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23/07/2024 | FRANCE | N°21/07893

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, 2ème chambre civile, 23 juillet 2024, 21/07893


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES


23 Juillet 2024


2ème Chambre civile
71F

N° RG 21/07893 -
N° Portalis DBYC-W-B7F-JQ6M


AFFAIRE :

S.C.I. LE BEAUCARNEA,


C/

Syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 2] à [Localité 6],

copie exécutoire délivrée
le :
à :






DEUXIEME CHAMBRE CIVILE




COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE


PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-Présidente,

ayant statué seule, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’article 805 du code de procédure civile

A...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES

23 Juillet 2024

2ème Chambre civile
71F

N° RG 21/07893 -
N° Portalis DBYC-W-B7F-JQ6M

AFFAIRE :

S.C.I. LE BEAUCARNEA,

C/

Syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 2] à [Localité 6],

copie exécutoire délivrée
le :
à :

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-Présidente, ayant statué seule, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’article 805 du code de procédure civile

ASSESSEUR : André ROLLAND, magistrat à titre temporaire

GREFFIER : Fabienne LEFRANC lors des débats et lors de la mise à disposition qui a signé la présente décision.

DEBATS

A l’audience publique du 28 Mai 2024

JUGEMENT

En premier ressort, contradictoire,
par mise à disposition au Greffe le 23 Juillet 2024,
date indiquée à l’issue des débats.
signé par Madame Jennifer KERMARREC, Vice-présidente, pour la présidente empêchée
Jugement rédigé par Madame Jennifer KERMARREC,

ENTRE :

DEMANDERESSE :

S.C.I. LE BEAUCARNEA, immatriculée au RCS de Rennes sous le n° D 421 770 496, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentée par Me Etienne GROLEAU, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant/postulant

ET :

DEFENDERESSE :

Syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 2] à [Localité 6], représenté par son syndic en exercice la SASU TYCOP (anciennement LMH), immatriculée au RCS de RENNES sous le numéro 413 996 166
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Anne CARMES, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant/postulant

EXPOSE DU LITIGE

La SCI BEAUCARNEA est propriétaire, depuis le 1er février 1999, au sein de l’immeuble en copropriété situé [Adresse 2] à [Localité 6] (35) du lot n°1 correspondant à un local à usage commercial en rez-de-chaussée.

Le 4 octobre 2021, les copropriétaires de l’immeuble, réunis en assemblée générale, ont adopté les deux résolutions suivantes :
▸ le point 11 portant sur le vote du principe de l’installation d’un portail et mise en place d’un interphone avec système Intratone permettant l’appel sur le téléphone portable des occupants,
▸ le point 12 concernant le vote sur les modalités d’ouverture suite à l’installation d’un portail et mise en place d’un interphone avec système Intratone permettant l’appel sur le téléphone portable des occupants sous le porche.

La première de ces résolutions a été adoptée à la majorité prévue à l’article 24 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965, tandis que la seconde l’a été à la majorité prévue à l’article 25 de ladite loi.

La SCI BEAUCARNEA, qui a voté contre, a fait assigner le syndicat des copropriétaires de l’immeuble concerné, représenté par son syndic, la société TYCOP (SASU), devant le tribunal judiciaire de RENNES pour que ces deux résolutions soient jugées inexistantes ou, à tout le moins, qu’elles soient annulées sur le fondement de l’article 26 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965.

Aux termes de conclusions n°4 notifiées par voie électronique le 31 octobre 2023, la SCI BEAUCARNEA demande au tribunal de :

“Vu l’article 26 de la loi du 10 juillet 1965,

DIRE ET JUGER INEXISTANTE les résolutions n°11 et 12 de l’assemblée générale du 4 octobre 2021 en ce qu’elle porte atteinte à la valeur et l’usage du lot n° 1 appartenant à la SCI LE BEAUCARNEA,

A TOUT LE MOINS ANNULER les résolutions n°11 et 12 de l’assemblée générale du 4 octobre 2021,

CONDAMNER le SDC DE L'IMMEUBLE [Adresse 3] pris en la personne de son syndic la société TYCOP au paiement de la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile

CONDAMNER le SDC DE L'IMMEUBLE [Adresse 3] pris en la personne de son syndic la société TYCOP aux entiers dépens, qui pourront être recouvrés par la SELARL GROLEAU, conformément à l’article 699 du Code de procédure civile,

DIRE ET JUGER que la SCI LE BEAUCARNEA sera exonérée, en sa qualité de copropriétaire, de sa quote-part dans les dépens, frais et honoraires exposées par le syndicat dans la présente procédure, au titre des charges générales d’administration, conformément aux dispositions de l’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965".

