RE F E R E
N°
Du 30 Août 2024
N° RG 24/00378 - N° Portalis DBYC-W-B7I-K3M2
14E
c par le RPVA
le
à
Maître Pascal ROBIN de la SELARL A.R.C, Me Christophe BIGOT, Me Denis FAYOLLE, Me Jérôme STEPHAN
- copie dossier
Expédition et copie executoire délivrée le:
à
Maître Pascal ROBIN
Expédition délivrée le:
à
Me Jérôme STEPHAN
Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
OR D O N N A N C E
DEMANDEUR AU REFERE:
Monsieur [T] [R] [X], demeurant [Adresse 3] (SUISSE)
représenté par Me Jérôme STEPHAN, avocat au barreau de RENNES, Me Denis FAYOLLE, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me SAMARTANO Carla, avocat au barreau de Marseille,
DEFENDEURS AU REFERE:
S.A.S.U. LAGARDERE MEDIA NEWS, dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée par Maître Pascal ROBIN, avocat au barreau de RENNES, Me Christophe BIGOT, avocat au barreau de PARIS
Madame [D] [I], demeurant [Adresse 1]
représentée par Maître Pascal ROBIN, avocat au barreau de RENNES, Me Christophe BIGOT, avocat au barreau de PARIS
LE PRESIDENT: Béatrice RIVAIL, Présidente du tribunal judiciaire
LE GREFFIER: Graciane GILET, greffier lors des débats et Claire LAMENDOUR, greffier, lors du prononcé par mise à disposition au greffe, qui a signé la présente ordonnance.
DEBATS: à l’audience publique du 17 Juillet 2024,
ORDONNANCE: contradictoire , prononcée par mise à disposition au Greffe des référés le 30 Août 2024, date indiquée à l’issue des débats
VOIE DE RECOURS: Cette ordonnance peut être frappée d’appel devant le greffe de la Cour d’Appel de RENNES dans les 15 jours de sa signification en application des dispositions de l’article 490 du code de procédure civile.
L’appel de cette décision n’est cependant pas suspensif de son exécution.
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [T] [X] a exercé au sein du service de neurochirurgie du CHU de [Localité 4] de juillet 2021 à décembre 2023 et a pris les fonctions de chef de ce service le 04 janvier 2023.
Une plainte a été déposée par l’Intersyndicale nationale des internes (Isni) en octobre 2023 à l’encontre de Monsieur [X] pour des faits de harcèlement moral au travail (pièce n°1-4).
Dans l’édition du 04 au 10 janvier 2024, le journal PARIS MATCH, édité par la société LAGARDERE MEDIA NEWS publiait en son numéro 3896 un article intitulé « Requiem au CHU de [Localité 4] », rédigé par Madame [D] [I] (pièce n°2).
Monsieur [X] a déposé une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction du Tribunal judiciaire de Rennes, reçue au greffe le 04 avril 2024, à l’encontre de la société LAGARDERE MEDIA NEWS, de Madame [D] [I], et de Madame [P] [K], du chef de diffamation publique envers un particulier à la suite de la publication de l’article (pièce n°43 def).
Par actes de commissaire de justice séparés en date du 20 mars 2024, Monsieur [T] [X] a assigné la société LAGARDERE MEDIA NEWS et Madame [I] sur le fondement des articles 835 du Code de procédure civile et 9-1 du Code civil aux fins de :
- constater que Madame [I] et le journal PARIS MATCH, par la rédaction et la publication de l’article « Requiem au CHU de [Localité 4] » paru dans le numéro 3896, édition du 4 au 10 janvier 2024, ont porté atteinte à la présomption d’innocence de Monsieur [X] ;
- ordonner la diffusion d’un communiqué judicaire reprenant le dispositif de l’ordonnance à intervenir au sein du prochain numéro à paraitre du magazine Paris Match, aux frais de Madame [I] et de la société LAGARDERE MEDIA NEWS ;
- condamner Madame [I] et la société LAGARDERE MEDIA NEWS à verser solidairement à Monsieur [X] la somme de 10 000 euros à titre de provision à faire valoir sur son entier préjudice ;
- condamner Madame [I] et la société LAGARDERE MEDIA NEWS à verser solidairement à Monsieur [X] la somme de 2 500 euros chacune en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance en date du 14 juin 2024, du Juge des référés du Tribunal judiciaire de Rennes, a sursis à statuer et a renvoyé l’affaire à l’audience du 17 juillet 2024 pour y être plaidée.
