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29/08/2024 | FRANCE | N°21/04141

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, 1re chambre civile, 29 août 2024, 21/04141


Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 10] - tél : [XXXXXXXX01]

N° RG 21/04141 - N° Portalis DBYC-W-B7F-JJ2W
Première chambre civile

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT

Rendue le 29 août 2024, date indiquée à l'issue de l'audience d'incident du 13 juin 2024, par David Le Mercier, juge de la mise en état de la première chambre civile, assisté de Karen Richard, greffier, dans l'instance entre :

DEMANDEURS :

Mme [Y] [O] épouse [C]
et M. [R] [C]
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentés par Me Géraldine

Yeu, avocat au barreau de Rennes

DÉFENDEURS :

SARL CABINET [M] [W]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me ...

Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 10] - tél : [XXXXXXXX01]

N° RG 21/04141 - N° Portalis DBYC-W-B7F-JJ2W
Première chambre civile

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT

Rendue le 29 août 2024, date indiquée à l'issue de l'audience d'incident du 13 juin 2024, par David Le Mercier, juge de la mise en état de la première chambre civile, assisté de Karen Richard, greffier, dans l'instance entre :

DEMANDEURS :

Mme [Y] [O] épouse [C]
et M. [R] [C]
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentés par Me Géraldine Yeu, avocat au barreau de Rennes

DÉFENDEURS :

SARL CABINET [M] [W]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Céline Demay de la SCP Depasse, Daugan, Quesnel, Demay, barreau de Rennes

S.A.R.L. MASSARD ERIC
[Adresse 8]
[Localité 5]
Représentée par Me Yann Chélin, avocat au barreau de Rennes

E.U.R.L. FORVEILLE RICHARD
[Adresse 11]
[Localité 6]
Représentée par Me Elisabeth Ripoche, avocat au barreau de Saint-Malo

S.A.R.L. ISOL OUEST
[Adresse 12]
[Localité 9]
Représentée par Me Elisabeth Ripoche, avocat au barreau de Saint-Malo

Faits et procédure

M. et Mme [C] ont confié des travaux de rénovation de leur maison d'habitation, située à [Localité 13], à la société Cabinet [M][W] (la société [W]) par contrat de maîtrise d'oeuvre complète du 20 avril 2017.

Ont notamment participé à l'opération de construction :
- au titre du lot démolition-gros oeuvre, la société Forveille,
- au titre du lot menuiseries intérieures, la société Menuiseries Hubert création, qui a fait l’objet d’un redressement judiciaire le 17 juillet 2019, puis une liquidation judiciaire le 19 mai 2021,
- au titre du lot chape /carrelages et faïence, la société Massard Eric (la société Massard), lequel a sous-traité la pose de la chape fluide à la société Bernard Housson,
- au titre du lot isolation projeté au soln la société Isol Ouest.

Il n’est évoqué, dans les conclusions des parties, aucune assurance dommages-ouvrage, ni même d’assurance décennale pour aucun des constructeurs.

La réception des travaux a eu lieu entre les 17 et 24 juillet 2019 avec des réserves.

M. et Mme [C] ont fait constater par un expert amiable des désordres du carrelage du rez-de-chaussée (fissurations, déformations) et un affaissement du plancher de l’étage (rapport Mercier du 9 juillet 2020).

Par actes des 11 et 16 juillet 2020, ils ont assigné en référé-expertise les sociétés [W], Forveille, Massard, Isol Ouest et GOPMJ, ès qualités de mandataire au redressement judiciaire de la société Hubert.

Par ordonnance du 23 octobre 2020, le président du tribunal judiciaire de Rennes a désigné l’expert judiciaire [H] [K], lequel a déposé son rapport le 19 septembre 2023, après que les opérations d’expertise ont été rendues communes à d’autres parties, notamment la société Bernard Housson.

Par actes des 22, 24 et 25 juin 2021, M. et Mme [C] ont assigné en indemnisation devant le tribunal judiciaire de Rennes les sociétés Forveille, Massard, Isolouest et Me [D] [G] en qualité de mandataire judiciaire de la société Menuiserie Hubert, en demandant au tribunal de surseoir à statuer sur le quantum des travaux réparatoires dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise judiciaire.

Par conclusions du 31 mars 2023, M. et Mme [C] ont saisi le juge de la mise en état pour qu’il constate leur désistement d'action à l'égard de Me [G] ès qualités, ordonne un sursis à statuer et condamne in solidum les sociétés Massard et [W] au paiement d'une provision à valoir sur l'indemnisation de leur préjudice de jouissance pour un montant de 13 200 euros et d'une provision ad litem d'un montant de 25 817, 76 euros.

Par acte du 24 avril 2023, la société Massard a appelé en garantie la société Bernard Housson (n°RG 23/03519, qui n’a en l’état pas encore été « joint » à l’instance initiale).

Le 19 septembre 2023, l'expert judiciaire [H] [K], a déposé son rapport définitif, rendant sans objet la demande de sursis à statuer.

