Cour d'appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 4] - tél : [XXXXXXXX01]
01 Juillet 2024
1re chambre civile
50G
N° RG 22/01826 - N° Portalis DBYC-W-B7G-JU3O
AFFAIRE :
[J] [B]
[O] [K]
C/
S.N.C. MARIGNAN RESIDENCES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
copie exécutoire délivrée
le :
à :
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
PRESIDENT : Dominique FERALI, Première vice-présidente
ASSESSEUR : David LE MERCIER, Vice-Président
ASSESSEUR : Philippe BOYMOND, Vice-Président
GREFFIER : Karen RICHARD lors des débats et lors du prononcé du jugement, qui a signé la présente décision.
DÉBATS
A l’audience publique du 19 Février 2024
Philippe BOYMOND assistant en qualité de juge rapporteur sans opposition des avocats et des parties
JUGEMENT
En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame Dominique FERALI ,
par sa mise à disposition au greffe le 01 Juillet 2024,
après prorogation du délibéré.
Jugement rédigé par Philippe BOYMOND.
-2-
ENTRE :
DEMANDEURS :
Madame [J] [B]
Monsieur [O] [K]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentés par Me Simon AUBIN, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant
ET :
DEFENDERESSE :
S.N.C. MARIGNAN RESIDENCES
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Maître Julien DERVILLERS de la SELARL PROXIMA, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant
EXPOSE DU LITIGE :
Suivant acte authentique du 21 septembre 2017, M. [O] [K] et son épouse, Mme [J] [B], ont acquis une maison à usage d'habitation située au [Adresse 2] à [Localité 6] (35) au prix de 300 860 €.
Suivant acte authentique du 29 juillet 2020, ils ont consenti à la société en nom collectif (SNC) Marignan résidences une promesse unilatérale de vente de cette maison au prix de 1 200 000 €, valable jusqu'au 30 novembre 2021.
Le bénéficiaire a déclaré avoir également signé, dans le cadre de son projet de construction, des promesses de vente avec les voisins des vendeurs, à l'exception toutefois des consorts [P], de sorte que les parties ont stipulé qu'à peine de caducité de la promesse, une promesse de vente devait être signée avec ces derniers avant le 30 septembre 2020.
La vente a, par ailleurs, été soumise à l'accomplissement de conditions suspensives, notamment d'obtention d'un permis de construire valant permis de démolir les constructions existantes, le bénéficiaire s'étant engagé à déposer sa demande au plus tard le 31 décembre 2020.
Une indemnité d'immobilisation d'un montant de 60 000 € a été stipulée, avec production d'une caution bancaire en garantie de son versement mais les parties se sont accordées dans la même clause sur le caractère gratuit de la promesse, pendant la période courant à compter de sa signature jusqu'à la date contractuellement prévue pour la remise de la caution bancaire.
Par avenant notarié du 30 décembre 2020, les parties ont prorogé plusieurs délais, dont celui du dépôt du permis, à effectuer par le bénéficiaire désormais au plus tard le 30 avril 2021, les autres clauses et conditions de la promesse demeurant inchangées.
Par lettre recommandée du 15 décembre 2021, avec accusé de réception, les promettants ont mis en demeure le bénéficiaire d'avoir à leur justifier des diligences accomplies aux fins de levée de la condition suspensive d'obtention du permis de construire.
