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09/07/2024 | FRANCE | N°21/02011

France | France, Tribunal judiciaire de Rennes, 2ème chambre civile, 09 juillet 2024, 21/02011


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES


09 Juillet 2024


2ème Chambre civile
60A

N° RG 21/02011 -
N° Portalis DBYC-W-B7F-JFTR


AFFAIRE :

[L] [I]
[Y] [I]
[Z] [X]
[K] [I]
[N] [I]


C/

S.A. AXA FRANCE IARD,
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’ILLE ET VILAINE

copie exécutoire délivrée
le :
à :






DEUXIEME CHAMBRE CIVILE




COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE


PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR :

Jennifer KERMARREC, Vice-présidente

ASSESSEUR : Julie BOUDIER, Vice-présidente, ayant statué seule, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES

09 Juillet 2024

2ème Chambre civile
60A

N° RG 21/02011 -
N° Portalis DBYC-W-B7F-JFTR

AFFAIRE :

[L] [I]
[Y] [I]
[Z] [X]
[K] [I]
[N] [I]

C/

S.A. AXA FRANCE IARD,
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’ILLE ET VILAINE

copie exécutoire délivrée
le :
à :

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-présidente

ASSESSEUR : Julie BOUDIER, Vice-présidente, ayant statué seule, en tant que juge rapporteur, sans opposition des parties ou de leur conseil et qui a rendu compte au tribunal conformément à l’article 805 du code de procédure civile

GREFFIER : Fabienne LEFRANC lors des débats et lors de la mise à disposition qui a signé la présente décision.

DEBATS

A l’audience publique du 21 Mai 2024

JUGEMENT

En premier ressort, réputé contradictoire,
prononcé par Madame Julie BOUDIER, vice-présidente
par sa mise à disposition au Greffe le 09 Juillet 2024,
date indiquée à l’issue des débats.
Jugement rédigé par Madame Julie BOUDIER,vice-présidente

ENTRE :

DEMANDEURS :

Madame [L] [I]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Maître Fabienne MICHELET de la SELARL ARES, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

Madame [Y] [I]
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Maître Fabienne MICHELET de la SELARL ARES, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

Monsieur [Z] [X]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représenté par Maître Fabienne MICHELET de la SELARL ARES, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

Monsieur [K] [I]
[Adresse 7]
[Localité 8]
représenté par Maître Fabienne MICHELET de la SELARL ARES, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

Monsieur [N] [I]
[Adresse 7]
[Localité 8]
représenté par Maître Fabienne MICHELET de la SELARL ARES, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

ET :

DEFENDERESSES :

S.A. AXA FRANCE IARD, immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n° 722 057 460, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 9]
représentée par Maître Camille SUDRON de la SELARL LX RENNES-ANGERS, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant/postulant

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’ILLE ET VILAINE
[Adresse 10]
[Localité 11]
défaillante, assignée à personne le 26/03/2021

Exposé du litige

Le [Date décès 2] 2017, à [Localité 11], un accident de la circulation a eu lieu impliquant un ensemble routier de 44 tonnes composé d’un véhicule tracteur et d’une semi-remorque en charge, conduit par monsieur [O] et assuré par AXA France IARD, et une moto conduite par monsieur [J] [X], 17 ans, qui est décédé des suites de l’accident.

Il ressort du procès-verbal de police qu’en arrivant au rond-point, voie de gauche, le poids-lourd a percuté la moto se situant sur la voie de droite et monsieur [X] s’est trouvé entraîné sous la cabine du conducteur du poids-lourd, qui ne l’a pas vu immédiatement.

Une expertise en accidentologie a été diligentée, dont il ressort que : “Le motocycliste arrivait à côté de l’ensemble routier à l’approche du rond-point vers 17h45. Au moment du choc, la moto se trouvait devant la cabine du poids lourd, strictement parallèle et légèrement inclinée vers la droite du fait de la courbe à l’approche du rond-point. Le point d’impact entre les deux véhicules se situe à hauteur du marquage horizontal du « Cédez le passage » au moment d’aborder le rond-point. ”

Sans nouvelles de l’assureur du poids-lourd, les ayants-droits de monsieur [X] se sont rapprochés d’AXA France IARD en sa qualité d’assureur de l’ensemble routier par courrier du 27 décembre 2019 : “ Il semblerait que vous opposiez une exclusion du droit à indemnisation. Je vous avoue ne pas très bien comprendre votre position puisque la lecture du dossier pénal ne fait référence à aucune faute de la part de [J] [I]. Aussi, je vous remercie de bien vouloir m’indiquer si vous entendez maintenir cette exclusion du droit à indemnisation, et si tel est le cas, de m’indiquer quelles en sont les raisons”.

