TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE RENNES
Service des contentieux de la protection
[Adresse 3]
[Localité 4]
JUGEMENT DU 09 Août 2024
N° RG 23/08740 - N° Portalis DBYC-W-B7H-KWBE
Jugement du 09 Août 2024
N°: 24/478
Société AIVS
C/
[N] [G]
EXÉCUTOIRE DÉLIVRÉ
LE
à Me CASTRES
COPIE PREFECTURE
Au nom du Peuple Français ;
Rendu par mise à disposition le 09 Août 2024 ;
Par Manon LIPIANSKY, Vice-Président au Tribunal judiciaire de RENNES statuant en qualité de juge des contentieux de la protection, assistée de Annie SIMON, Greffier lors des débats et de Géraldine LE GARNEC, Greffier, lors du délibéré ;
Audience des débats : 17 Mai 2024.
Le juge à l'issue des débats a avisé les parties présentes ou représentées, que la décision serait rendue le 09 Août 2024, conformément aux dispositions de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
ENTRE :
DEMANDEUR
Société AIVS
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Hugo CASTRES, avocat au barreau de RENNES
ET :
DEFENDEUR :
Mme [N] [G]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4]
non comparante, ni représentée
I.- EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par acte sous seing privé en date du 10 octobre 2016, la SARL A.I.V.S. (Agence Immobilière à Vocation Sociale) mettait à disposition de Mme [N] [G], à titre précaire, pour une durée d’un mois renouvelable, un logement situé sur des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 4], moyennant le paiement d’un loyer mensuel, charges comprises, de 383,25 € (euros).
Par acte de commissaire de justice en date du 12 juin 2023, la société A.I.V.S. délivrait à la locataire un commandement de payer la somme principale de 811,72 € correspondant à l'arriéré locatif, visant la clause résolutoire prévue dans le contrat.
Concomitamment, par courrier électronique reçu, le 13 juin 2023, la bailleresse signalait à la CCAPEX (Commission de Coordination des Actions de Prévention des Expulsions Locatives) d’ILLE-ET-VILAINE la situation d’impayé de [N] [G].
Par assignation en date du 16 novembre 2023, A.I.V.S. saisissait le Juge des Contentieux de la Protection du tribunal judiciaire de Rennes aux fins de :
- Constater la résiliation du bail par effet de la clause résolutoire ;
- Ordonner l’expulsion immédiate, avec suppression des délais légaux, de [N] [G] ;
- Condamner [N] [G] au paiement des sommes suivantes :
Une indemnité mensuelle d’occupation d’un montant égal à celui du loyer et des charges, à compter de la résiliation du bail et jusqu’à libération des lieux ;
1.293,80 € d’arriéré locatif, arrêté au 02 novembre 2023, avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer ;
800 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Le 20 novembre 2023, l’assignation était notifiée au Préfet d’ILLE-ET-VILAINE, représentant de l’État dans le département. Aucune enquête sociale ne parvenait au greffe avant l’audience.
II.- PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
À l'audience du 05 Avril 2024, la société A.I.V.S. déposait contradictoirement un décompte actualisé au 04 avril 2024 faisant état d’un arriéré locatif de 2.532,87 €. [N] [G], présente, exposait rencontrer des problèmes avec ses documents d’identité et sollicitait le renvoi de l’affaire pour pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat.
À l'audience du 17 mai 2024, A.I.V.S. maintenait les demandes de son assignation. Elle réévaluait la dette à la somme de 2.532,87 € et le montant du loyer mensuel hors charges au jour de l’audience à 332,81 € (charges comprises :459,10 €). A l’appui de ses prétentions, la demanderesse déplorait la carence de la locataire suite au renvoi et l’absence d’évolution du dossier.
Bien que régulièrement citée par acte délivré à étude puis renvoi contradictoire, [N] [G] ne comparaissait pas, ni ne se faisait représenter. La présente décision, susceptible d’appel, sera donc réputée contradictoire.
Il sera renvoyé à l’assignation de la demanderesse pour un plus ample exposé des moyens.
À l’issue des débats, la décision a été mise en délibéré jusqu’à ce jour, où elle a été mise à disposition des parties au greffe.
III.- MOTIVATION
1. A titre liminaire, sur les dispositions applicables :
Aux termes de l’article 12 alinéa 1er et alinéa 2 du Code de procédure civile : “Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée”.
Aux termes de l’article 1188 du Code civil : “Le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes. Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation”.
Aux termes de l’article 1104 du Code civil : “Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public”.
