TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
PÔLE SOCIAL
MINUTE N°
AUDIENCE DU 30 Août 2024
AFFAIRE N° RG 23/01056 - N° Portalis DBYC-W-B7H-KVZS
89A
JUGEMENT
AFFAIRE :
[C] [E]
C/
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’ILLE ET VILAINE
Pièces délivrées :
CCCFE le :
CCC le :
PARTIE DEMANDERESSE :
Madame [C] [E]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Madame [R] [L], représentante de la [5], munie d’un pouvoir
PARTIE DEFENDERESSE :
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’ILLE ET VILAINE
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Madame [D] [G], munie d’un pouvoir
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Présidente : Madame Guillemette ROUSSELLIER
Assesseur : Madame Evelyne DEROINE, assesseur du pôle social du tribunal judiciaire de Rennes
Greffière : Madame Rozenn LE CHAMPION
A l’audience de ce jour, le tribunal statue à juge unique conformément à l’article L.218-1 du Code de l’organisation judiciaire.
DEBATS :
Après avoir entendu les parties en leurs explications à l’audience du 15 Mai 2024, l'affaire a été mise en délibéré pour être rendu au 30 Août 2024 par mise à disposition au greffe.
JUGEMENT : contradictoire et en premier ressort
********
EXPOSE DU LITIGE
Salariée au sein de la société [6] (l’employeur) en qualité de cheffe de cuisine, Madame [E] (l’assurée) a déclaré avoir été victime d’un accident du travail le 14 avril 2021 tel que décrit suivant la déclaration renseignée par son employeur le 16 avril 2021 :
« en allant faire le café, la salariée a buté sur une lamelle de portakabine de la plonge. Son pied a buté sur une lamelle, perte d’équilibre, la lanière du sabot s’est cassée. La salariée a chuté sur le côté droit. Vive douleur au bas du dos et fesses côté droit en remontant le long du corps. »
Elle a adressé à la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine (la caisse) un certificat médical initial faisant état de :
« traumatisme genou gauche sur probable entorse ligament latérale interne ».
Par courrier daté du 2 août 2021, la caisse a notifié à la salariée la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l’accident du 14 avril 2021.
Par courrier daté du 29 novembre 2022, la caisse a notifié à l’assurée une date de consolidation au 25 décembre 2022.
Puis, par courrier daté du 10 janvier 2023, il lui a été notifié un taux d’incapacité permanente fixé à 5 % et il est précisé au titre des conclusions médicales :
« blocage ou dérobement intermittent du genou gauche ».
Un avis d’inaptitude a été établi par un médecin du travail le 29 décembre 2022 et ce, dans le cadre d’une visite de reprise.
L’employeur a adressé à l’assurée une lettre de licenciement daté du 15 mai 2023.
Contestant le taux d’incapacité permanente notifiée, l’assurée a saisi la commission de recours amiable qui, au cours de sa séance du 29 août 2023 a infirmé la décision est fixé le taux d’incapacité permanente partielle à 8 % dont 3 % au titre de l’incidence professionnelle.
L’assurée a alors saisi la présente juridiction suivant une requête réceptionnée le 23 octobre 2023.
Une mesure de consultation médicale a été ordonnée par le juge de la mise en état et le Docteur [W] a été nommé pour procéder à cette mesure.
Il a établi un rapport à la suite d’un examen réalisé le 20 février 2024.
Aux termes de ce rapport, il indique que le taux médical d’incapacité permanente partielle à la date de consolidation peut être revalorisé de 5 % à 7 %.
Il a relevé que l’assurée bénéficie d’un taux professionnel de 3 %.
Suivant des conclusions remises à l’audience du 15 mai 2024, l’assurée demande au tribunal de bien vouloir :
- dire qu’il existe des séquelles indemnisables en rapport avec son accident du travail du 14 avril 2021 justifiant une réévaluation de son taux d’incapacité permanente partielle ;
- dire qu’il existe une nette réduction de son aptitude à exercer une activité professionnelle justifiant l’attribution d’un coefficient professionnel ;
- fixer à 12 % son taux d’incapacité permanente partielle compte tenu des conséquences de l’accident du travail du 14 avril 2021 d’un point de vue médicale et professionnelle ;
et, en tout état de cause,
- condamner la partie adverse aux entiers dépens.
Sur le taux médical, elle fait valoir en substance que le médecin a proposé un taux médical de 7 %.
Sur le taux professionnel, elle rappelle que l’accident a eu d’importantes conséquences sur sa vie professionnelle dans la mesure où elle n’a pas pu reprendre son travail de chef de cuisine suite à la consolidation en raison d’un avis d’inaptitude, qu’elle a été licenciée par la suite et s’est inscrite auprès de Pôle emploi en qualité de demandeur d’emploi.
