Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 6] - tél : [XXXXXXXX01]
04 Juillet 2024
1re chambre civile
59B
N° RG 21/01372 - N° Portalis DBYC-W-B7F-JEKM
AFFAIRE :
[W] [S]
C/
[G] [Z]
copie exécutoire délivrée
le :
à :
COMPOSITION DU TRIBUNAL
PRESIDENT : Dominique FERALI, première vice-présidente
ASSESSEUR : David LE MERCIER, vice-président,
ASSESSEUR : Grégoire MARTINEZ, juge
GREFFIER : Karen RICHARD
DÉBATS
A l’audience publique du 13 Mai 2024 tenue, sans opposition des avocats, par David Le Mercier, juge rapporteur et rédacteur, qui en a rendu compte au tribunal dans son délibéré
JUGEMENT
Rendu au nom du peuple français, contradictoire,
prononcé, le président empêché, par David Le Mercier,
par sa mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024, par anticipation sur la date du 8 juillet 2024 annoncée à l’audience du 13 mai 2024
DEMANDERESSE :
Madame [W] [S]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Valérie LEBLANC de la Selarl Ares, avocat au barreau de RENNES
DEFENDEUR :
Monsieur [G] [Z]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par Me Jean-Marie ALEXANDRE, avocat au barreau de RENNES
Faits et procédure
Par acte du 21 février 2021, Mme [S] a assigné M. [Z], son ancien concubin, devant le tribunal judiciaire de Rennes en paiement d’une somme de 232 609,07 euros.
Par dernières conclusions notifiées le 27 septembre 2022, Mme [S] demande au tribunal de :
« DEBOUTER Monsieur [G] [Z] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
CONDAMNER Monsieur [G] [Z] à payer à Madame [W] [S] la somme de 232.609,07 €, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 27 novembre 2020,
ORDONNER la capitalisation des intérêts,
CONDAMNER Monsieur [G] [Z] à payer à Madame [W] [S] une indemnité de 10.000 € par application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ».
Par dernières conclusions notifiées le 17 juin 2022, M. [Z] demande au tribunal de :
« Recevoir Monsieur [G] [Z] en l’ensemb1e de ses demandes, fins et conclusions,
Lui en allouer le plein et entier bénéfice,
A titre principal dire et juger les demandes de Madame [S] prescrites,
A titre subsidiaire débouter Madame [S] de liensemble de ses demandes,
fins et conclusions,
Dire et juger que la somme en due en principal ne portera intérêt qu’au taux légal à compter de la signification de l’assignation soit le 25 février 2021,
A titre infiniment subsidiairement l’inviter à présenter un décompte précis des sommes effectivement due par Monsieur [Z] et non par les sociétés Sarl DOSSEN Immo et Sarl LE ROCK TREAS,
Condamner Madame [S] a verser à Monsieur [Z] la somme de 5 000 € sur le fondement des dispositions de 1'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’aux entiers dépens. »
Le 21 septembre 2023, ont été ordonnées la clôture de l’instruction et le renvoi de l’affaire devant le tribunal à l’audience du 13 mai 2024, date des plaidoiries.
Motifs
Sur la prescription de la dette
Pour s’opposer au paiement de la dette, M. [Z] en invoque la prescription.
Alors que le juge de la mise en état a averti les parties sur l’irrecevabilité d’une fin de non-recevoir soumise au tribunal, M. [Z] a maintenu ses conclusions de fond, sans saisir le juge de la mise en état de conclusions d’incident pour lui soumettre la fin de non-recevoir.
En application de l’article 789 du code de procédure civile, M. [Z] est donc irrecevable en sa fin de non-recevoir.
Sur le fond
Sur la valeur de l’acte du 11 avril 2020
Au visa de l’article 1103 du code civil, Mme [S] se fonde sur un « protocole d’accord transactionnel - reconnaissance de dette » du 11 avril 2020 par lequel M. [Z] a reconnu devoir une somme totale de 238 300 euros (163 300 euros de principal et 75 000 euros d’intérêt à titre forfaitaire), qu’il s’est engagé à rembourser avant le 31 octobre 2020.