Par conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience utile du 17 juillet 2024, Monsieur [T] [X], représenté par son conseil, a maintenu ses demandes, et sollicité en outre du juge de débouter Madame [I] et la société LAGARDERE MEDIA NEWS de toutes leurs demandes, fins et conclusions.
Par conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience utile du 17 juillet 2024, la société LAGARDERE MEDIA NEWS et Madame [I], représentées par leur conseil, ont demandé au juge des référés de bien vouloir :
- in limine litis, déclarer nulle ou à tout le moins irrecevable l’assignation introductive d’instance notifiée le 20 mars 2024 ;
- à titre principal, dire n’y avoir lieu à référé et en conséquence, débouter Monsieur [X] de l’intégralité de ses demandes ;
- à titre subsidiaire, juger que le préjudice éventuellement subi ne saurait être évalué à une somme supérieure à l’euro symbolique ;
- en toutes hypothèses :
- rejeter la demande de publication d’un communiqué judicaire dans le prochain numéro à paraitre du journal Paris Match ;
- condamner Monsieur [X] à verser à Madame [I] et la société LAGARDERE MEDIA NEWS, la somme de 5 000 euros à titre de provision pour procédure abusive sur le fondement de l’article 1240 du Code civil ;
- condamner Monsieur [X] au paiement d’une somme de 3 000 euros chacune à Madame [I] et la société LAGARDERE MEDIA NEWS au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Conformément aux articles 446-1 et 455 du Code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits et de la procédure, il est renvoyé aux écritures déposées par les parties et développées oralement à l'audience utile précitée.
Par suite, l’affaire a été mise en délibéré au 30 août 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’exception de nullité :
Aux termes de l’article 53 de la loi de la presse : « La citation précisera et qualifiera le fait incriminé, elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite.
Si la citation est à la requête du plaignant, elle contiendra élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et sera notifiée tant au prévenu qu'au ministère public.
Toutes ces formalités seront observées à peine de nullité de la poursuite. »
Toutefois, les règles de forme de l’article 53 de la loi de la presse ne s’appliquent pas à l’assignation visant une atteinte à la présomption d’innocence sur le fondement de l’article 9-1 du Code civil (Civ., 1ère, 8 nov. 2017, n°16-23.779.
En l’espèce, la société LAGARDERE MEDIA NEWS et Madame [I] soulèvent la nullité de l’acte introductif d’instance délivré le 20 mars 2024 au motif qu’il ne comporte pas les mentions obligatoires prévues par l’article 53 de la loi de la presse.
Monsieur [X] ne conclut pas sur ce point.
L’action entreprise par Monsieur [X] est explicitement fondée sur les dispositions de l’article 9-1 du Code civil, de sorte qu'il n'était pas tenu, dans son assignation, de préciser et qualifier le fait incriminé, ni d'indiquer le texte de loi applicable à la poursuite en application de l'article 53 précité.
Par conséquent, la société LAGARDERE MEDIA NEWS et Madame [I] seront déboutées de leurs demande en nullité de l’acte introductif d’instance.
Sur les fins de non-recevoir alléguées par les défenderesses :
Selon l’article 122 du Code de procédure civile, « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »
Aux termes de l’article 9-1 du Code civil, « Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence.
Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte. »
Aux termes de l’article 29 de la loi sur la liberté de la presse, « Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. »
Il est constant que « l'auteur de l'action civile qui est fondée sur le délit de diffamation et est exercée devant le juge pénal ne peut plus agir en réparation devant le juge civil en raison des mêmes faits sur le fondement de l'article 9-1 du code civil » (Civ. 1ère, 28 juin 2007, n°06-14.185); toutefois, ce ne saurait être le cas en matière de référé lorsque le demandeur « n'agit pas en réparation mais se borne à solliciter des mesures en vue de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence » (Cour d'appel - Paris - 25 mai 2022 - 21/20759).
Il en résulte que si le demandeur est autorisé à poursuivre en diffamation, puis à introduire ensuite un référé fondé sur l’article 9-1 du Code civil pour les mêmes faits aux fins de cessation de l’atteinte à la présomption d’innocence, il ne peut plus agir en réparation devant le juge civil, en raison des mêmes faits.
En l’espèce, la société LAGARDERE MEDIA NEWS et Madame [I], sans fonder leur demande en droit, soulèvent l’irrecevabilité de l’action de Monsieur [X], au motif que ce dernier aurait engagé deux procédures visant les mêmes faits, l’une en diffamation devant le juge pénal, l’autre devant le juge des référés en vertu de l’article 9-1 du Code civil.