Suivant un courrier valant conclusions remises à l’audience du 15 mai 2024, la caisse demande au tribunal de bien vouloir :
A titre principal,
- confirmer la décision attribuant un taux d’incapacité permanente de 8 % au bénéfice de l’assuré tel qu’augmenté par la commission de recours amiable de Bretagne en sa séance du 29 août 2023 ;
- débouter l’assurée de l’ensemble de ses demandes plus amples ou contraires ;
- condamner l’assurée aux entiers dépens ;
À titre subsidiaire,
- fixer un taux médical qui ne saurait dépasser 7 % au bénéfice de l’assurée dans les suites de son accident du travail du 14 avril 2021 ;
- confirmer la décision attribuant un coefficient professionnel de 3 % au bénéfice de l’assuré tel que fixé par la commission médicale de recours amiable de Bretagne en sa séance du 29 août 2023 ;
en conséquence,
- fixer un taux d’incapacité permanente qui ne saurait dépasser 7 % au bénéfice de l’assuré dans les suites de son accident du travail du 14 avril 2021 ;
- débouter l’assurée de toutes ses demandes plus amples ou contraires.
La caisse fait valoir en résumé que le médecin nommé par le tribunal a proposé une revalorisation du taux d’incapacité permanente attribuée à l’assurée de 2 % mais ne rattache pas cette augmentation à aucun élément médical supplémentaire qui n’aurait pas été pris en compte par les différent médecin-conseil expert ayant eu à connaître les éléments médicaux du dossier. Il est souligné que le médecin consultant relève que des séquelles constatées à la date de consolidation ne sont pas uniquement à rattacher au traumatisme initial et augmente, sans aucune justification complémentaire, le taux d’incapacité permanente de cinq à 7 %.
Sur le coefficient professionnel, il est relevé que compte tenu des éléments produits et de la jurisprudence applicable, le taux de 3 % doit être confirmé.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il convient de se référer à leurs conclusions sus-citées, et ce en application de l’article 455 du code de procédure civile.
DISCUSSION
Sur la contestation du taux d’incapacité permanente partielle.
Sur le taux médical.
En vertu des dispositions combinées des articles L. 434-2 alinéa 1 et R. 434-32 du code de la sécurité sociale, le taux d’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité.
Selon ce barème, les quatre premiers éléments de l’appréciation concernent l’état du sujet considéré, du strict point de vue médical. Le dernier élément concernant les aptitudes et la qualification professionnelle est un élément médico-social.
Les barèmes indicatifs d’invalidité dont il est tenu compte pour la détermination du taux d’incapacité permanente d’une part en matière d’accidents du travail et d’autre part en matière de maladies professionnelles sont annexés au livre IV de la partie réglementaire du code de la sécurité sociale (annexes 1 et 2 du code). Lorsque ce dernier barème ne comporte pas de référence à la lésion considérée, il est fait application du barème indicatif d’invalidité en matière d’accidents du travail.
Seules les séquelles imputables à l’accident du travail ou à la maladie professionnelle peuvent ouvrir droit à l’indemnisation prévue par les articles L. 434-1 et suivants du code de la sécurité sociale.
En outre, l’incapacité permanente consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle est appréciée à la date de la consolidation de l’état de la victime sans que puissent être pris en considération des éléments postérieurs à ladite consolidation.
Les juges du fond disposent du pouvoir souverain d’apprécier des éléments de fait et de preuve débattus, sans être liés par les éléments d’évaluation pris en compte par le médecin conseil de la caisse (en ce sens, Civ. 2e, 22 septembre 2022, n° 21-13.232).
Le barème indicatif d’invalidité – accidents du travail, indique que ;
« 2.2.4 GENOU.
L'examen se fera toujours par comparaison avec le côté sain. Conformément au barème international, l'extension complète constitue le repère 0 ; la flexion atteint donc 150. On recherchera les mouvements anormaux, latéraux, mouvements de tiroir, ressauts ...
On appréciera également l'atrophie quadricipitale, pour mensuration de la cuisse à 15 cm au-dessus du bord supérieur de la rotule.
La mesure des angles se fera à l'aide du goniomètre, et par la mensuration de la distance talon-fesse.
Blocage du genou.
- Rectitude (position favorable) 30
- De 5° à 25° 35
- De 25° à 50° 40
- De 50° à 80° 50
- Au-delà de 80° 60
- Déviation en valgum ou en varum : en plus (la somme des taux ne pouvant dépasser le taux prévu pour l'amputation du tiers inférieur de la cuisse) 10 à 15
Limitation des mouvements du genou.
- L'extension est déficitaire de 5° à 25° 5
- L'extension est déficitaire de 25° 15
- L'extension est déficitaire de 45° 30
- La flexion ne peut s'effectuer au-delà de 110° 5
- La flexion ne peut se faire au-delà de 90° 15
- La flexion ne peut se faire au-delà de 45° 25
Mouvements anormaux.
- Résultant d'une laxité ligamentaire (latéralité tiroir, etc.) 5 à 35
- Blocage ou dérobement intermittent, compte tenu des signes objectifs cliniques (notamment atrophie musculaire, arthrose et signes para-cliniques) 5 à 15
Ces taux s'ajoutent éventuellement à ceux attribués pour les autres atteintes fonctionnelles du genou.