Elle expose que :
- cette somme représente le cumul de divers prêts accordés à M. [Z], y compris après leur séparation en 2012 et jusqu’en 2018, qui avaient déjà donné lieu à plusieurs reconnaissances de dettes, et en particulier en dernier lieu un acte authentique de cession de créance du 19 août 2014 par lequel il reconnaissait devoir la somme de 205 147 euros et s’en acquitter en cédant ses propres créances locatives concernant cinq biens immobilier,
- suite à l’acte du 11 avril 2020, la dette a fait l’objet d’une vérification par un expert-comptable, qui a retenu un montant de 157 609,07 euros, ce qui explique qu’elle ne réclame que la somme de (157 609,07 + 75 000 =) 232 609,07 euros.
A l’évidence, Mme [S] n’accorde pas au protocole d’accord transactionnel du 11 avril 2020 la valeur d’une transaction, sinon elle n’aurait pas manqué de se contenter d’en obtenir l’homologation afin de le rendre exécutoire, en application des articles 1565 et 1567 du code de procédure civile.
Si cet acte était bien une transaction, elle n’aurait pas ignoré, puisque l’acte le rappelle expressément, qu’une transaction fait obstacle à l’introduction entre les parties d’une action en justice ayant le même objet, en application de l’article 2052 du code civil.
Contrairement à ce qu’elle soutient dans ses conclusions, il n’est pas indifférent que « le document soit qualifié de reconnaissance de dette ou de transaction », puisque, s’il s’agit d’une transaction, Mme [S] serait irrecevable à demander au tribunal de trancher un litige sur lequel les parties se sont déjà accordés.
M. [Z] dénie explicitement au « protocole transactionnel» la valeur d’une transaction en raison de l’absence de concessions réciproques, ce que Mme [S] ne conteste pas.
Selon l’article 2044 du code civil, la transaction est en effet un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.
Pour autant en se contentant de viser l’article 1103 du code civil, selon lequel les contrats légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits, Mme [S] entend apparemment se prévaloir du fait que l’acte du 11 avril 2020 serait un contrat dont elle demande l’exécution, sans pour autant qu’il s’agisse d’une transaction.
Il se comprend de la substance de ses conclusions qu’elle soutient que l’acte du 11 avril 2020 est un contrat unilatéral par lequel M. [Z] s’est engagé à lui payer une somme d’argent, ce qui mobilise implicitement mais nécessairement les articles 1106 et 1376 du code civil.
C’est d’ailleurs ainsi que M. [Z] le comprend et réclame la nullité de cet acte, au motif que son consentement était vicié, en application des articles 1129 et 1130 du code civil.
L’acte en cause ne peut valoir à la fois transaction et reconnaissance de dette.
Si la transaction est nulle faute de concessions réciproques, elle ne peut alors valoir reconnaissance de dette, tout au plus commencement de preuve par écrit.
La créance invoquée par Mme [S] est en réalité la résultante de nombreux prêts, dont M. [Z] ne conteste pas le principe, si bien que, sous couvert de reconnaissances de dettes, Mme [S] recherche le remboursement desdits prêts.
Sur le principal de 157 609, 07 euros
M. [Z] ne conteste pas avoir été débiteur de Mme [S], mais soutient qu’il conviendrait de déduire certaines créances réciproques et certains paiements.
La cession de créance notariée de 2014 permet de retenir qu’à cette date, M. [Z] se reconnaissait personnellement débiteur de la somme de 205 147 euros.
La contestation de reconnaissances de dette antérieures (31 août 2006, 17 novembre 2006, 21 juin 2007, 20 juin 2008) est donc inopérante, de même que la contestation concernant le fait que certaines dettes ne concerneraient pas M. [Z] en son nom personnel mais des sociétés dont il est le gérant.
L’argument selon lequel Mme [S] aurait occupé à titre gratuit une maison appartenant à M. [Z] entre avril 2006 et septembre 2012 ne peut pas plus être pris en compte, s’agissant d’une période antérieure à l’acte de 2014, et concernant au surplus leur concubinage, qui n’est pas l’objet du présent litige.
M. [Z] fait valoir que, dans une attestation du 24 octobre 2015, Mme [S] aurait reconnu que la dette ne s’éleverait qu’à 100 000 euros.