Par acte d'huissier de justice du 03 mars 2022, les époux [K] ont assigné la SNC Marignan résidences devant le tribunal judiciaire de Rennes, sur le fondement des articles 1104, 1304-3 et 1178 du code civil, aux fins d'obtenir sa condamnation à leur payer la somme de 60 000 € au titre de l'indemnité d'immobilisation, sous le bénéfice des dépens et de l'allocation d'une somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions n°2 notifiées par le RPVA le 22 novembre 2022, les époux [K] demandent désormais au tribunal de :
Vu l’article 1304-3 du code civil,
Vu l’article 1104 du code civil,
Vu l’article 1178 du code civil,
A titre principal,
DEBOUTER la SNC MARIGNAN de ses demandes, fins et prétentions ;
CONDAMNER la SNC MARIGNAN au paiement de l’indemnité d’immobilisation de 60 000€ auprès des consorts [B] - [K] ;
A titre subsidiaire, DECLARER l’existence d’une mauvaise foi du bénéficiaire tout au long de la relation contractuelle ;
CONDAMNER la SNC MARIGNAN à la somme de 60.000€ au titre du préjudice subi par les consorts [B] - [K] ;
En tout état de cause, 15 CONDAMNER la SNC MARIGNAN aux entiers dépens ;
CONDAMNER la SNC MARIGNAN à la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par le RPVA le 09 septembre 2022, la SNC Marignan résidences demande au tribunal de :
Vu l’article 1124 du code civil,
Vu l’article 1304 du code civil,
Vu les articles 1103 et 1304-5 alinéa premier du code civil,
Vu l’article 1304-6 du code civil,
Vu les articles 1186 et 1187 du code civil,
Vu la jurisprudence,
Vu la promesse litigieuse,
Débouter purement et simplement Madame [J] [B] et Monsieur [O] [K] de leurs demandes, fins et prétentions,
Condamner Madame [J] [B] et Monsieur [O] [K] à la somme de 3.500 € au titre de l’article 700 du code civil outre les entiers dépens de procédure et d’instance,
Écarter l’exécution provisoire.
Par ordonnance du 23 mars 2023, le juge de la mise en état a clôturé l'instruction de l'affaire et a fixé l'audience de plaidoirie à la date du 19 février suivant.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé à leurs écritures susvisées.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande en paiement de l'indemnité d'immobilisation :
L'article 1304 du code civil dispose que :
« L'obligation est conditionnelle lorsqu'elle dépend d'un événement futur et incertain.
La condition est suspensive lorsque son accomplissement rend l'obligation pure et simple.
Elle est résolutoire lorsque son accomplissement entraîne l'anéantissement de l'obligation ».
L'article 1304-3 du même code prévoit que :
« La condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l'accomplissement.
La condition résolutoire est réputée défaillie si son accomplissement a été provoqué par la partie qui y avait intérêt ».
L'article 1304-4 dudit code dispose que :
« Une partie est libre de renoncer à la condition stipulée dans son intérêt exclusif, tant que celle-ci n'est pas accomplie ou n'a pas défailli ».
Toutefois, en ce que ce texte est supplétif de volonté, les parties à un contrat peuvent y déroger, en application de l'article 1102 du code civil, de sorte qu'elles peuvent renoncer à la caducité automatique découlant de la défaillance d'une condition suspensive.
Les époux [K] sollicitent la condamnation de la SNC Marignan résidences à leur payer le montant de l'indemnité d'immobilisation stipulée à l'acte, soit la somme de 60 000 €. Ils exposent à cet effet que le promoteur ne justifie pas de diligences aux fins de dépôt du permis de construire avant le 30 avril 2021, délai stipulé à l'avenant en date du 30 décembre 2020. Ils affirment qu'il ne démontre pas plus avoir été diligent, dans ses démarches visant à l'obtention d'une promesse de vente de la part des consorts [P]. Ils prétendent que la condition suspensive, au singulier, doit dès lors être réputée comme accomplie. Ils soutiennent qu'il en est de même de la « prétendue » (page 9) caution bancaire, laquelle dépendait du dépôt du permis de construire. Ils affirment pouvoir en déduire que l'indemnité d'immobilisation leur est due.