Par courrier du 13 avril 2018 précédent, AXA France IARD avait indiqué à la Mutuelle des Motards, assureur de la moto, son refus de prendre en charge le coût des dommage sur l’appareil, au regard de l’absence de faute du conducteur du poids-lourd.

AXA n’ayant pas répondu à leur courrier du 27 décembre 2019, les consorts [I] ont souhaité agir en justice.

***

C’est dans ces conditions que par acte d’huissier du 26 mars 2021, les ayants-droits de la victime ont assigné AXA France IARD en réparation de leur préjudice d’affection et ont sollicité une expertise aux bénéfice de madame [L] [I], mère de la victime. La CPAM d’Ille et Vilaine a été attraite à la cause par acte séparé du même jour.

Par jugement sur le fond et avant-dire-droit en date du 18 octobre 2022, AXA France IARD a été condamnée à réparer les préjudices d’affection et frais funéraires de certains ayant-droits. Une expertise a par ailleurs été ordonnée au profit de madame [L] [I], et confiée au docteur [M].

Le rapport d’expertise a été rendu le 20 octobre 2023. Les conclusions sont les suivantes :

- date du traumatisme : 17 février 2017
- date de consolidation : 1er juin 2022
- pertes de gains professionnels actuels : oui
- déficit fonctionnel temporaire :
- de classe III (50%) : du [Date décès 2] au 1er mars 2017
- de classe II (25%) : du 2 mars au 24 août 2017
- de classe III (50%) : du 25 août 2017 au 17 avril 2018
- de classe II (25%) : du 18 avril 2018 au 15 octobre 2021
- de classe I (10%) : du 16 octobre 2021 à la consolidation
- déficit fonctionnel permanent : 8 %
- dépenses de santé futures : possible 1 séance mensuelle de sophrologie pendant deux ans
- souffrances endurées : 3.5/7

Dans les suites de ce rapport, madame [I] a entendu formuler des demandes en justice contre l’assureur du conducteur responsable du dommage.

Dans ses dernières conclusions, signifiées le 18 mars 2024 par voie électronique, [L] [I] demande au tribunal de :

CONDAMNER la Société AXA FRANCE IARD à verser à Madame [L] [I] les sommes suivantes:

Dépenses de santé actuelles 217 Euros
Frais divers 1.379,60 Euros

Pertes de gains actuelles 5.849,58 Euros
Déficit fonctionnel temporaire 15.379,50 Euros
Souffrances endurées 9.000,00 Euros
Déficit fonctionnel permanent 32.318,76 Euros
à titre principal et 14.400 Euros à titre subsidiaire
Total 64.144,44 Euros
à titre principal et 46.225,68 Euros à titre subsidiaire.

S’ENTENDRE CONDAMNER la Société AXA France IARD à verser à Madame [L] [I] la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

CONDAMNER AXA France IARD aux dépens, en ce compris les frais d’expertise

DECLARER le jugement commun et opposable à la CPAM.

Aux termes de ses dernières conclusions, signifiées le 16 février 2024 par la voie électronique, demande au tribunal de :

RECEVOIR AXA France IARD en ses conclusions et y faisant droit ;
Par conséquent,
- DIRE ET JUGER que les présentes conclusions valent offre au sens de l’article L.211.9 du Code des assurances, dès leur notification par devant la Juridiction de Céans,
- DIRE ET JUGER que AXA France IARD accepte de verser en réparation des préjudices de Madame [L] [I] les sommes ci-après :
- Au titre des dépenses de santé actuelles : 262 €
- Au titre des frais divers : 1.379,60 €
- Au titre de la perte de gains professionnels actuels : 4.084, 78 €
- Au titre du déficit fonctionnel temporaire : 13.841, 55 €
- Au titre des souffrances endurées : 9.000 €
- Au titre du déficit fonctionnel permanent : 16.000 €
En toute hypothèse,
- RÉDUIRE à de plus juste proportions la somme sollicitée, en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
- DÉBOUTER, Madame [L] [I] de ses demandes plus amples et contraires.

