TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE RENNES
[Adresse 8]
2nde CHAMBRE
[Adresse 6]
[Adresse 9]
[Localité 4]
JUGEMENT DU 29 Juillet 2024
N° RG 22/01741 - N° Portalis DBYC-W-B7G-JV5M
JUGEMENT DU :
29 Juillet 2024
[N] [T]
[U] [T]
C/
[M] [Y]
EXÉCUTOIRE DÉLIVRÉ
LE
à
Au nom du Peuple Français ;
Rendu par mise à disposition le 29 Juillet 2024 ;
Par Jean-Michel SOURDIN, magistrat à titre temporaire au Tribunal judiciaire de RENNES, assisté de Graciane GILET, Greffier ;
Audience des débats : 27 Mai 2024.
Le juge à l'issue des débats a avisé les parties présentes ou représentées, que la décision serait rendue le 29 Juillet 2024, conformément aux dispositions de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
Et ce jour, le jugement suivant a été rendu par mise à disposition au greffe ;
ENTRE :
DEMANDEURS :
Madame [N] [T]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Sabrina GUERIN, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant
Monsieur [U] [T]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représenté par Me Sabrina GUERIN, avocate au barreau de RENNES, avocate plaidante, substituée par Me Maxence DOCOCHE, avocat au barreau de RENNES,
ET :
DEFENDEUR :
Monsieur [M] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me Myriam GOBBÉ, avocate au barreau de RENNES, avocate plaidante, substituée par Me Lison RIDARD-DESGUES, avocate au barreau de RENNES,
RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS
ET MOYENS DES PARTIES
Le 5 novembre 2020, le Conseil des époux [T] a écrit à M. [Y], leur voisin, pour lui faire part des difficultés que rencontraient ses clients, à savoir :
- un doute existerait quant aux limites séparatives de propriété, il n’existerait plus de bornes et le plan cadastral ne correspondrait pas à la réalité du terrain,
- de nombreux moutons occuperaient sa parcelle et seraient la cause de dégradations importantes, sur la façade Nord de leur maison et de leur clôture.
Mais souhaitant parvenir à un accord amiable, il lui a été demandé si une opération de bornage amiable à frais partagés, était envisageable, et s’il accepterait de réparer la façade de leur maison et leur clôture.
Le 15 décembre 2020, à la requête des époux [T], un procès-verbal de constat a été dressé par huissier.
Le constatant a notamment observé la présence d’une trainée noirâtre au pied de la façade Nord de leur maison. Ils lui ont expliqué que leur ravalement aurait été effectué en novembre 2018, et que cette trainée aurait été causée par les moutons qui se couchent au pied de cette façade.
Depuis la parcelle 000YH[Cadastre 3] (parcelle des époux [T]), il a relevé la présence de plusieurs excréments d’animaux sur la parcelle YH[Cadastre 7] (parcelle de M. [Y]).
Il a constaté que la clôture béton au Nord de leur parcelle était inclinée vers la parcelle de M. [Z] [Y], un pan de la clôture était incomplet dans le coin Nord-Est du jardin à l’Ouest. A l’Est du terrain des époux [T], l’enrobé de la clôture était également affaissé et la clôture inclinée vers la parcelle de M. [Y].
Le 9 avril 2021, à la requête des époux [T], un deuxième procès-verbal de constat d’huissier a été dressé.
Le constatant a noté la présence de moutons sur la parcelle de M. [Y]. Il en a compté une vingtaine. Il a relevé plusieurs microfissures sur les plaques de la clôture en béton, et indiqué que le ferraillage était apparent par endroit.
Le 7 mai 2021, M. [Y] a écrit à M. [H], géomètre-expert requis par les époux [T] pour un bornage amiable des propriétés, afin d’éviter encore une polémique, qu’il était prêt à verser la moitié du total des frais générés (arpentage plus notaire) pour ladite délimitation, et lui a demandé d’en informer les époux [T].
Le 8 octobre 2021, à la requête des époux [T], un troisième procès-verbal de constat d’huissier a été dressé.
