TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
PÔLE SOCIAL
MINUTE N°
AUDIENCE DU 30 Août 2024
AFFAIRE N° RG 21/00776 - N° Portalis DBYC-W-B7F-JNOR
89B
JUGEMENT
AFFAIRE :
[C] [A] [P]
C/
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’ILLE ET VILAINE, Société [10]
Pièces délivrées :
CCCFE le :
CCC le :
PARTIE DEMANDERESSE :
Madame [C] [A] [P]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Lara BAKHOS, avocat au barreau de RENNES, substituée à l’audience par Me Anne LE ROY, avocat au barreau de RENNES
PARTIES DEFENDERESSES :
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’ILLE ET VILAINE
[Adresse 9]
[Localité 3]
représentée par madame [MF] [PK], suivant pouvoir
Société [10]
[Adresse 7]
[Localité 5]
représentée par Me Christelle GUILLEMAIN, avocat au barreau de RENNES
substituée à l’audience par Me Jean-Christophe GOURET, avocat au barreau de RENNES
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : Madame Guillemette ROUSSELLIER,
Assesseur : Madame Evelyne DEROINE, Assesseur du pôle social du TJ de Rennes
Greffiers : Madame Rozenn LE CHAMPION, lors des débats et Caroline LAOUENAN, lors du délibéré
A l’audience de ce jour, le tribunal statue à Juge Unique , après accord des parties ou de leurs représentants en application de l’article L.218-1 du code de l’organisation judiciaire.
DEBATS :
Après avoir entendu les parties en leurs explications à l’audience du 15 Mai 2024, l'affaire a été mise en délibéré pour être rendu au 30 Août 2024 par mise à disposition au greffe.
JUGEMENT : mixte, contradictoire et en premier ressort
EXPOSE DU LITIGE
Le 14 mai 2020, Madame [C] [A] [P], salariée de la société [10] depuis le 1er mars 2005 en qualité de responsable du service paie et facturation, a été victime d’un accident du travail dans des circonstances ainsi décrites à la déclaration dressée le 27 novembre 2020 par l’employeur :
« Activité de la victime lors de l’accident : non connue de l’employeur
Nature de l’accident : non connue de l’employeur
Objet dont le contact a blessé la victime : non connue de l’employeur »
La société [10] a joint un courrier de réserves à cette déclaration.
Le certificat médical initial, établi par le docteur [Z] [W] le 17 novembre 2020, fait état d’un « syndrome anxieux important avec troubles du sommeil et de l’appétit. Troubles ayant débuté le 17/04/2020 avec début du syndrome anxieux ce jour-là ». Il fixe la date de l’accident au 17 avril 2020.
La caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) d’Ille-et-Vilaine a procédé par voie de questionnaires, l’employeur ayant rempli le sien le 17 décembre 2020 et la salariée le 8 janvier 2021. Elle a en outre diligenté une enquête administrative.
Par courriers du 22 février 2021, la caisse a notifié à l’assuré et à son employeur sa décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l’accident dont a été victime Mme [A] [P].
Le 12 mars 2021, Mme [A] [P] a sollicité de la CPAM d’Ille-et-Vilaine la mise en œuvre d’une procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Un procès-verbal de non-conciliation a été dressé par la caisse le 26 juillet 2021.
Par requête parvenue au greffe de la juridiction le 9 septembre 2021, Mme [A] [P] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Rennes d’une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [10].
L’état de santé de Mme [A] [P] consécutif à son syndrome anxio-dépressif a été déclaré consolidé à la date du 9 septembre 2021 et un taux d’incapacité permanente partielle de 5% lui a été attribué compte tenu d’une « asthénie avec fatigabilité » selon notification du 14 octobre 2021.
L’affaire a été appelée à l’audience du 15 mai 2024.
Mme [A] [P], dûment représentée, se référant expressément à ses conclusions n° 2 en date du 6 décembre 2023, demande au tribunal de :
Débouter la société [10] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Débouter la société [10] de sa demande de sursis à statuer ;
Dire et juger que l’accident du travail dont elle a été victime est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [10] ;
Ordonner le doublement de la rente ou du capital qui sera versé à Mme [A] [P] ;
Dire que la majoration du capital ou de la rente suivra l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle de Mme [A] [P] ;
Désigner tel médecin expert qu’il plaira au tribunal avec la mission rappelée au motif des présentes conclusions ;
Allouer à Mme [A] [P] une provision de 5.000 euros à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices personnels ;
Condamner la CPAM d’Ille-et-Vilaine au paiement d’une indemnité de 2.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;
Dépens comme de droit.
A l’appui de ses prétentions, Mme [A] [P] fait essentiellement valoir que le délai de deux ans dont elle disposait pour déclarer son accident a bien été respecté et que le décalage entre la date de l’accident et la date de l’arrêt de travail n’a aucune incidence sur la présomption d’imputabilité et n’est pas de nature à faire obstacle à la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident. Elle ajoute que si la caisse a mentionné à tort la date du 14 mai 2020 dans l’enquête comme date de l’accident, il s’agit d’une erreur matérielle, l’accident étant survenu le 17 avril 2020, ainsi que cela est mentionné au certificat médical initial. Elle estime que le caractère soudain et certain de son accident ne peut être discuté par l’employeur.
Sur la faute inexcusable, Mme [A] [P] explique qu’elle a dû composer avec les injonctions contradictoires de son supérieur hiérarchique durant période de covid et qu’elle a dû faire face au mécontentement des intérimaires en réponse aux promesses non tenues de la direction en matière de paie. Elle affirme que suite à la journée du 17 avril 2020, au cours de laquelle elle a subi les remontrances, le dénigrement et la pression de M. [H], elle s’est trouvée dans un état de détresse et n’a pu continuer à travailler à partir du 14 mai 2020. Elle ajoute que la formation à la gestion du stress et des priorités mentionnées dans le document unique d’évaluation des risques (DUER) n’a pas été réalisée, les seules formations auxquelles elle a pris part ayant été réalisées en 2012 et 2017 et le contenu de ces formations n’étant pas démontré. Elle expose également qu’il résulte de l’enquête de la caisse que la mesure du DUER consistant à mettre en place des tâches définies pour chaque semaine n’a pas été respectée. Elle indique enfin que la conscience du danger est manifeste, l’employeur ne pouvant ignorer les risques qu’il fait courir à sa salariée en la dénigrant devant ses collègues et en la confrontant à des directives contradictoires.
