de l’exercice de son option, d’indemnités d’occupation pour la période à compter du 1er janvier 2014 jusqu’à sa libération, elle demeure recevable à invoquer les différents moyens relatifs à l’impossibilité de régler son loyer.
L’indemnité d’occupation en l’espèce résulte des dispositions légales de l’article L. 145-57 du code de commerce. Il ne s’agit pas de la conséquence d’une occupation illicite mais d’une occupation légale prévue dans le cadre de la procédure du droit d’option en matière de bail commercial.

S’agissant d’un manquement à l’obligation de délivrance, les locaux loués ont été mis à disposition de la SAS Eurodif. L’impossibilité d’exploiter était le seul fait du législateur si bien que la mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n’est pas constitutive d’une inexécution, par le bailleur, de son obligation de délivrance.

S’agissant de la perte partielle de la chose louée, l’interdiction de recevoir du public durant certaines périodes de la pandémie a résulté du caractère non indispensable à la vie de la Nation et à l’absence de première nécessité des biens ou des services fournis. Cette interdiction a ainsi été décidée, selon les catégories d’établissement recevant du public, aux seules fins de garantir la santé publique.
L’effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut donc être assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code précité.

S’agissant de la force majeure, il résulte de l'article 1218 du code civil que le créancier qui n'a pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat ou la suspension de son obligation en invoquant la force majeure.

La SAS Eurodif n’a pas été empêchée de payer le loyer par l’interdiction de recevoir du public. Dès lors, la SAS Eurodif, débitrice des loyers, n’est pas fondée à invoquer à son profit la force majeure.

Il résulte de ce qui précède que la SAS Eurodif sera condamnée à régler à la SNC BF Développement la somme de 14 547,73 euros TTC en règlement des sommes dues au titre du loyer partiel du 2ème trimestre 2020, du loyer de novembre 2020 et du loyer partiel du 2ème trimestre 2021.

SUR LA DEMANDE EN PAIEMENT AU TITRE DE LA REMISE EN ÉTAT DES LIEUX

Aux termes de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

En l’espèce, la SNC BF Développement communique deux devis. L’un est relatif au changement de trois vitres pour une somme de 530,40 euros TTC et l’autre concerne la mise en place d’une installation électrique pour une somme de 7 596,58 euros HT soit 9 115,90 euros TTC.
Le bailleur ne justifie pas, notamment par un état des lieux de sortie, des désordres objets de sa demande de remise en état. Cependant, la SAS Eurodif indique ne pas contester cette demande.

Par conséquent, à défaut d’opposition du preneur, il y a lieu de condamner la SAS Eurodif à payer à la SNC BF Développement la somme TTC de 9 646,30 euros.

SUR LA DEMANDE DE DÉLAIS DE PAIEMENT

L’article 1343-5 du code civil prévoit notamment que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital. Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.
La décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.

En l’espèce, il n’est pas contesté que la SAS Eurodif a fermé son magasin de [Localité 10].
La SAS Eurodif indique avoir connu une nouvelle perte de chiffre d’affaires de 16 % en 2021 mais n’en justifie pas.
Si le bordereau de pièces de la SAS Eurodif fait mention en pièces 8 et 9 de comptes de l’exercice clos au 31 décembre 2021 et de compte du résultat du magasin de [Localité 10], ces pièces ne sont pas produites au débat.

Par conséquent, faute d’éléments permettant à la juridiction d’appréhender la situation économique de la SAS Eurodif, il ne sera pas fait droit à sa demande de délais de paiement.

SUR LES DÉPENS ET SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

En vertu de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens.

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou, à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

En l'espèce, la SAS Eurodif qui succombe principalement, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à la SNC BF Développement la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR L'ÉXÉCUTION PROVISOIRE

Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, « les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement. »

L'article 514-1 du même code dispose notamment que « le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire.
Il statue, d'office ou à la demande d'une partie, par décision spécialement motivée. »

En l'espèce, aucune circonstance ne justifie d’écarter l'exécution provisoire est de plein droit de la présente décision.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant après débats publics, par décision contradictoire, rendue en premier ressort, et mise à disposition au greffe,

DÉCLARE irrecevable la demande en paiement au titre des frais de conseil exposés dans la procédure en fixation du loyer de renouvellement formulée par la SNC BF DEVELOPPEMENT, celle-ci se heurtant à l'autorité de la chose jugée ;

CONDAMNE la SAS EURODIF à payer à la SNC BF DEVELOPPEMENT la somme de 196 245,63 euros TTC à titre de règlement des indemnités d’occupation sur la période du 1er janvier 2014 au 15 juillet 2021 ;

CONDAMNE la SAS EURODIF à payer à la SNC BF DEVELOPPEMENT la somme de 14 547,73 euros TTC en règlement des sommes dues au titre du loyer partiel du 2ème trimestre 2020, du loyer de novembre 2020 et du loyer partiel du 2ème trimestre 2021 ;

CONDAMNE la SAS EURODIF à payer à la SNC BF DEVELOPPEMENT la somme de 9 646,30 euros TTC au titre des travaux de remise en état des locaux ;

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes ;

CONDAMNE la SAS EURODIF aux dépens de l’instance ;

CONDAMNE la SAS EURODIF à payer à la SNC BF DEVELOPPEMENT la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Valenciennes
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 20/02815
Date de la décision : 16/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-16;20.02815 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award