Mme [S] ne réplique pas à cet argument.
Selon l’écrit en question, Mme [S] « déclare que pour rembourser, à hauteur de 100 000 €, la somme que me doit M. [G] [Z] [...], celui-ci a cédé à mon profit les loyers [...] ».
Il s’en comprend que la somme due par M. [Z] n’est pas de 100 000 euros, mais d’un montant non précisé, et que sur ce montant, la somme de 100 000 euros doit être réglée par la cession de loyers.
M. [Z] fait valoir que Mme [S] a perçu 330 000 euros au titre des loyers cédés.
Pour parvenir à cette somme, il rappelle que la cession de créance porte sur un montant total de 18 936 euros par an.
Dans la mesure où il reconnaît que Mme [S] n’a plus perçu de loyers à compter de décembre 2018, Mme [S] a pu percevoir au mieux, entre septembre 2014 et décembre 2018, une somme d’environ 90 000 euros euros.
Il allègue, mais sans preuve, que Mme [S] aurait également perçu des loyers concernant d’autres biens pour un montant de 3 710 euros par mois.
Il s’ensuit que la somme retenue par l’expert-comptable de 157 609,07 euros, après vérification des relevés de compte ou carnets de chèque, est cohérente avec ce que Mme [S] a pu percevoir comme loyers, M. [Z] n’opposant aucune autre contestation précise au rapport de l’expert-comptable.
La somme de 157 609, 07 euros sera donc bien retenue comme montant en principal.
Sur le forfait d’intérêts de 75 000 euros
Selon la cession de créance du 19 août 2014 « les sommes dues à ce jour » par M. [Z] à Mme [S] s’élèvent à 205 147 euros.
Il s’en déduit qu’il s’agit d’une somme globale, intérêts compris.
Mme [S] ne peut donc pas réclamer un forfait de 75 000 euros, sans mieux s’expliquer sur la circonstance que la dette de 205 147 euros aurait généré depuis le 19 août 2014, des intérêts à hauteur de 75 000 euros, et ce alors que les paiements réalisés par le biais des cessions de créance ont dû s’imputer en priorité sur les intérêts.
L’expert comptable ne retient d’ailleurs aucune somme au titre d’intérêts.
Il appartient à Mme [S] de démontrer qu’il a été convenu pour chaque prêt, un intérêt conventionnel mentionné par écrit, en application de l’article 1907 du code civil et que le principal restant dû correspond bien à des sommes prêtées en contrepartie d’un intérêt conventionnel, ce qu’elle ne fait pas.
La demande au titre des intérêts forfaitaires est donc rejetée, seul l’intérêt au taux légal sera retenu sur la somme de 157 609,07 euros, et ce à compter du 31 juillet 2020, date à laquelle l’expert-comptable a attesté que la somme due par M. [Z] peut être estimée à hauteur de cette somme.
M. [Z] est donc condamné à verser à Mme [S] la somme de 157 609,07 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 juillet 2020.
En application des dispositions de l’article 1154 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n 2016-131 du 10 février 2016, ces intérêts seront capitalisés à compter de la demande en justice, soit le 25 février 2021, dès lors qu'ils sont dus pour une année entière.
Sur les frais d’instance
En application de l’article 696 du code de procédure civile, M. [Z] est condamné aux dépens.
En application de l’article 700 du même code, sa demande est rejetée et il est condamné à verser à Mme [S] la somme de 3 000 euros.
En application de l’article 699 du code de procédure civile, il n’y a pas lieu d’accorder un droit de recouvrement direct à la Selarl Ares, qui n’allègue pas avoir avancé certains dépens sans recevoir provision.
Par ces motifs, le tribunal :
Déclare M. [Z] irrecevable en sa fin de non-recevoir tirée de la prescription ;
Condamne M. [Z] à verser à Mme [S] la somme de 157 609,07 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 juillet 2020, capitalisés à compter du 25 février 2021, dès lors qu'ils sont dus pour une année entière ;
Condamne M. [Z] aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à verser à Mme [S] la somme de 3 000 euros.
Le greffier /Le président