En réplique la société [10], dûment représentée, se référant expressément à ses dernières conclusions du 23 octobre 2023, demande au tribunal de :
A titre principal :
Surseoir à statuer dans l’attente d’une décision définitive du tribunal judiciaire sur la contestation de la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident de Mme [A] [P] ;
A titre subsidiaire :
Juger de l’absence d’accident du travail survenu au sein de la société [10] et dont Mme [A] [P] aurait été victime ;
Juger que faute de maladie professionnelle, aucune faute inexcusable ne peut être reconnue à l’encontre de l’association ;
A titre infiniment subsidiaire :
Juger que Mme [A] [P] ne démontre pas que l’accident du travail est dû à une faute inexcusable de la société [10] ;
Débouter Mme [A] [P] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
Recevoir la société [10] en sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner Mme [A] [P] à payer une somme de 2.500 euros à la société [10] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner Mme [A] [P] aux entiers dépens ;
A titre infiniment subsidiaire :
Juger que la caisse ne pourra exercer son action récursoire à l’encontre de la société dès lors que l’accident du travail n’est pas reconnu ;
Débouter Mme [A] [P] au titre de la majoration de la rente AT/MP ;
Décerner acte à la société [10] de ce qu’elle ne conteste pas le bien fondé de la mesure d’expertise médicale sollicitée par Mme [A] [P] qui pour être ordonnée sous ces réserves :
Tenir compte des réserves et remarques apportées par la société [10] sur les souffrances endurées, l’incidence professionnelle, la perte ou diminution de chances de promotion professionnelle, le préjudice esthétique et la nécessité éventuelle d’adapter son véhicule ou son logement ;
Débouter Mme [A] [P] au titre de l’allocation d’une provision, au titre de l’indemnisation des préjudices éventuels non couverts par la rente AT/MP ;
Fixer à justes proportions la somme versée à Mme [A] [P] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, la société estime en résumé qu’en l’absence d’accident du travail, aucune faute inexcusable ne pourra être retenue et la caisse ne pourra exercer aucune action récursoire, de sorte que le sursis à statuer s’impose.
Sur la contestation du caractère professionnel de l’accident, la société [10] indique que la salariée n’a déclaré aucun incident à la date du 17 avril 2020 et qu’elle a attendu 7 mois pour consulter son médecin. Elle estime que le médecin prescripteur a commis une faute professionnelle et que la caisse ne pouvait pas prendre en compte la date mentionnée par celui-ci sur le certificat médical initial. Elle fait valoir que jusqu’au 17 novembre 2020, elle n’a reçu des arrêts de travail que pour maladie simple et que la salariée explique elle-même que, dès le départ, sa psychologue et le médecin du travail lui ont conseillé d’effectuer une demande de requalification en accident du travail. Elle affirme que la déclaration d’accident du travail a été réalisée en opportunité sur les conseils de son avocat, dans le cadre du litige l’opposant à son employeur concernant sa rupture conventionnelle et la faute grave ayant conduit à son licenciement. La société [10] expose que le caractère brutal et soudain du sinistre fait défaut, de même que le critère lié aux conditions anormales de travail et la matérialité de l’accident.
Sur l’inopposabilité de la décision de prise en charge, la société [10] se prévaut du non-respect par la caisse des délais et des règles de consultation du dossier dans le cadre de l’instruction de l’accident de Mme [A] [P].
Sur la faute inexcusable, la société [10] observe qu’au cours de la crise sanitaire, les annonces gouvernementales et réglementations ont régulièrement évolué, entraînant ainsi des difficultés de gestion en particulier au sein des services de paie et de ressources humaines mais que, dès le 16 mars 2020, le groupe [8] a décidé de prolonger tous les contrats de mission jusqu’au 27 mars 2020 afin d’assurer un salaire aux intérimaires. Elle observe qu’une communication a été faite en ce sens auprès des intérimaires et que Mme [A] [P], bien qu’informée de ces consignes, ne les a pas transmises à ses équipes, arrêtant sans explication les contrats au 20 mars 2020. Elle estime que les remarques de M. [H] du 17 avril 2020 tendant à ce que Mme [A] [P] se conforme aux directives du 3 avril 2020 étaient légitimes et relevaient du pouvoir de direction. Elle affirme que les témoignages dont Mme [A] [P] se prévaut ne sont de simples témoignages indirects par ouï-dire, aucun des témoins n’étant présents lors des échanges avec M. [H]. Elle soutient que Mme [A] [P] tente de reporter la responsabilité de sa propre faute sur la direction alors que celle-ci lui avait communiqué des consignes claires et suffisamment à l’avance, indiquant que la salariée n’a jamais alerté son employeur de l’existence d’une détresse physique ou psychologique en lien avec ses conditions de travail.
La société [10] indique qu’elle avait pris des mesures pour préserver ses salariés, ainsi qu’il résulte du DUER, lequel prévoyait la mise en place de formations auxquelles Mme [A] [P] a participé sur la prévention des risques psychosociaux, notamment sur le management, la communication, la gestion du stress et des priorités. Elle ajoute que, durant la crise du covid-19, la société a communiqué avec ses équipes et que l’affirmation selon laquelle de nombreux salariés permanents auraient quitté l’entreprise n’est étayée par aucun élément de preuve, l’analyse de l’activité de la société permettant d’établir que le nombre de collaborateurs augmente.
La CPAM d’Ille-et-Vilaine, régulièrement représentée, se référant expressément à ses conclusions additionnelles et récapitulatives datées du 15 avril 2024, prie le tribunal de :
Sur la forme :
Rejeter la demande de sursis à statuer formée par la société [10] ;
Au fond :
Sur le caractère professionnel de la maladie du 3 février 2015 :
Sur l’accident du 17 avril 2020 :
Débouter la société [10] de sa demande relative à la contestation du caractère professionnel de l’accident dont a été victime Mme [A] [P] le 17 avril 2020 ;
Confirmer que la présomption d’imputabilité s’applique à l’accident dont a été victime Mme [A] [P] le 17 avril 2020 ;
Reconnaître en conséquence le caractère professionnel de l’accident dont a été victime Mme [A] [P] le 17 avril 2020 ;
Débouter la société [10] de sa demande tendant à voir déclarer la décision de pris en charge de la CPAM d’Ille-et-Vilaine notifiée le 22 février 2021 inopposable à la société [10] ;
Déclarer en conséquence opposable à la société [10] la décision de la CPAM d’Ille-et-Vilaine notifiée le 22 février 2021 de prendre en charge au titre de la législation professionnelle l’accident dont a été victime Mme [A] [P] le 17 avril 2020 ;
Sur la faute inexcusable de l’employeur :
Décerner acte à la CPAM d’Ille-et-Vilaine de ce qu’elle déclare s’en remettre à justice pour statuer sur l’existence de la faute inexcusable de l’employeur, la société [10], dans la survenue de l’accident du 17 avril 2020 dont Mme [A] [P] a été victime ;
Décerner acte à la CPAM d’Ille-et-Vilaine de ce qu’elle déclare s’en remettre à justice sur :Le doublement du capital versé à Mme [A] [P] sur la base du taux d’incapacité permanente de 5% ;La demande d’expertise médicale judiciaire ;La demande de provision ;
Limiter le cas échéant, la mission de l’expert, en sus des postes listés à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, aux seuls postes de préjudices non expressément couverts par le Livre IV du code de la sécurité sociale ;
Rejeter la demande de la société [10] visant à contester l’action récursoire de la CPAM à son encontre ;
Condamner en conséquence la société [10] à rembourser à la CPAM d’Ille-et-Vilaine l’ensemble des provisions et indemnités dont elle sera amenée à faire l’avance au titre des préjudices personnels et la victime et le montant des frais d’expertise ;
Rejeter la demande de Mme [A] [P] tendant à voir la CPAM d’Ille-et-Vilaine condamnée à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuer ce que de droit sur les dépens.