Il a constaté depuis la propriété [T] et la voie publique, la présence de moutons sur la parcelle de M. [Y]. Il a compté une dizaine de moutons, mais précisé n’avoir pas eu une vue d’ensemble du troupeau de par la configuration des lieux. Il a constaté au Nord-Ouest de la parcelle des époux [T], que des branches provenant d’un arbre planté sur la parcelle YH78 dépassait sur la propriété [T].
Par acte de commissaire de justice en date du 9 mars 2022, les époux [T] ont assigné M. [Y], leur voisin devant le Tribunal judiciaire, aux fins de voir désigner un expert-géomètre pour procéder au bornage et à la reconnaissance des limites exactes entre la parcelle cadastrée Commune de [Localité 5], section YH n°[Cadastre 3], leur appartenant et celle cadastrée section YH n°[Cadastre 7], appartenant à M. [Y], les frais de bornage étant à partager par moitié.
Ils demandaient en outre la condamnation de M. [Y] à réparer à ses frais, la façade Nord de leur maison, et leur clôture séparative sous astreinte de 300 € par jour de retard, passé le délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir.
Enfin, ils sollicitaient la constatation de l’existence de troubles anormaux de voisinage décrits par eux, d’enjoindre à M. [Y], sous astreinte de 300 € par jour de retard à compter du jugement à intervenir, de faire cesser ces troubles, en demandant au propriétaire de récupérer ses moutons, et de les emmener hors du terrain de M. [Y].
De condamner M. [Y] à leur verser la somme de 5 000 € au titre de leur préjudice de jouissance ; de condamner le même aux dépens et à leur verser la somme de 2 500 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 13 mars 2023, à la requête de M. [Y], un constat d’huissier a été dressé depuis sa propriété. Le constatant a noté : « dans le prolongement de la clôture, je peux constater que le pignon Nord du bâtiment voisin situé en limite de propriété, est recouvert d’un enduit gratté. J’observe diverses traces sur le revêtement ainsi qu’une fissure verticale en partie haute. En fonds de parcelle, côté ouest, j’observe que la clôture est vétuste.
Visualisant la toiture de la propriété voisine, je constate l’existence d’une gouttière nantaise. Je note au niveau de cette dernière que des ouvertures ont été pratiquées à plusieurs endroits. Ce pan de toiture est en direction du terrain de M. [Y]. Depuis la voie publique, je peux observer au niveau du numéro 165 du lieu-dit parcelle [Cadastre 3] que les descentes d’eaux pluviales présentent en façade avant, convergent toutes vers un conduit vertical de couleur grise, qui n’est pas raccordé à son extrémité. »
Me GOBBE, avocate s’est constituée en défense pour M. [Y] le 10 mai 2023.
En cours d’instance, les parties se sont conciliées et le mardi 11 juillet 2023, suite à une réunion contradictoire de bornage amiable, M. [Y] a donné son accord et signé le procès-verbal de M. [C], expert géomètre. Le 20 septembre 2023, les époux [T] ont donné à leur tour, leur accord et signé le même procès-verbal le 11 février 2024.
Le Conseil de M. [Y] a conclu pour la première fois le 12 avril 2024, puis une seconde fois le 24 mai 2024, pour demander le débouté des époux [T] de toutes leurs demandes, leur condamnation à remplacer leur gouttière et à installer une gouttière sans trou sur la partie surplombant sa parcelle sous astreinte ; de condamner les époux [T] à recueillir leurs eaux pluviales afin qu’elles ne se déversent plus sur sa propriété sous astreinte provisoire de 100 € par jour de retard pendant un délai de deux mois, passé le délai de 15 jours, suivant la signification de la décision à intervenir ; de condamner les époux [T] à lui payer la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts ; de les condamner aux entiers dépens en ce compris les frais de bornage, outre une indemnité de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [Y] conteste que les moutons soient responsables des salissures constatées sur le mur Nord de la maison des époux [T] et de l’inclinaison de leur clôture. Aucun élément probant ne permettrait d’imputer aux moutons, les désordres qu’ils allèguent. En ce qui concerne le mur, ce serait l’écoulement des eaux pluviales provenant de leur gouttière, qui auraient endommagé la façade avant l’arrivée des moutons sur sa parcelle. Ce pourrait être également des remontées d’humidité. En ce qui concerne la clôture en béton ancienne et vétuste érigée en retrait de la limite de propriété dans les années 1970, elle présenterait le même état sur l’ensemble de la propriété.