***

Par décision du 4 avril 2024, le juge de la mise en état a ordonné la clôture des débats. L’affaire a été renvoyée au fond à l’audience du 21 mai 2024.

A l’audience, les parties ont déposé leur dossier.

L’affaire a été mise en délibéré au 9 juillet 2024.

Motifs

A titre liminaire, il convient de rappeler d’abord que [J] [X] a été victime d’un accident mortel de la circulation le [Date décès 2] 2017, impliquant un véhicule assuré auprès de AXA France IARD.

En application des dispositions de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985, le droit à indemnisation de [L] [I], sa mère, victime indirecte, n’est pas contestable et n’est d’ailleurs pas discuté par AXA France IARD, laquelle est donc tenue d’indemniser l'intégralité du préjudice subi par les demandeurs du fait de l’accident survenu le [Date décès 2] 2017.

En l’espèce, il n’existe pas de critique sérieuse formulée à l’encontre de l’expertise diligentée par le docteur [M], qui servira donc de base à l’évaluation du préjudice subi.

I- Sur les demandes indemnitaires formulées par madame [I]

A- Préjudices patrimoniaux

- dépenses de santé actuelles

Les dépenses de santé regroupent les frais médicaux et pharmaceutiques, non seulement les frais restés à la charge effective de la victime, mais aussi les frais payés par des tiers, les frais d’hospitalisation et tous les frais paramédicaux.

Madame [I] sollicite le remboursement de la somme de 217 € au titre des frais de séances de sophrologie restées à sa charge et dont elle justifie par la production de factures (pièce 12)

AXA France IARD se reconnaît redevable de la somme de 262 €. Toutefois, le tribunal étant tenu par les demandes formulées, elle sera condamnée à verser la somme de 217 € à la demanderesse au titre des dépenses de santé actuelles.

- frais divers

Ce sont les frais autres que les frais médicaux restés à la charge de la victime, qui sont fixés en fonction des justificatifs produits. Il peut s’agir du ticket modérateur, du surcoût d’une chambre individuelle, des frais de téléphone et de location d’un téléviseur, du forfait hospitalier etc.

Madame [I] justifie avoir réalisé des déplacements pour se rendre à l’expertise et à des rendez-vous médicaux en lien avec le traumatisme subi du fait dommageable.

Elle sollicite la somme de 1 379.60 € sur la base du barème 2023 des indemnités kilométriques pour un véhicule de plus de 7 CV.

La défenderesse accepte d’indemniser les frais de déplacements à hauteur de la somme demandée, il y a lieu d’y faire droit.

- pertes de gains professionnels actuels

Les préjudices professionnels sont les préjudices économiques correspondant aux revenus dont la victime a été privée pendant la durée de son incapacité temporaire, totale ou partielle. L’indemnisation est en principe égale au coût économique du dommage pour la victime, dont la perte de revenus se calcule en net (et non en brut), et hors incidence fiscale.

Madame [I] fait valoir que l’expert a retenu à tord qu’elle avait été placée en arrêt de travail du [Date décès 2] au 1er mars 2017 puis du 25 août 2017 au 17 avril 2018. Elle indique qu’elle a en réalité été arrêtée jusqu’au 23 mai 2018, ainsi qu’en atteste le relevé de versement des indemnités journalières.

Elle indique n’avoir subi aucune perte de salaire sur la période du [Date décès 2] 2017 au 1er mars 2017.
Elle ajoute qu’elle aurait dû percevoir 1 589,91 € x 8.87 mois soit 14 102.50€ et qu’elle n’a perçu que les seules indemnités journalières, à hauteur de 3 865, 68 € en 2017 et 4 387,24 € en 2018, soit une somme totale de 8 252.92€.

Elle sollicite alors le versement par AXA France IARD de la différence, soit 5 849,58 €.

En défense, l’assureur souligne que l’expert a retenu la date du 17 avril 2018 et que le tribunal doit donc se fonder sur cette période puisque la demanderesse n’a pas formulé de dires à expert lorsqu’elle a reçu le rapport provisoire. Considérant qu’il appartenait à madame [I] de faire rectifier l’erreur, elle sollicite que la période prise en compte soit celle retenue par l’expert.