Monsieur [X] précise que les allégations visées dans la présente procédure diffèrent de celles objet de la plainte avec constitution de partie civile déposée devant le juge d’instruction du Tribunal judiciaire de Rennes, reçue au greffe le 04 avril 2024 (pièce n°43 def).
Cependant, il sera observé que Monsieur [X] a entendu d’une part, solliciter la diffusion d’un communiqué pour faire cesser l’atteinte à sa présomption d’innocence, et d’autre part, la condamnation solidiaire des défenderesses à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de la provision à valoir sur la réparation de son préjudice.
Par suite, la fin de non recevoir tirée de l’action en référé sur le fondement de l’article 9-1 du code civil, soulevée par la société LAGARDERE MEDIA NEWS et Madame [I] sera rejetée car non fondée.
Cependant, les défenderesses seront accueillies dans leur prétention résidant dans la fin de non recevoir fondée sur la demande en réparation du préjudice subi, irrecevable devant le juge civil.
En effet, Monsieur [X], qui ne peut plus agir en réparation devant le juge civil, en raison de l’action en diffamation pendante devant le juge pénal, sera déclaré irrecevable en sa demande de dommages et intérêts.
L’action de monsieur [X] sera donc déclarée partiellement recevable.
Sur l’atteinte à la présomption d’innocence alléguée par Monsieur [X] :
Sur l’atteinte alléguée à la présomption d’innocence
Selon l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
Aux termes de l’article 9-1 du Code civil, « Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence.
Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte. »
Aux termes de l’article 835 du Code de procédure civile, « Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. »
En l’espèce, Monsieur [X] estime que la société LAGARDERE MEDIA NEWS et Madame [I] ont porté publiquement atteinte à son droit à la présomption d’innocence par les propos tenus dans l’article intitulé « Requiem au CHU de [Localité 4] », rédigé par Madame [I], dans l’édition du 4 au 10 janvier 2024. Il soutient que l’article le présente coupable des faits pour lesquels une enquête est actuellement en cours, et justifie à ce titre, d’une communication du parquet de Rennes en ce sens en novembre 2023 (pièce n°1), et d’une convocation à une audition libre au commissariat de [Localité 4] le 11 juillet 2024 dans le cadre d’une enquête portant sur des faits de harcèlement moral et sexuel au travail (pièce n°4).
En outre, il relève que la journaliste fait mention de cette procédure pénale dans les articles litigieux.
Par ailleurs, Monsieur [X] reproche à l’article de le présenter coupable, notamment en le désignant comme un des « deux professeurs » dont les agissements sont mis en cause. A ce titre, il reproche à l’article de lui imputer des faits de harcèlement moral « aux comportements connues de la hiérarchie depuis des années, a mené toute une équipe à la rupture », « brimades, humiliations, surmenage, violences verbales, harcèlement moral et sexuel », « un arrêt de près de deux mois pour harcèlement moral », de harcèlement sexuel « [X] écrit : « tu es une obsédée, c’est bien ! j’approuve […] on va commencer les transmissions en mode strip poker, le premier qui dit une connerie enlève un habit ! c’est plus fun et ça va te détendre », ces propos remontent à la psychologue du travail, à la direction des affaires médicales, mais aussi au doyen, qui les qualifiera de « harcèlement moral, téléphonique à connotations sexuelle » », mais aussi une « violente altercation » suite à laquelle le praticien du service concerné aurait eu trois semaines d’arrêt, altercation qui a été reconnue comme accident de service.
Monsieur [X] relève que, tant la qualification des faits qui lui sont reprochés, que le style rédactionnel (emploi de l’indicatif, absence du conditionnel), ainsi que le manque de nuance de l’auteure, en particulier sur le paragraphe portant sur le harcèlement sexuel qu’il nie, sont de nature à le présenter comme coupable.
Enfin, Monsieur [X] conclut sur le trouble illicite résultant de cette atteinte à la présomption d’innocence.
La société LAGARDERE MEDIA NEWS et Madame [I], font valoir que les conditions de l’article 9-1 du Code civil ne sont pas réunies puisqu’il n’est pas établi qu’une procédure pénale était en cours à la date de publication au sujet des actes faisant l’objet des propos litigieux, les articles litigieux ne présentant pas le demandeur comme coupable.
Tout d’abord, les défenderesses font valoir qu’il appartenait à Monsieur [X], demandeur à l’instance, d’apporter la preuve qu’à la date de la publication litigieuse, les faits évoqués faisaient déjà l’objet d’une procédure judiciaire. Or, les pièces versées aux débats par Monsieur [X] ne permettent pas de l’établir avec certitude. La société LAGARDERE MEDIA NEWS et Madame [I] soulignent ainsi que la convocation pour une audition pénale libre est postérieure à la publication litigieuse et que monsieur [X] ne démontre pas qu’à la publication de l’article une procédure était en cours.