Au soutien de ses prétentions, la caisse fait essentiellement valoir que le sursis à statuer n’est ni opportun ni dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Sur le caractère professionnel de l’accident, elle estime que la matérialité du fait accidentel est parfaitement établie et doit conduire à l’application de la présomption d’imputabilité. Elle observe que la date du 17 avril 2020 est mentionnée dans le certificat médical initial, le questionnaire de l’assurée et l’enquête administrative de la caisse, l’agent enquêteur ayant recueilli un grand nombre de témoignages de collaborateurs faisant état de la date du 17 avril 2020 et les relevés téléphoniques transmis par la demanderesse confortant ses propos. Elle ajoute que dans sa lettre de réserves, l’employeur n’a pas contesté que Mme [A] [P] se trouvait au travail le 17 avril 2020 et que la lésion mentionnée dans le certificat médical initial est compatible avec les circonstances de l’accident. La caisse indique enfin que la date du 14 mai 2020 correspond à la date d’un comité de direction à l’issue duquel Mme [A] [P] ne s’est pas sentie bien ainsi qu’il résulte des témoignages figurant au dossier et qu’il n’existe aucune confusion entre cette date et celle du 17 avril 2020.
S’agissant de l’opposabilité de la décision de prise en charge, la caisse indique qu’il n’existe aucun délai à respecter entre la clôture de la phase de consultation et d’observation du dossier par l’employeur et la date de décision finale, de sorte que rien ne l’oblige à se prononcer précisément à la date initialement annoncée dès lors qu’elle considère disposer de suffisamment d’éléments pour statuer et qu’elle a respecté les délais mentionnés à l’article R. 44168 du code de la sécurité sociale. Elle ajoute qu’elle a dûment informé la société de commentaires formulés le 19 février 2021 par Mme [A] [P] et que l’affirmation selon laquelle elle aurait privé l’employeur de la possibilité de consulter ces observations est infondée. La caisse rappelle enfin qu’aucune disposition du code de la sécurité sociale ne lui impose de permettre l’accessibilité du dossier une fois la décision de prise en charge rendue.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il convient de se référer à leurs conclusions sus-citées, et ce en application de l’article 455 du code de procédure civile.
A l’issue des débats, la décision a été mise en délibéré au 30 août 2024 et rendue à cette date par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
DISCUSSION
A titre liminaire, il convient d’observer qu’aux termes de ses conclusions, la société [10] se prévaut notamment d’arguments relatifs au principe du contradictoire, plus particulièrement au non-respect par la caisse des délais et des règles de consultation du dossier dans le cadre de l’instruction de l’accident de Mme [A] [P].
Ce faisant, elle développe des moyens de pure procédure qui ont trait non pas à la contestation du caractère professionnel de l’accident mais à l’inopposabilité de la décision de prise en charge rendue par la caisse le 22 février 2021.
Or, il est constant que l’employeur est irrecevable à invoquer l’inopposabilité de la décision de prise en charge dans le cadre de l’instance en reconnaissance de sa faute inexcusable.
Ayant pour objet exclusif la prise en charge ou le refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle, de l’accident, de la maladie ou de la rechute, la décision prise par la caisse à ce titre est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur (en ce sens Civ 2e, 11 février 2016, n° 15-10.066 ; Civ. 2e, 26 novembre 2020, n° 19-18.244).
Ainsi, si les moyens procéduraux sont particulièrement pertinents dans le cadre du recours en inopposabilité exercé par l’employeur dans ses rapports avec la caisse, ils sont inopérants dans le cadre de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, ce dernier étant seulement recevable à contester le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie.
D’ailleurs, l’inopposabilité de la décision de prise en charge à l’égard de l’employeur est sans aucune incidence sur l’action récursoire exercée par la caisse (en ce sens, Civ. 2e, 31 mars 2016, n° 14-30.015 ; Civ. 2e, 24 mai 2017, n° 16-17.726 ; Civ. 2e, 21 octobre 2021, n° 20-10.541 ; Civ 2e, 26 novembre 2020, n° 19-21.890 et n° 19-18.244), sauf à ce qu’une décision de justice passée en force de chose jugée ait reconnu, dans les rapports entre la caisse et l’employeur, que l’accident ou la maladie n’avait pas de caractère professionnel (en ce sens, Civ. 2e, 15 février 2018, n° 17-12.567), ce dont en l’occurrence l’employeur ne fait pas état.
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’examiner les moyens soulevés par la société [10] tirés du non-respect par la caisse des délais et des règles de consultation du dossier.
Sur la demande de sursis à statuer.
Aux termes de l’article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps et jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine.
Le juge apprécie souverainement les conditions et l’opportunité d’un tel sursis à statuer au regard de l’intérêt d’une bonne administration de la justice, ce sursis pouvant être ordonné lorsque l’issue d’une autre instance pendante est de nature à influer sur celle de l’instance en cours.
En l’espèce, la société [10] justifie avoir formé un recours devant la présente juridiction à l’encontre de la décision de la commission de recours amiable du 15 septembre 2021 rejetant le recours administratif préalable qu’elle avait exercé aux fins d’inopposabilité de la décision de prise en charge de l’accident de Mme [A] [P] au titre de la législation professionnelle rendue par la CPAM d’Ille-et-Vilaine le 22 février 2021.
L’affaire a été enrôlée sous le n° RG 21/00919.
La société [10] sollicite un sursis à statuer dans l’attente du jugement sur l’opposabilité de la décision de prise en charge.
Néanmoins, outre le fait que qu’aucune audience de plaidoiries n’est à ce jour prévue dans l’instance n° RG 21/00919, il convient d’observer :
Que le principe de l’indépendance des contentieux exclut que le recours en inopposabilité exercée par l’employeur dans ses rapports avec la caisse puisse exercer une influence sur l’issue de la procédure en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, étant précisé que, dans le cadre de la présente instance, la société [10] est en mesure de contester le caractère professionnel de l’accident,
Qu’au surplus, il a été vu supra que l’inopposabilité de la décision de prise en charge à l’égard de l’employeur est, par principe, sans aucune incidence sur l’action récursoire de la caisse.
Dans ces conditions, la demande de sursis à statuer est rejetée.
Sur le caractère professionnel de l’accident.
Aux termes de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.
L’accident du travail est donc un événement, survenu au temps et lieu du travail, certain, identifié dans le temps, ou résultant d’une série d’événements survenus à des dates certaines, générateur d’une lésion physique ou psychologique qui s’est manifestée immédiatement ou dans un temps voisin de l’accident et médicalement constatée.
Est présumée imputable au travail toute lésion survenue au temps et au lieu du travail.
Pour que la présomption d’imputabilité au travail puisse jouer, la victime doit au préalable établir la réalité de la lésion ainsi que la survenance au temps et au lieu du travail. Il appartient à celui qui prétend avoir été victime d’un accident du travail d’établir autrement que par ses propres affirmations les circonstances exactes de l’accident et son caractère professionnel, la présomption ne pouvant résulter des seules allégations de la victime non corroborées par des éléments objectifs.
S’agissant de la preuve d’un fait juridique, cette preuve est libre et peut donc être rapportée par tous moyens, notamment par des présomptions graves, précises et concordantes au sens de l’article 1382 du code civil. Elle ne peut cependant résulter des seuls dires de la victime ni des caractéristiques de la lésion invoquée. Ainsi en est-il lorsque les déclarations du salarié sont corroborées par la teneur des documents médicaux produits et par les déclarations des témoins voire par des documents médicaux seulement, dès lors que ceux-ci sont suffisamment précis.