La société soutient que les résolutions 11 et 12 contestées méconnaissent l’article 26 de loi du 10 juillet 1965 selon lequel l’assemblée générale ne peut, à quelque majorité que ce soit, imposer à un copropriétaire une modification à la destination de ses parties privatives ou aux modalités de leur jouissance, telles qu’elles résultent du règlement de copropriété. Elle explique que le système actuel d’accès à l’immeuble est composé d’une barrière automatique destinée aux véhicules qui restreint l’accès de ces derniers tout en laissant libre l’accès aux piétons dans la cour, alors que le système de fermeture voté ne permettra plus d’accès libre aux piétons dans la cour, mais uniquement un accès aux visiteurs via le téléphone mobile des occupants.

La société insiste sur le fait que le système mis en place va modifier significativement la jouissance de ses parties privatives au sens de l’article 26 précité. Elle rappelle que son lot est un local à usage commercial qui, selon le règlement de copropriété, bénéficie “d’un droit de vue et de passage sur la cour de l’immeuble avec droit de passage à tous usages sous le porche du bâtiment en façade de rue pour accèder au [Adresse 5]”. La société en déduit qu’elle peut exiger que l’entrée de son local se fasse par la cour et non par la [Adresse 7] comme souhaite l’imposer le syndic de la copropriété. Elle précise que de 1999 à 2017, le local était un cabinet d’architecte dont l’entrée se faisait par la cour, mais a accueilli d’autres types d’activité et accueille actuellement une crèche. La société soutient que la clientèle de son local commercial doit pouvoir accéder par la cour. Elle indique que les bureaux 1 et 2 de son lot sont situés sous l’immeuble, et que ses locaux ne sont pas au même niveau, le hall d’entrée sur cour étant de plain-pied avec les bureaux aspectés sur le [Adresse 5], tandis que pour accéder à l’open-space à partir du hall, il faut monter deux marches. Elle ajoute que ses locaux sont disposés tout en longueur depuis le [Adresse 5], de sorte qu’il lui est indispensable de conserver un accès piéton médian à partir de la cour pour desservir les locaux de part et d’autre en supprimant ou limitant les circulations. La société LE BEAUCARNEA estime que le système de fermeture voté restreindrait l’usage de son bien à certaines activités et lui ferait perdre de son attractivité.

La société LE BEAUCARNEA insiste encore sur l’atteinte à la jouissance de son bien qui résulterait des travaux votés, lesquels dévalueraient gravement son local au point de ne plus pouvoir s’en prévaloir comme d’un lot à usage commercial.

En réponse à l’argumentation adverse relative à l’existence d’un porche anciennement clos par une porte, la société fait observer que la page du règlement de copropriété qui fait référence à cette circonstance porte en réalité sur le rappel des origines des propriétés et actes antérieurs au règlement de copropriété adopté, mais ne fait pas partie de celui-ci. Elle relève que la référence à un porche clos par une porte n’est pas reprise dans le règlement de copropriété figurant à partir du rôle 19 de l’acte produit. Elle en déduit qu’il est faux de prétendre qu’au moment de la rédaction du règlement de copropriété le porche était clos par une porte. Elle estime de plus fort que le système de fermeture voté en assemblée générale modifie nécessairement les conditions de jouissance de son lot telles qu’issues du règlement de copropriété. La société fait également valoir que l’atteinte à la sécurité des occupants n’est nullement démontrée.

En défense, aux termes de conclusions récapitulatives et responsives n°2 notifiées par voie électronique le 5 décembre 2023, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 2] à [Localité 6] (ci-après le syndicat des copropriétaires) demande au tribunal de :
“Vu l’article 4 de la loi du 10 juillet 1965 ;
Vu les articles 24, 25 et 26 de la même loi,

DEBOUTER la SCI LE BEAUCARNEA de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

DIRE n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire du jugement à intervenir

CONDAMNER la SCI LE BEAUCARNEA à verser au Syndicat des Copropriétaires la somme de 3.500 € au titre de l’article 700 du CPC,

CONDAMNER la même aux entiers dépens”.