Ensuite, la société LAGARDERE MEDIA NEWS et Madame [I] estiment que les articles litigieux ne présentent pas le demandeur comme coupable mais font seulement état de l’avancement de la procédure pénale et du témoignage des personnes qui s’en présentent victimes, étant précisé que l’emploi de l’indicatif permet de ne pas porter le discrédit sur ces témoignages.
Enfin, les défenderesses insistent sur la possibilité qu’elles ont offerte à Monsieur [X] de répondre à leurs questions, proposition demeurée lettre morte, et persistent sur le ton nuancé adopté dans la rédaction des articles. A ce titre, elles relèvent notamment que les choix rédactionnels permettent d’écarter l’hypothèse de conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité, l’auteure ayant recours dans les premiers passages relevés par Monsieur [X] à des formules générales qui ne lui imputent pas d’infraction pénale.
S’agissant des faits de harcèlement sexuel qui lui sont imputés, madame [I] fait valoir qu’elle ne fait que procéder à la restitution des faits, en indiquant que la qualification de « harcèlement moral, téléphonique à connotation sexuelle » provient de la hiérarchie de l’hôpital.
Enfin, concernant l’altercation avec Monsieur [B], les défenderesses relèvent qu’il n’est pas question de la commission d’une infraction pénale, de sorte que sa culpabilité ne saurait être retenue, rendant ainsi impossible une quelconque atteinte à la présomption d’innocence.
En dernier lieu, la société LAGARDERE MEDIA NEWS et Madame [I] font valoir que le juge des référés n’est juge que de l’évidence, et que ce litige ne relève pas de son pouvoir d’appréciation. Elles avancent que ni l’urgence, ni le trouble manifestement illicite, ni l’absence de contestation sérieuse ne sont caractérisés.
En l’espèce, il résulte de l’article 9-1 du Code civil, que pour être fondée, la réunion de trois conditions visant la personne incriminée est nécessaire :
- avant toute condamnation ;
- présentée publiquement comme étant coupable de faits ;
- faisant l'objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire.
Il est constant que l’atteinte à la présomption d’innocence est définie comme celle qui contient « des conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité » (Cass. Ass. Plén., 21 décembre 2006, n°93-20.478).
En outre, l'existence d'une procédure pénale doit être notoire ou, si elle ne l'est pas, résulter de la publication dont le demandeur prétend qu'elle porte atteinte à la présomption de son innocence (Civ. 1ère, 17 juin 2003, n°00-22.430).
Sur la première condition de fond nécessaire à l’action fondée sur l’article 9-1 du Code civil, il résulte de l’examen des pièces versées aux débats que le procureur de Rennes a indiqué à la presse qu’une plainte avait été déposée à l’encontre de Monsieur [X] pour des faits susceptibles de caractériser le délit de harcèlement moral (pièce n°1).
En outre, les articles litigieux font expressément référence à la procédure pénale en cours en citant Monsieur [X] comme « mis en cause » et en indiquant qu’ « en mars 2023, la direction du CHU saisissait le procureur de la république pour harcèlement moral et sexuel sur six internes, entraînant l’ouverture d’une enquête préliminaire […] en octobre, l’Isni déposait, toujours, à l’encontre des deux mêmes professeurs une plainte […] depuis les auditions se multiplient ».
Dès lors, il est établi qu’à la date de publication de l’article en janvier 2024, aucune condamnation n’était encore intervenue à l’encontre de Monsieur [X] (pièce n°2).
La première condition est donc remplie.
Sur la deuxième condition liée à la présentation du requérant comme coupable des faits, si l’article titre « Brimades, humiliations, surmenage, violences verbales, harcèlement moral et sexuel : ces professionnels de santé subissent l’enfer depuis vingt ans. », il est immédiatement renvoyé à « La direction du Pr [F] » (pièce n°2), de sorte qu’il ne saurait être retenu de ce passage une quelconque atteinte à la présomption d’innocence visant Monsieur [X] non dénommée dans les faits évoqués. En effet, la première occurrence, implicite, à Monsieur [X] est en ces termes « la dérive de deux professeurs au « management féodal », pour reprendre l’expression du praticien », et ne renvoie pas plus aux faits précédemment révélés.