En l'espèce, le contrat du 10 octobre 2016, qualifié de « contrat de mise à disposition » fait référence aux articles 1708 et suivants du Code civil. Cependant, la requérante a choisi de l’exécuter comme un contrat de bail en le laissant perdurer pendant plus de 7 années, en fixant un loyer et une provision pour charges sans référence aux revenus des parties, en visant également la loi du 06 juillet 1989 en entête du contrat et en mettant en œuvre les procédures instaurées par la Loi du 06 juillet 1989, notamment, par la signification d’un commandement de payer visant expressément l’article 24 de la Loi précitée, par l’information de la CAF et la CCAPEX sur la situation d’impayés de la locataire et par la notification de l’assignation à la préfecture. De plus, la demanderesse n’a pas contesté, lors des débats, l’application de la procédure imposée par la Loi du 06 juillet 1989.
En conséquence, le contrat litigieux s’analyse en réalité comme un contrat de bail auquel s’appliqueront les dispositions de la Loi du 06 juillet 1989.
2. Sur la demande de constat de la résiliation du bail :
2.1. Sur la recevabilité de la demande :
Le commandement de payer a été délivré, le 12 juin 2023 et la CCAPEX saisie, le 13 juin 2023, soit, l’un et l’autre, plus de deux mois avant l’assignation.
L’assignation a été signifiée, le 16 novembre 2023, et une copie transmise à la préfecture d’ILLE-ET-VILAINE qui en a accusé réception, le 20 novembre 2023, soit plus de deux mois avant l’audience au fond.
L’action de la demanderesse est donc recevable conformément aux dispositions de l’article 24 de la Loi du 06 juillet 1989.
2.2. Sur le bien-fondé la résiliation du bail :
Aux termes de l’article 24 de la Loi du 06 juillet 1989 dans sa version en vigueur à la date de conclusion du contrat de bail litigieux : « I.- Toute clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non-versement du dépôt de garantie ne produit effet que deux mois après un commandement de payer demeuré infructueux [...] ».
En l’espèce, le contrat du 10 octobre 2016 contient une clause résolutoire, reproduite dans le commandement de payer, notifié le 12 juin 2023, à la locataire, pour un montant de 811,72 €. Or, vu l’historique des versements, la dette de loyer n’a pas été réglée dans le délai de deux mois suivant la signification du commandement de payer et aucun plan d’apurement du passif n’a été conclu.
Dès lors, il y a lieu de constater l’acquisition de la clause résolutoire et, en conséquence, la résiliation de plein droit du contrat de bail au 13 août 2023.
2.3. Sur les délais d’expulsion :
Aux termes de l’article L. 412-1 du Code des procédures civiles d’exécution : « Si l'expulsion porte sur un lieu habité par la personne expulsée ou par tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu'à l'expiration d'un délai de deux mois qui suit le commandement [...]. Toutefois, le juge peut, notamment lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l'article L. 442-4-1 du code de la construction et de l'habitation n'a pas été suivie d'effet du fait du locataire, réduire ou supprimer ce délai. Le délai prévu au premier alinéa du présent article ne s'applique pas lorsque le juge qui ordonne l'expulsion constate que les personnes dont l'expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait ».
Aux termes de l’article L. 412-2 du Code des procédures civiles d’exécution : « Lorsque l'expulsion aurait pour la personne concernée des conséquences d'une exceptionnelle dureté, notamment du fait de la période de l'année considérée ou des circonstances atmosphériques, le délai prévu à l'article L. 412-1 peut être prorogé par le juge pour une durée n'excédant pas trois mois ».
Aux termes de l’article L. 412-3 du Code des procédures civiles d’exécution : « Le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l'expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que ces occupants aient à justifier d'un titre à l'origine de l'occupation. Le juge qui ordonne l'expulsion peut accorder les mêmes délais, dans les mêmes conditions [...] ».
Aux termes de l’article L. 412-4 du Code des procédures civiles d’exécution : « La durée des délais prévus à l'article L. 412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à trois mois ni supérieure à trois ans. Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l'occupant dans l'exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l'occupant, notamment en ce qui concerne l'âge, l'état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d'eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l'occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés ».
En l’espèce, la bailleresse requiert la suppression des délais légaux et du bénéfice de la trêve hivernale.
A ce stade, aucune circonstance ne justifie la réduction du délai de deux mois prévu à l’article L. 412-1 du Code des procédures civiles d’exécution. De même, la suppression ou la réduction du bénéfice de la trêve hivernale réglée par l’article L. 412-6 du Code des procédures civiles d’exécution ne saurait être encourue dès lors que l’occupante ne s’est pas introduite dans les lieux par voie de fait ou que le relogement de l’intéressée n’est pas assuré. Les demandes d’A.I.V.S. seront donc rejetées sur ces points.
En conséquence, il convient de rappeler que l'expulsion ne pourra avoir lieu qu'à l'expiration d'un délai de deux mois suivant la délivrance au locataire d'un commandement de quitter les lieux.