Par ordonnance du 16 novembre 2023, le juge de la mise en état a constaté le désistement d'action de M. et Mme [C] à l'égard de la Serlal GOPMJ ès qualités.

Selon leurs dernières conclusions d’incident (n°2) notifiées le 30 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour le détail de leurs moyens, M. et Mme [C] demandent au juge de la mise en état de :
« Condamner in solidum la société Massard et la société [W] à verser à Monsieur et Madame [C] par provision à valoir sur l’indemnisation de leur préjudice matériel, la somme de 80 000 €,
Condamner in solidum la société Massard et la société [W] à verser à Monsieur et Madame [C] par provision à valoir sur l’indemnisation de leur préjudice immatériel, la somme de 20 000 €,
Condamner in solidum la société Massard et la société [W] à payer une somme de 25 817,76 € à Monsieur et Madame [C] à titre de provision ad litem,
Condamner in solidum les mêmes ou l’un à défaut de l’autre à verser à Monsieur et Madame [C] une indemnité de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure d’incident.
Condamner les mêmes in solidum aux entiers dépens de l’incident ».

Selon ses dernières conclusions d’incident notifiées le 24 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour le détail de ses moyens, la société Massard demande au juge de la mise en état de :
« A titre liminaire, prononcer la jonction avec le dossier n° 23/03519.
A titre principal
Débouter les consorts [C] de leur demande de provision à hauteur de 15 000 € au titre du préjudice de jouissance.
Débouter les consorts [C] de leur demande d’une indemnité à hauteur de 15 000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC.
Débouter toutes autres parties de toutes demandes fins et conclusions contraires à l’encontre de la SARL Massard.
Condamner la société Housson à payer la somme requise au titre de provision ad litem.
A titre subsidiaire condamner la société [W] à payer la somme requise au titre de provision ad litem.
Condamner in solidum toutes parties succombantes au paiement d’une somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC.
Condamner in solidum toutes parties succombantes aux entiers dépens ».

Selon ses dernières conclusions d’incident notifiées le 5 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour le détail de leurs moyens, la société [W] demande au juge de la mise en état de:
« Débouter Monsieur et Madame [C] de l’ensemble de leurs demandes de condamnation présentées à l’encontre de Monsieur [W].
Débouter Monsieur et Madame [C] de leur demande de condamnation in solidum et solidaire dirigée à l’encontre du Cabinet [W]. »

Les sociétés Massard et [W] n’ont pas répliqué aux dernières conclusions d’incident de M. et Mme [C], comportant pourtant des modifications substantielles.

Motifs

Sur la demande de provision

Vu les articles 9 et 789 3° du code de procédure civile et l’article 1353 du code civil :

Il résulte de la combinaison de ces textes que le juge de la mise en état ne fait droit à une demande de provision que si le demandeur démontre en droit et en fait l’existence de l’obligation au titre de laquelle il sollicite une provision, et que cette démonstration ne fait l’objet d’aucune contestation sérieuse.

Pour réclamer la condamnation in solidum des sociétés Massard et [W] à leur verser une provision de 80 000 euros à valoir sur leur préjudice matériel, dont ils n’ont toujours pas demandé l’indemnisation au principal à ce stade de l’instance, M. et Mme [C] font valoir que :
- ces deux sociétés sont responsables :
- du désordre de carrelage au rez-de-chaussée sur le fondement de la garantie de parfait achèvement (Massard), de la garantie décennale (Massard et [W]) voire de la responsabilité contractuelle de droit commun (Massard et [W]),
- du désordre d’affaissement du plancher du rez-de-chaussée, sur le fondement de la garantie de parfait achèvement (Massard) et sur celui de la responsabilité contractuelle de droit commun ([W]),
- l’expert judiciaire a évalué les travaux réparatoires à la somme de 86 602,04 euros HT hors maîtrise d’oeuvre.

Pour s’opposer à la demande, la société [W] fait valoir qu’elle ne doit supporter que sa part de responsabilité en l’état d’une clause du contrat mais que le juge de la mise en état n’a pas le pouvoir d’apprécier cette part.

En l’état de cette seule contestation, il s’en déduit que la société [W] ne conteste pas explicitement devoir sa garantie décennale ni sa responsabilité contractuelle telles qu’invoquées par les demandeurs, ni le montant des travaux réparatoires.

Pour s’opposer à la demande, la société Massard fait valoir qu’elle n’est pas responsable de la société Housson, qui a posé la chape fluide, seule cause du dommage selon l’expert judiciaire et que seule cette société devrait être condamnée au versement d’une provision, et invite M. et Mme [C] à réclamer leur provision directement à la société Housson qu’elle a appelée en garantie. Elle fait également valoir qu’il convient de « faire peser la demande de provision sur le Cabinet [M] [W] ».

En l’état des conclusions de l’expert judiciaire, qui a constaté les fissurations et déformations importantes du carrelage au rez-de-chaussée et retenu qu’un tel désordre rendait l’ouvrage impropre à sa destination, la garantie décennale des sociétés Massard et [W] n’est pas sérieusement contestée ni contestable, rien ne permettant de considérer que ce désordre était apparent avant réception.