Le caractère soudain de la lésion permet de distinguer l’accident du travail de la maladie professionnelle, de sorte que ne constituent en principe pas des accidents du travail les lésions apparues de façon lente et progressive au cours du travail et qui ne résultent pas d’un fait précis et identifiable.
Néanmoins, constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci (en ce sens, Soc., 2 avril 2003, n° 00-21.768). Il en est de même s’agissant des affections psychiques (en ce sens, Civ. 2e, 1er juillet 2003, n° 02-30.576). La qualification d’accident du travail demeure cependant exclue lorsque la date d’apparition de la lésion est incertaine et que l’affection, apparue progressivement, résulte d’une exposition prolongée au froid (en ce sens, Civ. 2e, 18 octobre 2005, n° 04-30.352).
La constatation médicale tardive des lésions ne saurait à elle seule faire obstacle au jeu de la présomption d’imputabilité et à la prise en charge de l’accident déclaré au titre de la législation sur les risques professionnels (Civ. 2e, 25 juin 2009, n° 08-11.997 ; CA Amiens, 4 avril 2023, n° RG 22/01240 ; dans le même ordre d’idée pour une constatation médicale 11 jours après l’accident : Civ. 2e, 24 juin 2021, n° 19-24.945).
Au cas d’espèce, la déclaration d’accident du travail établie par l’employeur le 27 novembre 2020 ne mentionne aucune lésion. Elle fixe la date de l’accident au 14 mai 2020.
Le certificat médical initial, établi le 17 novembre 2020, fait état d’un « syndrome anxieux important avec troubles du sommeil et de l’appétit. Troubles ayant débuté le 17/04/2020 avec début du syndrome anxieux ce jour-là ». Il fixe la date d’apparition des lésions au 17 avril 2020 et précise que la date déclarée de l’accident est le 14 mai 2020.
D’emblée, il convient d’observer que l’argument de la société [10] selon lequel le sinistre déclaré par Mme [A] [P] n’aurait pas un caractère brutal est inopérant, l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale sus-mentionné impliquant seulement que l’apparition des lésions ait un caractère soudain, étant rappelé que celle-ci peut intervenir postérieurement au fait ou à la série de faits générateurs.
De même, l’absence de conditions anormales de travail, outre le fait qu’elle est discutable compte tenu du contexte particulier de la pandémie mondiale de covid-19, est sans effet sur le caractère professionnel de l’accident, la loi n’exigeant pas que l’accident survienne dans des circonstances particulières ou qu’il soit causé par l’anormalité des conditions de travail de la victime au moment des faits.
Enfin, la faute professionnelle dont la société [10] se prévaut à l’encontre du docteur [W], rédacteur du certificat médical initial, ne saurait avoir aucune incidence sur l’issue du litige.
Il est à ce titre rappelé que le pôle social n’est pas compétent pour statuer sur les éventuels manquements déontologiques des médecins, la victime ne pouvant être privée de ses droits du fait de ces manquements qui, à les supposer établis, ne lui sont pas imputables.
Au surplus, en indiquant que le syndrome anxieux de Mme [A] [P] avait débuté le 17 avril 2020, le médecin s’est placé dans les strictes limites de son office, étant entendu qu’il lui appartenait de reporter sur les certificats médicaux initial ou de prolongation tous les renseignements et constatations de nature à déterminer l’origine traumatique ou morbide des lésions et que, n’étant tenu à aucune obligation d’enquêter ou d’organiser un débat contradictoire, il pouvait valablement s’en tenir aux déclarations de sa patiente s’agissant des dates mentionnées, lesquelles ne constituaient d’ailleurs pas des constatations médicales mais de simples éléments de contexte échappant à son contrôle.
Aux termes de son questionnaire assuré rempli le 8 janvier 2021, Mme [A] [P] a expliqué très précisément la date, la nature et les circonstances de l’événement du 17 avril 2020 qui, selon elle, aurait conduit à son incapacité de travail à compter du 14 mai suivant.
Surtout, il ressort du rapport d’enquête administrative que, le 19 janvier 2021, Mme [A] [P] s’est longuement entretenue avec l’agent assermenté de la caisse, lequel a pu interroger l’assurée sur la date, la nature et les circonstances de l’accident et de l’apparition de ses lésions.
Les réponses et explications apportées par Mme [A] [P] ne souffrent d’aucune incohérence et sont étayées :
Par les témoignages de plusieurs de ses collègues (cf. à ce titre les entretiens téléphoniques avec Mesdames [CX] [T], [XA] [D], [BF] [M], [K] [G], [U] [KP], [JF] [V] et [EO] [S]) ;
Par le journal d’appel annexé à l’enquête, qui démontre que, le 17 avril 2020, M. [H] a joint Mme [A] [P] à deux reprises, à 9h51 et 10h20, les appels ayant respectivement duré 15 min 16 sec et 2 min 29 sec.
La société [10] affirme que toutes les salariées entendues par la caisse n’étaient pas présentes dans les locaux de l’entreprise le 17 avril 2020.
A la lecture des entretiens, il apparaît néanmoins que seule Mme [T] était absente ce jour-là.
Toutes les autres salariées entendues étaient présentes et produisent un témoignage similaire et circonstancié : M. [H] a téléphoné à Mme [A] [P] dans la matinée, puis il s’est déplacé dans les locaux de l’entreprise, s’est entretenu avec la requérante dans son bureau et est resté sur site jusqu’à 20 heures afin de superviser le travail des collaborateurs présents.
Si aucune des collègues n’a pu entendre la teneur précise des conversations qui se sont tenues entre Mme [A] [P] et M. [H], une telle circonstance importe peu dès lors qu’il est suffisamment démontré par les éléments objectifs de l’enquête administrative que des échanges – téléphonique puis de vive voix – ont bel et bien eu lieu entre Mme [A] [P] et M. [H] le 17 avril 2020, ce qu’au demeurant la société ne conteste pas, et qu’à la suite de ces échanges, Mme [A] [P] « n’était pas bien », qu’elle « s’est retenue de pleurer », qu’elle s’est trouvée « en état de stress », « les yeux rouges », « à fleur de peau », « au bord des larmes ».
Mme [A] [P] a été en congés du 18 au 27 avril 2020.
A son retour de congés, elle affirme qu’elle était toujours stressée et qu’elle a informé Monsieur [O] [J], directeur des ressources humaines de la société [10], des événements du 17 avril 2020, ce que ce dernier a confirmé au cours de son entretien téléphonique du 28 janvier 2021.
Le 14 mai 2020, Mme [A] [P] expose avoir assisté à une réunion (un CODIR) où M. [H] était présent. Elle explique qu’au cours du CODIR, elle a évoqué le problème du retrait des frais de logement sur les fiches de paie des intérimaires, ce que M. [J] confirme dans son entretien en précisant « qu’ils n’ont fait qu’appliquer la réglementation en vigueur », mais que M. [H] n’a pas été à l’écoute, qu’il « s’est fait passer pour la victime en disant qu’il n’allait pas tout leur payer », ajoutant « c’est moi le patron, je fais ce que je veux ». L’enquête administrative précise :
« Le midi, elle a déjeuné dans la salle de pause. Elle ne se sentait pas bien. Elle a pleuré toute seule.