Dans ces conditions, AXA France IARD sollicite que le calcul soit basé sur cette période, soit sur 7.76 mois plutôt que sur 8.87 mois. Elle propose alors la somme de 4 084,78 €.

En l’espèce, s’il est exact que la demanderesse aurait dû faire rectifier l’erreur au moment du rapport provisoire d’expertise, l’étude du relevé d’indemnités journalières pour l’année 2018 permet de constater que les indemnités versées l’ont été pour un seul et même événement, puisqu’aucun jour de carence n’a été décompté comme cela aurait été le cas si un nouvel événement avait justifié un arrêt de travail dans la suite immédiate du 17 avril 2018. Au surplus, si la CPAM n’a pas formulé de demande en l’espèce, elle a tout de même communiqué le détail de ses débours, dans lesquels figurent les indemnités journalières versées “du 28 août 2017 au 23 mai 2018".

Ainsi, il sera considéré que la période à retenir s’étend jusqu’au 23 mai 2018, le tribunal n’étant, au demeurant, pas tenu par les conclusions de l’expert.

En conséquence, il y a lieu de faire droit à la demande et de condamner AXA France IARD au règlement de la somme de 5 849, 58 €.

B- Préjudices extra-patrimoniaux

- déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice inclut pour la période antérieure à la consolidation, la gêne dans les actes de la vie courante, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d’agrément, et éventuellement le préjudice sexuel temporaire.

Son évaluation tient compte de la durée de l'incapacité temporaire, du taux de cette incapacité (totale ou partielle), des conditions plus ou moins pénibles de cette incapacité (ex: victime qui a subi de nombreuses interventions et est restée hospitalisée et immobilisée pendant plusieurs mois par opposition à celle qui a pu rester chez elle).

Madame [I] sollicite que le taux de déficit fonctionnel total soit fixé à 30 € et qu’il soit réalisé un prorata pour les indemnités dues pour les journées marquées par un déficit fonctionnel partiel.

Elle sollicite alors la somme de 15 379,50 € (3 795 € pour le déficit fonctionnel temporaire de classe III, 10 897,50 € pour le déficit fonctionnel temporaire de classe II, et 687 € pour le préjudice temporaire total de classe I).

En défense, la société AXA France IARD propose d’indemniser le déficit fonctionnel temporaire total à hauteur de 27 € et propose alors la somme de 13 841,55 €.

En l’espèce, les dates retenues par l’expert ne font pas l’objet de discussion, il y aura lieu de les retenir pour le calcul du DFT. Le taux de 27 € proposé par la défense pour un déficit temporaire total sera appliqué.

Ainsi, le calcul sera le suivant :
- DFT partiel de classe III (50%) : 253 jours = 253 x 27 x 50% = 3 415,50 €
- DFT partiel de classe II (25%) : 1 453 jours = 1 453 x 27 x 25% = 9 807,75 €
- DFT partiel de classe I (10%) = 229 jours = 229 x 27 x 10% = 618,30€
TOTAL = 13 841, 55€

Il y a lieu de condamner la défenderesse à verser la somme de 13 841, 55 € à la demanderesse au titre du déficit fonctionnel temporaire.

- souffrances endurées

Il s’agit d’indemniser toutes les souffrances tant physiques que morales subies par la victime pendant la maladie traumatique et jusqu’à la consolidation, du fait des atteintes à son intégrité, à sa dignité et à son intimité ainsi que des traitements, interventions, hospitalisations subis pendant cette même période.
La demanderesse sollicite la somme de 9 000 € au titre des souffrances endurées, rappelant que ce préjudice a été coté à 3.5/7 par l’expert et qu’elle a dû bénéficier de nombreux soins et traitements (psychotropes, psychothérapie, suivi psychiatre).

En défense, AXA France IARD propose d’indemniser la demanderesse à hauteur de sa demande.

Il y a lieu de constater qu’il existe une contradiction entre les motifs exposés et la demande formulée dans le dispositif des conclusions en demande, dispositif auquel le tribunal est tenu. Aussi, malgré l’accord entre les parties, autour de la somme de 9 000 €, la demande objectivement formulée étant de 8 000 €, cette dernière somme sera accordée au titre des souffrances endurées.