Le syndicat des copropriétaires rappelle les différentes assemblées générales qui, depuis 1993, ont eu pour sujet la fermeture du porche permettant l’accès à la cour de l’immeuble, ainsi que la précédente procédure judiciaire initiée avec succès par la SCI LE BEAUCARNEA pour contester une précédente résolution sur ce thème votée le 10 juillet 2014. Le syndicat précise que depuis, la réglementation applicable selon le type de travaux concernés a évolué avec la modification des articles 24, 25et 26 de la loi du 10 juillet 1965 par l’ordonnance n°2019-1101 du 30 octobre 2019.

Il cite également la jurisprudence applicable dans des situations similaires.

Le syndicat des copropriétaires explique avoir prévu le vote du principe de l’installation d’un portail en remplacement de la barrière automatique selon la majorité prévue à l’article 24 dans sa version issue de l’ordonnance précitée pour sécuriser l’accès piéton avant l’arrivée de la station de métro et éviter toutes les intrusions et dégradations fréquentes, y compris en journée. Il fait observer que l’article 24 II a) précité vise les travaux nécessaires à la préservation de la sécurité physique des occupants. Il ajoute avoir prévu une résolution entièrement distincte et indépendante sur “les modalités d’ouverture des portes d’accès aux immeubles”, ladite résolution relevant de la majorité prévue à l’article 25 g).

Le syndicat des copropriétaires en déduit que les deux résolutions contestées respectent parfaitement les règles de majorité applicables, telles que modifiées par l’ordonnance n°2019-1101 du 30 octobre 2019.

En réponse à la SCI LE BEAUCARNEA, il conteste l’existence de “modifications de la jouissance” des parties “communes” (sic). Il relève que le règlement de copropriété prévoit que sont des parties communes “le porche d’accès à la cour et la cour commune” (19ème rôle) et que “le porche d’entrée sera clos par une porte” (rôle 6). Il soutient que l’accès sous le porche n’a jamais été libre et que le règlement de copropriété n’a jamais précisé un accès piéton libre, mais un porche “clos” par une porte. Il en déduit que l’unanimité n’était pas nécessaire pour l’adoption des résolutions contestées. Il estime que le droit de passage invoqué par la SCI LE BEAUCARNEA a toujours été restreint et limité, le porche étant clos par une porte lors de la rédaction du règlement de copropriété. Plus généralement, il souligne que l’atteinte à la jouissance invoquée n’est aucunement démontrée.

Le syndicat des copropriétaires fait également valoir que l’atteinte à l’exercice d’une activité autorisée par le règlement de copropriété s’apprécie in concreto et, en l’occurrence, n’est pas démontrée par la SCI LE BEAUCARNEA. Il cite à nouveau de la jurisprudence au soutien de sa thèse. Il précise, entre autres, que la configuration des lieux permet un accès par la rue (pour la clientèle) et que la possibilité d’ouverture avec télécommande du portail permet l’accès au fournisseur si nécessaire via le système Intratone. Il ajoute que la nécessité de mettre en place le dispositif voté est établie pour préserver la sécurité des personnes, des biens et ainsi valoriser le local commercial. Il renvoie pour ce faire aux différents témoignages qu’il produit. Le syndicat des copropriétaires dit encore que le portail avec système Intratone respecte le règlement de copropriété qui prévoit que “les livraisons dans l’immeuble de provisions, matières sales ou encombrantes, vins en futs, etc. devront se faire le matin avant 10heures”. Il ajoute qu’il ne peut pas être constitué de servitude au profit d’un lot privatif sur les parties communes d’un immeuble en copropriété.

Le syndicat des copropriétaires répète que de tout temps, le porche a été clos, les décisions d’assemblée générale ne faisant que moderniser la forme de clôture avec une barrière automatique depuis 1993. Il reprend l’historique des assemblées générales sur le sujet. Il indique enfin que la sécurité est une préoccupation de premier plan de la copropriété.