Elle était à son poste de travail, mais elle ne se sentait pas bien. Elle se sentait bloquée et avait du mal à faire son travail. Elle en a parlé à Mme [S], Mme [D] et Mme [L] [N]. Elle leur a dit qu’elle était à bout, qu’elle n’en pouvait plus. Celles-ci étaient inquiètes pour elle. Elles lui ont conseillé de consulter un médecin.
Mme [A] [P] a tout de même terminé sa journée de travail. Elle n’a pas parlé de son mal-être ce jour-là à M. [J] parce qu’elle n’avait plus confiance en lui. Dans la soirée, elle a consulté son médecin qui, voyant son état, lui a prescrit un arrêt de travail. »
Une nouvelle fois, les témoignages apportés par Mmes [T], [D], [M], [G], [KP], [V] et [S] corroborent les affirmations de la salariée, qui était « à bout et très fatiguée », « n’allait pas bien », « avait les larmes aux yeux », « craquait ».
La société [10] ne conteste pas l’existence de cette réunion, la présence de M. [H] et le fait qu’au terme de sa journée de travail, Mme [A] [P] a consulté un médecin et s’est trouvée en incapacité de travail.
Le fait que, jusqu’au 17 novembre 2020, l’employeur n’ait reçu des arrêts de travail que pour maladie simple est indifférent dès lors :
Qu’il n’est pas sérieusement contesté que le placement en arrêt de travail de Mme [A] [P] le 14 mai 2020 après sa journée de travail fait suite aux événements des 17 avril et 14 mai 2020 ;
Que Mme [A] [P] produit l’attestation de paiement des indemnité journalières dont il résulte qu’elle a présenté une incapacité de travail du 14 mai 2020 au 21 février 2021, sans interruption.
D’ailleurs, l’employeur se prévaut lui-même de l’affirmation de sa salariée selon laquelle, dès le 14 mai 2020, sa psychologue et le médecin du travail lui auraient conseillé d’effectuer une demande de requalification en accident du travail.
Il convient enfin d’observer que si Mme [A] [P] a souffert de son syndrome anxieux jusqu’à son placement en arrêt de travail le 14 mai 2020, le critère de soudaineté est caractérisé dans la mesure où il a été démontré que la lésion est apparue soudainement au cours de la journée du 17 avril 2020, aucun élément du dossier ne portant à croire que le syndrome était en germe avant cette date.
Ni l’enquête de la caisse ni l’employeur ne font état d’éléments extra-professionnels ayant pu concourir à l’apparition soudaine du syndrome anxieux de l’assurée.
Il résulte de tous ces éléments que la survenance d’une suite d’événements (un entretien téléphonique, un entretien oral, une journée de travail et une réunion) survenus les 17 avril et 14 mai 2020 aux temps et lieu de travail ayant donné lieu a l’apparition soudaine d’un syndrome anxieux est démontrée, de sorte que la présomption d’imputabilité trouve à s’appliquer.
Il appartient ainsi à l’employeur, pour renverser cette présomption, de démontrer que l’accident est dû à une cause totalement étrangère au travail, pouvant notamment consister en l’existence d’un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte.
Au cas présent, la société [10] n’établit pas que l’accident litigieux est dû à une cause totalement étrangère au travail.
Si elle affirme que la déclaration d’accident du travail a été réalisée en opportunité sur les conseils de son avocat, dans le cadre du litige l’opposant à son employeur concernant sa rupture conventionnelle et la faute grave ayant conduit à son licenciement, cette allégation, au demeurant impropre à constituer une cause totalement étrangère au travail, n’est appuyée par aucun élément de preuve.
En conséquence, il y a lieu de dire que l’accident dont a été victime Mme [A] [P] le 14 mai 2020 a un caractère professionnel.
Sur la faute inexcusable.
L’article L 452-1 du code de la sécurité sociale édicte que lorsque l’accident ou la maladie professionnelle est dû à la faute inexcusable de l’employeur, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
En application des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, l’employeur est tenu d’une obligation générale de santé et sécurité au travail. Dans le cadre de cette obligation, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés, l’employeur devant veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver (jurisprudence constante, v. par exemple Civ. 2e, 24 février 2024, n° 22-18.868), la conscience du danger s’appréciant au moment ou pendant la période de l’exposition au risque.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié. Il suffit, pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, qu’elle en soit la cause nécessaire, alors même que d’autres facteurs ont pu concourir à la réalisation du dommage.
La preuve de la faute inexcusable de l’employeur incombe à la victime de sorte qu’il appartient à celle-ci de caractériser l’existence de cette conscience du danger qu’avait ou aurait dû avoir l’employeur auquel il exposait son salarié et, dans ce cas, l’absence de mesures de prévention et de protection. Il lui revient également d’établir précisément les circonstances de l’accident lorsqu’elle invoque l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur, la recherche d’une telle faute étant, de surcroît, limitée aux circonstances dans lesquelles s’est produit l’accident en cause.
Selon l’article R. 4121-1 du code du travail, « L’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l’article L. 4121-3.
Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques. »
Au cas d’espèce, la société [10] produit son DUER en vigueur à compter du 6 mai 2019, dont il ressort que l’employeur a identifié plusieurs dangers liés aux risques psychosociaux (p. 16) :
Un risque de « surcharge mentale, stress » à l’occasion d’une « information et formation insuffisantes, absence de communication » ayant pour cause une « exécution de multiples tâches sans définition des missions » ou un « planning connu tardivement », présentant un degré de risque potentiel « moyen » et un degré de risque réel « faible » ; au titre des moyens de prévention humains, le document indique l’existence d’une « formation sur le management, la communication, la gestion du stress, la gestion des priorités » ; au titre des moyens de prévention organisationnels, le document fait état de la mise en place d’une alternance « semaine haute / semaine basse » et de « moyens de communication manager / équipe (réunion du lundi matin) » ;
Un risque de « stress » à l’occasion de « relations conflictuelles avec le public » ayant pour cause des « agressions verbales et/ou physiques », présentant un degré de risque potentiel « moyen » et un degré de risque réel « moyen » ; au titre des moyens de prévention organisationnels, le document fait état de la mise en place de « retour et discussion au sein de l’équipe de l’incident » ;
Un risque de « surcharge mentale, stress » à l’occasion d’une « situation de travail quotidien » ayant pour cause une « stress lié aux objectifs à atteindre, à des tâches multiples, à la mésentente entre salariés, à des violences verbales, à des problèmes techniques récurrents (panne informatique…), au harcèlement, à un cambriolage », présentant un degré de risque potentiel « moyen » et un degré de risque réel « faible » ; au titre des moyens de prévention humains, le document indique l’existence d’une « formation sur le management, la communication, la gestion du stress, la gestion des priorités » ; au titre des moyens de prévention organisationnels, le document fait état de la mise en place de « tâches définies / semaine ».
Il est ainsi démontré que la société [10] était consciente des risques susceptibles d’être causés dans l’hypothèse d’une information ou formation insuffisantes, d’une absence de communication et, plus généralement, par les situations de travail quotidien.
La société [10] justifie qu’au cours de sa carrière, Mme [A] [P] a participé à deux formations :
Une formation sur le thème « Violence et agressivité » les 5 et 6 septembre 2012 ;
Un séminaire inter-entreprises intitulé « Manager : encadrer et animer une équipe ‘‘Les fondamentaux du management’’ » les 25 et 26 avril, 31 mai et 1er juin 2017.