- déficit fonctionnel permanent

Le déficit fonctionnel permanent est défini comme consistant en la “réduction définitive du potentiel physique, ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable, donc appréciable par un examen clinique approprié complété par l’étude des examens complémentaires produits, à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l’atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte à la vie de tous les jours”.

Il s’agit par conséquent de la perte de la qualité de vie, des souffrances après consolidation et des troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence, qu’elles soient personnelles, familiales ou sociales, du fait des séquelles physiques et mentales qu’elle conserve.

Madame [I] sollicite l’indemnisation du préjudice de déficit fonctionnel permanent à hauteur de 32 318,76 €. Elle rappelle que l’expert a fixé à 8% le taux de DFP. Elle réclame que son préjudice soit calculé sur la base d’une indemnité journalière de 30 € en tenant compte de son taux d’incapacité. Elle explique que le taux retenu par l’expert ne prend en compte qu’une des trois composante du déficit fonctionnel permanent, à savoir le déficit physiologique, à l’exception des douleurs persistantes post-consolidation et des troubles dans les conditions de l’existence. Elle considère alors que le taux fixé par l’expert ne recouvre pas pleinement le DFP. Elle estime que seule une indemnité journalière vient indemniser l’ensemble des composantes du déficit fonctionnel permanent en fonction de l’espérance de vie de la victime.
Ainsi, elle propose le calcul suivant :
- arrérages échus : du 1er juin 2022 au 31 décembre 2023 : 578 jours x 30 x 8% = 1387, 20 €
- arrérages à échoir, sous forme capitalisée : 365 x 30 x 8% x 35.310 (valeur du point) = 30 931,56 €.
TOTAL = 32 318,76 €.

A titre subsidiaire, elle sollicite l’application du barème proposé par le recueil méthodologique commun, envisageant la valorisation du point à 1800 € pour un sujet âgé de 49 ans à la date de consolidation, soit une somme de 14 400 € (1800 x 8).

En défense, la société AXA France IARD propose la somme de 16 000 € au titre du déficit fonctionnel permanent, estimant que la méthode proposée ne se fonde que sur une certaine jurisprudence de la Cour d’appel de Rennes, qui ne fait pas l’unanimité. Elle rappelle par ailleurs que la mission d’expertise commandait à l’expert de tenir compte, pour le calcul du déficit fonctionnel permanent, “ non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes qu’elle ressent, la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence qu’elle rencontre au quotidien après consolidation”.

En l’espèce, l’expert note : “il persiste des séquelles constitutives d’un déficit fonctionnel permanent. Elles sont constituées de :
- troubles du sommeils avec des difficultés à s’endormir avec des pensées envahissantes
- un comportement d’évitement
- des pensées fréquentes de son fils [J], sans reviviscence mais elle revoit son image
- des angoisses quand elle est confrontée à un stimuli lui rappelant l’accident
- une tristesse et la persistance d’une souffrance notamment aux périodes d’anniversaires de novembre à fin mai
- un état de stress quand il y a trop de foule qu’elle ne présentait pas avant et qui l’oblige à éviter cette situation
- une difficulté à penser à elle
- une sensation que la moitié d’elle-même est morte avec son fils.

Le taux d’incapacité permanente peut être fixé à 8% suivant le barème indicatif d’évaluation des taux d’incapacité en droit commun publié par le concours médical. Ces séquelles justifient une prise en charge psychique par son psychiatre traitant et sa psychothérapeute une fois par mois pendant deux ans si besoin”.

Il convient de rappeler, ainsi que le fait la demanderesse, que le déficit fonctionnel permanent ne saurait être réduit au taux d’atteinte à l’intégrité physique permanente, qui ne constitue qu’une partie du préjudice en question. Ainsi, il importe de savoir si le taux retenu par l’expert tient compte de l’incapacité physiologique, illustrée par le taux d’AIPP à laquelle il ajoute les douleurs permanentes associées et les troubles dans les conditions de l’existence ou si le taux retenu exclut ces deux dernières composantes.

En l’espèce, le taux de 8 % retenu tient compte des douleurs permanentes associées post-consolidation et des troubles dans les conditions de l’existence au regard de la liste des séquelles qu’il établit.

S’agissant de la méthode de calcul, il est à retenir que l’évaluation sous forme de barème semble devoir être écartée au profit d’une méthode de calcul fondée sur l’indemnité journalière, le déficit fonctionnel permanent se maintenant dans le temps après la consolidation et ne devant pas être perçu différemment du déficit fonctionnel temporaire, dont il est le prolongement.