La SNC Marignan résidences répond que la promesse était caduque, le 30 septembre 2020, faute pour elle d'avoir obtenu des consorts [P] une promesse de vente, laquelle était une condition essentielle et déterminante de son consentement à la promesse litigieuse. Il en résulte, selon elle, que la clause relative à l'indemnité d'immobilisation n'a pas survécu à la caducité de la promesse, de sorte que les demandeurs ne peuvent utilement lui en réclamer le paiement. Elle conteste tout défaut de diligences et soutient qu'un avenant « n'a pu être valablement régularisé » (page 7). Elle affirme, ensuite, que n'ayant pas remis de garantie bancaire avant le 30 juin 2021, dans le délai de deux mois suivant celui de l'expiration de celui pour déposer le permis de construire, la promesse était caduque. Elle conclut au débouté.
Les époux [K] répliquent que le promoteur, en régularisant l'avenant du 30 décembre 2020, sans plus mentionner l'existence de la condition de la signature d'une promesse de vente avec les consorts [P], qu'ils soutiennent ne pas constituer une condition suspensive au sens de l'article 1304 du code civil mais « être un simple élément factuel érigé en condition déterminante du consentement » (page 10), y a renoncé et ne peut dès lors plus s'en prévaloir. Ils ajoutent que pour le cas où le tribunal estimerait que l'élément factuel précité était constitutif d'une condition suspensive, elle serait de toute façon réputée accomplie, faute de diligences accomplies envers les consorts [P].
Par un avenant à la promesse de vente litigieuse du 30 décembre 2020 (pièce demandeurs n°10, page 3), les parties ont convenu de proroger trois délais, dont celui dans lequel la SNC Marignan résidences devait déposer le permis, soit au plus tard le 30 avril 2021, au lieu du 31 décembre 2020 (pièce demandeurs n°1, page 32), « toutes les autres clauses et conditions demeur(a)nt inchangées ».
Cet acte, rédigé par un notaire, professionnel du droit, ne dit rien de la condition « essentielle et déterminante » initialement convenue dans la promesse (page 13) et « sans laquelle le bénéficiaire n'aurait pas contracté », de la signature « à peine de caducité de la présente promesse » d'une promesse avec les consorts [P] « avant le 30/09/2020 ».
Il en résulte qu'en régularisant cet avenant, la SNC Marignan résidences a, implicitement mais nécessairement, renoncé à se prévaloir des conséquences de la défaillance de cette condition.
La clause relative à l'indemnité d'immobilisation a été stipulée comme suit par les parties (pages 26 et 27) :
« En conséquence, le bénéficiaire s'oblige à verser au promettant en cas de non réalisation de la présente promesse due à son fait, toutes les conditions suspensives ci-après stipulées étant réalisées, une indemnité forfaitaire pour l' immobilisation résultant des présentes, d'un montant total (…) de 60 000 euros.
A la garantie du paiement de la somme de 60 000 euros, le bénéficiaire s'oblige à produire au promettant une caution bancaire solidaire (…) d'un établissement bancaire de son choix, aux termes de laquelle cet établissement s'obligera à verser au promettant , en cas de non réalisation de la présente promesse de vente pour un motif imputable au bénéficiaire, toutes les conditions suspensives étant réalisées, la somme de 60 000 euros. (...)
L'original de cette caution devra être adressé (cachet de la poste faisant foi) à Maître [S] [X], notaire soussigné, dans les deux mois de la date prévue pour le dépôt par le bénéficiaire de sa demande de permis de construire et avoir effet jusqu'au 30 novembre 2021.
Caractère gratuit de la promesse : (en gras et souligné dans le texte, NDR)
Défaut de remise de la caution par le bénéficiaire
Dans l'hypothèse où la caution bancaire ne serait pas remise par le bénéficiaire au promettant dans le délai visé ci-avant, les présentes seront considérées comme caduques, de plein droit, sans indemnité de part, ni d'autre, le promettant acceptant ainsi expressément que la présente promesse de vente soit consentie pour une période gratuite sans charge d'indemnité d' immobilisation pour le délai courant à compter de la signature des présentes et jusqu'à la date prévue contractuellement pour la remise de la caution bancaire ».