L’employeur produit également :
Un courriel rédigé par M. [J] adressé, entre autres, à Mme [A] [P] et M. [H] le 16 mars 2020, contenant les consignes relatives à la situation des intérimaires et la mise en place de l’activité partielle et indiquant que « tous les contrats actuels doivent être prolongés jusqu’au 30 avril 2020 » ;
La note interne non-datée relative au recours au chômage partiel pour les salaires intérimaires jointe au courriel du 16 mars 2020 ;
Un échange de courriels entre Mme [A] [P] et M. [J] du 3 avril 2020, la première demandant au second la possibilité évoquée par M. [H] de prolonger uniquement jusqu’au 27 mars 2020 certains contrats.
Il résulte par ailleurs de l’enquête administrative que :
Mme [T] a indiqué à l’agent de la caisse : « la période de confinement liée au covid-19 en mars 2020 a été compliquée pour tout le monde (…) il a fallu gérer des nouvelles dispositions concernant le paiement des périodes de chômage partiel. Elle ajoute « des choses qu’on n’avait pas l’habitude de traiter ». Il leur avait été dit de les traiter d’une certaine façon et par la suite, celle-ci n’était plus la bonne. Des nouvelles consignes ont été à nouveau données. La période de mars et avril 2020 a été très tendue pour tout le monde. Il y avait beaucoup de pression. (…)
Mme [T] indique qu’entre mars et avril 2020, ils ont eu beaucoup de choses à faire et à refaire parce que les consignes données n’étaient pas forcément claires. Ils en discutaient ensemble. Ils étaient perdus ne sachant pas ce qu’ils devaient réellement faire. » ;
Mme [D] a affirmé : « Elles [les salariées du service paie et facturation] devaient faire les fiches de paie en tenant compte de l’activité partielle suite à la crise sanitaire liée au covid-19. Pendant la période de mars-avril 2020, elles ont eu plusieurs consignes à ce sujet. Les fiches de paie contenaient des erreurs qu’il a fallu rectifier dans la journée.
Mme [A] [P] leur a dit qu’au cours de cette journée, M. [H] était au téléphone avec une personne. Il a dit à cette personne en présence de Mme [A] [P] qu’elle n’avait rien compris et qu’elle n’avait pas appliqué les bonnes consignes. Mme [A] [P] s’est sentie humiliée. (…)
Mme [D] termine notre entretien téléphonique en disant qu’en mars, avril et mai 2020, il y avait beaucoup de pression pour tout le monde et encore plus pour Mme [A] [P] en tant que responsable. » ;
Mme [M] a précisé que le 17 avril 2020, « elles [les salariées du service paie et facturation] ont eu des informations qui n’étaient pas toujours claires ou contradictoires concernant l’activité partielle liée au covid-19 », que « M. [H] était stressé et de très mauvaise humeur. Il parlait sur un ton sec. Il se déplaçait autour d’elles. Mme [M] indique ‘‘c’était très stressant pour tout le monde’’ » ;
Mme [G] a également indiqué que, le 17 avril 2020, M. [H] « se positionnait à côté des salariées et de Mme [A] [P]. Il leur demandait où elles en étaient dans leur travail. » ;
Mme [KP] a confirmé que, ce jour-là, M. [H] « se déplaçait d’un bureau à un autre pour voir comment elles avançaient dans leur travail », ajoutant que « le vendredi 24 avril 2020, M. [H] a dit ‘‘vous avez fait de la merde’’. Mme [A] [P] était absente, elle était en congé. » ;
Mme [V] elle aussi a informé l’agent de la caisse que, le 17 avril 2020, M. [H] « leur demandait où elles en étaient rendues. Il voulait savoir si elles allaient pouvoir faire tout le travail dans la journée. » ;
Mme [S], présente avec Mme [KP] le 24 avril 2020, a confirmé que M. [H] leur a dit « qu’elles avaient fait de la merde » ;
M. [J] a précisé qu’après avoir été informé des événements de la journée du 17 avril 2020, il a contacté M. [H], lequel lui a confirmé qu’il était resté toute la journée dans les locaux de l’entreprise pour « régulariser la situation », affirmant que « il a été directif parce qu’il y avait des intérimaires qui n’avaient pas eu leur paie ».
Mme [A] [P] produit une attestation rédigée le 21 novembre 2023 Monsieur [F] [X], un collègue de travail, qui explique :
« Il avait une façon de parler très spéciale et péjorative. Je dirais qu’il ne respectait personne. Je l’entendais souvent dire : je suis entouré de bons à rien, d’incapables qui ne comprennent rien. Il se moquait de leur façon de s’habiller, de leur physique et humiliait ses salariés devant tout le monde, et se croyait permis de tout dire ce qu’il voulait ou de hurler après des personnes car comme il disait ‘‘c’est moi le patron, je fais ce que je veux, la loi c’est dehors’’.
Dès le début de l’arrêt de Mme [A], M. [H] a lui-même fait circuler des bruits comme quoi elle l’avait fait exprès. Je l’ai entendu en agence de [Localité 11] dire ‘‘qu’elle faisait soi-disant mal son travail’’. J’ai eu beaucoup de mal à le croire. J’avais souvent Mme [A] au téléphone : c’était un pilier pour nous et pour l’entreprise, on pouvait compter sur elle et elle nous aidait souvent. Ce n’était pas du tout son genre de s’arrêter.
M. [H] ne respectait pas sa parole : il faisait beaucoup de promesses non tenues. La preuve au moment de la période covid, il nous a dit de faire des contrats pour tous les intérimaires jusqu’à fin avril. Ensuite, il a changé d’avis et nous a demandé de tout corriger et remettre à fin mars. Il a de nouveau changé d’avis et nous a donné l’ordre pour les intérimaires installés en France de stopper immédiatement leurs contrats pour ne pas payer le chômage partiel et de leur dire d’aller s’inscrire à pôle emploi.
Je me rappelle que lorsque nous avons prévenus, plusieurs intérimaires sont partis en disant qu’ils changeaient d’agence, qu’ils n’étaient pas contents après nous. Pour les salariés intérimaires européens, afin de ne pas perdre d’argent, il nous a demandé d’arrêter leurs contrats avant fin mars si le logement s’arrêtait avant cette date. Nous avons dû recommencer les contrats plusieurs fois et étions complètement perdus dans les consignes qui changeaient sans arrêt.
Il faisait souvent ça, toujours à changer les choses au dernier moment, à revenir sur ses décisions, ses promesses. J’ai moi-même subi son comportement anormal parce qu’il s’est permis de me licencier uniquement parce que je ne voulais plus faire partie des son équipe de football. Il m’a dit face à face : si tu quittes l’équipe, tu quittes ma société. J’ai essayé de rester, mon travail m’intéressait et je ne voyais pas pourquoi il mélangeait tout, mais il n’a rien voulu entendre. Comme il dit : ‘‘la loi c’est dehors pas à ACTERIM’’. J’ai été licencié le 21 juillet 2020.
J’ai dû porter plainte et je viens de gagner mon prud’hommes : il a été condamné pour licenciement abusif.
Dans sa société il n’y a pas de bienveillance peu importe le bien être des salariés. L’important pour M. [H] c’est de se faire de l’argent, coûte que coûte.