3. Sur la demande de condamnation au paiement de l’arriéré locatif :
3.1. Sur la dette locative :
Aux termes de l’article 7 de la Loi du 06 juillet 1989 : « Le locataire est obligé : a) De payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus [...] ».
Aux termes de l’article 1103 du Code civil : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».
Aux termes de l’article de l’article 1353 du Code civil : « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ».
En l’espèce, la bailleresse évalue sa créance au jour de l’audience à 2.532,87 €. Le décompte daté du 04 avril 2024, produit contradictoirement à l’audience du 05 avril 2024 par A.I.V.S., permet de valider ce montant, soustraction faite des frais de procédure.
[N] [G] sera donc condamnée au paiement de cette somme de 2.532,87 € (loyers, charges et indemnités d’occupation au 04 avril 2024) avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision.
3.2. Sur l’indemnité d’occupation :
En cas de maintien dans les lieux de la locataire ou de toute personne de son chef malgré la résiliation du bail, [N] [G] sera également condamnée au paiement d’une indemnité mensuelle d’occupation d’un montant équivalent à celui du loyer et des charges, à compter de la résiliation et jusqu’à libération effective et définitive des lieux avec remise des clés.
En cas de contestation, cette indemnité sera fixée à 459,10 € par mois et sera comptabilisée à compter du 05 avril 2024, étant, en partie, déjà comprise dans l’arriéré locatif précité.
4. Sur les demandes accessoires :
Succombant à la cause, Mme [N] [G] sera condamnée aux dépens.
En revanche, l’équité commande de laisser à la charge des parties les frais engagés non compris dans les dépens.
En vertu de l’article 514 du Code de procédure civile, l’exécution provisoire apparaît incompatible avec la nature de l’affaire eu égard aux conséquences de la décision entreprise sur la situation personnelle, familiale et sociale de la défenderesse et sera, dans ces circonstances, exceptionnellement écartée.
PAR CES MOTIFS,
La juge des contentieux de la protection, statuant après débats publics, par jugement mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en premier ressort,
CONSTATE que la dette locative visée dans le commandement de payer du 12 juin 2023 n’a pas été réglée dans le délai de deux mois ;
CONSTATE, en conséquence, que le contrat conclu, le 10 octobre 2016, entre la société A.I.V.S., d’une part, et Mme [N] [G], d’autre part, sur des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 4] est résilié depuis le 13 août 2023 ;
DIT n’y avoir lieu d’octroyer des délais de paiement à Mme [N] [G], sans préjudice des délais qui pourraient lui être accordés dans le cadre d’une procédure de surendettement ;
ORDONNE à Mme [N] [G] de libérer de sa personne, de ses biens, ainsi que de tous occupants de son chef, les lieux situés au [Adresse 2] à [Localité 4] ainsi que, le cas échéant, tous les lieux loués accessoirement au logement ;
DIT qu’à défaut de libération volontaire, il pourra être procédé à son expulsion et à celle de tous occupants de son chef avec l’assistance de la force publique ;
DIT que le sort des meubles sera régi conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du Code des procédures civiles d'exécution ;
DIT, en conséquence, que l’expulsion ne pourra avoir lieu qu’hors période hivernale et à l’expiration d’un délai de deux mois suivant le commandement d’avoir à libérer les lieux ;
CONDAMNE Mme [N] [G] au paiement d’une indemnité d’occupation mensuelle égale au loyer et aux charges qui auraient été dus en cas de poursuite du bail, et, en cas de difficultés ou de contestation, FIXE cette indemnité à 459,10 € (quatre cent cinquante-neuf euros et dix centimes) par mois ;
DIT que cette indemnité d’occupation, qui se substitue au loyer dès le 13 août 2023, est payable dans les mêmes conditions que l’étaient le loyer et les charges, jusqu’à libération effective des lieux et remise des clés à la bailleresse ou à son mandataire ;
CONDAMNE Mme [N] [G] à payer à la société A.I.V.S. la somme de 2.532,87 € (deux mille cinq cent trente-deux euros et quatre-vingt-sept centimes) d’arriéré locatif arrêté au 04 avril 2024 (créance qui comprend les loyers et charges impayés à la date de résiliation du bail et les indemnités d’occupation à compter de la date de résiliation jusqu’au jour de l’audience du 05 avril 2024), et ce, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision ;
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;
ÉCARTE l’exécution provisoire de droit de la présente décision ;
DÉBOUTE la société A.I.V.S. de sa demande sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [N] [G] aux dépens comprenant, notamment, le coût du commandement de payer du 12 juin 2023 et de l'assignation du 16 novembre 2023 ;
Ainsi jugé par mise à disposition au greffe, le 09 août 2024, et signé par la juge et la greffière susnommées.
La Greffière, La Juge,