***
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 4 avril 2024. L’affaire a été fixée à l’audience de plaidoirie du 28 mai 2024, puis mise en délibéré au 23 juillet suivant.

A l’audience, le tribunal a autorisé le syndicat des copropriétaires à produire, sous quinzaine, une pièce nouvelle correspondant au compte-rendu d’une réunion postérieure à la clôture de l’instruction, la SCI BEAUCARNEA étant autorisée à présenter ses observations dans les quinze jours suivant cette production.

Le syndicat des copropriétaires a produit sa pièce 16 accompagnée d’une note en délibéré par voie électronique le 28 mai 2024, après l’audience.

Après avoir sollicité et obtenu un délai supplémentaire pour y répondre, la SCI BEAUCARNEA a présenté ses observations par note en délibéré en date du 21 juin 2024 par voie électronique.

MOTIFS DE LA DECISION

Il convient de préciser que les dispositions de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 ci-après reprises sont celles dans leur version en vigueur lors des résolutions contestées adoptées au cours de l’assemblée générale du 4 octobre 2021, issues de l’ordonnance n°2019-1101 du 30 octobre 2019.

I - Sur les demandes principales :

L’article 24 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 prévoit que :
“I.-Les décisions de l'assemblée générale sont prises à la majorité des voix exprimées des copropriétaires présents, représentés ou ayant voté par correspondance, s'il n'en est autrement ordonné par la loi.
II.-Sont notamment approuvés dans les conditions de majorité prévues au I :
a) Les travaux nécessaires à la conservation de l'immeuble ainsi qu'à la préservation de la santé et de la sécurité physique des occupants, qui incluent les travaux portant sur la stabilité de l'immeuble, le clos, le couvert ou les réseaux et les travaux permettant d'assurer la mise en conformité des logements avec les normes de salubrité, de sécurité et d'équipement définies par les dispositions prises pour l'application de l'article 1er de la loi n° 67-561 du 12 juillet 1967 relative à l'amélioration de l'habitat ; (...)”.

L’article 25 de la même loi fixe une majorité différente en ces termes :
“Ne sont adoptées qu'à la majorité des voix de tous les copropriétaires les décisions concernant :
(...)
g) Les modalités d'ouverture des portes d'accès aux immeubles. En cas de fermeture totale de l'immeuble, celle-ci doit être compatible avec l'exercice d'une activité autorisée par le règlement de copropriété ; (...)”.

Enfin, selon l’article 26 avant-dernier alinéa de la même loi, “l'assemblée générale ne peut, à quelque majorité que ce soit, imposer à un copropriétaire une modification à la destination de ses parties privatives ou aux modalités de leur jouissance, telles qu'elles résultent du règlement de copropriété”.

En l’espèce, la résolution 11 contestée a été votée selon la règle de majorité prévue à l’article 24 au motif que les travaux concernés avaient pour but de prévenir les dégradations subies au sein de l’immeuble et de préserver la sécurité physique de ses occupants. Elle a été motivée ainsi aux termes du procès-verbal d’assemblée générale : “Eu égard à l’arrivée prochaine du métro à proximité de l’immeuble, et aux intrusions et dégradations aujourd’hui fréquentes, y compris en journée, et afin d’assurer la sécurité physique des occupants suite notamment à une agression dans le Cour, il est envisagé le remplacement de la barrière automatique actuellement en place, par un système plus sécurisé, avec la mise en place d’un portail et mise en place d’un interphone avec système intratone permettant l’appel sur le téléphone portable des occupants”.

Or, il est suffisamment établi par les pièces versées aux débats par le syndicat des copropriétaires, en particulier les témoignages précis et concordants de six copropriétaires et/ou occupants, accompagnés pour certains de photographies (les pièces 7 à 13), que le porche et la cour de l’immeuble, très facilement accessibles depuis la voie publique, sont régulièrement occupés par des personnes extérieures à la résidence, sans domicile fixe, parfois très alcoolisées, lesquelle sont à l’origine de nuisances diverses (bruit, agressivité, déjections humaines ou canines, tags, dégradations des parties communes ou tentatives d’intrusion à l’intérieur de l’immeuble...).

Les témoins confirment que ces difficultés sont récurrentes et non occasionnelles.