Les époux [T] se contrediraient, car à son huissier, Mme [T] a déclaré que l’inclinaison de la clôture serait due au décaissement du terrain, et dans leurs conclusions récapitulatives, cette inclinaison serait due cette fois à la présence des moutons.
M. [Y] se porte demandeur reconventionnel pour que les époux [T] soient condamnés sous astreinte à faire cesser tout déversement de leurs eaux pluviales sur son terrain. Les époux [T] ne contesteraient pas les trous dans leur gouttière en façade Nord pour évacuer l’eaupluviale en cas de trop plein. Le recul entre le mur et la limite de propriété, n’étant que de quelques centimètres, cette eau se déverse sur le terrain de M. [Y].
A l’audience du 27 mai 2024, les parties représentées par leur avocat, ont comparu, le Conseil des époux [T] a fait viser ses conclusions récapitulatives et en réplique n°2, et les avocats ont déposé leur dossier, en précisant s’en rapporter à leurs conclusions.
Les époux [T] renoncent à leur demande de bornage, compte tenu du procès-verbal de bornage amiable signé par les parties.
En revanche, ils maintiennent leur demande de condamnation de M. [Y] à la remise en état à ses frais de leur clôture et de leur façade abîmée par les moutons, et à faire cesser pour l’avenir les troubles olfactifs et sonores qu’ils subissent du fait de la présence des moutons et à les en indemniser. Ils demandent que M. [Y] soit débouté de ses demandes reconventionnelles.
Par application de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à l’assignation, aux conclusions des parties, ainsi qu’à la note d’audience, pour un exposé plus détaillé des prétentions et moyens.
L’affaire a été mise en délibéré par mise à disposition au 29 juillet 2024.
EXPOSE DES MOTIFS
SUR LES DEMANDES PRINCIPALES
Les époux [T] demandent la condamnation de M. [Y] à remettre en état à ses frais, la façade Nord de leur maison souillée, et leur clôture endommagée par le troupeau de moutons qui était sur la parcelle de leur voisin. Ils sollicitent également sa condamnation à faire cesser le trouble anormal de voisinage que causerait la présence des moutons et à les indemniser de leur préjudice de jouissance.
S’agissant des dommages au mur de façade et à leur clôture
La responsabilité de M. [Y] peut être recherchée sur le fondement de l’article 1242 du Code civil qui dispose que l’on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde.
L’article 9 du Code de procédure civile dispose : « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention ».
Il est reproché à M. [Y] des dommages qui auraient été causés par le troupeau de moutons dont il avait la garde. Si la présence des moutons sur le terrain de M. [Y] jusqu’à la délivrance de l’assignation n’est ni contestée ni contestable, c’est aux demandeurs de prouver que les dommages subis par eux, ont été causés par ce qu’ils considèrent être le fait générateur de responsabilité.
Le lien de causalité doit être certain et direct, il ne doit pas être douteux.
S’il ne peut être exclus que les moutons puissent avoir causé des traces de salissures sur l’enduit du mur Nord de la maison des époux [T], il ne peut pas non plus être exclu, qu’il s’agit de traces anciennes d’humidité.
En ce qui concerne la clôture dont il n’est pas discuté l’ancienneté, là encore le lien de causalité certain et direct entre la présence des moutons et l’inclinaison constatée n’est pas établie.
Seule une mesure d’expertise qui n’est sollicitée par aucune des parties, aurait permis de connaitre la cause prépondérante pouvant être retenue comme le fait générateur des dommages allégués.
S’agissant du trouble de voisinage
Les époux [T] se plaignent encore de nuisances olfactives et sonores générées par la présence des moutons et qui constitueraient un trouble anormal de voisinage.