Je sais que d’anciens salariés sont également en prud’hommes contre lui : [O] [R], [NV] [Y], [CX] [I] et [C] [A]. »
Il résulte de tous ces éléments, et de ceux mentionnés précédemment, que le 17 avril 2020, M. [H] s’est entretenu par téléphone avec la requérante entre 9h51 et 10h06 puis entre 10h20 et 10h22. A l’issue de ces appels, il s’est rendu au service paie et facturation de la société et, après avoir eu une discussion avec Mme [A] [P] dans son bureau, il est resté sur site pour surveiller les salariés en se déplaçant d’un bureau à un autre et, ce, jusqu’à 20 heures.
Si aucun salarié n’a personnellement assisté aux échanges intervenus entre M. [H] et Mme [A] [P], tous certifient que cette dernière s’est trouvée en état de stress important, qu’elle était au bord des larmes.
Au vu des témoignages recueillis dans le cadre de l’enquête administrative, la société [10] est mal fondée à se prévaloir du fait que les consignes étaient claires alors que l’ensemble des salariés interrogés par l’agent assermenté de la caisse évoquent une situation incertaine et des consignes changeantes au cours des mois de mars et avril 2020.
La société [10] verse également aux débats un bilan de l’activité du service paie et facturation entre 2017 et 2020, qui met en évidence une augmentation du nombre de collaborateurs dans le service, un maintien du nombre de bulletins réalisés par le service à l’exception de 2020 où une baisse significative est observée (-33,70%) ainsi qu’une baisse du nombre moyen de bulletins réalisés chaque mois par collaborateur.
Toutefois, de telles statistiques, par essence abstraites et impersonnelles, ne sont pas de nature à remettre en cause les témoignages des salariés de la société qui expliquent unanimement avoir eu affaire, durant la période du covid-19, à une forte charge de travail, une pression importante et des injonctions contradictoires.
En l’absence de production des programmes détaillés des formations, rien ne permet de penser que la formation de 2012 et le séminaire de 2017 correspondent à la « formation sur le management, la communication, la gestion du stress, la gestion des priorités » mentionnée dans le DUER.
L’employeur ne démontre pas non plus qu’il a été procédé à la mise en place de tâches définies pour chaque semaine comme indiqué dans le DUER, ce, alors même que la période particulière liée à la pandémie de covid-19 imposait une rigueur accrue de sa part et qu’il lui revenait, dans ces circonstances, de clarifier les consignes à suivre pour effectuer correctement les tâches qu’il demandait à ses salariés d’exécuter.
La société [10] estime encore que les remarques de M. [H] du 17 avril 2020 tendant à ce que Mme [A] [P] se conforme aux directives du 3 avril 2020 étaient légitimes et relevaient du pouvoir de direction.
A ce titre, s’il ressort du témoignage de M. [J] que M. [H] a reconnu avoir été simplement « directif », les témoignages des collègues de la requérante établissent que celui-ci pouvait adopter un comportement inapproprié envers ses collaborateurs (utilisation de termes péjoratifs ou insultants, humiliations, cris, moqueries) et que, quelques jours après les événements du 17 avril 2020, il s’est adressé à Mmes [KP] et [S] en des termes injurieux, affirmant qu’elles « avaient fait de la merde ».
L’employeur indique à plusieurs reprises dans ses conclusions que le comportement de M. [H], qui a consisté pour rappel à se rendre au service paie et facturation, à s’entretenir avec la requérante de manière, sinon humiliante comme l’affirme cette dernière, à tout le moins directive, puis à surveiller les salariés et à les retenir sur place jusqu’en début de soirée, est justifié par les fautes commises par Mme [A] [P] dans l’application des consignes.
Toutefois, outre le fait qu’il a été vu supra que les consignes données pour la gestion de l’activité partielle n’étaient pas claires voire contradictoires et évoluaient fréquemment, l’éventuelle faute de la victime n’est pas de nature à exonérer l’employeur de sa propre faute inexcusable, sauf à revêtir elle-même les caractères d’une faute inexcusable, ce qui n’est pas soutenu en l’espèce.
Surtout, les erreurs éventuellement commises par une salariée dans l’exécution de ses tâches ne justifient en aucun cas l’adoption d’un comportement inapproprié exposant la salariée concernée à un risque pour sa santé physique ou mentale.
Ainsi, il est établi que le comportement de M. [H] le 17 avril 2020, qui dépassait largement le simple cadre du pouvoir de direction et exposait sans raison valable la requérante à un risque pour sa santé physique ou mentale.
En définitive, la société [10], qui s’est gardée de mettre effectivement en œuvre les mesures prévues dans son DUER et qui, par le truchement de son directeur M. [H], a adopté une conduite dont elle connaissait les dangers qu’elle était susceptible de représenter pour la santé mentale de ses salariés, n’a pas pris les mesures nécessaires pour préserver du danger auquel sa salariée était exposée et dont elle était consciente, manquant ainsi à son obligation générale de santé et de sécurité au travail.
Elle a commis une faute inexcusable à l’origine de l’accident du travail dont a été victime Mme [A] [P] le 14 mai 2020.
Sur les conséquences de la faute inexcusable.
Sur la majoration de l’indemnité en capital et de la rente.
Aux termes des articles L. 434-1 et R. 434-1 du code de la sécurité sociale, une indemnité en capital est attribuée à la victime d’un accident du travail atteinte d’une incapacité permanente inférieure à 10%.
En vertu des dispositions de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, dans le cas où la faute inexcusable de l’employeur est reconnue la victime ou ses ayants droits reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues. Lorsqu’une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de ladite indemnité.
En l’espèce, l’état de santé de Mme [A] [P] consécutif à son syndrome anxio-dépressif a été déclaré consolidé à la date du 9 septembre 2021 et un taux d’incapacité permanente partielle de 5% lui a été attribué compte tenu d’une « asthénie avec fatigabilité ».
Il y a en conséquence lieu d’ordonner le doublement de l’indemnité qui a été allouée à l’assurée au titre de son syndrome anxieux.
Sur l’indemnisation des préjudices, l’expertise et la provision.
Selon l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d’un taux d’incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de la consolidation. De même, en cas d’accident suivi de mort, les ayants droit de la victime mentionnés aux articles L. 434-7 et suivants ainsi que les ascendants et descendants qui n’ont pas droit à une rente en vertu desdits articles peuvent demander à l’employeur réparation du préjudice moral devant la juridiction précitée.
Suivant décision rendue le 18 juin 2010 sur question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a étendu le droit à indemnisation de la victime en lui permettant de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation, non seulement des chefs de préjudice énumérés par le texte précité, mais aussi de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.
Au cas d’espèce, il convient d’ordonner une expertise afin de procéder à l’évaluation des préjudices subis par Mme [A] [P]. La mission de l’expert sera fixée au dispositif du présent jugement et le tribunal ne statuera sur l’ensemble des postes de préjudices sollicités qu’après la réception du rapport de l’expert.
Le préjudice subi par Mme [A] [P] du fait de son accident du travail du 14 mai 2020 est incontestable et seul son montant doit encore être déterminé.
Dans ces conditions, il convient d’accorder à Mme [A] [P] une somme de 2.000 euros à titre de provision sur l’indemnisation à venir.