Il ressort de cette stipulation, et notamment du titre « caractère gratuit de la promesse », laquelle ne laisse place à aucun doute, que les demandeurs ont consenti à la SNC Marignan résidences une immobilisation gratuite de leur bien immobilier pour un délai courant du 29 juillet 2020, date de la signature de la promesse, au 28 février 2021 maximum (expiration du délai de deux mois suivant celle de celui dans lequel la demande de permis devait être déposé), délai qu'ils ont même accepté de proroger au 30 juin 2021, au moyen de l'avenant précité. Ils ont ainsi consenti à ce qu'à l'expiration de cette période de gratuité, le bénéficiaire puisse ne pas produire de caution bancaire et ne pas poursuivre son projet immobilier, entraînant la caducité de plein droit de la promesse, les promettants retrouvant alors la libre disposition de leur bien et sans indemnité.
Au cas présent, il est constant que la SNC Marignan résidences n'a pas remis au notaire instrumentaire la caution bancaire avant le 30 juin 2021, date à laquelle la promesse est alors devenue de plein droit caduque et sans que les époux [K] ne puissent utilement, en conséquence de ce qui précède, solliciter une indemnisation au titre de la période durant laquelle ils n'ont pu librement disposer de leur bien.
Mal fondés en leur demande de paiement de l'indemnité d'immobilisation, ils en seront dès lors déboutés.
Sur la demande de dommages et intérêts
L'article 1231-1 du code civil dispose que :
« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure ».
Seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable (Civ 1ère 21 nov. 2006 n° 05-15.674 Bull. n°498). Ce préjudice doit être mesuré à la chance perdue et ne peut être égal à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.
Les époux [K] sollicitent, à titre subsidiaire, que le tribunal déclare l'existence d'une mauvaise foi du bénéficiaire tout au long de la relation contractuelle et sollicitent la somme de 60 000 € en réparation de leur préjudice. A l'appui de cette prétention, ils prétendent qu'un lien contractuel a toujours existé entre les parties, entre le 30 septembre 2020 et le 30 novembre 2021 et que durant tout ce temps, la SNC Marignan résidences a été de « parfaite mauvaise foi » (page 13) en leur laissant espérer la réalisation du projet. Ils affirment que cette dernière, pour échapper au paiement de l'indemnité d'immobilisation, ne s'appuie que sur la « non réalisation d'une prétendue condition suspensive relative à la signature avec les époux [P] » (ibid). Ils soutiennent avoir perdu, en conséquence de cette mauvaise foi, une « chance de se voir proposer une autre offre tout au long de la promesse » (ibid).
La SNC Marignan résidences s'y oppose, en contestant tout manquement à ses obligations ainsi que la réalité du préjudice invoqué, en ce que les demandeurs n'avaient, avant la signature de la promesse, aucune intention de vendre leur bien.
Les demandeurs, en ce qu'ils allèguent de la mauvaise foi de la société défenderesse, mais sans caractériser clairement l'existence d'une faute commise à leur endroit, sont mal fondés en leur demande de dommages et intérêts, de sorte qu'ils en seront déboutés.
Sur les demandes annexes
Parties succombantes, les époux [K] seront condamnés aux dépens, en application de l'article 696 du code de procédure civile.
L'équité ne commande pas de faire droit à la demande de frais non compris dans les dépens formée par la SNC Marignan résidences, laquelle en sera déboutée.
La nature de l'affaire n'étant pas incompatible avec l'exécution provisoire de droit de la présente décision, il n'y a dès lors pas lieu de l'écarter.
DISPOSITIF
Le tribunal :
DEBOUTE M. [O] [K] et Mme [J] [B] épouse [K] de leurs demandes ;
les CONDAMNE aux dépens ;
REJETTE toute autre demande, plus ample ou contraire.
La greffière La présidente