Le procès-verbal de l’assemblée générale de la copropriété du 6 février 2023 mentionne ainsi l’état d’insalubrité de la cour résultant des “déchets et excréments liés aux intrusions des tiers étrangers” (page 4 de la pièce 14 du syndicat).

Le compte-rendu d’une rencontre tranquillité publique organisée le 12 avril 2024 par le service prévention de la délinquance - médiation de la ville de [Localité 6] confirme les difficultés relatées ci-dessus liées au “regroupements de personnes en errance” (la pièce 16 du syndicat), lesquelles nécessitent l’intervention régulière de la police municipale ou nationale. Il est notamment fait état d’ “individus [qui] se retranchent dans la cour, consomment de l’alcool, commettent des dégradations et empêchent régulièrement le passage des habitants. Tags, nuisances sonores, crises psychotiques ont également été constatés par les partenaires”.

La directrice de la micro-crèche qui exploite actuellement le lot n°1 appartenant à la SCI LE BEAUCARNEA, Madame [Y], a elle-même dénoncé à l’occasion de cette rencontre “un fort sentiment d’insécurité de ses employées. Celles-ci n’osent plus se rendre dans la cour intérieure pour vider les poubelles. Certaines ont été invectivées par les personnes en errance, dont Mme [Y], identifiée, suivie et appelée “Mme [E]”. Les parents des enfants accueillis dans la structure ont également fait remonter les mêmes constatations et deux ont rompu leur contrat avec la crèche. Il est précisé que ces SDF, dont la plupart sont très sales et susceptibles de vectoriser des parasites, imposent aux parents de porter les nacelles des bébés et parfois touchent même les nourrissons avec leurs mains. Cette situation est devenue insupportable” (cf la pièce 16 précitée).

Ces éléments sont suffisants pour confirmer que le principe des travaux votés a bien pour but de préserver la sécurité physique des occupants et relève donc bien d’un vote à la majorité définie par l’article 24 précitée.

En raison de son objet même, la résolution 12 relève également par principe d’un vote à la majorité prévue par l’article 25 précité puisqu’elle porte sur les modalités d'ouverture des portes d'accès à l’immeuble, plus précisément du porche menant de la voie publique vers la cour commune.

Reste à déterminer si les travaux et modalités d’ouverture votés portent atteinte à la destination des parties privatives de la SCI LE BEAUCARNEA ou encore aux modalités de leur jouissance, telles qu’elles résultent du règlement de copropriété.

En l’occurrence, le règlement applicable a été établi les 18 avril et 23 mai 1966, en même temps que l’état descriptif de division de l’immeuble qui le complète.

A la lecture de ces actes (la pièce 2 de la SCI LE BEAUCARNEA), il ne fait pas de doute que le lot n°1 appartenant à la SCI LE BEAUCARNEA a un usage commercial et qu’il est le seul lot de la copropriété à bénéficier d’un tel usage, l’immeuble étant destiné pour le reste à l’usage d’habitation (cf 20ème rôle chapitre quatrième I article six).

Le règlement de copropriété définit le porche d’accès à la cour et la cour commune de l’immeuble comme des parties communes. Il en précise les modalités de jouissance de manière générale en ces termes (cf verso du 21ème rôle section deux - article 8) : “Chacun des copropriétaires usera librement des “Parties Communes” suivant leur destination, mais sans faire obstacle aux droits des autres copropriétaires.
Aucun des copropriétaires ou occupants de l’ensemble pourra encombrer les entrées, les vestibules, paliers et escaliers, ni laisser séjourner quoi que ce soit sur ces parties de l’ensemble de même que dans la cour.
(...)
Les livraisons dans l’immeuble de provisions, matières sales ou encombrantes, vins en fûts, etc... devront être faites le matin avant dix heures.(...)”.

Les autres indications utiles concernant l’usage du lot n°1, ainsi que du porche et de la cour commune ne sont pas données par le règlement de copropriété proprement dit, mais par l’état descriptif de division qui le précède.