Les nuisances provoquées par des odeurs appelées nuisances olfactives peuvent, être sanctionnées lorsqu’elles troublent de manière anormale le voisinage. Il en est de même des nuisances sonores, mais celles-ci doivent également dépasser les inconvénients normaux du voisinage.
En l’espèce, les trois constats d’huissier dressés pour les époux [T] à leur demande, et versés par eux aux débats, ne font aucune mention des nuisances qu’ils invoquent, alors que la présence des moutons a été constatée par huissier dans son procès-verbal de constat du 9 avril 2020 et dans son procès-verbal de constat du 8 octobre 2021.
En conséquence, les époux [T], défaillants dans l’administration de la preuve qui leur incombe, seront déboutés de leurs demandes principales.
SUR LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES
Le propriétaire d’eaux de pluie peut en user et en disposer comme il souhaite. Néanmoins, l’article 681 du Code civil dispose que : « tout propriétaire doit établir des toits de manière que les eaux pluviales s’écoulent sur son terrain ou sur la voie publique ; il ne peut les faire verser sur le fonds de son voisin. »
Il en résulte que la loi impose au propriétaire d’une maison, en limite de propriété de s’assurer que les eaux pluviales se déversent sur son terrain ou sur la voie publique, et non chez son voisin.
Si le PLU de la Commune interdit l’évacuation des eaux de pluie vers la voie publique, le propriétaire doit, à ses frais, réaliser les travaux nécessaires pour que les eaux pluviales s’écoulent à l’intérieur de son terrain.
Le 13 mars 2023, requis par M. [Y], son huissier a constaté la présence d’ouverture dans la gouttière de la toiture des époux [T], et que le pan de leur toiture était en direction du terrain de leur voisin.
Les eaux pluviales provenant de la gouttière du toit en façade Nord de la maison des époux [T], s’écoulent sur le terrain de M. [Y] situé à peu de distance par les ouvertures de leur gouttière, ce qu’ils reconnaissent en cas de trop plein de leur gouttière.
En conséquence, ils seront condamnés à installer un système de gouttière partant de leur toit se dirigeant vers leur sol, sans qu’il n’y ait surplomb du terrain de M. [Y] ou ne s’écoule vers le terrain de celui-ci, sous astreinte de 100 € par jour de retard, passé le délai de trois mois de la signification du présent jugement.
M. [Y] sollicite la condamnation de ses voisins, les époux [T] à lui verser la somme de 5 000 € de dommages et intérêts, mais ne justifie pas de sa demande indemnitaire, il en sera débouté.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
Sur les dépens
L’article 696 du code de procédure civile dispose : « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ».
En l’espèce, chacune des parties succombant en tout ou partie dans ses prétentions, elle supportera les dépens qu’elle a exposés pour parvenir au jugement.
En revanche, les frais de signification et d’exécution de la présente décision seront supportés par les époux [T].
Sur les frais irrépétibles
Le partage des dépens, l’équité et la nature du litige justifient qu’il ne soit pas fait application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, les parties seront déboutées de leur demande de ce chef.
Sur l’exécution provisoire
Au terme de l’article 514 du code de procédure civile, l’exécution provisoire est de droit et aucune circonstance ne justifie de l’écarter.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort,
- DEBOUTE les époux [T] de leurs demandes principales,
- CONDAMNE les époux [T] à installer un système permettant de recueillir les eaux pluviales, provenant du toit de leur maison afin qu’elles ne se déversent plus sur la propriété de M. [Y], sous astreinte de 100 € par jour de retard, passé le délai de trois mois de la signification de la décision à intervenir, que le Tribunal se réserve le pouvoir de liquider en application de l’article L 131-3 du Code de procédure civile.
- DEBOUTE M. [Y] de sa demande indemnitaire,
- DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,
- DIT que chacune des parties supportera ses propres dépens, à l’exception des frais de signification et d’exécution qui seront à la charge des époux [T],
- DEBOUTE les parties de leur demande d’indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
- DIT n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire.
Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe le 29 juillet 2024.
Le greffier Le juge