- Rotule anormalement mobile (par rupture d'ailerons rotuliens) 10
- Luxation récidivante 15
- Patellectomie 5
A ce taux s'ajoutent les autres taux fixés pour l'atteinte fonctionnelle du genou.
Hydarthrose chronique.
- Légère 5
- Récidivante, entraînant une amyotrophie marquée 15
Corps étranger traumatique.
(A évaluer selon les pertes fonctionnelles et blocages constatés) ».
L’assuré considère que le taux médical doit être fixé à 7 % au vu des conclusions du médecin sollicité par le tribunal.
Ce dernier a relevé qu’il y a deux pathologies : « l’une mécanique avec rupture du ligament croisé antérieur réparée avec des résultats satisfaisants et la deuxième sur un versant dégénératif avec pour conséquence une aggravation des douleurs et troubles de la marche en association avec un syndrome dit essuie-glace du genou gauche. Les pathologies constatées sont et ont été accessibles aux thérapeutiques.
In fine, nous pouvons dire qu’à la date de consolidation du 25 décembre 2022, les séquelles constatées (des douleurs importantes au niveau de la face latérale du genou gauche et limitation légère des flexions, impossibilité de s’accroupir) ne sont pas uniquement à rattacher au traumatisme du ligament croisé antérieur opéré avec efficacité mais à une dégradation lente d’une chondropathie débutante au moment de la chute et peut-être déstabilisée par les traumatismes du 14 avril 2021 ».
Le médecin en conclut que « tenant compte de l’état clinique à la date de consolidation (25 décembre 2022) et de l’état antérieur se développant pour son propre compte, selon le barème 2-2-4, douleurs et dérobement intermittent du genou gauche (5 % à 15 %) nous pouvons proposer un taux médical d’incapacité permanente partielle à 7 % concernant l’ensemble du tableau clinique en relation avec le traumatisme initial du 14 avril 2021 ».
Cependant, ainsi que le relève la caisse, le médecin désigné par le tribunal a tenu compte de l’état antérieur se développant pour son propre compte (dégradation lente d’une chondropathie débutante au moment de la chute).
Or, il ne peut être tenu compte pour déterminer ce taux d’incapacité permanente que des séquelles de l’accident.
Il n’est ainsi pas justifié que la commission médicale de recours amiable n’a pas tenu compte des séquelles dudit accident pour déterminer le taux à 5 % au regard du barème suscité.
Il convient de souligner à ce titre dans le rapport de la commission médicale de recours amiable produit aux débats, il a bien été retenu au titre des séquelles : « blocage ou dérobement intermittent du genou gauche » et les doléances relatives à la difficulté à s’accroupir et la gêne fonctionnelle du genou, éléments correspondant à ceux retenus par le médecin consultant.
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu à modifier le taux médical d’incapacité permanente partielle évalué par la commission médicale de recours amiable à 5 %.
Sur le coefficient professionnel.
Il résulte de la circulaire CNAMTS du 5/10/1992 qu’un coefficient professionnel peut être appliqué en cas de perte de salaire réelle lorsqu’une IPP d’origine médicale a été attribuée. Ce coefficient correspond à un correctif majorant le taux d’incapacité fonctionnelle, tenant compte des conséquences de l’accident ou de la maladie sur la carrière professionnelle de l’assuré et notamment des risques de perte d’emploi ou de difficultés de reclassement sans limiter l’appréciation de ces éléments à l’activité au cours de laquelle est survenu l’accident (en ce sens, v. not. Soc., 26 mars 1984, n° 82-16.503), des caractéristiques de la profession exercée (en ce sens, Soc., 15 juin 1983, n° 83-12.268), de l’octroi d’une qualification inférieure (en ce sens, Soc., 21 juin 1990, n° 88-13.605) ou de la perte d’une rémunération supplémentaire (en ce sens, Soc., 17 mai 1982, n° 80-16.358).
En l’espèce, ainsi que le souligne la caisse, l’assurée, âgé de 52 ans au moment de sa consolidation, a été licencié pour inaptitude en l’absence de reclassement possible au sein de la société.
N’est pas contesté par les parties Il convient au vu de ces éléments de lui attribuer un taux de 3 % pour le coefficient professionnel.
Sur les dépens.
Partie perdante, l’assurée est condamnée aux dépens de l’instance, conformément à l’article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe :
DIT qu’à la date du 25 décembre 2022, le taux d’incapacité permanente partielle présenté par Madame [C] [E] des suites de son accident du travail du 14 avril 2021 pris en charge par la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine au titre de la législation professionnelle est de 8 % dont 3 % pour le coefficient professionnel ;
REJETTE les autres demandes ;
CONDAMNE Madame [C] [E] aux dépens.
Ainsi jugé et prononcé, les mois, jour et an que susdits.
Le greffier La présidente