Le fait que la société Massard a eu recours à un sous-traitant n’a aucune conséquence sur la garantie de plein droit qu’elle doit au maître de l’ouvrage, en application de l’article 1792 du code civil.

S’agissant du désordre d’affaissement du plancher de l’étage, l’expert judiciaire a retenu qu’il résultait d’un vice de construction par la société Forveille, que l’ouvrage peut être considéré comme « inesthétique, peut affecter sa pérennité mais reste propre à sa destination ».

Le caractère décennal du désordre étant, en l’état de telles conclusions, sérieusement contestable, M. et Mme [C] n’invoquent que la garantie de parfait achèvement de la société Massard et la responsabilité contractuelle de droit commun de la société [W].

Ils n’expliquent toutefois pas en quoi le désordre du plancher relève, en application de l’article 1792-6 du code civil, de la garantie de parfait achèvement de la société Massard, qui n’a pas réalisé le plancher.

Ils n’articulent pas non plus de démonstration permettant de retenir de façon non sérieusement contestable la responsabilité contractuelle de droit commun du maître d’oeuvre, en application de l’article 1231-1 du code civil.

En l’état d’un « désordre intermédiaire » (désordre de gravité non décennale apparu après réception), il peut être sérieusement considéré que la responsabilité du constructeur suppose la démonstration d’une faute.

Or, il se comprend des conclusions de M. et Mme [C] que la seule faute qu’ils articulent est le fait que le maître d’oeuvre n’ait pas fait procéder à la levée d’une réserve, ce qui est incohérent avec la circonstance que le désordre ne soit apparu qu’après réception et n’a donc fait l’objet d’aucune réserve.

A supposer qu’en rappelant certaines conclusions de l’expert judiciaire, sans autre articulation juridique, M. et Mme [C] aient entendu soutenir que l’expert a retenu une faute à l’égard de la société [W], la caractérisation d’une telle faute est sérieusement contestable et nécessite un débat de fond.

En effet, l’expert a, dans le passage tel que cité par les demandeurs, retenu que « le problème affectant le plancher de l’étage de la maison [C] provient d’un manquement sur les dispositions a mettre en œuvre pour réduire les vibrations et mouvements structurels dus aux travaux de démolitions des existants et de modificatifs structurel du bâti par la société CABINET [M] [W], maitre d’œuvre et la société RICHARD FORVEILLE, titulaire du lot n°1 – démolition-gros œuvre ».

Il s’ensuit que le principe d’une provision à valoir sur les travaux réparatoires n’est acquis que pour le désordre du carrelage du rez-de-chaussée.

S’agissant du quantum à retenir pour ce seul désordre, et dès lors qu’il n’appartient pas au juge de la mise en état de procéder, en l’absence d’explications du demandeur, à une analyse approfondie des conclusions de l’expert et devis produits qui concernent l’ensemble des désordres, il ressort du détail de l’évaluation proposée par l’expert, telle que rappelé par les demandeurs, que peut être retenu le lot carrelage (7 605,45 euros HT) et le lot chape (3 000 euros HT), ce qui permet de fixer un montant non sérieusement contestable de 10 000 euros.

La provision étant accordée sur le fondement de la garantie décennale, la contestation de la société [W] quant à l’impossibilité d’une condamnation in solidum n’est pas sérieuse, en l’état des dispositions claires et d’ordre public de l’article 1792-5 du code civil.


Sur la demande au titre du préjudice immatériel

Si le principe même d’un préjudice de jouissance résultant du désordre de carrelage n’est pas sérieusement contestable, le fondement juridique et le quantum à retenir pour ce préjudice immatériel qui n’expose les demandeurs à aucune dépense pécuniaire, relèvent du débat de fond devant la juridiction de jugement.

La demande est donc rejetée.

Sur la demande de provision ad litem

Vu l’article 789 2° du code de procédure civile,

Le fait qu’ait été retenue la responsabilité décennale non sérieusement contestable des sociétés Massard et [W] justifie l’allocation d’une provision ad litem de 8 000 euros.

Sur les frais de l'incident

Vu les articles 696, 700 et 790 du code de procédure civile,

Dans la mesure où la demande de provision n’est que très partiellement accueillie, il y a lieu de réserver les dépens de l’incident et de rejeter l’ensemble des demandes au titre de l’article 700.

Par ces motifs, le juge de la mise en état :

Condamne in solidum les sociétés Massard et [W] à verser à M. et Mme [C] :
- une provision de 10 000 euros à valoir sur la réparation de leur préjudice matériel,
- une provision pour le procès de 8 000 euros ;

Rejette le surplus des demandes ;

Réserve les dépens de l’incident et rejette les demandes formées en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Renvoie l’affaire à l’audience de mise en état du 5 décembre 2024 pour l’éventuelle jonction du 23/03519 et conclusions de fond en ouverture de rapport de M. et Mme [C].

Le Greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : 1re chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/04141
Date de la décision : 29/08/2024
Sens de l'arrêt : Mee - incident

Origine de la décision
Date de l'import : 07/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-08-29;21.04141 ?
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