Ainsi, le porche est désigné comme “Un passage charretier central permettant l’accès à la cour, aux entrées de l’immeuble et aux dépendances” (cf 13ème rôle, chapitre premier, article un - En rez de chaussée). Le lot n°1 est désigné à la suite comme “un local à usage de magasin s’accédant directement du [Adresse 5]”. Ce lot n°1 est plus précisément décrit comme suit (cf 14ème rôle, article deux) :
“A I°) Au rez-de-chaussée côté Ouest du bâtiment en façade sur rue : un magasin ayant la profondeur du bâtiment en question, soit d’après le plan huit mètres soixante dix huit centimètres sur une largeur de quatre mètres ;
2°) Au Nord du magasin ci-dessus avec lequel il communique :
Bâtiment à usage d’arrière-magasin et water-closet élevé sur terre plein d’un simple rez-de-chaussée ayant environ sept mètres quarante centimètres sur quatre mètres soixante dix centimètres.
Bâtiment à usage de dépôt commercial et garage à la suite, élevé sur terre plein d’un simple rez-de-chaussée, ledit bâtiment ayant une longueur d’environ dix sept mètres quarante quatre centimètres et sur sa limite Ouest une largeur d’environ six mètres vingt cinq centimètres.

Jouissance exclusive des parcelles sur lesquelles sont édifiés les deux bâtiments ci-dessus.
Droit de vue et droit de passage sur la cour de l’immeuble avec droit de passage à tous usages sous le porche du bâtiment en façade de la rue pour accéder au [Adresse 5].”

Cette description est relativement succincte et peu détaillée, mais il s’en déduit qu’à la date du règlement litigieux, l’accès de la clientèle du magasin correspondant au lot n°1 se faisait uniquement par l’entrée donnant sur la rue, mais non par la cour commune, l’accès par cette cour étant destiné uniquement à la desserte des bâtiments accessoires au magasin, à usage d’arrière-magasin, de lieu de stockage ou encore de garage.

Si la configuration des lieux a évolué ultérieurement et que selon un plan datant du 16 septembre 2015 produit par la SCI LE BEAUCARNEA (sa pièce 3), un accès donnant sur la cour a été créé à destination de la clientèle de l’occupant du lot n°1, cet accès ne résulte pas des stipulations du règlement de copropriété, ni de l’état descriptif de division.

Il se déduit également des explications fournies par la SCI LE BEAUCARNEA que l’accès donnant sur la cour n’est actuellement pas utilisé par le public fréquentant la micro-crèche qui occupe le lot n°1, seul l’accès donnant directement sur la rue l’étant.

Au demeurant, les travaux votés le 4 octobre 2021 n’ont pas pour effet d’entraîner la fermeture totale de l’immeuble, mais uniquement de réguler l’accès à la cour commune par un système d’ouverture à distance très souple d’interphone dit Intratone qui permet une ouverture depuis les téléphones portables qui seront renseignés.

Compte tenu de ces observations, il n’est pas établi que les résolutions contestées portent atteinte à la destination des parties privatives de la SCI LE BEAUCARNEA qui restent à usage commerciale, ni à ses modalités de jouissance telles qu’elles résultent du règlement de copropriété applicable. A fortiori, aucun abus de majorité n’est démontré.

En conséquence, il convient de rejeter l’ensemble des demandes de la SCI LE BEAUCARNEA.

II - Sur les demandes accessoires :

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile,la SCI LE BEAUCARNEA, partie perdante, doit supporter les dépens, ce qui rend sans objet sa demande au titre des dispositions de l’article 10-1 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965.

Il serait inéquitable de laisser à la charge du syndicat des copropriétaires les frais non compris dans les dépens que celui-ci a été contraint d’exposer pour la défense de ses intérêts en justice. En compensation, il convient de lui allouer une indemnité de 2 500 euros à la charge de la SCI LE BEAUCARNEA sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Aucune circonstance du litige ne justifie de déroger à l’exécution provisoire de droit de la présente décision.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,

REJETTE les demandes de la SCI LE BEAUCARNEA à l’encontre des résolutions n°11 et 12 adoptées lors de l’assemblée générale de la copropriété du 4 octobre 2021,

CONDAMNE la SCI LE BEAUCARNEA aux dépens, ainsi qu’à verser au syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 6] (35) une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe les jour, mois et an que dessus,

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/07893
Date de la décision : 23/07/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 29/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-23;21.07893 ?
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