Conformément à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, cette provision sera avancée à la victime par la CPAM d’Ille-et-Vilaine, à charge de recours par elle à l’encontre de la société [10].
Sur l’action récursoire de la CPAM.
En application de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, la majoration de la rente est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l’employeur dans des conditions déterminées par décret.
En application de l’article L. 452-3 du même code, la réparation des préjudices prévus par ce texte est versée directement au bénéficiaire par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur.
Il résulte des dispositions de l’article L. 452-3-1 du même code que, quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L. 452-3.
La CPAM, tenue de faire l’avance de l’ensemble des sommes allouées à la victime, tant à raison des majorations de l’indemnité en capital et de la rente qu’au titre de toute somme qui pourrait être due à la victime au titre de l’indemnisation complémentaire à venir, dispose ainsi d’une action récursoire pour récupérer ces sommes auprès de la société [10], employeur de Mme [A] [P], dans la limite du taux d’incapacité qui sera déclaré opposable à l’employeur à titre définitif.
Sur les dépens et les frais irrépétibles.
Partie perdante, la société [10] est condamnée aux dépens de l’instance, conformément à l’article 696 du code de procédure civile.
L’équité commande par ailleurs de condamner l’employeur à payer à Mme [A] [P] la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur l’exécution provisoire.
Aux termes de l’article R. 142-10-6 du code de la sécurité sociale, le tribunal peut ordonner l’exécution par provision de toutes ses décisions.
Compte tenu de l’expertise, l’exécution provisoire est ordonnée.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement mixte, contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe :
REJETTE la demande de sursis à statuer formée par la société [10] ;
DIT que l’accident du travail dont a été victime Madame [C] [A] [P] le 14 mai 2020 est dû à la faute inexcusable de la société [10],
ORDONNE le doublement de l’indemnité en capital allouée par la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine à Madame [C] [A] [P] des suites de son incapacité permanente partielle,
DIT que la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine dispose d’une action récursoire pour récupérer auprès de la société [10] les sommes correspondant à ces majorations dans la limite du taux qui a été rendu opposable à l’employeur dans les rapports entre ce dernier et la caisse,
Avant dire-droit, sur la liquidation des préjudices personnels de la victime :
ORDONNE une expertise médicale,
COMMET pour y procéder le Docteur [B] [E], inscrite sur la liste des experts judiciaires de la cour d’appel de Rennes, [Adresse 6], [Localité 11], [XXXXXXXX01], [Courriel 12], avec la mission suivante :
- Après avoir recueilli les renseignements nécessaires sur l’identité de la victime et sa situation, les conditions de son activité professionnelle, son mode de vie antérieure à l’accident et sa situation actuelle, ainsi que son état préexistant à l’accident :
- à partir des déclarations de la victime, au besoin de ses proches et de tout sachant, et des documents médicaux fournis,
- décrire en détail, l’état préexistant, les lésions initiales, les modalités de traitement, en précisant le cas échéant, les durées exactes d’hospitalisation et pour chaque période d’hospitalisation, le nom de l’établissement, les services concernés et la nature des soins,
- recueillir les doléances de la victime et au besoin de ses proches,
- l’interroger sur les conditions d’apparition des lésions, l’importance des douleurs, la gêne fonctionnelle subie et leurs conséquences,
- procéder, en présence des médecins mandatés par les parties avec l’assentiment de la victime, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime,
- décrire les lésions initiales et l’état séquellaire et l’incidence d’un état antérieur sur ces séquelles,
- en tenant compte de la date de consolidation retenue au 17/07/2022,
- donner son avis sur l’existence des préjudices suivants :
.déficit fonctionnel temporaire : indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles, préciser la durée des périodes d’incapacité totale ou partielle et le taux ou la classe (de 1 à 4) de celle-ci,
.déficit fonctionnel permanent : donner son avis sur l’existence, après consolidation, d’un préjudice non économique lié à la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel de la victime, c’est-à-dire une atteinte à l’intégrité physique et psychique au sens strict, mais également des douleurs physiques et psychologiques, et notamment un préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence,
.préjudice de tierce personne : dire si avant guérison il y a eu nécessité de recourir à l’assistance d’une tierce personne et si oui s’il s’est agi d’une assistance constante ou occasionnelle d’une tierce personne (étrangère ou non à la famille) ou si elle a été nécessaire pour effectuer les démarches et plus généralement pour accomplir les actes de la vie quotidienne en indiquer la nature et la durée quotidienne,
.souffrances endurées : décrire les souffrances physiques, psychiques et/ou morales découlant des blessures subies avant guérison et les évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7,
.préjudice esthétique : donner un avis sur l’existence, la nature et l’importance du préjudice esthétique, en distinguant éventuellement le préjudice temporaire et le préjudice définitif. Évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7 les préjudices temporaires et définitifs,
.préjudice de perte ou de diminution des possibilités de promotion professionnelle : donner tous éléments médicaux permettant d’apprécier la réalité et l’étendue du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle,
.préjudice d’agrément : donner tous éléments médicaux permettant d’apprécier la réalité et l’étendue du préjudice d’agrément résultant de l’impossibilité pour la victime, du fait des séquelles, de pratiquer régulièrement une ou plusieurs activités spécifiques sportives ou de loisirs, antérieures à la maladie ou à l’accident,
.préjudice sexuel : donner un avis sur l’existence, la nature et l’étendue d’un éventuel préjudice sexuel,
.frais de logement et/ou frais de véhicules adaptés : indiquer si, compte tenu de l’état séquellaire, il y a nécessité d’envisager un aménagement du logement et, si c’est le cas, préciser quels types d’aménagements seront indispensables au regard de cet état ; dire si l’état séquellaire de la victime lui permet la conduite d’un véhicule automobile, au besoin aménagé, en précisant quels types d’aménagements seront nécessaires,
DIT que l’expert pourra s’adjoindre tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d’en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises,
DIT qu’en cas d’empêchement ou de refus de l’expert commis, il sera pourvu à son remplacement sur simple requête de la partie la plus diligente,
DIT que l’expert devra communiquer un pré-rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs observations écrites auxquelles il devra répondre dans son rapport définitif,
DIT que l’expert déposera son rapport dans les 6 mois de sa saisine, au greffe du pôle social du tribunal judiciaire de Rennes, à charge pour lui d’en adresser un exemplaire à chacune des parties concernées,
DIT que la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine fera l’avance des frais d’expertise en application des dispositions de l’article L. 144-5 du code de la sécurité sociale,
CONDAMNE la société [10] à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine les frais d’expertise médicale dont elle aura fait l’avance,
ALLOUE à Madame [C] [A] [P] une provision de 2.000 euros à valoir sur l’indemnisation définitive de son préjudice et dit que cette somme sera avancée par la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine à charge de recours pour elle à l’encontre de la société [10],
CONDAMNE la société [10] à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine le montant de ladite provision,
CONDAMNE l’employeur, la société [10], à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine le montant des sommes dont celle-ci sera amenée à faire l’avance en application des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale,
CONDAMNE la société [10] aux dépens,
CONDAMNE la société [10] à verser à Madame [C] [A] [P] la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
DIT que l’affaire sera rappelée par les soins du greffe dès le dépôt du rapport d’expertise,
ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision.
Ainsi jugé et prononcé, les mois, jour et an que susdits.
Le greffier La présidente