L’application d’un barème inéquitable selon le sexe et l’âge de la victime est contraire au principe de réparation intégrale puisqu’il ne prend pas en compte la réalité de la durée pendant laquelle la partie civile va effectivement devoir vivre avec son déficit fonctionnel permanent. Il conviendra dès lors, comme le propose la demanderesse, d’indemniser le déficit fonctionnel permanent sur une base journalière obtenue à partir de l’indemnisation du déficit fonctionnel temporaire puisque le déficit fonctionnel permanent constitue (après la consolidation) la suite indemnitaire du dit déficit fonctionnel temporaire. L’indemnisation du déficit fonctionnel permanent doit alors se construire sur une base journalière en distinguant la période échue et une période à échoir. Cette méthode a pour avantage de gommer les discriminations auxquelles mène l’utilisation du barème alors pourtant que son objectif est exactement inverse.

En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que l’appréciation du préjudice relève du pouvoir souverain du juge et que la méthodologie proposée n’est pas exclue par la Cour de cassation en l’état.

En l’espèce, au regard du taux retenu, de l’âge de madame [I] à la liquidation (51 ans) et sur la base d’une indemnisation journalière à hauteur de 27 €, se fondant par ailleurs sur le taux de 0 de la Gazette du Palais 2022, plus adapté à la conjoncture actuelle, le calcul sera le suivant :

Indemnité journalière = 8 % x 27 € = 2,16 €
Indemnité mensuelle = 65,88 €
Indemnité annuelle = 790,56 €
- Arrérages échus du 1er juin 2022 au 9 juillet 2024 soit 2 ans, 1 mois et 8 jours = (790,56 x 2) + 65,88 + (2.16 x 8) = 1 664,28 €
- Arrérages à échoir = 790.56 € x 35.310 = 27 914,67 €
SOIT un montant total de 1664,28 + 27 914,67 = 29 578,95 €

La société AXA France IARD sera condamnée à verser la somme de 29 578, 95 € à madame [I] au titre du préjudice de déficit fonctionnel permanent issu du premier accident.

II-Sur les demandes accessoires

Aux termes de l’article 696 du Code de procédure civile, “la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie”.

La société AXA France IARD succombant à l’instance, en supportera par conséquent les dépens.

L’article 700 du même code dispose “Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s'il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celle-ci ne peut être inférieure à la part contributive de l'État”.

La demanderesse sollicite la somme de 5000 € en vertu des dispositions précitées.

L’équité commande de condamner la société AXA France IARD à payer à madame [I] la somme de 3 000 € au titre des frais non répétibles qu’elle a exposés pour faire valoir ses droits.

Enfin, l’article 514 du Code de procédure civile prévoit que “les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement”.

Il n’y a pas lieu de déroger à cette disposition.

Par ces motifs

FIXE ainsi qu’il suit l’évaluation du préjudice subi par [L] [I] du fait de l’accident intervenu le [Date décès 2] 2017 :
- Préjudice patrimonial
- dépenses de santé actuelles : 217 €
- frais divers : 1 379,60 €
- perte de gains professionnels actuels : 5 849, 58 €
- Préjudice extra-patrimonial
- déficit fonctionnel temporaire : 13 841, 55 €
- souffrances endurées : 8 000 €
- déficit fonctionnel permanent : 29 578, 95 €
TOTAL = 58 866,68 €

CONDAMNE la société AXA France IARD à verser à madame [L] [I] les sommes suivantes, avec intérêt au taux légal à compter du présent jugement :
- Préjudice patrimonial
- dépenses de santé actuelles : 217 €
- frais divers : 1 379,60 €
- perte de gains professionnels actuels : 5 849, 58 €
- Préjudice extra-patrimonial
- déficit fonctionnel temporaire : 13 841, 55 €
- souffrances endurées : 8 000 €
- déficit fonctionnel permanent : 29 578, 95 €
TOTAL = 58 866,68 €

DIT que les provisions éventuellement déjà versées devront être déduites ;

CONDAMNE la société AXA France IARD aux dépens

CONDAMNE la société AXA France IARD à verser la somme de 3 000 € à madame [L] [I] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit ;

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Rennes
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/02011
Date de la décision : 09/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-09;21.02011 ?
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