Monsieur [X] met également en cause le passage suivant « [X] écrit : « tu es une obsédée, c’est bien ! j’approuve […] on va commencer les transmissions en mode strip poker, le premier qui dit une connerie enlève un habit ! c’est plus fun et ça va te détendre », ces propos remontent à la psychologue du travail, à la direction des affaires médicales, mais aussi au doyen, qui les qualifiera de « harcèlement moral, téléphonique à connotations sexuelle » », toutefois, à la lecture de l’article, il apparaît que l’auteure retranscrit les propos tenus par la « jeune femme », matérialisé par l’utilisation des guillemets, et ne fait qu’une description des faits, la qualification pénale étant apportée par la précision que le doyen de l’université, informé de ces faits, les « qualifiera de « harcèlement moral, téléphonique à caractère sexuel » ».
Par suite, d’une part, Madame [I] prend soin de se désolidariser des paroles retranscrites portant sur la qualification pénale des faits en indiquant que le doyen de l’université en était à l’origine, et d’autre part, les défenderesses versent aux débats le compte-rendu d’entretien aux termes duquel le doyen de l’université s’interroge effectivement sur l’éventualité d’un harcèlement au travail et harcèlement sexuel de Monsieur [X] (pièce n°18), de sorte qu’il n’est plus permis de douter du seul travail de restitution de la journaliste.
Enfin, Monsieur [X] relève que Madame [I] fait état de la « violente altercation » qu’il a eue avec Monsieur [B]; or ces termes n’imputent à Monsieur [X] aucune infraction pénale et font seulement état d’un différend entre deux personnes, de sorte qu’il ne saurait être retenue comme une atteinte à sa présomption d’innocence.
Dès lors, Monsieur [X] ne parvient pas à démontrer que l’article de Madame [I] le présente publiquement coupable des faits reprochés.
La deuxième condition faisant défaut, il n’y a pas lieu d’envisager la troisième condition.
Par suite, l’atteinte à la présomption d’innocence de Monsieur [X] par Madame [I] et la société LAGARDERE MEDIA NEWS n’est pas établie.
Monsieur [X] sera donc débouté de sa demande de publication d’un communiqué judicaire aux frais de Madame [I] et de la société LAGARDERE MEDIA NEWS.
Sur la demande provisionnelle pour procédure abusive
Selon l’article 1240 du Code civil, « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
Il est constant que l’exercice d’un droit ne peut constituer une faute que lorsque le titulaire de ce droit en faut, à dessein de nuire, un usage préjudiciable à autrui.
Il sera rappelé que la liberté de l’action en justice est un principe, qui ne saurait dégénérer en abus de droit que dans des circonstances particulières le rendant fautif.
En l’espèce, la société LAGARDERE MEDIA NEWS et Madame [I] font valoir que la procédure est manifestement destinée à exercer une pression sur un journaliste et un média et sollicitent la condamnation du demandeur au paiement d’une provision d’un montant de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, sans apporter d’élément au soutien de leur prétention.
Il convient par conséquent de rejeter cette demande.
Sur les demandes accessoires
En vertu des dispositions de l’article 696 du Code de procédure civile, Monsieur [X], partie succombante, sera condamné aux entiers dépens.
L’équité commande de débouter chacune des parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Statuant en référé, par ordonnance contradictoire et en premier ressort, rendue par mise à disposition au greffe :
Rejetons l’exception de nullité soulevée par Madame [I] et la société LAGARDERE MEDIA NEWS ;
Déclarons recevable la demande de diffusion d’un communiqué judiciaire de Monsieur [X] ;
Déclarons irrecevable la demande de provision formulée par Monsieur [X] ;
Constatons que Madame [I] et le journal Paris Match, par la rédaction et la publication de l’article intitulé « Requiem au CHU de [Localité 4] », paru dans le numéro 3896, édition du 04 au 10 janvier 2024 n’ont pas porté atteinte à la présomption d’innocence de Monsieur [X] ;
Déboutons Monsieur [X] de sa demande de publication d’un communiqué judiciaire aux frais de Madame [I] et de la société LAGARDERE MEDIA NEWS ;
Déboutons Madame [I] et la société LAGARDERE MEDIA NEWS de leur demande d’indemnisation sur le fondement de l’article 1240 du Code civil ;
Condamnons Monsieur [X] aux entiers dépens ;
Déboutons Madame [I] et la société LAGARDERE MEDIA NEWS, ainsi que Monsieur [X] de leurs demandes au titre des frais irrépétibles ;
Rejetons toute autre demande, plus ample ou contraire des parties ;
Ainsi rendu, au nom du peuple français, les jour, mois et an susdits.
La greffière La juge des référés